Berne, Suisse, le mercredi 28 octobre 1998
Monsieur le Président de la Confédération,
Tout d'abord, merci pour cet accueil, Monsieur le Président et Cher Ami, à Berne, dans cette superbe cité, dont je n'évoquerai pas l'histoire, si ce n'est pour vous en raconter une que vous connaissez probablement.
J'ai recontré récemment et à quelques reprises un habitant de Berne, qui est un Monsieur âgé, qui est un ancien professeur d'histoire, qui a écrit des livres, notamment sur l'histoire de la Suisse et qui me disait, il y a un mois : "Monsieur Chirac, vous allez à Berne, et je suis très heureux", moi aussi, et il me dit : "vous voyez Monsieur Chirac, c'est une ville superbe, elle a connu ses moments de grandeurs et ses moments de difficultés, mais je vais vous dire une chose : que les soldats de Napoléon aient volé les trésors de Berne, passe encore, mais Monsieur Chirac, les ours, qu'ils aient volé les ours, cela c'était vraiment inadmissible". Et je me suis dit, tout de même, c'est un peu émouvant, et c'est aussi très suisse, ce respect pour l'histoire, pour la tradition. Et je me suis senti tout à coup un peu coupable, d'avoir volé des ours.
Permettez-moi de vous remercier, du fond du coeur, de m’avoir invité à rencontrer votre pays. Merci pour vos paroles d’amitié qui m’ont touché et qui, je le sais, auront touché mes compatriotes cela ne fait aucun doute, dont beaucoup sont en relation étroite avec la Suisse. Mes remerciements vont également aux représentants du peuple suisse qui m’ont accueilli avec chaleur. Enfin, merci à vous, Cher Président, pour votre engagement personnel en faveur du rapprochement, constant, permanent, cordial entre nos deux pays.
Vous savez la place de la Suisse dans le coeur des Français. Ce magnifique Hôtel du Gouvernement de Berne, où vous nous recevez ce soir, nous rappelle la force de votre histoire, l’exemplarité de l’expérience suisse, qu’il s’agisse de la lutte pour l’indépendance et la liberté, de l’enracinement de la démocratie, de cette solidarité entre les hommes que votre pays incarne si bien au travers de sa tradition humanitaire.
Monsieur le Président,
Au terme de cette première journée, je me réjouis beaucoup des entretiens que nous avons eus et qui montrent que la Suisse et la France veulent travailler davantage ensemble et se concerter plus étroitement sur les grandes questions de notre temps, comme nous l'avons fait cet après-midi, librement, et de façon intéresante, en tout cas pour moi.
Nous sommes d’accord pour donner une nouvelle dimension à nos relations bilatérales. Les relations de deux voisins, qui ont noué une étroite coopération transfrontalière, avec notamment le dialogue entre nos collectivités territoriales. Les relations de deux amis, de deux frères qui, par-delà les aléas de l’Histoire, ont en partage une culture et des valeurs communes.
Notre coopération embrasse tous les aspects de la vie : la formation des jeunes, le développement de nos entreprises et de nos emplois, la protection de notre environnement, la lutte contre les fléaux de notre temps.
Avec votre soutien, Monsieur le Président, mon souhait est que nous travaillions plus étroitement ensemble et notamment en Suisse alémanique, dans le Tessin aussi. C’est ce que je dirai demain, à Zurich, aux communautés d’affaires et aux responsables de votre économie.
Et bien sûr, nous avons longuement évoqué la construction européenne. Pour la France, pour ses partenaires de l’Union, pour ceux qui vont nous rejoindre prochainement, pour ceux qui s’y préparent, l’enjeu est historique. Il y va de la paix, de la démocratie, de la prospérité sur notre continent au XXIe siècle. Pour la Suisse, l’Europe est au coeur d’un grand débat national qui n’est pas encore tranché.
Il s'agit de votre décision et il ne peut s'agir que de cela. Mais permettez-moi d'affirmer une conviction. S’il est un pays européen, c’est bien la Suisse. Elle l’est par sa culture, sa civilisation, son attachement aux valeurs mêmes qui fondent l’Union européenne. Elle l’est par sa situation au coeur de notre continent. Elle l’est par ses échanges incessants avec nos pays. Elle a naturellement sa place dans l’Europe unie. Déjà, elle y participe à travers de nombreuses coopérations sectorielles. Une vraie solidarité s’est instaurée entre nous.
Et pour l’Europe, qui se construit jour après jour, qui se réforme et qui s’interroge, l’expérience suisse est précieuse : pratique de la subsidiarité et de la collégialité ; coexistence harmonieuse dans le respect des identités locales ; agrégation réussie des langues et des traditions des cantons. Oui, l’histoire suisse parle à l’Europe.
Bien sûr, quel que soit le choix des Suisses, nous le comprendrons et nous le respecterons. Si la Confédération choisit un jour d’adhérer, le soutien fraternel de la France lui sera acquis. Dans le cas contraire, vous trouverez toujours dans mon pays un partenaire attentif et amical, un interlocuteur privilégié en Europe.
Déjà la Suisse coopère avec l’espace Schengen pour la sécurité de nos concitoyens. Et très bientôt, nous aurons l’euro avec lequel travailleront, et travaillent déjà, vos professionnels de la banque, des finances, de l’industrie, du tourisme, sans compter l’usage quotidien que nos frontaliers feront de cette nouvelle devise, l’autre grande monnaie du monde.
Enfin, Monsieur le Président et Cher Ami, nous avons procédé à un tour d’horizon international. Nous avons parlé des crises parce que vous et nous partageons le même souci d’un monde en paix. J’évoquais à l’instant l’Europe qui se construit. A ses portes, à nos portes, la guerre menace. Il y a deux ans, vous présidiez l’OSCE. Nous nous sommes retrouvés côte à côte pour que l’horreur cesse en Bosnie-Herzégovine. Aujourd’hui, c’est la situation au Kosovo qui nous inquiète et qui nous mobilise. La démarche de la France, avec ses alliés de l’OTAN, et la démarche de la Suisse vont dans le même sens : que cessent les combats pour qu’une solution politique puisse intervenir et que la vie reprenne son cours magnifiquement.
Voilà, Monsieur le Président et Cher Ami, tracées à grands traits, les questions que nous avons abordées ensemble, les réponses que doivent y apporter ensemble la Suisse et la France, et pour cela, ce nouveau souffle que nous souhaitons donner à notre amitié. Je disais tout à l'heure à votre épouse que les visites d'Etat sont des gestes symboliques et généralement forts.
C’est fort de cette ambition que je vais maintenant lever mon verre. Je le lève, Monsieur le Président, Cher Ami, en votre honneur et en l’honneur des hautes personnalités suisses et françaises qui nous entourent ce soir. Je le lève en l’honneur de la Confédération suisse et de son peuple auquel je souhaite bonheur et prospérité. Je bois à l’amitié fraternelle entre nos deux pays et à l’heureux avenir des relations franco-suisses.
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