Palais de l'Elysée, le mercredi 14 octobre 1998
Monsieur le Président,
Chère Zulema,
Vous êtes aujourd'hui, Monsieur le Président, l'hôte d'honneur de la France. Soyez-en, mon cher Carlos, le très bienvenu.
Il y a un an et demi, c'était moi qui étais votre invité, à Buenos Aires. Je n'oublierai pas votre accueil ni celui du peuple argentin.
D'abord, parce qu'en venant vers vous, j'allais à la rencontre d'un homme d'Etat dont chacun reconnaît la réussite. Mais j'allais surtout à la rencontre d'un ami.
En visitant pour la première fois votre pays, dont vous-même m'aviez tant parlé, je réalisais un rêve ancien. Dans l'imaginaire des Français, nous en parlions tout à l'heure, l'Argentine évoque le grand large, les espaces vierges, l'immensité, bref, l'aventure. Et ce n'est pas un hasard si tant de mes compatriotes, rêvant d'un monde nouveau, sont partis au long du temps s'y installer.
Ce lien entre l'Argentine et la France est puissant. C'est plus qu'une amitié, c'est le désir de mêler nos destins.
Et d'abord, en travaillant davantage ensemble. Monsieur le Président, à mesure que vous meniez vos réformes économiques et sociales, que votre pays s'ouvrait aux échanges, que le succès couronnait vos efforts, la confiance s'installait. Celle notamment des investisseurs français qui se sont massivement engagés à vos côtés.
Parce qu'ils voient en l'Argentine un pays moderne, accueillant, solide. Parce que vous avez su leur offrir un cadre juridique sûr. Parce que vous avez de grands projets d'équipement et de développement auxquels nos entreprises souhaitent s'associer.
Mais face aux incertitudes financières du monde d'aujourd'hui, la France, vous le savez, fait pleinement confiance à votre pays.
Mêler nos destins, aussi, en poursuivant notre dialogue culturel, en nous rapprochant par l'esprit et donc par le coeur. C'est le champ le plus ancien et le plus fort de notre relation, fondée sur nos racines communes : notre latinité.
A l'université de Buenos Aires, j'avais rencontré la jeunesse d'Argentine et je l'avais sentie portée vers la France et vers l'Europe. Ce sont nos jeunes qui cultiveront l'intimité de nos deux pays. Et puis, connaître la langue de l'autre, c'est se donner des chances supplémentaires de réussite à l'heure de la mondialisation. C'est la vocation, à travers toute l'Amérique latine, de nos lycées et de nos Alliances françaises. Chez nous, déjà, un bachelier sur deux a appris l'espagnol. Au-delà, nous sommes d'accord pour multiplier les passerelles entre nos universités et aussi entre nos centres de recherche.
Mêler nos destins, c'est enfin resserrer notre dialogue politique. Celui de deux peuples qui partagent l'essentiel, une certaine vision de l'homme et des rapports entre les nations, le même souci de la justice et de la paix. Deux peuples qui ont des responsabilités régionales mais aussi des responsabilités à l'échelle du monde.
Chaque jour, votre pays enracine et fait vivre la démocratie. Chaque jour, il s'affirme sur la scène internationale avec vos engagements personnels, Monsieur le Président, et ceux de votre diplomatie pour la sécurité, pour la paix, pour la solidarité.
Ce combat-là, nous le menons ensemble dans les grandes enceintes. Celles du désarmement et de la non-prolifération nucléaire. Celles de la protection de l'environnement. Dans un mois, à Buenos Aires, nous travaillerons ensemble au succès de la conférence sur la lutte contre le changement climatique. Ensemble nous poursuivons notre aide aux populations en difficulté, comme nous le faisons notamment en Haïti, où la France a rejoint votre initiative généreuse de "Casques Blancs".
Mais à l'heure de la mondialisation, c'est aussi le dialogue de nos grands ensembles que nous devons organiser en rapprochant le MERCOSUR et l'Union européenne.
Vous et nous sommes engagés dans deux grandes aventures régionales pleines de promesses. L'Union européenne, qui disposera dans quelques semaines de sa monnaie unique, poursuit son approfondissement et prépare le plus ambitieux élargissement de son histoire. Le MERCOSUR nous impressionne par sa réussite aussi rapide qu'exemplaire. Il s'affirme en Amérique latine, à l'instar de l'Union en Europe, comme un pôle de paix et de démocratie, de stabilité et de prospérité.
Notre horizon partagé, c'est la libéralisation des échanges engagée à Madrid, le 15 décembre 1995. Mais une libéralisation progressive et équilibrée. Une libéralisation patiente qui devra prendre en compte les prochaines échéances : pour l'Union, la réforme de son cadre financier et de ses politiques communes, notamment la politique agricole ; pour nos deux ensembles, le prochain cycle des négociations commerciales multilatérales. Dès maintenant, parlons-en, concertons-nous, efforçons-nous d'aplanir les obstacles ou les ultimes obstacles. Préparons cette ouverture pour qu'elle s'accomplisse dans les meilleures conditions. C'est dans cet esprit que nous avons décidé la création d'une instance de concertation prospective sur les questions agricoles et agro-alimentaires, où se retrouveront les officiels représentant l'administration, mais aussi les professionnels.
Mais notre ambition, Monsieur le Président, est plus large encore.
En 1964, lors de son voyage historique en Amérique du Sud, le Général de Gaulle dessinait, à Buenos Aires, sa vision d'un grand rapprochement de nos deux régions. "Sans nul doute, disait-il, le rapprochement de la France et de l'Argentine intéresse le monde. C'est l'Amérique latine, à travers votre pays, et c'est l'Europe, à travers le mien, qui se tiendront en contact étroit. C'est, ajoutait le Général de Gaulle, l'une des conditions du progrès, de l'équilibre et de la paix dans ce siècle. Car, tandis que l'Ancien monde reviendra de ses déchirements, l'Amérique latine, en marche vers la prospérité et la puissance, verra paraître son jour". Eh bien, Monsieur le Président, ce jour est venu.
Il y a un an et demi, j'ai proposé qu'un Sommet, le premier dans l'Histoire, réunisse les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Amérique latine et de l'Europe pour donner à nos relations politiques, économiques et culturelles leur véritable dimension et les nourrir de projets concrets. Je me souviens, Monsieur le Président, que cette proposition avait suscité votre adhésion immédiate. Travaillons ensemble au succès de ce grand rendez-vous qui aura lieu en juin prochain. Ainsi parviendrons nous à équilibrer les liens de nos deux ensembles avec l'Amérique du Nord.
Pour réussir tout cela, nous avons la volonté, l'énergie, la confiance. Mais nous avons d'abord l'amitié.
Et c'est en me tournant vers l'ami -mon ami- Carlos MENEM, depuis longtemps, Carlos MENEM, Président de la Nation argentine, c'est à lui que je lève maintenant mon verre. Je le lève en votre honneur, en l'honneur des hautes personnalités argentines et françaises qui nous entourent ce soir. Je le lève en l'honneur du peuple argentin à qui je souhaite bonheur et prospérité. Je bois, mon Cher Carlos, à la relation fraternelle entre l'Argentine et la France.
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