Hospice Saint-Michel, Paris, le dimanche 12 décembre 1999
Monsieur le Président,
Cher Docteur Emmanuelli,
Chère Dominique Versini,
Mesdames et Messieurs les bénévoles, et en particulier les jeunes bénévoles du collège Saint-François d’Assise qui nous donnent, en quelque sorte, un exemple que la générosité n’attend pas le nombre des années,
Mesdames et Messieurs les élus qui soutiennent depuis longtemps déjà cette opération, je pense, en particulier, aux élus de Paris. Car la ville de Paris a apporté une aide considérable et sans elle rien n’aurait été possible,
Mesdames et Messieurs les sponsors qui apportent l’essentiel, c’est-à-dire " le nerf de la guerre ",
Le Samu social existe maintenant, cher Docteur, depuis six ans. Il va son chemin. En France comme à l'étranger, il fait école sous votre impulsion. C'est une belle idée qui fut la vôtre, une idée profondément moderne car elle ne repose pas sur un dispositif anonyme, sur des solidarités d'argent, mais sur un engagement de personne à personne.
Beaucoup d'autres initiatives vont dans ce sens aujourd'hui. Elles rendent espoir dans la capacité de nos sociétés à prendre en charge la grande exclusion -phénomène moderne, hélas, et qui se développe toujours. Elle tente de faire progresser l'action humanitaire.
En obtenant le prix Nobel de la paix, un prix qui honore notre pays en même temps qu’il honore Xavier Emmanuelli, Bernard Kouchner, Philippe Biberson et tous ceux et toutes celles que le monde entier reconnaît sous le nom de "french doctors", Médecins sans frontières a encore illustré avec éclat cette formidable capacité de nouveaux moyens d'action au service des plus démunis.
C'est un domaine dans lequel il faut toujours innover, encourager de nouvelles initiatives. Il y a tant à faire que le pire serait de se résigner, de ne rien entreprendre. Je suis toujours très impressionné, très admiratif de voir la générosité en action, de constater sa puissance d'efficacité. On hésite parfois à s'engager. On a peur de ne pas savoir faire ou on se sent quelque peu démuni, et souvent impuissant devant la misère et la douleur des autres. Mais en réalité, comme l’a si bien dit tout à l’heure le Docteur Emmanuelli, on peut apporter beaucoup en donnant un peu de soi, un peu de son temps. Les Français le démontrent chaque jour. Alors même qu'ils s'éloignent d'autres formes d'action collective, ils s'engagent de plus en plus nombreux dans le bénévolat sous toutes ses formes.
Il est essentiel d'apprendre à conjuguer la solidarité au présent, de lui rendre sa dimension la plus fraternelle, de lui donner le visage de femmes et d'hommes qui se rendent disponibles. C'est un formidable message d'espoir pour tous ceux, pour toutes celles qui sont passés à travers les mailles de nos filets de sécurité, toutes celles et tous ceux qui, au coeur de l'hiver, se retrouvent seuls, sans rien, à la rue.
Notre pays a souvent été précurseur dans le domaine de la solidarité.
Quand la sécurité sociale s'est mise en place, c'était une extraordinaire invention. Elle est aujourd'hui au coeur de notre contrat social. Elle organise la triple solidarité des Français face aux charges de famille, à la santé et à la retraite. Tous nos compatriotes lui sont, à juste titre, très profondément attachés.
Mais force est de reconnaître qu'elle n'a pas suffi à empêcher l'irruption dans le monde moderne de nouvelles formes de pauvreté et de très grande pauvreté.
A partir des années quatre-vingt, l'exclusion s'est diffusée sur un terreau rendu propice par l'urbanisation et par les changements de l'économie, dans une période très dure où chômage, inflation et déficits publics avaient explosé.
L'urbanisation a incontestablement été un puissant vecteur de la solitude. Elle s'est trouvée associée à la remise en cause des solidarités naturelles les mieux établies : les solidarités familiales, qui heureusement restent fortes ; mais aussi les solidarités de village, ces solidarités qui étaient autrefois habituelles, dans une France rurale où chacun trouvait sa place plus ou moins, même les plus petits, les moins aptes, les plus vulnérables.
Dans le même temps, les changements historiques de l'économie, avec les grandes restructurations industrielles, ont provoqué une forte diminution des emplois reposant sur des gestes répétitifs ou sur la force physique, entraînant ainsi la mise à l'écart de nombreux travailleurs sans qualification. Aujourd'hui encore, malgré la croissance économique, face à l'emploi, la situation des travailleurs sans qualification reste très mauvaise, quand elle ne se dégrade pas.
Des solutions peuvent être trouvées. Chacun s'accorde en particulier à considérer que les charges qui pèsent sur l'emploi peu qualifié sont trop lourdes. Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine pour pouvoir donner du travail à tous.
Il faut aussi un accompagnement humain plus attentif, pour que les obstacles à franchir sur le chemin de l'emploi soient mieux surmontés : logement, formation, santé, mais aussi nouvelles habitudes de vie qu'il faut accepter de prendre. Ce qui paraît simple au plus grand nombre peut en effet présenter une difficulté ressentie -Dominique Versini nous en parlait tout à l’heure-, comme insurmontable par celles ou ceux qui ont été relégués aux confins les plus extrêmes de notre société. Le problème n'est pas seulement matériel : c'est d'abord un problème de confiance en soi, et c'est aussi une question de fraternité.
Il est certain que le RMI a beaucoup fait progresser les choses, mais il a aussi ses limites. Il n'est pas autant qu'il le faudrait un instrument d'insertion. Le nombre de ses allocataires continue à augmenter chaque année à un rythme élevé. Plus de la moitié d'entre eux sont dans cette situation, c’est-à-dire au RMI, depuis plus de deux ans. Cette situation est préoccupante. Il faut prévenir les risques d'un enfermement dans les minima sociaux et, pour cela, réfléchir aux moyens de donner au RMI toute sa dimension au service du retour vers l'emploi. C'est devenu un enjeu essentiel pour notre société et pour son équilibre.
Mais en présence des situations de détresse sociale, comme les évoquaient tout à l’heure le président et le directeur du Samu social, la recherche de réponses structurelles, pour nécessaire qu'elle soit, ne suffit pas. Il faut d'abord affronter l'urgence sociale, lui donner, toutes affaires cessantes, la priorité.
C'est ce que, vous tous ici, avez accepté de faire en vous engageant personnellement dans l'opération des Samaritains -une belle opération-, en donnant de votre temps, de votre attention, de votre générosité, de votre intelligence, de vos moyens. Et c'est parce que votre geste me touche, comme il doit toucher tous les Français, que j'ai voulu, cher Docteur, être ce soir parmi vous, une nouvelle fois ici, et pour vous en rendre témoignage.
Ce qui fait la force du Samu social, de ses équipes, ce qui va faire la force des Samaritains à partir d'aujourd'hui, c'est effectivement un autre regard porté sur les personnes : pas un regard questionneur, mais un regard de respectueuse discrétion, fraternel et chaleureux, qui ne pénètre pas comme une lame dans les consciences blessées, qui ne force pas le passage. Un regard qui aide à changer, mais qui n'impose rien, qui ne passe pas en force, qui laisse libre.
N'en doutez pas, vous pouvez beaucoup. Ce que vous offrez est beaucoup. C'est d'abord une aide matérielle et ponctuelle. C'est aussi un réconfort, une présence humaine qui soutient mais qui ne juge pas. Et ce peut être également un point de départ pour s'en sortir. Le chemin est toujours long, mais quand on est accompagné, il est plus facile d'aller jusqu'au bout. Chaque réussite en témoigne pour rendre espoir à tous ceux, à toutes celles qui n'y croient plus. Le Samu social revoit chaque année des hommes et des femmes passés à travers les épreuves et qui les ont surmontées. Souvent, ils se mettent à leur tour au service des autres.
Notre société a besoin de reconstruire ainsi du lien entre les hommes. Aux côtés des professionnels du Samu qui, je le sais, donnent de leur temps pour que l'opération réussisse, je crois que les Samaritains vont d'abord vivre une expérience utile à ceux qui ont perdu courage, mais qu'ils vivront aussi, pour eux-mêmes, un temps fort d'ouverture au service des autres.
La charte que vous allez signer, qui nous a été lue tout à l'heure par le Docteur et par Dominique, dit très bien les choses : on ne peut lutter efficacement contre l'exclusion sans renouveler nos conceptions des rapports entre les hommes, sans changer de regard et d'attitude, en un mot sans tenter de comprendre.
C'est ce que font déjà, avec coeur, avec engagement, avec efficacité, Xavier Emmanuelli, Dominique Versini et toute l'équipe du Samu social que je salue avec beaucoup d’estime et beaucoup d’admiration. C'est ce que vous tous vous êtes engagés à faire à l'occasion de cette opération. Je souhaite que vous ayez envie de continuer après le 15 janvier. Et je voudrais aussi saluer tous les hommes d'entreprise, j’en vois ici parmi nous, dont le concours était indispensable à la réussite de cette idée et qui ont accepté de s'impliquer. Ils l’ont fait avec coeur et générosité.
Alors, à tous, je tiens à dire mon soutien et ma reconnaissance.
Je vous remercie.
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