Rambouillet, Yvelines, le samedi 6 février 1999
Messieurs les Ministres,
Messieurs,
Il est des moments, rares, où l'Histoire est dans la main de quelques hommes.
Tel est le cas, aujourd'hui, pour vous qui prenez place à la table des négociations.
C'est le sort du Kosovo, mais c'est surtout le sort des femmes, des hommes et des enfants qui vivent sur cette terre, dont vous allez déterminer le destin.
Le cadre de cette négociation a été clairement défini par le Groupe de contact. Les principes d'une autonomie substantielle vont vous être présentés. Il vous appartient de les préciser et de leur donner corps pour qu'à l'intérieur des frontières existantes, tous les habitants de la province, quelle que soit leur origine, puissent vivre dans la paix et dans le respect de leurs personnes et de leur droit.
Plutôt que de vous opposer dans des batailles stériles et vaines, je souhaite que vos discussions vous conduisent vers les mesures pratiques par lesquelles l'autonomie souhaitable sera assurée dans les faits, jour après jour, pour que la paix revienne dans les esprits et dans les coeurs.
Vous avez le choix entre la poursuite des tragédies du passé ou l'espoir de vie qui prend forme.
Il ne s'agit pas de l'oubli. Nul ne peut oublier le fils perdu ou le village détruit. Il faudra, là aussi, que la justice passe et que les coupables soient jugés.
La France, vous le savez, a connu les horreurs de la guerre. Elle a connu le visage de la barbarie. Mais elle a su panser des blessures que l'on croyait éternelles. Elle a su abolir les haines que l'on disait ancestrales. Elle vous dit, aujourd'hui, que la volonté de paix peut être plus forte que la tentation de la guerre. Ce message prend tout son sens ici, dans ce lieu où, ensemble, le général de Gaulle et le Chancelier Adenauer construisirent l'avenir.
En bâtissant la paix vous devez aussi tourner vos regards vers un nouvel horizon : celui de l'Europe.
Vous représentez des peuples qui appartiennent pleinement à l'Europe. Et c'est aussi pourquoi l'idée d'une guerre du Kosovo nous est insupportable. L'Europe a réussi à réconcilier les nations ennemies. Elle a réussi à résorber la fracture de la guerre froide qui l'a divisée pendant cinquante ans. Aujourd'hui, avec ses partenaires, elle s'engage à vos côtés dans la recherche d'une solution de paix.
En vous appelant à faire cette paix, je vous invite à faire vôtres les valeurs de liberté, de démocratie et de tolérance qui constituent le fondement même de l'Union européenne. C'est ainsi que vous reprendrez votre place dans la famille européenne.
C'est, là aussi, l'un des enjeux majeurs de la conférence qui s'ouvre aujourd'hui.
La communauté internationale unanime s'est mobilisée. Son action n'est dirigée contre personne. Elle s'exerce au bénéfice de tous. Mais, sachez le, la France, pas plus que ses partenaires européens, américains ou russes, ne tolèrera que persiste un conflit qui bafoue les principes essentiels de la dignité humaine. Nous n'accepterons pas que le cycle des violences menace, de proche en proche, la stabilité de tout le sud-est de l'Europe. Nous voulons la paix sur notre continent.
Aux représentants du Groupe de contact, et en particulier aux ministres britannique et français, à qui a été confiée la tâche de présider ces réunions, je dis toute ma confiance. Soutenu par le Conseil de sécurité, et donc par toute la communauté internationale, épaulé par tous les moyens mis à sa disposition, le Groupe de contact dispose de l'autorité nécessaire pour faire triompher le droit, la justice et la paix.
Au-delà, il conviendra de prévoir le dispositif d'accompagnement indispensable à la mise en oeuvre de cet accord. L'OSCE aura un rôle important à jouer dans la suite de l'action déjà entreprise par la mission de vérification au Kosovo dont je salue le travail courageux et efficace.
Un déploiement international accepté par tous nous paraît nécessaire pour garantir le silence des armes. Soyez assurés que la France, comme elle l'a fait depuis l'origine des conflits dans l'ex-Yougoslavie, prendra toutes ses responsabilités. Elle le doit à son ambition européenne. Elle le doit aussi à la mémoire de ses fils, morts sur la terre yougoslave pour un idéal de paix, de dignité et de liberté que nous continuerons de servir avec détermination.
Aux représentants des deux parties, Serbes et Albanais du Kosovo, je dis : la paix est entre vos mains. Je fais appel à votre sens des responsabilités. Je fais appel à votre courage. Non pas le courage qui conduit à la guerre, à la vengeance et à un cycle sans fin de violences absurdes. Mais au vrai courage, plus grand et plus noble. Le courage d'accepter la négociation et de faire la paix.
Mesdames, Messieurs,
Les prochains jours vous offrent une occasion unique de franchir une étape décisive vers la réconciliation. D'engager un processus conduisant à une autonomie substantielle du Kosovo dans le respect des droits de chacun. Il y faudra de la persévérance et une volonté sans faille. Mais soyez en assurés : lorsque vous repartirez de Rambouillet, c'est une page de l'histoire de l'Europe qui aura été tournée.
Je vous exhorte à faire triompher les forces de la vie sur les forces de la mort. Le monde vous regarde. Le monde vous attend.
Je vous remercie.
|