Lisbonne, Portugal, le vendredi 5 février 1999
Monsieur le Premier Ministre, Cher Ami, Messieurs les Ministres, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,
Je voudrais tout d'abord remercier l'Institut pour l'investissement, le commerce et le tourisme du Portugal et la Chambre de commerce et d'industrie luso-française, remercier leurs présidents, qui ont organisé cette manifestation. Je suis heureux de conclure, avec vous, Monsieur le Premier Ministre, Mon Cher Antonio, cette rencontre entre hommes d'affaires portugais et français, une rencontre qui a permis de faire le point du travail accompli par nos entreprises, mais aussi, je l'espère, de jeter pour l'avenir les bases d'une coopération encore plus ambitieuse que justifient à la fois nos intérêts économiques et notre étroite et chaleureuse coopération politique.
Désormais, le Portugal et la France partagent la même monnaie. C'est dire que nous avons destin lié.
Je me réjouis que votre pays soit parmi les membres fondateurs de l'euro. Votre participation à la monnaie unique, vous l'avez ardemment voulue. Elle est le fruit d'une volonté politique continue, sans faille, à laquelle, comme tout le monde, je tiens à rendre hommage : celle de l'arrimage de votre pays à l'Europe. Les résultats exceptionnels obtenus reflètent et justifient l'ambition du Portugal de figurer aujourd'hui en Europe et dans le monde parmi les meilleurs. Et les chiffres évoqués en matière d'investissement, il y a quelques instants, par le Premier Ministre apportent bien un témoignage concret de la légitimité de cette ambition.
Le temps n'est pas linéaire, parfois il semble se ralentir, s'assoupir, d'autres fois il s'accélère. Le passé récent du Portugal offre l'exemple d'une de ces formidables accélérations. En moins d'une génération votre pays s'est métamorphosé.
Bientôt, un bordelais, un lyonnais, commerceront, échangeront avec Lisbonne ou Porto comme ils le font aujourd'hui avec Lille ou Marseille. Quel changement en Europe !
L'euro était indispensable au grand marché unique des biens et des services. Il le complète. Il l'approfondit. Il renforce la concurrence et l'efficacité de nos marchés. L'euro est promesse de plus de croissance et donc d'emplois et vous savez le souci commun qui est celui du Portugal et de la France, dans le domaine de l'emploi au sein de la politique européenne. Et nous entendons poursuivre l'adaptation nécessaire de nos économies.
Car rien ne serait pire, aujourd'hui, que de ralentir le rythme de notre modernisation. L'euro n'est pas un aboutissement, c'est en réalité une clé de l'avenir. A nous de profiter de sa force pour construire la prospérité de nos peuples. Et à ce sujet, je voudrais faire trois brèves remarques.
La première, c'est que l'euro doit nous conduire à plus de coordination économique. Le cadre est aujourd'hui tracé, les outils de la concertation existent : ce sont l'Euro XI, l'Ecofin, le Conseil européen. Il nous appartient de bien faire vivre cette coordination et d'abord, bien sûr, de respecter les engagements souscrits dans le pacte de stabilité et de croissance.
Sans aucun doute, l'euro nous conduira à plus d'harmonisation y compris dans des domaines tels que la fiscalité. Mais gardons à l'esprit qu'en matière fiscale l'harmonisation ne sera comprise et acceptée par nos peuples que si elle va dans le sens d'une baisse des prélèvements obligatoires, des impôts et des taxes.
Deuxième remarque, l'euro est aujourd'hui la monnaie d'un ensemble fort de 300 millions de femmes et d'hommes. Cela nous confère des responsabilités nouvelles, notamment dans le domaine monétaire. Hier, divisée, morcelée et faible, l'Europe est aujourd'hui la première puissance économique du monde. Elle dispose d'un instrument monétaire solide et puissant, qui sera très vite l'une des deux grandes monnaies des transactions internationales.
Nous devons donc exercer nos responsabilités dans ce domaine. Et tout d'abord, définir, notamment avec nos partenaires américains et japonais, les modalités d'une coopération plus étroite en matière de monnaie et de change.
Enfin, la dernière remarque : l'Europe ne réussira pleinement que si elle sait conjuguer ses succès économiques avec l'amélioration du sort des hommes, comme l'évoquait tout à l'heure le Premier ministre. Je sais que nous partageons un même attachement à l'ambition sociale de l'Europe. La tâche est lourde, mais nous devons aller de l'avant.
Sur tous ces sujets, le Portugal et la France ont une communauté de vues et d'objectifs. Nous pouvons compter l'un sur l'autre, c'est ce qui est apparu clairement, encore ce matin, à l'occasion de nos entretiens approfondis sur l'avenir de l'Europe et aussi sur nos intérêts communs dans les affaires du monde.
Votre réussite économique nous impressionne. L'année dernière a été, pour vous, l'année de tous les succès. Parmi ceux-ci, l'organisation d'Expo 98 et l'achèvement, dans les délais, des nombreux aménagements qu'elle a nécessités, ont montré la qualité de la planification du projet, l'efficacité des entreprises portugaises et aussi d'ailleurs étrangères qui l'ont réalisé, la fiabilité de l'ensemble économique portugais et la capacité de mobilisation de la population portugaise. Les dix millions de visiteurs, parmi lesquels d'ailleurs de nombreux Français, ont pu constater par eux-mêmes le succès de ce dernier grand rendez-vous du siècle et la capacité du Portugal à assumer de façon admirable les projets d'importance.
Et tout au long de ces années qui ont changé le visage du Portugal, la France s'est montrée un partenaire économique très proche, tant sur le plan des échanges commerciaux que sur celui des investissements et de la réalisation des grands projets, le Premier ministre l'évoquait tout à l'heure.
Quel dynamisme dans nos échanges ! Ils ont triplé depuis 1986 et c'est une performance considérable. Aujourd'hui, la France est votre troisième fournisseur, votre troisième client, votre deuxième ou troisième investisseur. C'est dire l'importance de nos relations et le caractère croissant de leur intensité, et donc la confiance mutuelle que nous nous faisons, et pour ceux qui n'ont pas encore l'habitude, en France, de travailler avec leurs homologues portugais ou au Portugal avec leurs homologues français, c'est un témoignage de confiance et un encouragement à créer ensemble des richesses.
L'examen de ces échanges montre une nette évolution. C'est l'un des signes de l'intégration réussie de l'économie portugaise dans l'Europe. Bien sûr, la France continue d'acheter de grandes quantités de porto, dont elle est, je le rappelle, parce qu'on ne le sait pas toujours, le premier client, avant la Grande-Bretagne, mais désormais elle importe surtout des biens de consommation, des textiles, des biens d'équipement professionnels ou des composants automobiles et bien d'autres produits élaborés. Elle accueille aussi en nombre croissant vos investissements, pour ne citer qu'un événement récent dans l'industrie papetière, et là encore, la volonté portugaise d'investir, en Europe et dans le monde, bénéficie également à la France. Quand je dis la volonté, la volonté et la capacité.
Dans l'autre sens, depuis 1986, les investissements nets français ont été en moyenne chaque année de près d'un milliard de francs. La France est ainsi devenue, selon les statistiques, le troisième ou le deuxième investisseur étranger au Portugal. En 1998, 300 filiales de sociétés françaises implantées au Portugal ont été recensées, employant 37 000 personnes, auxquelles s'ajoutent les centaines de créations de petites entreprises par des Français, souvent eux-mêmes d'origine portugaise, et qui contribuent à développer le courant des affaires dans les deux sens. Je cite tout cela, notamment à l'intention non seulement des responsables économiques qui sont ici, mais en particulier à l'intention des entrepreneurs français qui m'ont accompagné, et qui observent l'éventualité de créer des liens d'échanges ou de production avec le Portugal. Je les y encourage vivement, l'expérience des dernières années montre qu'ils y ont intérêt.
Si la présence économique française est ancienne, c'est en effet votre entrée dans l'Union européenne qui a marqué un tournant décisif. Les implantations se sont multipliées, accompagnant d'abord le développement de la production industrielle au Portugal, puis celle des services, et mettant à profit les privatisations que vous avez résolument engagées. Aujourd'hui, les entreprises françaises sont réparties dans tous les secteurs de l'économie, ceux de l'industrie, du commerce ou des services.
J'ai été particulièrement frappé par le nombre de projets menés à bien, au cours de ces dernières années, par des associations d'intérêts portugais et français ou dans le cadre des groupements d'entreprises. Je pense naturellement au magnifique et prestigieux pont Vasco de Gama, qui fut l'un des plus grands chantiers d'Europe. A l'extension des lignes du métro de Lisbonne. A la fourniture de matériel pour la traversée ferroviaire du pont du 25 avril. A la modernisation de lignes de chemin de fer. A la création d'une société de téléphonie sans fil. Et à bien d'autres exemples qui ont donné l'habitude aux entreprises françaises et portugaises de travailler ensemble. La participation de plusieurs de ces entreprises à des opérations en concession montre leur confiance légitime dans la poursuite du développement économique du Portugal, qui est évidente.
Mais surtout, comme vous l'avez fait vous-même au cours de cette rencontre, si j'ai bien compris ce qu'a dit tout à l'heure le ministre des Finances, je voudrais dire un mot pour parler d'avenir. Le foisonnement des projets est impressionnant. Je sais que de nombreuses infrastructures restent à réaliser dans le domaine routier, aéroportuaire, dans l'équipement ferroviaire ou dans celui du transport urbain. Dans le secteur de l'énergie, avec des projets de réalisation de terminal gazier, de centrale à cycle combiné, mais aussi l'ouverture plus large du secteur gazier et pétrolier. En matière d'environnement et de rénovation urbaine qui compte désormais parmi nos grandes préoccupations communes. Pour la mise en place d'un second opérateur de téléphonie fixe face à l'explosion de la demande. Dans le secteur du tourisme, où les entreprises françaises possèdent, c'est vrai, un savoir-faire reconnu, et où les projets se multiplient.
Voilà quelques domaines, parmi de nombreux autres, dans lesquels les entreprises françaises bénéficient d'une solide expérience et d'une bonne réputation. Les liens qu'elles ont tissés avec les entreprises portugaises devraient leur permettre d'intervenir avec succès et pourquoi pas d'envisager des interventions conjointes en pays tiers, nous évoquions ce problème ce matin avec le Premier ministre en pensant notamment à l'Afrique, dont le développement nous tient à coeur, mais aussi à l'Asie, à l'Europe de l'Est ou à d'autres endroits où l'histoire nous a conféré des compétences ou des responsabilités.
Ce dynamisme de nos échanges et de nos investissements repose sur une communauté d'affaires dont je tiens à souligner la vitalité, qu'elle soit portugaise ou française. Fer de lance de nos échanges économiques bilatéraux, vous avez à coeur d'aller de l'avant et vous apportez une contribution essentielle aux relations luso-françaises.
Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs, aussi satisfaisantes soient-elles, nos relations économiques et commerciales ne sauraient en rester là, compte tenu des liens de confiance et d'estime qui se sont noués, depuis déjà longtemps mais renforcés sans cesse ces derniers temps, entre les entrepreneurs de nos deux pays. Les résultats obtenus nous font -vous font- obligation d'aller encore plus loin et je me réjouis de votre présence aujourd'hui qui augure bien de l'avenir.
Je terminerais par une réflexion d'ordre plus général, pour reprendre ce que disait tout à l'heure le Premier ministre portugais. Nous avons, en vérité, une même vision de l'Europe, chacun le sait, ce n'est pas la peine d'y revenir. Mais nous avons également une même vision du monde et de son évolution.
Nous souhaitons un monde multipolaire, qui soit naturellement équilibré et pacifique. Ce qui suppose un effort commun pour faire entendre la voix de la sagesse. Et nous souhaitons un monde qui bénéficie réellement de la mondialisation. Elle se développe, rien ne l'arrêtera, elle exprime un état de la technologie, elle peut apporter le meilleur en termes de croissance, d'amélioration du niveau de vie, de partage des richesses, espérons-le, à l'échelon de la planète. Mais elle est aussi porteuse de dangers très sérieux, qui sont les dangers classiques lorsque les choses s'accélèrent. Les conséquences pour ceux qui ne peuvent pas suivre au rythme qui s'impose, qu'il s'agisse des hommes et des femmes dans une nation ou des pays à l'échelon de la communauté internationale. Et c'est ainsi que le risque d'exclusion au sein d'un pays ou dans le monde que représente la mondialisation est un risque extrêmement sérieux. Et nous devons donc tout faire pour que la mondialisation à la fois se développe, mais tout faire aussi pour en maîtriser les effets, et pour faire en sorte qu'elle soit humanisée, c'est-à-dire qu'elle bénéficie réellement à toutes et à tous.
Et cette conception de l'évolution du monde, c'est une conception que, profondément, portugais et français, nous avons en commun, qui est non seulement dans notre tête mais aussi dans notre coeur. Et c'est comme cela que l'on crée des liens forts et donc une capacité à aller de l'avant. Et c'est cette capacité que nous souhaitons voir mettre en oeuvre au niveau de nos entreprises et du développement économique et donc social de nos deux grandes et vieilles nations qui se connaissent bien et qui s'aiment bien.
Je vous remercie.
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