Allocution de M. Jacques CHIRAC devant le Haut Conseil de la francophonie réuni pour sa XVe session (Palais de l'Elysée)

Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le Haut Conseil de la francophonie réuni pour sa XVème session.

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Palais de l'Élysée - jeudi 10 juin 1999


Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Secrétaire Général de la Francophonie,

Monsieur le Secrétaire Général du Haut Conseil,

Mes chers Amis,

Je vous souhaite à tous la bienvenue. Je me réjouis de retrouver chacune et chacun d'entre vous. Nos rendez-vous sont ceux de l'amitié, de l'esprit et plus que jamais des projets et de l'action, à l'heure où la francophonie s'affirme sur la scène internationale.

Au moment d'ouvrir notre XVe session, je tiens, en notre nom à tous, à saluer et à remercier notre ami Alain DECAUX qui m'a fait part de son souhait de ne plus siéger à notre Conseil, pour des raisons d'ordre personnel. Au long de toutes ces années, il a apporté à nos travaux et à la francophonie, où il fut, Monsieur le Ministre, l'un de vos illustres prédécesseurs, son enthousiasme, sa générosité, son immense passion pour notre langue, notre culture et notre histoire. Qu'il sache qu'il demeure le bienvenu parmi nous.

Aujourd'hui, nous accueillons deux nouveaux membres. Avec Madame Catherine CLÉMENT, c'est le regard du philosophe, fine observatrice des sociétés humaines, notamment des civilisations de l'Inde, qui entre au Conseil. En même temps, vous nous apportez, chère amie, votre parfaite connaissance des milieux culturels et artistiques internationaux. Avec Monsieur Hisanori ISOMURA, président de la Maison du Japon à Paris, notre Conseil s'élargit à l'Archipel, dans cet Extrême-Orient où la francophonie est déjà bien présente. Chère Catherine CLÉMENT, cher Hisanori ISOMURA, bienvenue à vous.

Cette année, notre Conseil s'interroge : Quelle philosophie et quelle stratégie pour la francophonie ? Questions fondatrices, à l'heure où prend corps notre ambition pour la francophonie, à l'heure où nous soumettons notre projet au monde.

En septembre prochain, au Sommet de Moncton, notre communauté francophone engagera son grand dialogue avec la jeunesse. Être jeune, c'est chercher le sens des choses, c'est questionner l'avenir, c'est faire les grands choix de l'existence. Les jeunes ont l'âge des engagements, au service des autres, d'un idéal. Et la francophonie leur parle. Elle leur offre des clés pour construire ce monde plus juste auquel ils aspirent. Parce qu'elle est une générosité, une ouverture, une solidarité.

Elle est une générosité quand le propre de cette culture que nous avons en partage, héritière d'Athènes et de Rome, est d'avoir sans cesse, depuis la Renaissance et les Lumières, pensé le monde dans son unité, d'avoir sans cesse posé la question de l'homme et de sa condition.

Elle est une ouverture et une richesse au sein de notre " village planétaire " qui s'entend comme jamais à brasser les idées et les hommes. S'affirmer francophone, c'est refuser qu'au nom de la logique économique, un seul modèle culturel s'impose partout et efface ce que l'homme a de plus cher : ses racines, ses croyances, son passé, son âme. S'affirmer francophone, c'est se battre pour le grand dialogue des civilisations qui, depuis l'aube de l'humanité, assure le progrès des peuples.

A l'invitation d'hommes d'Etat visionnaires et de penseurs, tels que Léopold Sédar SENGHOR ou Aimé CÉSAIRE, les francophones ont su bâtir une relation libre, fraternelle, respectueuse de l'autre, où chacun puise et apporte, selon son expérience, sa sensibilité, ses espérances, ses traditions. C'est ainsi, croyons-nous, que le monde avance. Au rythme d'une longue et patiente conversation, attentive et tolérante. Qui ne brusque ni ne bouleverse les choses. Qui ne condamne personne à l'oubli ou au reniement. Qui n'oblige pas davantage à se couler en un moule unique. C'est que nous, francophones, avons l'obsession de l'homme dans toute sa différence, qui fait toute sa richesse.

Et la francophonie est une solidarité. Pour saisir la chance de la mondialisation, pour prendre toute leur part du formidable développement des échanges, les pays doivent maîtriser les processus économiques modernes et développer une capacité scientifique, technologique et industrielle performante. Leur montée en puissance, leurs succès doivent être protégés des à-coups, des humeurs et des crises des marchés, comme celle qui a frappé les places financières, il y a deux ans, avec les terribles conséquences que l'on sait pour les populations des pays émergents.

La francophonie, qui est d'abord une famille, donne toutes ses chances à chacun, en épaulant ceux qui en ont besoin. Pour que, dans la compétition économique acérée d'aujourd'hui, personne ne reste au bord du chemin. Pour combler enfin le fossé qui sépare riches et pauvres. Pour que la misère, le désespoir, la peur de l'avenir ne provoquent pas, comme trop souvent dans l'Histoire, le repli sur soi, la crispation identitaire, l'intolérance et les conflits.

Mais, au-delà de notre seule communauté, c'est partout dans le monde que la francophonie entend désormais porter son message. Pour cela, elle doit être forte.

Elle le sera si elle est unie. A Cotonou puis à Hanoï, nous avons donné un sens et une réalité politiques à notre mouvement. Nous pouvons nous réjouir de ce que, sous l'impulsion de son secrétaire général, notre ami Boutros BOUTROS-GHALI, la francophonie ait gagné en allure comme en efficacité.

Elle le sera si elle est exemplaire. Exemplaire dans ses ambitions : la paix et la sécurité, notamment en Afrique ; la construction partout d'Etats de droit, protecteurs des libertés humaines ; l'installation et l'enracinement dans tous nos pays de la démocratie ; le développement et le mieux vivre de nos concitoyens ; la reconnaissance du droit à la formation et à une protection sociale ; la mise au point du nouvel ordre juridique mondial nécessaire à la gestion collective des risques planétaires ; la défense de la diversité culturelle du monde et la richesse de l'humanité.

Exemplaire dans ses réalisations et ses succès. La francophonie, dont le poids économique -on ne le dit pas assez- est équivalent à celui du Commonwealth, doit être un modèle de coopération. En nous mobilisant, et d'abord les plus puissants d'entre nous, elle doit permettre à tous nos pays de prendre le train de la mondialisation et du progrès. En montrant la nécessité et les réussites de l'aide publique au développement, elle doit inciter les pays donateurs du monde entier à soutenir et accentuer leur effort en faveur des plus démunis. En témoignant d'un espoir et d'une solidarité, elle doit permettre aux plus faibles d'entre nous de devenir, s'ils le choisissent résolument, les champions d'une nouvelle croissance.

Forte, la Francophonie le sera si elle sait convaincre et rassembler. Rassembler et soutenir tous ceux qui, dans le monde, au-delà de nos seuls pays francophones, nous font l'honneur de parler, aimer, défendre et faire vivre notre langue. Convaincre les autres grandes familles culturelles et linguistiques qui s'organisent à leur tour et dont le projet rejoint le nôtre. En février dernier, à Porto, j'ai appelé les langues latines à s'unir pour mener ensemble le combat de la diversité, pour contribuer à l'émergence de ce monde multipolaire et harmonieux que nous appelons de nos voeux.

Convaincre les jeunes, bien sûr, mais aussi la société civile tout entière, les intellectuels, les artistes, les chefs d'entreprise, bref, tous ceux qui sont sensibles à notre démarche et qui peuvent la relayer et la soutenir.

Convaincre tous nos opérateurs de la nécessité de faire converger leurs efforts, de concentrer leur énergie sur des priorités, pour donner toute son efficacité à notre action et ainsi trouver de nouveaux soutiens et de nouveaux financements, notamment ceux des institutions internationales, de l'Union européenne, mais aussi des collectivités locales, voire des entreprises.

Convaincre également l'ensemble des acteurs de la francophonie de se rapprocher. Et puisque je m'exprime devant notre Conseil, issu des horizons les plus divers et qui est source d'inspiration pour notre organisation multilatérale, permettez-moi de souhaiter, Monsieur le Ministre, Messieurs les Secrétaires Généraux, que s'instaure, officiellement établie et organisée, une relation plus forte, plus régulière entre notre assemblée et l'organisation internationale de la francophonie.

La francophonie doit enfin convaincre les chercheurs, les inventeurs, les créateurs de matériels et de programmes, les industriels, qui développent et exploitent les nouvelles technologies et les nouveaux réseaux de l'information. Ces espaces de savoir et de rêve, espaces de liberté, dont le succès ne cesse de s'élargir, la francophonie doit y être résolument présente, comme elle l'est déjà sur les écrans de télévision, où TV 5 réussit sa réforme, sur les ondes radio et au cinéma. Dans tous ces domaines, nous devons appuyer la constitution de groupes puissants de dimension internationale.

Mes chers amis, voici quelques pistes que je souhaitais ouvrir avec vous à l'occasion de notre XVe session. Les travaux du Haut Conseil sont une chance pour la francophonie. Vous venez de tous les horizons, géographiques, culturels, professionnels et humains. Vous constituez une précieuse force d'imagination et de propositions. Vous saurez stimuler nos réflexions, donner à notre projet un surcroît de fraîcheur et d'enthousiasme, lui faire prendre de nouveaux chemins.

Je vous en remercie et, en l'absence de notre vice-Président et ami, Monsieur le Président Emile DERLIN ZINSOU, retenu en République démocratique du Congo par son importante médiation, je cède la parole au secrétaire général de la francophonie, Monsieur Boutros BOUTROS-GHALI.





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