Discours du Président de la République à l'occasion du Conseil international du Musée de la télévision et de la radio.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République : Conseil international du Musée de la télévision et de la radio.

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Palais de l'Elysée, le lundi 11 octobre 1999

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Je regrette de ne pas parler suffisamment bien l'anglais et qui vous conduit à utiliser les casques et je remercie de bien vouloir néanmoins m'écouter.

Dans l'univers de la communication et des médias, un demi-siècle représente une durée respectable. C'est l'âge, à un an près, du Musée américain de la télévision et de la radio dont je suis heureux de recevoir aujourd'hui les dirigeants et les membres à l'occasion de la 4e session de son conseil international.

Le MTR a par essence plusieurs missions. Conserver, bien sûr, les programmes de radio et de télévision, ce que vous faites avec succès puisque vos collections, me dit-on, réunissent déjà près de 100 000 oeuvres. Mais aussi les faire vivre. Mais encore, parce que leur objet est au confluent de la vie quotidienne, de la création culturelle et de l'industrie, faire en sorte que le MTR s'affirme toujours davantage comme un lieu de réflexion, de propositions et de débats.

C'est tout le sens de cette 4e session de votre conseil international. Je me réjouis qu'il se tienne cette année à Paris, sous l'égide de Canal +. J'y vois le symbole de la vitalité des médias français et européen dans le paysage audiovisuel mondial.




Si ces dernières décennies se caractérisent dans tous les domaines par des évolutions rapides, c'est d'une véritable explosion qu'il faut parler dans le secteur de l'information et de la communication.

Prenons le cas de la France. Grâce au développement des réseaux câblés et des satellites de communication, nous sommes passés, en l'espace de quelques années, d'un paysage audiovisuel réduit, où l'usage des fréquences hertziennes, ressources rares, était strictement encadré par l'Etat, à un paysage riche et diversifié où coexistent chaînes publiques et privées, chaînes généralistes et thématiques, locales et nationales, françaises et étrangères.

D'une communication de masse, destinée à toucher le plus grand nombre, le monde de l'audiovisuel évolue vers une communication plus personnalisée, en fonction des goûts et des centres d'intérêts de chacun. C'est une profonde évolution, évolution de l'essence même de la télévision et de la radio.

Cette tendance devrait se poursuivre. Car la convergence des mondes de l'audiovisuel, des télécommunications et de l'informatique, qui résulte de la numérisation de l'image et de la voix, permet de multiplier à la fois les offres de programmes et les terminaux capables de les recevoir. La diffusion de programmes audiovisuels sur l'Internet fera-t-elle de l'ordinateur un rival -plus intelligent- du poste de télévision ? Ou bien, la télévision intègrera-t-elle une partie des fonctions de l'ordinateur ? Une seule chose est sûre. L'auditeur et le téléspectateur, jusqu'alors passifs, vont être de plus en plus en mesure d'interagir sur les programmes qui leur seront proposés.

Ces évolutions majeures ont déjà et auront des conséquences dont beaucoup ne sont même pas imaginables aujourd'hui.

Bouleversements économiques avec la constitution de groupes gigantesques, l'intégration des activités, la recherche des alliances.

Bouleversements identitaires. Risque-t-on d'assister autour d'un écran du futur à l'émergence d'une culture mondiale véhiculant les mêmes modèles, induisant les mêmes réflexes et vendant les mêmes produits normalisés ?

Bouleversements sociologiques. Par exemple, dans le monde du travail, quels seront les effets d'une information multiple et accessible à tous sur les systèmes hiérarchiques et les modalités de prise de décisions ?

Bouleversements, enfin, dans les domaines de l'éducation et de la formation. Quel sera l'impact des nouvelles technologies et des nouvelles pratiques culturelles sur les apprentissages initiaux et sur une formation qui doit désormais se poursuivre tout au long de la vie ? Verra-t-on, en particulier, des universités virtuelles concurrencer nos campus actuels ?

Toutes ces questions, et bien d'autres, sont au coeur, je le sais, de vos colloques et de vos réflexions. Parce qu'elles dépassent les seuls acteurs du secteur de l'information, vous avez voulu y associer des intellectuels, créateurs, entrepreneurs d'autres secteurs et bien sûr des responsables publics. Vous avez raison : la société de l'information sera ce que nous en ferons tous.


Le mot clé est sans doute celui de "responsabilité", indispensable corollaire du concept de "liberté". Plus on est libre, aussi bien d'entreprendre, de nouer des alliances que de créer ses propres contenus et de les diffuser ou bien simplement de choisir ses programmes, plus on doit être responsable.

Responsabilité, d'abord, des acteurs de l'information. Les médias jouent désormais un rôle essentiel dans les grandes démocraties. Ils sont d'ailleurs un instrument de démocratie, au sens d'appropriation par le peuple de ce qui va fonder ses jugements et ses émotions. Chacun sait que ce qui est "couvert", c'est-à-dire montré, est fortement ressenti. Nous en avons eu une récente illustration au Kosovo où les reportages sur les longues files d'attente de réfugiés ont fortement contribué à mobiliser l'opinion. Au contraire, les drames sans images, sans visages ont beaucoup de peine à atteindre la conscience collective. Face à cette réalité, vos missions, voire vos obligations sont grandes. Mission de vigilance et d'alerte pour toutes les violences, pour toutes les violations des Droits de l'Homme, les libertés étouffées, les souffrances infligées, les dignités bafouées, mission souvent remplie au péril de la vie des journalistes, qui paient un lourd tribu au droit d'informer. Mission pédagogique ensuite. La tentation peut être grande, en effet, de privilégier le sensationnel à l'explication objective qui permet de comprendre et de se faire un jugement.

En cela, l'exigence démocratique rejoint l'exigence éthique. Quand l'image, et surtout l'image télévisée, agit si fortement sur les esprits, la désinformation, les manipulations de toute sorte ont des conséquences graves. Au moment où l'on peut tout faire avec l'image, jusqu'à l'inventer grâce à la puissance des ordinateurs, la vigilance, le respect du public, la passion de la vérité sont les premiers des devoirs.

Cela s'applique, me semble-t-il, au traitement de la violence. Il y a bien sûr l'obligation de dire, de montrer, d'informer. Mais il y a aussi le danger de fasciner des personnalités faibles, de provoquer des réactions en chaîne, par mimétisme et pour le plaisir d'accéder à une éphémère notoriété médiatique. Cela doit être pesé, comme doit être apprécié l'impact de certains films, téléfilms, jeux vidéo, qui créent un monde virtuel avec ses propres lois. Je me félicite que les producteurs et diffuseurs, en Amérique comme en Europe, soient de plus en plus conscients de ces dangers, et affichent l'intention de limiter la violence dans leurs programmes. C'est un véritable enjeu de société.

Lorsque la liberté d'expression et la liberté de création artistique sont en cause -sur les médias traditionnels ou sur l'Internet- il est fondamental que se développent des démarches d'autorégulation, menées par les principaux acteurs. C'est à eux qu'il appartient au premier chef de définir une éthique professionnelle, une discipline, des codes de déontologie et de les faire respecter. Pour gagner la confiance des utilisateurs. Afin que la télévision, la radio et plus particulièrement l'Internet demeurent ce qu'ils doivent être : des sources inépuisables d'informations, de connaissances, de services, de rencontres, et non un voyage au pays des trafics et des perversions.


L'autre grande responsabilité est celle de la puissance publique.

Responsabilité culturelle en premier lieu. Elle s'exprime d'abord dans la qualité de l'audiovisuel public là où il existe. Confronté lui aussi à toutes les évolutions possibles, notamment l'arrivée du hertzien numérique, les progrès de l'interactivité, le développement des nouveaux services, le lancement de chaînes thématiques, gratuites ou payantes, la concurrence croissante sur les produits les plus attractifs, -sport et cinéma-, l'audiovisuel public doit faire l'objet de choix. Il importe de le sécuriser dans ses missions, dans ses financements car il ne peut rien faire sans les moyens adéquats, dans son périmètre. C'est ainsi qu'il pourra assurer son rôle au service du public.

Mais la responsabilité culturelle de la puissance publique va bien au-delà. Vous le savez, la France mène combat non pas tant pour une exception culturelle à son usage que pour la diversité culturelle dans le monde. Nous croyons que chaque continent, chaque nation a son génie propre qui s'exprime par ses créateurs, que cette force créatrice fonde son identité, et que la richesse et l'épanouissement viennent de la confrontation des différences.

C'est pourquoi nous refusons de considérer le produit culturel, quel qu'il soit, comme une simple marchandise soumise à la seule loi du marché. Il est donc légitime, à mes yeux, que dans le domaine audiovisuel, des règles favorisant la production et la diffusion nationale, et que des aides publiques soient apportées, au plan national comme au plan européen, pour soutenir l'exportation des programmes et leur pénétration sur les marchés étrangers. C'est un enjeu de rayonnement culturel parce que les programmes véhiculent les idées, le mode de vie, les références d'un pays ou d'un peuple. Mais c'est aussi, bien sûr, un enjeu économique majeur, s'agissant d'un secteur industriel en pleine expansion et créateur d'emploi.

Il faut donc progresser vers un certain équilibre dans les échanges de programmes. C'est de plus en plus le cas en Europe où il existe une vraie curiosité envers les oeuvres émanant d'autres pays européens, cela tient au fait, probablement, que nous avons un fond très ancien de culture commune. Mais force est de constater que ce n'est pas encore le cas pour les échanges transatlantiques, toujours marqués par une forte asymétrie. Ainsi, alors que le nombre d'heures de fiction américaine diffusée en France a été multiplié par 150 au cours des quinze dernières années, les ventes de programmes français aux Etats-Unis se maintiennent à un niveau très faible, malgré certains succès d'audience, comme celui obtenu récemment par le Comte de Monte-Cristo.

Je souhaite que cette situation évolue et qu'elle évolue dans le bon sens, de même que je souhaite que les chaînes européennes soient mieux accueillies outre-Atlantique. Alors que satellites et réseaux câblés européens accueillent un nombre sans cesse croissant de chaînes américaines, il est anormal, par exemple, que les chaînes francophones soient pratiquement exclues des réseaux câblés américains. A l'heure où la télévision entre dans l'ère du numérique qui implique un développement spectaculaire de l'offre de programmes, j'émets le voeu que les succès rencontrés par les oeuvres européennes et notamment françaises, téléfilms mais aussi films d'animation et films de cinéma, conduisent à une demande plus soutenue de la part des professionnels des Etats-Unis.

La deuxième grande responsabilité de l'Etat est d'ordre juridique et éthique. Il s'agit d'adapter, d'actualiser, de compléter le droit afin de pouvoir faire vivre certaines valeurs.

Je pense à la nécessaire défense du droit d'auteur et de la propriété intellectuelle, principes auxquels nous sommes profondément attachés, à l'heure où le consommateur, grâce aux nouvelles technologies, peut enregistrer textes et images, les dupliquer, les modifier, et se transformer en producteur. A l'heure, aussi, où le produit multimédia suppose, par définition, l'addition de domaines artistiques habituellement distincts.

Dans un tout autre domaine, je pense à la défense du pluralisme, notamment de l'information, que mettraient à mal des situations de monopole. Là encore il y a un équilibre à trouver entre l'inévitable concentration de grands groupes, seuls capables d'exister et de peser dans un contexte de mondialisation, et l'indispensable diversité des acteurs.

Je pense, enfin, à la nécessaire régulation des réseaux, et en particulier à la régulation d'Internet, qui fait l'objet, en France, d'une réflexion approfondie. Compte tenu du nombre croissant d'internautes, il est urgent d'adapter nos lois aux spécificités du monde virtuel afin de prévenir les conflits d'intérêt entre fournisseurs et consommateurs, entre créateurs et éditeurs. Afin, aussi, de concilier au mieux la liberté des opérateurs et la protection des usagers, la diffusion sans contrainte et la souveraineté des Etats. Les enjeux de ces nouvelles normes juridiques ne sont pas minces. C'est la protection des mineurs, la sauvegarde de la vie privée, l'honnêteté et la transparence des échanges, la sécurité des transactions. Il s'agit d'assurer les conditions de la croissance du commerce électronique, mais il s'agit aussi et surtout d'affirmer une certaine éthique. C'est un pan essentiel du nouvel ordre juridique mondial que, pour ma part, j'appelle de mes voeux.

Enfin, l'Etat a une responsabilité éducative. Il lui appartient d'exploiter toutes les ressources offertes par les nouvelles technologies dans l'univers scolaire et universitaire. Equiper les écoles en matériels performants. Permettre aux élèves d'aller chercher l'information partout où elle est en temps réel. Voyager et découvrir sans se déplacer. Se rencontrer et dialoguer. Les possibilités sont infinies pour les apprentissages fondamentaux comme pour la formation continue. Chacun sait par exemple que l'université virtuelle, encore à inventer, sera une vraie réponse pour tous ceux qui veulent apprendre à distance, changer de voie, se former tout au long de la vie. Il y a là un champ immense à explorer.




Voilà; Mesdames et Messieurs, les réflexions que je voulais vous soumettre. Nous vivons dans la société de la communication. Elle dessine pour une part notre paysage culturel, elle apporte plaisirs et divertissements, elle permet de découvrir l'autre, elle fournit enseignements et informations qui fondent les jugements et qui influent sur les rêves.

Il ne s'agit pas de ralentir sa marche, de brider des libertés, ou de fixer des bornes à l'imaginaire, mais simplement de prendre conscience des missions et des devoirs qui participent d'un nouvel humanisme, un humanisme que nous devons en permanence inventer.

Je sais que ce colloque où se rencontrent différentes cultures, permettra de comprendre mieux, d'anticiper et d'agir.

Je vous remercie.





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