Madrid - Espagne, le mardi 5 octobre 1999
Monsieur le Président du Gouvernement, cher ami,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de la CEOE,
Monsieur le Président du MEDEF,
Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise espagnols et français,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais tout d'abord remercier les organisateurs de cette manifestation et saluer tous les chefs d'entreprise espagnols et français qui ont participé à cette rencontre.
Et je suis heureux de conclure, avec vous, Monsieur le Président du Gouvernement, ces échanges qui ont permis de faire le point du travail accompli par nos entreprises, de réfléchir sur la compétitivité de nos économies, dans un monde ouvert, et de jeter les bases d'une coopération plus ambitieuse que justifient l'importance croissante de nos intérêts économiques et aussi le caractère de plus en plus étroit et chaleureux de notre relation politique.
Avant d'aborder avec vous l'Europe économique et sociale que nous voulons construire ensemble, et qu'a parfaitement définie à l'instant le Chef du Gouvernement , je voudrais évoquer notre relation bilatérale.
Une relation bilatérale qui s'est profondément transformée au cours de ces dernières années parce que nos deux pays ont profondément évolué et qu'ils ne se regardent plus de la même façon.
La transformation de l'Espagne, j'y reviendrai, est spectaculaire. En moins d'une génération, vous avez su asseoir une démocratie solide et vivante et transformer une économie fermée en une économie ouverte et compétitive qui compte aujourd'hui parmi les plus dynamiques de l'Europe. Vous avez fait le choix de l'Europe et nous sommes fiers de partager avec vous la même monnaie, l'euro, même si les transformations n'en sont pas encore tout à fait arrivées à l'acte réflexe, et d'avoir ainsi lié notre destin au grand peuple espagnol. Une Espagne qui apporte à l'Union européenne son dynamisme retrouvé, la force de son histoire et de sa culture et aussi une ouverture considérable sur le monde, notamment en Méditerranée, en Amérique latine , ailleurs.
La France aussi s'est profondément transformée au cours de ces dernières décennies. Notre économie s'est modernisée, elle s'est diversifiée. Elle s'est ouverte largement sur l'extérieur. Nos entreprises ont su évoluer avec succès dans un monde plus rude où la compétition est désormais la règle. Notre industrie est solide. Nos services sont performants. Notre recherche est moderne. Notre agriculture est compétitive. Et cette mutation de l'économie française n'est pas toujours perçue à l'extérieur à sa juste mesure. L'image de la France, et plus particulièrement son image technologique, demeure parfois encore un peu floue. Et c'est pourquoi nous avons des marges de développement et de coopération qui sont immenses.
Certes, nous ne partons pas de rien puisque, le chef du Gouvernement le rappelait tout à l'heure, la France est le premier partenaire économique de l'Espagne, son premier client et son premier fournisseur. Nos entreprises, petites, moyennes ou grandes, se sont déjà bien engagées puisque la France est votre second investisseur. Plus de mille entreprises françaises sont représentées ici en Espagne. Certaines occupent sur le marché espagnol des positions de premier plan. Je pense au secteur de l'industrie automobile avec Renault et Peugeot-Citroën, au secteur de la distribution avec Promodès, au secteur des services, aux grands secteurs industriels avec Saint-Gobain, Alcatel, Thomson, Alstom, Aérospatiale-Matra, Rhône-Poulenc et bien d'autres encore. Beaucoup d'entre elles ont tenu d'ailleurs à m'accompagner dans cette visite pour témoigner leur attachement à votre pays et leur engagement au service de l'économie espagnole. Et je voudrais les en remercier.
Vos entreprises à leur tour se tournent vers la France. Elles y ont déjà remporté de grands et beaux succès. Mais les Espagnols peuvent et doivent davantage investir en France. Et j'appelle vos entrepreneurs à franchir les Pyrénées car la mondialisation qui pousse à l'internationalisation des entreprises et l'euro qui achève le marché unique vous conduisent à rechercher des partenaires européens solides. Eh bien, dans de nombreux domaines, les entreprises espagnoles doivent pouvoir trouver dans les entreprises françaises leurs partenaires dans l'Europe de demain.
Enfin, je n'oublie pas les millions de touristes espagnols et français qui se croisent chaque année à notre frontière et qui contribuent pour une large part aux échanges commerciaux entre nos deux pays. Ce rapprochement des hommes et des économies va connaître une autre dimension, notamment grâce aux nouveaux projets de traversée routière ou ferroviaire des Pyrénées dont nous parlions hier encore avec le Président du Gouvernement. Je pense notamment au chantier du TGV méditerranéen qui reliera Madrid et Barcelone à Lyon et Paris. Ce projet s'inscrit dans la logique évidente de notre collaboration et de nos ambitions communes. Il sera réalisé, en 2004, c'est-à-dire dans les délais. Les autres projets que nous évoquions sont également importants et en voie, je l'espère, d'être mis au point et finalisés.
Plus que jamais, dans l'Europe d'aujourd'hui, la France a besoin de l'Espagne comme, je le crois, l'Espagne a besoin de la France. Entrepreneurs espagnols, sachez qu'il y a désormais en France, pour reprendre le titre d'un beau livre sur votre pays, un vrai " désir d'Espagne ".
Le renforcement de nos liens est d'autant plus nécessaire que nous concevons notre avenir dans le même cadre, celui de l'Union européenne.
Nous voulons une Europe prospère, une Europe moderne et dynamique, une Europe solidaire tournée vers l'innovation et vers l'initiative. Une Europe qui puisse garantir et moderniser son modèle social, comme le rappelait tout à l'heure le Président AZNAR, parce que le modèle social européen est le fondement même de la cohésion de l'Europe. Une Europe qui sache défendre ses intérêts sans complexe sur la scène internationale et naturellement une Europe ouverte sur le monde.
Voyez qu'il est frappant que nos analyses soient tout à fait convergentes et nos propos relativement identiques.
Une Europe prospère, c'est naturellement un puissant objectif politique. Nous savons que la création de l'euro, à elle seule, ne nous garantit pas la prospérité de l'Europe. Certes, l'euro c'est la stabilité et donc la force. Mais la prospérité de l'Europe dépendra d'abord de notre capacité collective à mettre en oeuvre les réformes économiques de notre temps, c'est-à-dire, dans un cadre économique stable, à effectuer les réformes de structures dont nous avons besoin afin de stimuler l'emploi qui est au coeur de notre préoccupation commune à nous, Européens.
Certes, des progrès ont été faits dans la lutte contre le chômage. Et l'Espagne offre un exemple particulièrement réussi de la capacité de réduction rapide du chômage quand les politiques économiques sont tournées résolument vers la croissance et vers le dynamisme. Nous devons profiter de la croissance qui revient partout en Europe, et en particulier dans la zone euro, pour renforcer le dynamisme de nos économies et libérer les initiatives.
Nous voulons une économie moderne, c'est-à-dire une économie qui donne toute sa place à l'innovation, à l'initiative et à la création. Nous ne voulons pas d'une Europe qui bride les énergies, qui sur-réglemente, qui contraigne. Nous voulons une Europe stimulée par une juste et loyale concurrence.
Il est temps de favoriser davantage, au niveau européen, l'innovation plutôt que la rente, la création d'entreprise plutôt que l'aide, le développement du capital-risque plutôt que l'emprunt. Il est temps de mettre en place les outils européens de financement de nos entreprises de croissance. Des progrès significatifs sont intervenus pour rapprocher les bourses européennes. Il faut aller plus loin, notamment pour les nouveaux marchés.
Nous avons des traditions, des équilibres sociaux à préserver dans un cadre qui doit être rénové. Aujourd'hui, l'économie et le social s'imbriquent toujours plus et sont toujours plus complémentaires. Il ne faut plus les opposer. Notre développement dépendra de notre capacité à assurer notre cohésion sociale et à moderniser notre modèle social pour mieux l'ancrer et garantir son avenir. L'Europe sociale doit progresser. Il ne s'agit pas de multiplier les contraintes ni de viser l'uniformité. Il s'agit de progresser, là où c'est nécessaire, vers l'harmonisation de nos politiques sociales. Et beaucoup reste à faire.
Une Europe qui doit affirmer ses intérêts. Dans le domaine économique, nous devons mieux coopérer et défendre nos spécificités. Les négociations qui débuteront prochainement à Seattle dans le cadre de l'OMC seront à cet égard très importantes. Nous devrons montrer que l'Europe, première puissance commerciale du monde, ensemble le plus ouvert de la planète, peut et doit, sans complexe, défendre ses intérêts, ses traditions, ses conceptions, qu'il s'agisse de la culture ou de la loyauté de la compétition.
Une Europe ouverte sur le monde. Notre histoire nous a conduits au-delà des mers et des océans. Nous avons su conserver des relations privilégiées avec les autres continents. Nous avons décidé de les renforcer. Je pense notamment à l'Amérique latine et au monde méditerranéen auxquels l'Espagne et la France portent un intérêt commun.
Je sais que je parle devant un auditoire qui est convaincu. La présence économique de l'Espagne en Amérique latine est très forte. Les investissements, en quelques années, ont été multipliés par 28, je pense, les investissements espagnols en Amérique latine. Quel beau succès ! Cette présence se développe très vite, très rapidement depuis les dernières années. La France dispose également d'une relation ancienne avec la plupart des pays de cette région. De nouvelles perspectives de coopération ont été ouvertes par le sommet de Rio en juin dernier. La France, quatrième exportateur et importateur mondial, sait qu'elle a tout à gagner à la liberté des échanges, à l'ouverture. Nos échanges entre l'Union européenne et le Mercosur, en particulier, doivent se développer. Un Mercosur dont je souhaite, malgré les difficultés économiques qu'il traverse, qu'il puisse se renforcer et se développer. Et le prochain sommet entre l'Union Européenne et l'Amérique latine et la Caraïbe, qui se tiendra en 2002 à Madrid, sera un sommet très important. Et je sais que, dès à présent, le Chef du Gouvernement espagnol et son Gouvernement le préparent. Et je souhaite que ce sommet, ce deuxième sommet, soit l'occasion de nouveaux progrès concrets et importants.
Le monde méditerranéen doit être également pour nous, Espagnols et Français, un champ d'action privilégié. Il s'agit d'intensifier avec ces pays nos relations politiques, économiques et culturelles. Nous devons les aider à réussir leur développement économique et social pour renforcer la stabilité, le développement, la paix dans le bassin méditerranéen. Pour faire de la Méditerranée non plus une fracture mais un pont entre nous. L'Espagne et la France prendront ensemble de nouvelles initiatives dans le droit fil du processus dit processus de Barcelone, car c'est là qu'il fut engagé.
Vous le voyez, nos deux pays ont bien des raisons de se rapprocher toujours plus. Ce n'est pas uniquement l'intérêt qui nous le commande. C'est le désir de construire en commun notre futur. Notre partenariat a vocation à se fortifier et nos peuples qui se connaissent bien doivent se connaître mieux. J'encourage notamment les jeunes Espagnols à venir plus nombreux encore découvrir la France. Et j'encourage les entreprises françaises à faire toute leur place à la jeunesse espagnole. Et, au terme de ce voyage et avant d'ouvrir avec vous le débat prévu, je voudrais dire ce qui, au fond, m'a impressionné dans les contacts que j'ai pu avoir et dans ce que j'ai ressenti. L'Espagne d'aujourd'hui, sous l'impulsion de son Gouvernement et de son Chef, l'Espagne a retrouvé le chemin de la grandeur. On le voit sur le plan du développement économique, nous l'avons évoqué tout à l'heure, et notamment de l'investissement à l'extérieur, du dynamisme, de la créativité. On le voit sur le plan social avec les succès spectaculaires remportés par la politique gouvernementale sur le plan de la lutte contre le chômage. On le voit sur le plan européen où l'Espagne, avec détermination, est sortie victorieuse, et ce n'était pas évident, des débats sur l'Agenda 2000 et du sommet de Berlin. On le voit dans le domaine de la politique étrangère et, je l'ai évoqué, par la place croissante que l'Espagne prend notamment dans l'espace méditerranéen mais aussi en Amérique latine et plus généralement dans le monde d'aujourd'hui.
Eh bien, tout nous conduit à considérer que, pour la France, l'Espagne est un partenaire absolument majeur et essentiel dans l'Europe de demain et, pour l'Espagne, la France est aussi un partenaire majeur et essentiel pour notre vision commune de notre futur. Et tout, aujourd'hui, permet à l'Espagne et à la France d'avancer la main dans la main sur le chemin de l'avenir. C'est ce que je souhaite . Je m'en réjouis, et je vous remercie.
QUESTION - Bonjour. Ma question s'adresse au Président de la République française. Vous savez que nous allons commencer la " Ronda del Milenio " dans peu de jours et vous savez aussi, puisque vous avez été ministre de l'Agriculture, que l'agriculture est un sujet difficile dans cette " Ronda del Milenio ". Par conséquent, ma question très concrète est : nous, nous avons un modèle d'agriculture multifonctionnel, très varié qui répond à des besoins sociaux, environnementaux, d'aménagement du territoire. Quelle va être votre stratégie de négociation pour le cycle du millénaire, de manière à défendre notre modèle européen d'agriculture.
LE PRÉSIDENT - Pour ce qui concerne la stratégie de négociation, pour le cycle du Millénium, c'est-à-dire en clair les négociations à l'Organisation mondiale du commerce, il n'y a plus de question puisque l'Union européenne, unanime, a arrêté sa position. Elle l'a arrêtée à Berlin, lorsqu'elle a fait la réforme de la politique agricole commune et décidé que cette réforme devait servir de base au mandat de négociation qui serait donné pour Seattle. Et tout récemment, il y a une semaine, les ministres de l'Agriculture des quinze pays se sont réunis et, sans aucune difficulté et à l'unanimité, ont confirmé le mandat de négociation qui sera à nouveau, je crois, confirmé dans un Conseil affaires générales qui doit se tenir lundi prochain et qui ne posera, je le pense, aucun problème. Donc, s'agissant de la négociation, nous n'entendons pas subir les pressions américaines et modifier notre position en fonction de ces pressions. Nous serons fermes et nous sommes unis.
Alors, s'agissant ensuite du modèle agricole européen, la France comme l'Espagne sont profondément attachées à ce modèle et nous entendons le défendre. Alors, naturellement, nous discutons, naturellement, nous avons parfois des intérêts contradictoires et on l'a vu dans le passé, mais naturellement nous pouvons nous entendre. Il suffit de discuter ensemble, c'est ce que nous faisons aujourd'hui et la discussion nous a permis d'éliminer la confrontation. Je sais que les organisations syndicales et professionnelles paysannes ne sont pas toujours faciles, ne sont pas toujours commodes.
Mais il faut les entendre, il faut les écouter. Elles sont responsables. Elles ont une longue et vieille tradition, elles ont des racines qui plongent dans la terre et il faut les écouter. Et quand on discute, eh bien je le répète, on règle les problèmes. C'est ce qui s'est passé entre la France et l'Espagne et je souhaite que cela continue, chacun défendant, naturellement, ses propres intérêts, c'est normal, mais dans cet esprit de concertation et de sauvegarde, d'attachement, de défense d'un modèle agricole européen.
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