Palais d'Orient, Madrid, Espagne, le lundi 4 octobre 1999
Sire,
Madame,
Mon épouse et moi-même nous vous remercions du fond du coeur pour cette magnifique réception, pour ce magnifique accueil dans ce Palais d'Orient que vos ancêtres n'ont cessé d'embellir. Ce Palais d'Orient où tout témoigne de la grandeur de l'Espagne.
Sire, vos paroles de bienvenue nous sont allées droit au coeur. Oui, c'est une relation exceptionnelle qui unit nos deux peuples. Espagnols et Français, nous avons toujours vécu intensément, parfois douloureusement, notre voisinage. Pouvait-il en aller autrement entre deux nations aux fortes identités, aux vastes ambitions, aux cultures rayonnantes ? Toute notre histoire commune est faite de passion. Cette histoire se confond avec celle de l'Europe que nous avons marquée de notre empreinte, souvent rivaux, parfois aux prises, mais toujours en nous témoignant considération et respect.
Longtemps, l'Histoire a pesé sur notre dialogue, pesé sur l'idée que nous nous faisions les uns des autres. Ce temps est heureusement révolu. Et désormais seules l'amitié et la passion demeurent. La France et les Français, je le ressens ici aujourd'hui, sont les bienvenus en Espagne. Cette Espagne qu'ils aiment. Dont ils admirent le dynamisme. Vers laquelle ils se sentent portés, comme attirés par cette effervescence qui l'anime.
Cette Espagne, Sire, que vous avez contribué à forger avec un courage, une détermination et une sagesse auxquels je veux rendre un solennel hommage. Cette Espagne qui occupe à nouveau toute sa place, au premier rang dans le concert des nations.
C'est cette Espagne-là, partenaire privilégié de la France, que je veux saluer ce soir, en me tournant vers celles et ceux que vous avez réunis autour de cette table et qui incarnent l'énergie, le talent et le rayonnement de votre pays. Je veux saluer votre remarquable essor économique, la réussite de votre lutte contre le chômage. Saluer la force et la vitalité de la culture et de la création espagnoles. Saluer votre contribution déterminée à tous les combats dans lesquels s'affirme l'Europe et se forge peu à peu un nouvel ordre mondial. Bref, saluer cette nouvelle Espagne dont nous, Français, nous sentons chaque jour plus proches et plus solidaires.
Cette proximité, ce sont les hommes et ce sont nos entreprises qui la font vivre et qui la font grandir. La France est aujourd'hui votre premier partenaire économique. Et j'ai tenu à être accompagné dans cette visite d'Etat par quelques-uns des principaux acteurs de l'économie française. Je les remercie de leur présence qui illustre l'intensité de notre partenariat et notre confiance dans la pérennité des succès de l'Espagne.
Cette proximité nous oblige. Elle s'affirme dans une vraie solidarité.
Et d'abord dans la lutte contre le terrorisme. Longtemps, cette question si sensible a assombri nos rapports. Aujourd'hui notre coopération est qualifiée par tous d'exemplaire. Et je renouvelle devant vous, Sire, l'engagement de la France à combattre à vos côtés tout recours à la violence. En démocratie, rien ne saurait jamais le justifier.
Solidaires, nous le sommes aussi pour rechercher, trouver et mettre en oeuvre les solutions aux délicats problèmes de l'agriculture et de la pêche. Désormais, ces difficultés sont aussi derrière nous.
Constatons-le ensemble, Sire, jamais la relation entre l'Espagne et la France ne fut meilleure.
Cette entente hispano-française, nous la mettons au service de l'Europe. Une Europe qui doit être l'expression commune des peuples qui la composent, dans la fidélité à leur identité, à leur langue, à leur culture. Aucun de nos peuples n'accepterait de s'y dissoudre. Chacun, à travers elle, veut au contraire exister davantage.
Cette Europe-là, nous avons une même vision de son avenir. Nous sommes d'accord pour promouvoir le développement équilibré de notre espace commun en maintenant les politiques régionales et structurelles. D'accord pour avancer dans la voie de l'élargissement et permettre aux peuples restés si longtemps séparés de nous de rejoindre enfin leur famille. D'accord pour procéder aux réformes institutionnelles de l'Union et accueillir nos nouveaux partenaires dans une maison solide et rénovée. D'accord pour faire progresser l'Europe sociale, et d'abord la lutte contre le chômage et contre l'exclusion. D'accord pour bâtir l'Europe des hommes, l'Europe des universités, l'Europe des jeunes.
Nous partageons la même volonté d'instituer un seul et même espace de justice, de liberté et de sécurité. Ce sera l'objectif du tout prochain sommet de Tampere, dont l'Espagne a pris justement l'initiative. Et la France l'a soutenue.
Nous partageons enfin l'ambition de doter l'Europe d'une politique étrangère et de défense commune. Une politique dont la tragédie du Kosovo a démontré la nécessité et l'urgence.
Nous devons être capables d'assumer nous-mêmes, avec l'Alliance atlantique ou de façon autonome, les responsabilités qui nous reviennent. Pour faire face aux crises qui éclatent aux portes de l'Union. Pour contribuer, chaque fois que possible, à les prévenir.
Mettons en oeuvre avec détermination les conclusions du Conseil européen de Cologne en donnant à l'Europe les instruments de décision et les capacités militaires qui la rendront crédible et efficace !
N'ayons pas peur des mots ! C'est bien une Europe puissante que nous devons construire. Nous y sommes parvenus dans le champ de l'économie avec l'euro, qui s'impose sur les marchés. Nous devons maintenant engager le grand chantier de la défense. L'Union européenne s'affirmera ainsi comme l'un de ces pôles d'équilibre dont le monde a besoin.
Ce monde multipolaire, notre Union le construit aussi en menant, au-delà de ses frontières, d'ambitieux partenariats.
Et d'abord avec cet espace méditerranéen dont Espagnols et Français sont si familiers. L'espoir qui renaît au Proche-Orient doit nous conduire à relancer le processus de Barcelone que nos deux pays ont engagé voici cinq ans. Pour instaurer un véritable espace de paix, de sécurité et de développement entre les deux rives de "Notre Mer", nous avons proposé que se tienne, l'an prochain, à l'occasion de la présidence française et si les circonstances s'y prêtent, le premier sommet de l'Histoire entre tous les Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne et de la Méditerranée.
Partenariat aussi, vous l'avez souligné, Sire, avec l'Amérique latine. Espagnols et Français, nous avons pris ensemble l'initiative du sommet de Rio. Travaillons ensemble pour que le deuxième sommet, dans deux ans ici à Madrid, confirme, par de nombreux résultats concrets, la force de cette relation politique, économique et culturelle.
Au-delà, il nous revient de promouvoir ensemble nos langues latines, qui s'organisent et qui doivent investir massivement les nouveaux réseaux de communication.
Dialogue politique, partenariat économique et culturel, édification d'une Europe ambitieuse, contribution à l'émergence d'un monde plus juste et plus humain. Vous le voyez, Sire, le champ de notre coopération est sans limite comme l'est aussi celui de notre confiance mutuelle et de notre amitié.
C'est fort de cette conviction que je voudrais maintenant lever mon verre. Mais avant, Sire, je voudrais émettre un voeu, le voeu du coeur. L'année 2001 marquera le 25e anniversaire, un peu avant d'ailleurs, du règne de Votre Majesté. C'est un grand moment pour l'Espagne, pour l'Europe, pour nous. Et j'aurais souhaité, dans la mesure où vous y auriez convenance, que vous acceptiez de venir faire une visite d'Etat en France, le 14 juillet 2001, date de notre Fête nationale et ainsi d'être l'hôte d'honneur de cette Fête nationale. A l'occasion de ce 25ème anniversaire, Sire, ce geste de votre part à l'égard de la France aurait toute sa force, toute sa valeur, et serait infiniment apprécié. Permettez-moi, Sire, de vous faire cette proposition.
Et, en espérant être entendu, je voudrais lever mon verre en l'honneur de Vos Majestés, auxquelles la France et les Français portent, vous le savez, respect et affection. Je le lève aussi, Monsieur le Président du Gouvernement, Madame, en votre honneur. Je salue toutes les hautes personnalités espagnoles et françaises qui ont bien voulu nous faire l'amitié de leur présence ce soir et je souhaite au grand peuple espagnol, ami et frère du peuple français, bonheur et prospérité.
Vive l'Espagne !
Vive la France !
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