Amsterdam, Pays-Bas, le lundi 28 février 2000
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Chefs d’entreprise,
Mesdames, Messieurs,
Après l’accueil exceptionnel que nous a réservé Sa Majesté et auquel mon épouse, ma délégation et moi-même avons été particulièrement sensibles, je voudrais vous dire que je suis heureux de rejoindre cette table ronde organisée à l’initiative de nos deux ministères du Commerce extérieur, avec l’appui des organismes professionnels néerlandais et français. Et je tiens à remercier chaleureusement les organisateurs et les participants éminents qui ont répondu à leur invitation, pour une rencontre qui me permet d’évoquer avec vous la force de nos relations économiques, qui vient d’être soulignée, et notre avenir commun dans l’Europe de demain.
Vous avez choisi le thème des " investissements croisés au coeur de la croissance économique des deux pays ", et vous l’avez envisagé dans ses aspects les plus concrets. Le compte rendu rapide qui vient d’être fait illustre les points forts et les directions qui doivent être prises pour que nos entreprises tirent le plus grand avantage de l’unification économique de l’Europe.
Je voudrais d’emblée vous dire ma satisfaction devant l’intensité de nos relations, l’interpénétration, qu’a soulignée tout à l’heure M. Périgot, dont j’ai d’ailleurs bien pris note également des observations qu’il a recueillies de ce débat, et qu’il nous a livrées, que j’approuve dans son ensemble, à l’exception d’une, si je l’ai bien comprise. J’ai entendu que nous mangions trop, ce qui est vrai, trop vite, ce qui n’est pas vrai.
Je voudrais d’emblée vous dire ma satisfaction devant l’ensemble de ces relations et leur intensité. L’interpénétration de nos économies est devenue une forte réalité et nos échanges atteignent, cela a été dit, désormais des montants considérables. Nous le devons au formidable essor généré par la construction européenne dont nous avons, néerlandais et français, la fierté d’être deux des membres fondateurs et essentiels.
Aujourd’hui, les exportations françaises aux Pays-Bas dépassent 85 milliards de FF, soit davantage que nos exportations en Chine, en Inde et au Japon réunis ! Le consommateur néerlandais, M. Périgot l’a évoqué, est devenu le deuxième consommateur de produits français dans le monde. Il achète par personne et par an pour près de 5000 FF de produits fabriqués en France.
Nos échanges se sont diversifiés, témoignant à la fois de notre dynamisme commercial et de la puissante solidarité de nos économies. C’est le fait de nos grandes entreprises, très présentes aux Pays-Bas, et pour certaines depuis bien longtemps, mais aussi d’un très grand nombre de petites et moyennes entreprises. Plus de dix mille entreprises françaises ont un courant d’affaires régulier avec les Pays-Bas. C’est considérable.
Je suis particulièrement sensible au fait qu’une nouvelle génération d’entrepreneurs français, que ce soit dans des secteurs de l’économie traditionnelle ou dans la " nouvelle économie ", investisse massivement aux Pays-Bas.
Les Pays-Bas sont aujourd'hui le troisième pays d'accueil des investissements français à l'étranger et, selon les derniers chiffres connus, le premier investisseur étranger en France, devant les Etats-Unis et le Royaume-Uni ! Et ce mouvement devrait certainement s’amplifier. C’est dire la puissance de nos liens économiques, une puissance qui s’amplifie !
Des liens qui se renforcent chaque jour et qui sont un élément essentiel de la forte solidarité qui nous unit désormais dans l’Union européenne. Solidarité dont témoigne notre monnaie unique, l’euro, qui, en s’imposant sur les marchés financiers, a remporté un premier succès. C’est maintenant à nos concitoyens de l’adopter pour leur vie de tous les jours.
Nous devons nous y préparer activement et d’abord assumer pleinement notre responsabilité collective à l’égard de notre monnaie. L’euro doit être solide. A Europe forte, monnaie forte ! L’euro doit inspirer confiance à l’extérieur comme à l’intérieur de nos pays.
En ce début d’année 2000, à quatre mois de la présidence française de l’Union, je souhaite vous dire un mot des grandes priorités économiques qui, de mon point de vue, doivent être celles de l’Europe.
La première est d’assurer la pérennité de la croissance, une croissance qui revient partout en Europe. La seconde, d’approfondir les progrès de l’Europe économique, c’est-à-dire de poursuivre l’unification du marché européen en levant les ultimes barrières. La troisième, de favoriser la révolution à laquelle nous assistons -révolution de l’information, émergence d’une nouvelle économie- pour que l’Union européenne, qui est déjà la première puissance économique de la planète, reste en tête de la grande compétition mondiale.
D’abord assurer la pérennité de la croissance. Je sais que vous, Néerlandais, êtes habitués à une croissance forte. Et je tiens à saluer ici les performances économiques remarquables et exceptionnelles de votre pays, dues sans aucun doute à la qualité de ses chefs d’entreprise et de ses travailleurs. Mais, pour l’Europe dans son ensemble, le redémarrage marqué de la croissance est un phénomène récent.
L’Europe a connu, contrairement aux Etats Unis, une croissance relativement faible et heurtée tout au long de la décennie des années 90. Le redémarrage du cycle de croissance semble cette fois-ci solide. Mais nous devons combler nos retards si nous voulons l’inscrire dans la durée.
Pour cela l’Europe doit poursuivre des politiques, notamment budgétaire et monétaire, orientées vers la stabilité, la discipline, la transparence. Beaucoup de nos Etats demeurent trop endettés. Assurer l’avenir, c’est réduire le fardeau de nos dettes publiques et poursuivre activement la remise en ordre des finances par la maîtrise de nos dépenses publiques.
L’Union européenne doit poursuivre ses réformes, notamment de structure. Il est toujours difficile d’engager des réformes structurelles, dans un pays. Vous le constatez dans vos entreprises, c’est également le cas pour les Etats. Il est encore plus difficile de les engager quand il y a peu ou pas de croissance. Alors, profitons de la conjoncture actuelle en Europe pour faire ce qu’il faut, en particulier dans deux secteurs cruciaux pour notre cohésion sociale : assurer l’avenir de nos systèmes de retraite et réduire l’exclusion. Cette problématique sera à l’ordre du jour du prochain Conseil européen de Lisbonne.
L’amélioration du fonctionnement de nos marchés du travail afin de réduire le nombre de ceux qui en sont exclus peut être évidemment recherchée. L’exclusion est inacceptable dans nos sociétés et la croissance retrouvée nous oblige plus que jamais à trouver des solutions. Le retour au travail doit être recherché par tous les moyens. Il passe par des politiques différentes et adaptées selon les pays. En France, par exemple, la diminution du poids des charges qui pèsent sur les travailleurs, notamment ceux qui sont le moins qualifiés, a montré son efficacité. Nous devons nous inspirer des politiques qui ont donné les meilleurs résultats afin de mettre en place des outils communs dans des domaines en définissant un " agenda social européen " concret et novateur pour les années à venir. Nous discuterons de tous ces problèmes prochainement à Lisbonne.
Notre seconde priorité est d’achever l’unification économique de l’Europe. L’euro a, dans ce domaine, un rôle essentiel, même s’il accentue la compétition des territoires et donc la mise en concurrence des politiques publiques.
Il subsiste des barrières au marché unifié, vous l’avez souligné. Travaillons à les effacer ! C’est l’intérêt de l’Europe. Dans cet esprit, unifions le marché financier européen pour donner à nos entreprises les meilleurs financements, garantir un haut niveau de protection à nos épargnants, et renforçons la coopération indispensable entre les autorités de contrôle.
Aucun secteur de l’économie n’est désormais exclu de la concurrence européenne. Ceci nous conduit à des adaptations qui sont plus ou moins rapides. C’est normal. Chez chacun de nous, l’histoire a forgé de fortes traditions économiques et sociales, et donc politiques. Ainsi avons-nous, en France, tissé des liens particuliers avec notre secteur de l’électricité, et ces liens, nous ne pouvons pas les ignorer du jour au lendemain. Il nous faut les respecter, tout en évoluant, et c’est ce que nous faisons. Alors nous avancerons, nous poursuivrons sans relâche nos efforts. Mais là aussi, la direction est claire, car l’ouverture européenne est une chance pour l’ensemble de nos économies. Nous avons tous à y gagner, producteurs et consommateurs.
Alors nous avancerons. Nous poursuivrons sans relâche nos efforts pour que l’Europe que nous construisons demeure prospère, compétitive, efficace au service de nos populations, et forte face à nos concurrents qui, eux aussi, se modernisent et se réforment.
Notre troisième priorité doit être de faire entrer de plain-pied nos sociétés dans l’économie de demain.
Nous vivons une vraie révolution avec le formidable développement des industries de l’information et de la communication, ce qu’on appelle maintenant la " nouvelle économie ". L’Europe va vivre une période de changement accélérée de ses structures économiques et industrielles. Accompagnons-la, notamment en favorisant le plus possible l’initiative, la libération des énergies et la création d’entreprises. On le voit bien en France et d’ailleurs ici, aux Pays-Bas, nos populations, en particulier nos jeunes, sont dynamiques et créatifs. Ils sont notre avenir. Il faut les encourager. Nous devons les aider notamment en favorisant l’innovation, car plus que jamais, l’innovation est au coeur de l’économie.
Cette Europe de la croissance et de l’innovation sera aussi l’un des sujets du Conseil européen de Lisbonne. Nous saurons y ouvrir, je l’espère, des pistes concrètes et engager résolument l’Europe dans l’économie de l’avenir.
La réforme économique et l’encouragement à l’innovation, nous devons les conjuguer avec ce modèle social européen auquel nos concitoyens sont légitimement attachés et dont vous-mêmes, Néerlandais, êtes l’orfèvre. Nous avons le devoir d’en préserver les acquis, c’est-à-dire essentiellement un haut niveau de garantie et de prestations. L’avenir de notre modèle social passe aussi par une plus grande place et une plus grande responsabilité laissée aux initiatives des partenaires sociaux. M. Périgot l’a évoqué tout à l’heure, à juste titre, et je partage tout à fait son point de vue. Dans ce domaine, l’expérience néerlandaise, l’admirable expérience néerlandaise, est une référence, depuis le pacte de Wassenar conclu dans les années 80. La France à son tour s’engage dans un processus de même nature. Je souhaite qu’elle y réussisse.
Enfin, dans un monde dominé par l’information et le savoir, l’effort d’éducation, depuis l’école primaire à l’université, mais aussi dans la formation permanente tout au long de la vie, est vital. Là encore, nous devons nous inspirer des meilleures politiques mises en oeuvre dans notre Union.
Vous le voyez, l’ordre du jour est dense. Les évolutions récentes bouleversent le rôle des Etats. Sont-ils, ces Etats, pour autant dépassés ? Je ne le crois pas, au contraire. Plus que jamais, ils jouent un rôle crucial d’impulsion. Plus que jamais, il est de leur responsabilité de faire aboutir les indispensables réformes et de permettre à nos économies de s’adapter dans le respect de nos valeurs.
Trop souvent nos concitoyens ont le sentiment que la mondialisation s’accomplit à leur insu, de façon aveugle, et que le changement s’impose sans qu’ils en comprennent l’objectif. C’est la responsabilité des dirigeants politiques européens de fournir les repères, de donner une vision claire de l’avenir, d’indiquer la direction que nous souhaitons voir prendre à nos sociétés, de veiller aux règles du jeu, bref, de fixer le cap.
Cette tâche difficile mais essentielle -la transformation réussie de nos sociétés et de nos économies- n’incombe naturellement pas aux seuls Etats. Elle repose tout autant sur les forces économiques et sociales que vous représentez.
Aujourd’hui, de plus en plus de collaborateurs souhaitent participer aux succès de leur entreprise. Cette évolution représente une formidable chance de dynamisme et d’expansion. Et vous, chefs d’entreprise, devez la saisir, accorder toujours plus d’importance à l’homme dans l’entreprise, à l’éthique aussi. C’est la clé pour être demain parmi les meilleurs, au premier rang. La clé d’une économie européenne forte, bâtie par tous ceux qui concourent au développement de l’entreprise.
Et j’ai plaisir à vous le dire, à vous qui incarnez les succès de votre pays. Les Pays-Bas qui impressionnent par leurs performances, leurs formidables capacités d’adaptation et qui ont toujours su concilier succès économiques et progrès social, qui ont su construire une économie forte sans jamais renoncer à cette forte solidarité qui fonde la société néerlandaise. Et, de cela, je suis heureux aujourd’hui d’avoir l’occasion de vous en rendre hommage.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie.
QUESTION - Etant donné l’échec presque total de Seattle, comment voyez-vous la suite des négociations dans le cadre de l’OMC ?
LE PRÉSIDENT - Je crois d’abord que cet échec regrettable a pour origine une préparation qui n’a peut-être pas été suffisamment sérieuse. Et, ensuite, qu’il est essentiel d’adopter une attitude positive, je dirai allante, sur la reprise de ces négociations. Je crois que c’est l’intérêt de pays comme les nôtres, c’est l’intérêt de l’Europe, c’est l’intérêt du système commercial mondial. Cela, c’est l’approche générale.
Je crois qu’il faut néanmoins avoir à l’esprit la nécessité, parce que c’est essentiel, de trouver une bonne solution dans le rapport entre les pays riches et les pays en développement. Le dernier round, de ce point de vue, n’avait pas été satisfaisant. En réalité, il avait permis d’arriver à un accord entre l’Europe et les Etats-Unis et ensuite, on avait dit -je caricature un peu, naturellement-, aux pays en développement, vous n’avez qu’à signer ici, et si vous ne savez pas écrire, mettez une croix.
Je caricature, mais j’avais gardé un mauvais souvenir de cette négociation. Les pays en développement doivent être aidés, et nous devons être solidaires de ces pays. Nous ne pouvons pas simplement penser à nous, et à nous seuls. Donc, il faut trouver une bonne solution. Cette solution suppose une discussion approfondie avec ces pays, et pour que cette discussion approfondie puisse aboutir à quelque chose de positif, sans être une entrave excessive au développement du commerce mondial, il faut avoir conscience de la nécessité de maintenir une aide publique au développement. C’est une obligation. Or, malheureusement, je constate que de plus en plus de pays riches se désengagent dans ce domaine. Certes, il y a des pays comme le Japon, la France, la Hollande, quelques autres aussi. Mais de gros contributeurs potentiels se désengagent et je crois que c’est une grave erreur. Le principe " trade not aid " n’est pas sérieux. Donc, un accord avec les pays en développement et tout faire pour le réaliser rapidement.
Et, dernier point, il faut être conscient de la nécessité, et maintenir un secteur agricole européen compétitif et fort. L’Europe a vocation à être un producteur et un exportateur important de produits agricoles, elle ne peut pas renoncer à cette vocation et à cette ambition.
Voilà, si vous voulez, quelques réflexions sur le round actuel, je ne suis pas pessimiste.
Mais si vous n’êtes pas d’accord avec moi, vous savez, j’accepte bien volontiers la critique.
QUESTION - Le rythme auquel la libéralisation évolue en Europe est très important pour notre industrie. Et, nous nous sommes donc réjouis de constater que la France, après quelques hésitations, a accepté de modifier sa législation sur l’électricité. Pourtant, nous savons qu’il y a encore une différence de rythme entre les différents pays européens. Pouvez-vous indiquer de quelle façon la France peut contribuer à faire progresser la libéralisation en Europe ?
LE PRÉSIDENT - Je suis favorable à la libéralisation et favorable à ce que ce processus aille le plus rapidement possible. Mais je l’ai évoqué tout à l’heure, chaque pays a certaines traditions, dont les racines sont profondes, et que l’on ne peut pas couper comme cela, du jour au lendemain, ou alors on risque des réactions brutales et au total négatives, qui peuvent même aller jusqu’à remettre les choses en cause. Il faut donc être pragmatique.
En France, nous avons, je l’ai évoqué, une production d’électricité qui est de très bonne qualité, mais des traditions. Alors, nous nous sommes engagés sur cette voie, M. Roussely le dirait mieux que moi, nous l’avons fait, je dois le dire en parlant des dirigeants d’EDF, avec beaucoup de courage et de détermination. Et en allant, je crois, aussi loin et aussi vite que possible. Il en va de même d’ailleurs pour le Gouvernement, qui serait celui qui prendrait la charge de toutes les difficultés que créerait une accélération trop excessive de ce processus. Enfin, c’est un peu comme les ressources gazières au Pays-Bas, il y a des traditions, il y a des choses qu’il faut un peu ménager.
Alors voilà, nous irons le plus vite et le plus loin possible, mais en respectant certaines exigences qui s’imposent à notre économie pour des raisons, je dirai, sociales. Mais, il n’y a pas de mauvaise volonté.
QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais vous demander. Nous savons que pour la Conférence de Lisbonne, l’innovation, la recherche et le développement ainsi que la technologie de l’information et de la communication jouent un rôle primordial. Quel est votre avis sur cette question par rapport à ce dont vous allez parler à Lisbonne ?
LE PRÉSIDENT - L’idée du Conseil de Lisbonne a été l’idée du Gouvernement portugais, elle a été immédiatement adoptée par la France et par les autres pays de l’Union. Il s’agit, notamment, d’avoir une discussion approfondie, d’avoir une confrontation sur la croissance. Que faire pour la favoriser de façon coordonnée, cohérente ? Sur l’emploi, qui s’améliore grâce à la croissance, mais qui est encore dans des situations très différentes selon les pays, et sur l’innovation qui est à l’évidence l’un des moteurs essentiels de la prochaine étape de l’économie mondiale. Comment bien allumer ces moteurs qui favorisent l’innovation dans tous les domaines, qu’il s’agisse du domaine économique, financier ou social ?
En particulier, comment faire pour que les entreprises de croissance trouvent un cadre adapté à un fort développement, ce qui n’est pas le cas partout dans nos pays.
Ce sont ces sujets que nous allons aborder, je crois que l’on peut le dire, sans préjugé.
Je suis très frappé, il y a longtemps que je suis les affaires européennes, de voir l’évolution des esprits chez les responsables économiques socio-politiques. Le dogmatisme s’efface de plus en plus, le pragmatisme s’impose, chacun apporte des idées, mais ce n’est pas le conservatisme qui règne comme ce fut longtemps le cas, dans beaucoup d’Etats ou d’organismes socio-professionnels. C’est un certain dynamisme, la recherche d’idées nouvelles. On peut ensuite en discuter, mais je trouve qu’il y a actuellement une espèce de vent moderne qui souffle dans les esprits. C’est dû probablement à l’examen de ce qui se passe dans certains pays et notamment aux Etats-Unis. Voilà ce que nous souhaitons faire à Lisbonne, c’est-à-dire rechercher de façon pragmatique et cohérente, sur le plan européen, les moyens d’améliorer la situation de l’emploi, de favoriser la croissance et surtout de donner une impulsion forte à l’innovation.
QUESTION - J’ai une question liée au naufrage d’Erika, le navire qui a sombré il y a deux mois au large des côtes. Nous avons compris qu’il contient encore 15 000 tonnes de pétrole. Le problème a été considérable lorsque le pétrole a atteint les côtes. Le navire est maintenant cassé en deux parties, il est toujours là avec sa cargaison de pétrole. J’ai une double question. Sur le plan légal qu’allez-vous faire à l’avenir pour prévenir ce genre d’affaires ? J’ai compris que vous vouliez faire quelque chose au niveau de l’Union européenne. Ma deuxième question, il y a aux Pays-Bas des entreprises capables d’extraire très vite et très bien ce pétrole. A quelle vitesse allez-vous le faire ? Depuis deux mois et demi ce navire est toujours là.
LE PRÉSIDENT - Nous avons commencé comme il se doit par faire les études nécessaires. Ce qui n’était pas si facile. Il a fallu envoyer des robots pour voir exactement comment se présentait la situation. Ces robots ont apporté un certain nombre d’informations. Ces informations étaient parfois contradictoires, enfin, bref, nous avons fini par conclure semble-t-il qu’il fallait soutirer ce pétrole des soutes de l’Erika, dans des conditions qui ne sont d’ailleurs pas faciles, car il n’est pas vraiment liquide, il faut en plus le liquéfier, par des moyens dans le détail duquel je ne rentrerai pas.
Voilà, alors nous avons engagé cette procédure et il y aura sans aucun doute, si tel est notre intérêt, appel à toutes les compétences internationales. Je ne doute pas que la vôtre soit parmi les meilleures.
Plus généralement, je pense que l’on ne peut plus maintenir une situation où le transport du pétrole et d’ailleurs, également, des matières dangereuses qui peuvent être pire que le pétrole dans les conditions actuelles, je ne pense pas que l’on puisse conserver ce système. Il faut renforcer considérablement ce système et l’une des ambitions de la présidence française, à partir de propositions que nous avons commencées à faire, sera de trouver, au moins déjà au niveau européen, une amélioration sensible des règles du transport des matières pétrolières et des matières dangereuses.
Je ne peux pas rentrer là dans le détail, d’abord parce que je ne suis pas un expert et ensuite parce que ce n’est pas le lieu. Mais je crois que nous devons absolument nous mettre ensemble pour définir une politique de maîtrise des transports dangereux. Il n’est pas acceptable que des incidents ou des accidents se répètent trop fréquemment.
Et j’ajoute que, pour que cela puisse avoir de l’efficacité, c’est comme les problèmes de l’éthique, dont je parlais tout à l’heure à l’Académie des sciences des Pays-Bas, il faut que ce soit international. Et donc nous devrons avoir avec nos principaux interlocuteurs, à commencer par les Américains, une vraie discussion pour voir comment on pourrait essayer de maîtriser sur le plan international, par un certain nombre de règles obligatoires le danger de ces transports. Il y aura toujours des accidents. Le risque zéro n’existe pas, mais on ne peut pas continuer à avoir des accidents de cette nature.
QUESTION - Je voudrais poser une question sur la semaine de 35 heures que vous avez mise en place comme une sorte d’accord de Wassenar à la française. La question que nous nous posons au Pays-Bas, du moins dans le secteur des transports, est de savoir si, lorsque vous parlez d’harmonisation et de dialogue social, qui auront pour vous une forte priorité pendant votre présidence de l’Union européenne, est-ce que nous évoluons vers un système à la française, le modèle français pour toute l’Europe ? Ou bien revenons-nous à un temps de travail plus long parce que nous manquons de main d’oeuvre et que, donc, nous devons faire travailler les gens plus longtemps ?
LE PRÉSIDENT - Je crains de m’être mal exprimé. J’ai évoqué le caractère exemplaire du modèle social hollandais, néerlandais, depuis notamment le pacte de Wassenar, cela n’avait aucun rapport avec les 35 heures.
Deuxièmement, les 35 heures c’est une initiative française. Moi, je suis favorable à la diminution du temps de travail, je crois que c’est dans la nature des choses, c’est dans la nature de l’évolution économique. Ensuite, naturellement, on peut discuter sur les modalités permettant d’atteindre cet objectif. Est-ce qu’il faut que ce soit une réglementation autoritaire et générale, ou bien faut-il que cela relève de la négociation sociale ? Cela est un autre débat, c’est un débat français, dans lequel, naturellement, je n’entrerai pas ici.
Mais, je n’ai absolument pas, bien sûr, la prétention de proposer à Lisbonne la généralisation des 35 heures à la française. Non, ça, ne craignez rien ! Ce n’est pas notre proposition. Chacun, dans cette affaire, gère les choses comme il l’entend.
Pendant très longtemps, le pouvoir, qu’il soit d’origine divine, autocratique, démocratique, était fondé sur le fait que les chefs avaient l’information, la connaissance. Alors ils utilisaient plus ou moins bien leurs connaissances, enfin c’était cela l’origine du pouvoir. C’était la connaissance, l’information. Aujourd’hui, nous avançons de plus en plus et de plus en plus vite, dans nos sociétés, avec la révolution des technologies de l’information, où tout le monde a, en temps réel, la même information. Et donc cela ne peut pas ne pas avoir de conséquences profondes sur le pouvoir, que ce soit le pouvoir dans l’entreprise, le pouvoir dans l’Etat, le pouvoir partout, puisque le fondement même du pouvoir est mis en cause.
Par conséquent, je pense qu’aujourd’hui l’une des conséquences de cette observation générale, est que les arrangements, le progrès social, dépendront de plus en plus de la négociation collective, beaucoup plus que de l’imposition par une autorité centrale, qui bien sûr gardera toujours le devoir de maintenir un certain cadre pour éviter des dérives sociales, naturellement. Mais tout cela va évoluer.
Et c’est à cela que je pense quand je dis qu’il faudrait que, petit à petit, nous arrivions à un système, notamment en France, mais aussi dans l’ensemble de l’Europe, de développement d’une technique moderne de négociation collective pour les progrès sociaux. Et je crois que l’on s’oriente petit à petit, en tous les cas en France, dans cette direction. Il y a des propositions qui ont été faites, il y a des études, il y a des contacts qui sont pris, et je m’en réjouis.
QUESTION - C’est peut-être symbolique que je pose la question finale, parce que mon entreprise est une entreprise internet . Alors, je représente la nouvelle économie. J’imagine qu’il y a une grande possibilité de croissance sur le plan internet. Qu’est ce que, selon vous, la France, les Pays-Bas et l’Europe doivent faire pour rattraper les Etats-Unis ?
LE PRÉSIDENT - Je ne crois pas que l’Europe soit très en retard, je crois qu’elle l’est beaucoup moins qu’on ne le dit. Il y a dans les technologies de la communication des quantités de domaines et de secteurs où elle est au moins au niveau des Etats-Unis, et même parfois en avance.
Alors, dans la pratique, c’est vrai, les Etats-Unis ont pris un temps d’avance. Mais vous savez avec la rapidité de ces choses, cela peut ne pas durer et c’est la raison pour laquelle nous avons approuvé la proposition portugaise, nous, aussi bien les Pays-Bas que la France, et les autres pays, de mettre l’innovation au coeur de notre réflexion à Lisbonne, pour voir précisément comment on pourrait faire de façon pragmatique, je l’ai dit tout à l’heure, pour donner une impulsion nouvelle dans ce domaine et en particulier faciliter à tous égards le développement des entreprises de croissance qui ne répondent pas aux même nécessités que des entreprises traditionnelles, qui ne sont pas pour autant naturellement condamnées, mais il faut à la fois soutenir les unes et soutenir les autres. C’est cela que nous essaierons de faire à Lisbonne.
Je vous remercie.
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