Amsterdam, Pays-Bas, le lundi 28 février 2000
Majesté,
Permettez-moi de vous dire combien ma délégation, mon épouse, moi-même, sommes sensibles à votre accueil. Sensibles au fait que vous avez tenu à vous exprimer dans un merveilleux français. Combien souhaiterais-je, ne serait-ce que par un retour naturel de politesse, vous le rendre en néerlandais. Hélas, ma culture n'a rien à voir avec la vôtre et je regrette de ne pas pouvoir le faire. Mais nous avons été très sensibles à ce geste, comme nous l'avons été à votre accueil tout au long de la journée.
Votre présence chaleureuse, les mots que vous avez bien voulu avoir à l'égard de notre pays, nous sont allés droit au coeur et nous nous souviendrons longtemps, je me souviendrai longtemps, de cette journée passée ici, grâce à vous, de la façon la plus agréable que l'on puisse imaginer, la plus amicale, et je vous en remercie de tout coeur.
Merci aussi de nous faire l'honneur de nous recevoir dans ce magnifique Palais du Dam, où tout rappelle le destin extraordinaire des Pays-Bas. L'on trouve ici la marque de ce qui fut d'abord un État ancré dans des institutions municipales exemplaires. L'on sent dans ces murs le contrat multiséculaire que votre famille et, à travers elle, la monarchie, ont scellé avec l'indépendance et la liberté du peuple néerlandais.
En venant au royaume des Pays-Bas, j'ai d'abord souhaité porter le salut de la France et des Français à votre grande nation, à votre grand peuple.
Un peuple qui incarne le triomphe de la volonté contre la force des éléments. L'esprit d'indépendance, contre ceux qui, à un moment ou à un autre, ont menacé de lui porter atteinte. Et parmi lesquels il y a eu, en d'autres temps, la France.
Votre peuple incarne la tolérance. Les Pays-Bas ont été parmi les premiers en Europe, grâce à leur forte identité, à reconnaître la liberté et à l'ériger en principe de gouvernement et de vie. Berceau de l'humanisme, patrie d'Erasme et de Spinoza, votre pays fut souvent le refuge de la pensée et le havre de ceux qui fuyaient les persécutions. Combien d'oeuvres ont pu voir le jour ici avant de se lancer à la conquête des esprits et du monde.
C'est cette liberté qui fonde votre " société de confiance " où l'initiative et la responsabilité occupent une si large place. " Société de confiance " qui a vu naître ici même, à Amsterdam, l'économie moderne.
Les Pays-Bas incarnent le goût et le talent de la réussite. Déjà Montesquieu le soulignait : " À Amsterdam, tout travaille ", disait-il. Et Diderot s'émerveillait : " Rien sur toute la surface du globe n'évoque l'idée d'une aussi prodigieuse opulence ".
Aujourd'hui encore, vos succès, ce qu'à travers toute l'Europe on appelle le modèle néerlandais, le dynamisme de vos entreprises, vos performances économiques remarquables sont partout dans le monde, cités en exemple.
Pour nous Français, les Pays-Bas incarnent aussi l'aptitude au changement en même temps qu'une fidélité inébranlable aux valeurs fondatrices. Ils incarnent une forte solidarité, dans le respect de la liberté et de l'initiative. Et c'est tout cela qui permet à votre peuple d'être fort et uni, et de le demeurer dans le grand mouvement de mondialisation qui invite chacun à s'adapter sans cesse.
Je veux saluer ce que l'on appelle parfois votre pragmatisme, mais que je nommerai plus volontiers votre inventivité sociale et qui peut être une source d'inspiration pour beaucoup de pays dans le monde et en Europe.
C'est de ces Pays-Bas, avec leurs qualités éminentes, que la France d'aujourd'hui veut encore se rapprocher. Tel est, Majesté, le sens de ma visite chez vous.
Quel singulier destin que celui de nos vieilles nations européennes ! Ainsi, notre histoire commune, placée d'emblée sous le signe de l'amitié, celle de Guillaume d'Orange et d'Henri IV, c'est une longue suite d'affrontements et de rapprochements. Et c'est le miracle de l'Europe que nous construisons que d'organiser la communauté de destin de nations jadis rivales et de sociétés par ailleurs si différentes et ayant chacune une si forte identité.
La relation franco-néerlandaise est exemplaire de cette Europe que nous voulons respectueuse de l'identité, de la personnalité de chacun. C'est peut-être parce que nous sommes si différents et en même temps si proches dans notre ambition pour l'Europe que les solutions avancées conjointement par nos deux pays sont souvent agréées par l'ensemble des autres.
Vous et nous souhaitons une Europe forte, dotée d'institutions rénovées, assurant à chacun de ses membres une juste, une équitable représentation. Des institutions qui permettront à notre Union de fonctionner efficacement et d'accomplir de nouveaux progrès. Vous et nous sommes d'accord pour donner à l'Union les moyens de mieux défendre ses intérêts et ses valeurs.
Nous plaidons ensemble en faveur d'une aide publique au développement généreuse. Nos soldats sont engagés côte à côte pour faire revenir la paix dans des régions déchirées et d'abord dans les Balkans. Nous voulons ensemble construire l'Europe de la défense, pour donner à notre Union ses propres capacités d'intervention, tout en restant naturellement fidèles à l'Alliance atlantique.
Et puis nos deux pays veulent que l'Europe du XXIe siècle soit celle des hommes. Une Europe où l'on circule librement et en sécurité. Une Europe respectueuse de l'environnement et dont les côtes soient à l'abri des marées noires. Une Europe sociale, une Europe, aussi, des universités et des pôles de recherche, pour que nos jeunesses fassent vivre l'union par un dialogue intense de nos cultures. C'est leur diversité même qui fait notre richesse collective. Cette Europe là, nous y travaillons la main dans la main et le Premier ministre peut en témoigner.
Bien sûr, il arrive que nos points de vue divergent.
Mais n'est-ce pas le propre des amis, des vrais amis, que de surmonter leurs divergences par un dialogue étroit, confiant, inspiré par la considération réciproque. Néerlandais et Français ont su bâtir ce dialogue. Ils veulent progressivement effacer les préjugés, les stéréotypes qui brouillent encore l'image que parfois ils se font l'un de l'autre, comme c'est souvent le cas entre voisins qui ont du caractère et de la personnalité.
Aujourd'hui, notre relation est forte. Elle est soutenue par un partenariat économique de premier plan, illustré notamment par l'ampleur des investissements néerlandais en France.
Elle s'enrichit de nos échanges humains et culturels. Je pense au développement du tourisme entre nos deux pays. Je pense à l'engouement de mes compatriotes pour la culture et l'art de votre pays, leur véritable passion pour vos peintres, l'immense succès de vos grandes rétrospectives. Ils seront nombreux à venir célébrer avec vous cette année, à Amsterdam, " La gloire du siècle d'or ", exposition exceptionnelle organisée au Rijksmuseum à l'occasion de son bicentenaire.
Oui, Majesté, j'ai la conviction que l'amitié franco-néerlandaise est naturelle, mais aussi qu'elle est essentielle à l'Europe. Et c'est confiant dans l'avenir de notre coopération qui s'est, depuis quelques années, beaucoup développée, très richement, et je voudrais rendre hommage à l'action du Premier ministre dans ce domaine, qui a, sans aucun doute, été déterminante pour les progrès enregistrés, que je voudrais maintenant, Majesté, lever mon verre.
Je le lève en l'honneur de Sa Majesté la Reine Beatrix 1ère des Pays-Bas. Je vous présente, Madame, mes très respectueux hommages. Je vous adresse tous mes voeux de longue vie, de bonheur.
Je le lève en l'honneur du peuple néerlandais auquel je souhaite cette prospérité qui suscite depuis si longtemps l'admiration du monde. Je le lève à notre amitié, à l'ancienne, solide et confiante alliance entre nos deux pays.
Retrouvons l'élan chaleureux de Guillaume d'Orange et d'Henri IV, tant il est vrai que nous partageons à nouveau, dans l'Union européenne, une communauté de destins ou, pour parler comme vos États généraux d'autrefois, s'adressant au même Henri IV, " tant est grande la connexité des affaires de Votre Majesté avec les nôtres ".
Vive l'amitié entre les Pays-Bas et la France !
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