Palais des Congrès, Paris, le samedi 10 juin 2000
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Et permettez-moi, Monsieur le Président, de saluer, particulièrement et amicalement, la relève que vous avez souhaitée présente à votre tribune. Je salue donc ces jeunes et je leur souhaite bonne chance et bon vent.
Monsieur le Président, il y a trois ans, et vous l'avez rappelé, j'étais venu clôturer votre Congrès de Lille, m'inscrivant, vous l'aviez remarqué, dans une tradition républicaine qui se poursuit aujourd'hui avec votre Congrès de l'an 2000.
Je suis heureux de vous retrouver. Vous incarnez, en effet, un idéal de justice, de solidarité et d'humanisme, mais aussi de responsabilité.
Pourquoi parler de tradition républicaine ? Ce n'est pas que la mutualité soit exactement une institution de la République, au sens propre du mot, mais elle constitue, sans aucun doute, l'une des formes les plus achevées de cette démocratie citoyenne qui doit être au cœur de notre éthique républicaine. Solidarité, service, engagement, efficacité, dévouement, autant de valeurs qui sont celles de l'intérêt général en même temps que les vôtres. Vous les mettez en oeuvre avec générosité et désintéressement. La France du XXIe siècle sera faite d'hommes et de femmes portés par l'élan du cœur et le besoin d'agir. La volonté d'être utiles les mettra en mouvement, prêts à inventer de nouvelles formes d'action au service des autres. Comme vous tous ici, ils continueront à trouver dans l'idéal mutualiste une source d'engagement civique mais aussi d'accomplissement personnel. La République, c'est aussi cela. Et je dirais même que c'est d'abord cela.
Le mouvement mutualiste plonge ses racines, vous l'avez évoqué, Monsieur le Président, très loin dans notre histoire. Il y a plus de cent cinquante ans, en un temps où les sociétés de secours mutuel étaient les seules formes de solidarité collective tolérées par la loi, il fut en quelque sorte le berceau du syndicalisme. C'était l'époque de la révolution industrielle, de la naissance d'un monde ouvrier détaché des compagnonnages de l'Ancien régime, vulnérable, fragmenté, désorganisé. Un monde en proie à la misère, sans protection face à la maladie, au chômage ou aux accidents de la vie. Les sociétés de secours mutuel lui ont donné sa première expression en même temps qu'elles lui faisaient découvrir la force de l'unité et de la fraternité. Elles lui ont permis de forger son identité, avant de s'élargir à toutes les catégories sociales et professionnelles.
La mutualité précède d'un siècle la Sécurité sociale. Sans doute lui a-t-elle ouvert la voie en vérifiant la puissance d'efficacité de l'entraide et de la prévoyance. Depuis lors, Sécurité sociale et mutualité vont de pair dans l'esprit des Français, indissociables et complémentaires. Ce sont les deux versants d'une même solidarité, l'une nationale, générale, obligatoire, l'autre libre et volontaire mais sans exclusive, fondée sur un lien professionnel ou social.
La mutualité est une réalité historique, une réalité française, une réalité contemporaine. Avec près de 30 millions d'adhérents aujourd'hui, vous êtes plus forts que jamais. Ouverts aux aspirations nouvelles et aux grands changements de notre société, vous défendez des valeurs de démocratie, des valeurs profondément modernes.
Vous avez su demeurer fidèles à votre tradition d'indépendance, à l'égard des partis politiques comme des organisations syndicales, sans jamais craindre de vous engager dans tous les grands débats qui mettent en jeu notre protection collective. Vous avez été au premier rang des acteurs de notre démocratie sociale à vouloir la réforme de la Sécurité sociale, à la faire vivre et à la défendre, en toutes occasions. Vous avez depuis lors assumé vos responsabilités de gestion au sein de l'assurance maladie, vous l'avez rappelé. Dans une période où se répand un sentiment d'incertitude qui n'épargne ni les professions de santé ni les gestionnaires de l'assurance maladie, vous restez, je le sais, le Président Davant l'a dit, plus que jamais préoccupés par l'avenir de notre système de santé, vigilants et disponibles pour un nouveau souffle de réformes, une nouvelle ambition de progrès, un nouveau projet pour la santé. Je vous cite, cher Président.
Les conditions de ce renouveau seront réunies si le vote annuel du Parlement devient, comme il se doit, l'instrument d'une volonté politique forte et claire, et si nous réussissons à mieux ancrer l'assurance maladie dans notre démocratie sociale.
Avec le recul, la réforme de 1996 apparaîtra pour ce qu'elle est : une étape importante de l'histoire de notre Sécurité sociale.
Elle fera date pour notre démocratie. Désormais, la Sécurité sociale est en effet inscrite dans la Constitution. Elle est au cœur du pacte qui unit les Français. Le Président de la République en est le garant.
Après la réunion de la Conférence nationale de la santé, le Parlement se prononce chaque année sur les priorités de la santé. Les représentants de la Nation fixent les objectifs annuels des dépenses de la Sécurité sociale et en déterminent les recettes, comme ils le font pour le budget de l'Etat depuis les origines du parlementarisme. C'est pour le Parlement, dans l'équilibre des pouvoirs, un instrument de contrôle essentiel. Il lui appartient de l'utiliser avec une grande vigilance, en exigeant du Gouvernement toutes les informations nécessaires. Un nouveau vote devra être sollicité à chaque fois que des événements importants modifieront en cours d'année les conditions de l'équilibre financier, qu'il s'agisse d'une dérive des dépenses, de l'abandon d'une ressource, ou de l'affectation de nouvelles recettes. La Sécurité sociale, depuis 1996, n'est plus la seule affaire du Gouvernement et de l'administration, elle doit être gérée dans la transparence, sous le regard de l'Assemblée nationale et du Sénat, sous le regard du peuple français. Il importe que leurs droits soient respectés.
La gestion de la Sécurité sociale est aussi affaire de démocratie sociale comme le disait tout à l'heure le Président Davant. Vous exercez vos responsabilités au sein des conseils d'administration des caisses d'assurance maladie, aux côtés des organisations syndicales et professionnelles. Je sais combien cette action est difficile ou ingrate parfois. Elle ne peut être pleinement efficace sans un partage clair des responsabilités reposant sur une délégation de moyens loyale, réelle et substantielle.
Votre engagement et celui des partenaires sociaux au service de la protection sociale appellent une collaboration harmonieuse avec les pouvoirs publics, en charge de la politique de santé et gardiens de la solidarité nationale. C'est peu dire que les formes de cette indispensable collaboration n'ont pas encore été trouvées. Et je souhaite qu'elles le soient rapidement et j'espère que les discussions que les partenaires sociaux veulent engager pour déterminer les conditions de la poursuite de leur participation à la gestion de la Sécurité sociale y contribueront. La situation actuelle n'est pas satisfaisante. Elle appelle une évolution, une profonde évolution.
De toute évidence, la mutualité ne pourra pas être laissée à l'écart de ce débat essentiel, vous avez eu raison de le souligner. Elle a vocation à y tenir un rôle important.
C'est en unissant les énergies de tous les acteurs de la protection sociale et non en les opposant que notre pays réussira à s'inscrire dans un avenir riche de multiples promesses pour la santé des Français.
En effet, si nous nous arrêtons un instant pour observer l'horizon, ce que nous voyons d'abord, c'est la perspective de formidables progrès médicaux. Tout indique que nous entrons dans une période d'accélération du progrès scientifique dont les retombées médicales seront majeures. Connaissance du génome humain, développement des thérapies géniques, progrès fulgurants de la biologie moléculaire, émergence d'une médecine prédictive, bien d'autres découvertes encore vont bouleverser la donne pour la prévention et pour le traitement de nombreuses maladies. Certes, les affections dégénératives, les maladies du cœur, le cancer, et les grands fléaux infectieux de notre temps sont encore loin d'être vaincus. Mais ce que nous disent médecins et savants, alliant à la puissance de l'ordinateur une capacité de recherche et des connaissances inégalées, c'est l'annonce de victoires sans précédent contre la maladie et la souffrance.
S'il se confirme, comme je le crois, que de grandes révolutions médicales marqueront ce nouveau siècle, il est certain que notre système de santé et d'assurance maladie devra s'adapter en profondeur pour les rendre possibles, les assimiler, et donner à chacun de nos compatriotes une garantie absolue d'accès aux meilleurs soins. Pour tous, c'est en effet devenu un droit imprescriptible.
Je me suis toujours refusé à traiter la santé comme un coût, non seulement parce qu'elle est vitale, mais aussi parce qu'elle constitue une richesse tant pour l'individu que pour l'économie et la société tout entière.
Il n'empêche qu'il faudra bien trouver le moyen de financer les grands progrès à venir, faire en sorte qu'ils profitent à chaque Français. Nous ne pourrons pas le faire sans donner à notre organisation sanitaire plus de souplesse et une meilleure respiration. Il faut y réfléchir dès maintenant, et se préparer sans retard.
Depuis plus d'un demi-siècle, le système français a bien sûr réussi à rendre le progrès médical accessible à tous, mais il l'a fait au prix d'une accumulation de coûts et de rigidités, avec un niveau de remboursements inférieur à la moyenne européenne, notamment pour l'optique ou pour les soins dentaires. On a trop souvent procédé par l'addition des moyens plutôt que par le choix des priorités, sans jamais remettre en cause l'existant et en négligeant trop souvent la prévention.
Au fond, à côté des espérances que nous mettons dans la recherche médicale, quels sont les principaux risques pour l'avenir de notre système de santé ? Je dis bien les risques. Une reconduction à l'identique, année après année, de moyens hospitaliers qui deviendraient de moins en moins adaptés aux besoins. L'aggravation des inégalités, notamment géographiques. L'incapacité de prendre en charge de nouveaux équipements et de nouveaux médicaments. Le découragement des professionnels de santé. Et au bout, l'impossibilité d'offrir à tous les Français, quelle que soit leur situation et où qu'ils vivent, les meilleurs soins compte tenu des progrès les plus récents de la connaissance. Voilà les risques.
Il faut les prendre au sérieux. Rien n'est jamais définitivement acquis en matière de Sécurité sociale.
Certes, la conjoncture de la Sécurité sociale s'est améliorée, mais elle demeure contrastée. La branche maladie accuse à elle seule un déficit égal aux excédents des trois autres branches : la branche des allocations familiales, celle des accidents du travail, et la branche des retraites, dans l'attente des chocs démographiques à venir.
Les Français ne seront rassurés sur l'avenir de leur protection sociale que lorsque l'assurance maladie et, d'ailleurs, l'assurance vieillesse auront pris la voie d'un équilibre structurel et durable.
Le déficit de l'assurance maladie, entretenu par la progression des dépenses, résiste aujourd'hui malgré le contexte de forte croissance qui est le nôtre. Ce fait montre assez notre fragilité. Nous devons absolument sortir de cette situation, faute de quoi nous pourrions bien voir revenir les pratiques de déremboursement que la réforme de 1996 avait entendu abolir. A chaque fois que les ressources de la Sécurité sociale cesseront d'être portées par une conjoncture favorable, de nouvelles crises risquent de se produire. Nous resterons vulnérables tant que nous n'aurons pas déconcentré la gestion de notre assurance maladie et mis en œuvre, par accord avec l'ensemble des professions de santé, les instruments d'un pilotage fondé sur des critères d'efficacité médicale.
Parmi toutes les raisons qui vous ont conduit à soutenir le changement pour la Sécurité sociale, la volonté de ne plus permettre qu'il soit un jour porté atteinte au niveau global des remboursements a sans nul doute tenu la première place. C'est, en effet, un objectif essentiel et qui ne saurait être perdu de vue.
On ne peut sans cesse alourdir le fardeau de la mutualité. Nous risquerions alors d'en écarter les personnes qui, sans pouvoir bénéficier de la couverture maladie universelle, ne pourraient accepter l'augmentation de leurs cotisations. Et, je pense à tous ces foyers à revenus modestes, parfois moyens à qui notre société reconnaît toujours plus de charges que de droits et qui ne veulent pas devenir les oubliés de la solidarité. C'est une question essentielle parce qu'elle touche à notre cohésion sociale.
Le repli de l'assurance maladie ouvrirait la voie à de profonds déséquilibres conduisant les acteurs de la protection complémentaire à assumer par défaut une part croissante de la régulation du système de soins. Je sais que ce n'est pas votre vision de l'avenir. Ce n'est pas non plus la mienne.
Certes, vous avez raison de le dire, la mutualité ne peut être un payeur aveugle. Et j'appuie sans réserve votre souhait de mieux organiser l'accès aux soins, et notamment aux soins dentaires, en approfondissant votre dialogue avec les professions de santé. Une émulation plus grande, organisée avec tous ceux qui seront capables de faire droit à l'innovation, à l'expérimentation et à l'évaluation, jouera certainement un rôle positif dans l'évolution de notre système de santé.
Mais il n'existe pas de véritable alternative à une assurance maladie fondée sur la solidarité nationale. La couverture complémentaire ne peut jouer pleinement son rôle que si le socle est solide. Je ne suis pas favorable à ce que l'on entre dans une logique de substitution rampante. En vérité, pour maintenir l'originalité de notre modèle, un modèle qui concilie médecine libérale et financement collectif, il faut poursuivre résolument le renouveau de l'assurance maladie elle-même.
C'est en veillant à ce que chaque franc dépensé soit réellement utile à la santé que l'avenir de notre système de soins sera garanti. Les réorganisations qui s'imposent dans l'offre de soins doivent être conduites avec détermination. Des procédures d'évaluation médicale efficaces, légitimes, reconnues par les acteurs du système de santé, devront rapidement être mises en œuvre.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
L'aventure, la belle aventure de la mutualité continue. L'esprit mutualiste a traversé en se renforçant toutes les transformations de notre société. II a contribué à les accompagner pour que les Français vivent mieux.
La réflexion que vous avez lancée avec les pouvoirs publics a enfin permis de trouver la voie d'une transposition des directives européennes pleinement respectueuse de votre identité. Devant vous, je m'étais engagé à y veiller aussi. Vous avez saisi cette occasion pour que les conditions d'exercice des responsabilités mutualistes soient modernisées. Permettez-moi de vous en féliciter. La démocratie sociale doit savoir se renouveler et se faire plus transparente. La démocratie politique aussi d'ailleurs.
L'ensemble de ces réformes n'ira pas sans efforts d'organisation. Je sais que vous y êtes décidés. Je prends acte de votre souhait que le Parlement soit rapidement amené à se prononcer et à largement se prononcer. Je partage ce souhait. Il est temps de sortir d'une longue période d'incertitude qui pénalisait votre activité.
La présidence française de l'Union européenne nous incite d'ailleurs à faire vite, dès lors que les obstacles sont aujourd'hui surmontés. Ainsi, le mouvement mutualiste abordera le XXIe siècle dans un nouvel élan, renouvelant le contrat de confiance avec tous ses adhérents, leur apportant des garanties supplémentaires en même temps qu'il modernisera ses conditions d'action. C'est un nouveau départ pour construire l'avenir de la solidarité. Au milieu des changements du monde, notre société en a plus que jamais besoin pour continuer à avancer.
Je vous remercie.
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