Banque de France, Paris, le lundi 29 mai 2000
Monsieur le Gouverneur,
Monsieur le Ministre de l'Economie et des Finances et de l'Industrie,
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les membres du personnel de la Banque de France,
Mesdames et Messieurs,
On prête à Napoléon, fondateur de la Banque de France, un mot historique -mais que je n'ai pas retrouvé- sur la nécessité d'instaurer en Europe une monnaie unique. Cette vision a désormais pris corps et la Banque de France y a pleinement contribué. En participant à la mise en place de l'euro, elle a répondu à sa mission, qui est de préparer l'avenir, de veiller au développement et à la prospérité de l'économie française.
Je suis heureux de m'associer aujourd'hui au bicentenaire de cette grande institution. Comme le corps préfectoral ou le Conseil d'Etat, la Banque de France est fille du Consulat : elle est née au cours de ce printemps 1800 où le Premier consul a créé, au pas de charge, sur le chemin du champ de bataille de Marengo, les instruments qui devaient assurer notre stabilité. Convenons que les résultats obtenus ont été à la hauteur des intentions et des ambitions.
Depuis deux siècles, l'évolution de la Banque de France est liée au destin de notre pays, qu'il s'agisse de favoriser l'industrialisation au XIXe siècle ou de financer l'effort militaire de la Nation Pendant la première Guerre mondiale. Mais au-delà même de l'histoire de France, l'histoire de la Banque de France est aussi et surtout celle des Français, de leurs espoirs, de leurs inquiétudes, de leurs ambitions et de leurs contradictions, de leur souci constant de modernité et de solidarité. Gérer la monnaie, lui donner la solidité nécessaire et établir l'indispensable confiance avec la population nécessite une alchimie très spéciale. C'est ce qui fait la grandeur de l'action d'une banque centrale et ce qui fonde sa responsabilité.
Il y a deux cents ans, la fondation de la Banque de France était le prélude à une importante réforme monétaire : la création du franc germinal, qui a apporté à notre pays plus d'un siècle d'équilibre monétaire. Avec l'introduction de l'euro, nous nous trouvons au coeur d'une évolution de même ampleur, associés avec dix autres Etats européens, pour créer une Europe à la fois plus forte et plus unie. Nous nous sommes ainsi dotés d'un formidable instrument de croissance et de stabilité. Je salue l'ensemble des acteurs qui, au sein de l'administration, des institutions économiques et financières, ont contribué à cette réalisation et en ont assuré le succès. Elle donne à la France et à ses partenaires les moyens d'affirmer collectivement leur souveraineté dans la mondialisation des échanges.
Dans ce contexte nouveau, la Banque de France doit être plus que jamais une institution en mouvement. Comme les autres, plus que les autres, puisqu'elle vit au rythme instantané des marchés financiers, elle doit renouveler ses modes d'action et s'adapter aux réalités du XXIe siècle. Il est important qu'elle puisse approfondir sa réforme.
La monnaie du XXIe siècle ne sera pas celle du XXe siècle. Les nouvelles technologies vont permettre de franchir une nouvelle étape de la dématérialisation de la monnaie. Les enjeux sont essentiels notamment en matière prudentielle et de contrôle monétaire. Il nous faut donc une banque centrale toujours plus performante, toujours plus moderne, toujours plus qualifiée.
La première mission de la Banque est d'assurer la stabilité des prix. Si nous avons su la garantir dans une large mesure au XIXe siècle, il n'en a pas été de même au cours des cinquante dernières années.
Il faut le rappeler, au moment où le souvenir de ces dérèglements commence à s'estomper : l'inflation est parfois une facilité, elle n'est jamais une solution. La hausse incontrôlée des prix pénalise l'épargne et le pouvoir d'achat, elle fausse les choix d'investissement, elle crée une incertitude préjudiciable au développement économique.
Bien avant même que la banque centrale ne se voie reconnaître une complète indépendance, la France avait rompu avec cette fuite en avant que représente l'inflation et qui nous imposait des dévaluations successives pour maintenir la compétitivité de nos produits. Nous avons su combattre l'inflation avec succès parce que les Français ont été eux-mêmes persuadés que l'inflation n'était qu'une illusion. C'est le plus grand succès, Monsieur le Gouverneur, de la banque centrale que d'avoir su faire partager à nos concitoyens cette vérité économique fondamentale.
Ce rôle de gardien de la monnaie prend tout son sens avec l'indépendance des banques centrales européennes qui a été confirmée par les nouveaux statuts de votre établissement entrés en vigueur le 1er janvier 1999. L'indépendance fonde la crédibilité de la Banque et donne l'assurance que son action s'exerce à long terme, dans le seul intérêt de ce bien commun que constitue la stabilité monétaire.
Mais dans mon esprit, et dans le vôtre aussi si j'ai bien compris, Monsieur le Gouverneur, l'indépendance de l'institut d'émission n'est que l'autre face d'une exigence permanente d'écoute et de dialogue. Je souhaite une Banque de France immergée dans la vie économique de notre pays, dans un dialogue constant avec les représentants des forces économiques, avec les syndicats, les citoyens et les autorités publiques, même s'il vous revient de prendre seul vos décisions.
Et je suis heureux que vous ayez choisi de centrer le colloque de demain sur le thème de l'indépendance et de la responsabilité des banques centrales. L'indépendance n'a, en effet, de sens que si elle est un moyen pour les banques de mieux assumer leurs responsabilités. Toute monnaie, ce fut votre dernière réflexion, Monsieur le Gouverneur, repose sur la confiance, et il n'y a pas de confiance sans un échange permanent avec ceux qui, par leur travail ou par leur initiative, font la force d'une économie. L'ouverture de la Banque de France est le gage le plus sûr de son succès, de son autorité aux yeux des marchés financiers et de son acceptation par les citoyens dans une société démocratique.
L'interpénétration croissante des économies et l'unification des marchés de capitaux crée par ailleurs une nouvelle forme de responsabilité pour tous ceux qui ont la charge des grands équilibres financiers. Pour cela, nous avons besoin d'intensifier nos coopérations. Je souhaite que les banques centrales puissent y réfléchir, avec tout le réalisme et toute l'ambition nécessaires.
Ce bicentenaire coïncide avec une Banque de France désormais intégrée à " l'eurosystème ".
L'introduction de l'euro est, pour chacun des onze pays qui y participent, un acte fort. C'est la poursuite naturelle du mouvement que nous avons amorcé avec le traité de Rome. Il était indispensable de compléter la création d'un grand marché unique des biens et des services par une union monétaire, écartant définitivement la pratique des dévaluations compétitives qui affectaient les échanges intra-européens.
Mais l'euro n'est pas seulement une réalisation économique. Il a une signification politique. Pour la première fois, nous changeons de monnaie en Europe non par la force, mais par la volonté commune des peuples. Cette révolution pacifique, d'une grande importance symbolique, nous donne une référence commune : l'Europe n'est plus une Babel monétaire.
Pour que l'euro soit la réussite que nous attendons, nous devons continuer à aller de l'avant. Beaucoup reste à faire, qu'il s'agisse de la conduite des politiques économiques ou des modalités pratiques de l'introduction de l'euro.
L'union monétaire nous apporte la croissance et un potentiel d'expansion qui commence tout juste à se révéler. Il est important que nous sachions faire vivre cette ambition : dès lors que notre politique monétaire est unifiée, nous devons aussi nous donner les moyens de mieux coordonner nos pratiques budgétaires, de renforcer nos instruments et nos procédures de décision économique. C'est une nécessité pour que l'Europe économique n'ait pas seulement une forme, à travers le marché unique, mais aussi un contenu.
L'euro nous convie à davantage de discipline, de transparence et de cohérence. La monnaie unique nous rend moins vulnérables à l'égard de l'évolution à court terme des grands équilibres commerciaux ou monétaires. Mais elle ne doit pas nous conduire à être moins vigilants. Ce serait la négation des efforts que nous avons entrepris depuis dix ans, en même temps qu'un manquement grave au règlement de copropriété de l'euro.
L'Europe peut encore progresser avec la réalisation des objectifs fixés par le pacte de stabilité et de croissance. La conjoncture est aujourd'hui exceptionnellement favorable. C'est le moment d'approfondir les réformes structurelles dont nos pays ont besoin, de réduire le poids des dépenses publiques, d'assurer l'avenir de nos retraites et de mettre en place une politique de formation ambitieuse qui permette à tous de profiter de l'amélioration de la situation du marché de l'emploi. Réussir ces changements n'est pas seulement nécessaire pour la stabilité de l'euro. C'est aussi le meilleur service que nous puissions nous rendre à nous-mêmes et le moyen le plus efficace de lutter contre les exclusions.
D'un point de vue pratique enfin, l'introduction des pièces et des billets libellés en euro constituera pour nos concitoyens le véritable acte de naissance de la monnaie unique.
C'est pour chacun de nous un rendez-vous décisif. L'enjeu est essentiel car il s'agit tout simplement de l'acceptation réelle de l'euro par nos concitoyens. La monnaie unique doit
être la monnaie de tous, elle ne doit pas introduire de fractures au détriment de ses utilisateurs les plus âgés ou les moins bien informés. Je sais pouvoir compter sur les agents
de la Banque centrale européenne et sur ceux de la Banque de France pour faciliter cette opération difficile et capitale. Mais le système bancaire public et privé devra également y
jouer un rôle majeur et offrir aux Français une transition monétaire de qualité et gratuite. De sa forte implication dépendra pour beaucoup le succès de l'introduction de l'euro.
Au-delà de l'horizon européen, nous devons également travailler au renforcement du système monétaire international. La stabilité financière est essentielle à la croissance de l'économie mondiale. Nous devons tout faire pour prévenir les crises, les traiter plus efficacement et en limiter les conséquences.
La crise financière qui, il y a deux ans, a durement frappé les économies d'Asie, a révélé la fragilité de notre système international. La communauté financière a su se mobiliser pour y faire face, avec rapidité et efficacité. Je rends hommage à tous ceux qui ont contribué à maîtriser cette crise et qui, pour certains, nous font aujourd'hui l'amitié de leur présence. Je suis heureux notamment de saluer les banquiers centraux, et particulièrement M. Greenspan, qui aura marqué de son empreinte une longue période de prospérité pour les Etats-Unis. Et j'adresse l'hommage le plus reconnaissant et le plus amical à Michel Camdessus pour la compétence, le sérieux et la générosité avec lesquels il s'est acquitté de ses fonctions, pendant 13 ans, à la tête du Fonds monétaire international, pour le plus grand honneur de notre pays.
Il serait néanmoins illusoire de penser que les risques d'instabilité sont définitivement écartés. Ne succombons pas à la tentation de complaisance à l'égard de la situation actuelle. La coopération financière internationale doit progresser, quelles que soient la multiplicité des acteurs ou la technicité des sujets.
Les chefs d'Etat et de Gouvernement du G7 réaffirment régulièrement leur volonté d'aller de l'avant. La France fait partie des pays qui souhaitent que cette volonté se traduise, le plus rapidement et le plus concrètement possible, par des actes. Nous avons encore beaucoup à faire pour répandre l'usage de normes prudentielles ou comptables qui soient adéquates, pour sécuriser le système bancaire de tous les pays, pour responsabiliser le secteur privé et mieux l'associer à la solution des crises.
Quelle que soit leur utilité, les forums et les lieux de discussion ne suffiront pas pour progresser sur l'ensemble de ces questions. Il faut une réelle volonté politique, qui garantisse l'engagement de chacun et l'union de la communauté internationale.
La France considère que le Fonds monétaire international a une fonction essentielle à remplir dans ce domaine. Ses interventions sont parfois critiquées : c'est la règle du jeu pour un organisme qui intervient dans l'urgence et qui doit souvent assumer un rôle de discipline difficile et ingrat. Il n'en reste pas moins que l'institution fonctionne très bien, qu'elle représente l'ensemble des pays du monde et qu'elle a su faire la preuve de son efficacité et de son utilité. Nous pouvons et nous devons améliorer son fonctionnement, notamment en renforçant l'implication des autorités politiques en son sein.
Aux côtés du Fonds monétaire international, le G7 joue un rôle clé. Ce n'est pas naturellement un directoire du monde. Mais il est évident que la communauté internationale a tout intérêt à ce que son rôle d'impulsion soit reconnu.
Parallèlement à ce travail sur l'architecture du système financier qui doit être approfondi, nous devons aussi combattre résolument le blanchiment de l'argent sale, la
délinquance financière et les trafics criminels. C'est un enjeu essentiel, aussi bien pour le fonctionnement des marchés de capitaux que pour celui de nos démocraties. Il n'est pas
normal qu'une part importante des flux financiers internationaux cheminent dans les conditions les plus opaques. Je souhaite que les divers travaux entrepris à l'initiative du
G7, notamment par le GAFI ou dans d'autres enceintes, sur le contrôle des centres off-shore, puissent progresser et que le projet de directive européenne sur le blanchiment des
capitaux aboutisse rapidement.
Monsieur le Gouverneur,
Mesdames et Messieurs,
Je sais la vigilance, l'attention et le sens de l'écoute avec lesquels le président de la Banque centrale européenne, son directoire et chacun des responsables de l' " eurosystème " s'attachent à définir une politique monétaire européenne orientée vers la stabilité des prix et donc en faveur de la croissance et de l'emploi. Ils peuvent compter sur la participation active des Etats de la zone euro, et en particulier sur celle de la France, pour mener une action économique responsable et pour doter l'Europe de tous les instruments nécessaires à la réalisation des objectifs qu'elle s'est fixée.
Assurer la permanence et la stabilité du cadre monétaire est une responsabilité particulière et lourde. Je sais, Monsieur le Gouverneur, que vous en avez pleinement conscience et que vous l'exercez avec toute la compétence et l'autorité que chacun vous reconnaît. Les Français peuvent compter sur la Banque de France et sur l'ensemble de ses personnels pour l'assumer pleinement. Je vous remercie. |