Champs-Élysées, Paris, le jeudi 9 novembre 2000
Monsieur le Chancelier de l'Ordre de la Libération, Monsieur le Maire de Paris, Mesdames et Messieurs les Elus, Compagnons de la Libération, Français Libres, Mesdames et Messieurs,
Le général de Gaulle a incarné la France. Pour tous les Français, c'est désormais une évidence, un sujet de fierté, un ferment d'unité. Charles de Gaulle appartient en effet à cette lignée de femmes et d'hommes si rares qui sont les lumières jamais éteintes de notre imaginaire collectif, de notre identité, de notre orgueil national. Bien sûr, nous sommes les enfants de nos parcours individuels, des événements de notre temps, des évolutions de nos sociétés, mais nous portons aussi en nous la mémoire des combats, des refus de ceux qui ont fait notre histoire, c'est-à-dire la mémoire de leurs rêves. C'est elle qui donne force et sens à notre ambition pour la France d'aujourd'hui.
C'est donc l'admiration, la reconnaissance, la fidélité, le sentiment d'un destin partagé qui nous réunissent autour de cette statue de Charles de Gaulle, en ce trentième anniversaire de sa disparition. Je suis heureux et ému d'apporter au Chef de la France Libre, au rebelle, à l'homme d'État, au fondateur de la Ve République, l'hommage fervent de notre patrie.
Trois décennies séparent 1940, année de l'Appel du 18 juin, et 1970, qui a vu s'éteindre Charles de Gaulle à Colombey-les-deux-Eglises. Trois décennies encore se sont écoulées depuis. Pourtant, parce que le temps qui passe n'est cruel que pour les figures médiocres, le général de Gaulle n'a cessé de grandir dans le souvenir des Français, comme en témoignent les trois mille ouvrages qui lui ont été consacrés de par le monde. Et ses compagnons, ses fidèles, ceux qui avaient répondu dès la première heure à son appel, ont vu sans surprise les querelles s'effacer, les passions s'apaiser, et le Chef de la France libre, dégagé des aléas du temps, prendre toute sa place dans la mémoire de nos compatriotes, référence, point d'ancrage.
C'est justice pour celui qui a su, au plus fort des épreuves, donner à un pays vaincu et humilié une voix, une volonté, une espérance. C'est justice pour celui qui a fait vibrer chaque lettre du beau mot "Résistance", pour celui qui fut l'âme de l'épopée où brillent les noms de Bir-Hakeim, Koufra, Garigliano. C'est justice, aussi, pour l'homme d'État passionné de France, porteur de l'idéal le plus exigeant : l'unité et le rayonnement de la nation. Chef du Gouvernement provisoire en 1946, il entreprit de reconstruire notre pays blessé. Rappelé au pouvoir à l'occasion de la crise algérienne, il sut rendre la paix civile à notre nation et la doter des institutions de la Ve République. Chef de l'État, il fut la France à l'extérieur de nos frontières, exprimant sa singularité, défendant son rang dans le monde, affirmant l'universalité de ses valeurs.
C'est pour tout cela qu'en ce trentième anniversaire de sa mort, les hommages se sont multipliés autour de sa personne et de son nom. Je pense aux nombreuses manifestations populaires qui ont honoré sa mémoire. Je pense à la réédition des oeuvres de Charles de Gaulle dans l'une de nos plus prestigieuses collections littéraires. Je pense surtout, Monsieur le Chancelier de l'ordre de la Libération, à l'ouverture, au sein de l'Hôtel des Invalides, du musée du général de Gaulle, de la France libre et de la France combattante, à laquelle la fondation que vous dirigez a apporté une contribution déterminante.
Toutefois, aucun monument public ne rappelait, jusqu'à aujourd'hui, le souvenir du général de Gaulle. Ainsi l'avaient souhaité ses proches, par un sentiment où la tristesse filiale se mêlait à la modestie et à une grande pudeur républicaine.
Je remercie la famille du général d'avoir permis que soixante ans après 1940, trente ans après le 9 novembre 1970, nous inaugurions cette statue. Elle est un hommage aux derniers combattants de la France libre. Elle est une réponse à la légitime curiosité des Français qui n'ont pas directement connu ces années. Elle est le signe visible de la place éminente de Charles de Gaulle dans notre mémoire nationale et dans notre vie politique.
Je remercie la Fondation des Français libres qui a pris à sa charge l'édification de l'ouvrage. Je remercie le Maire de Paris et les élus parisiens, qui ont voulu qu'il s'élève dans ce lieux prestigieux, sur l'avenue des Champs-Élysées, face à l'effigie de Clemenceau, que l'auteur des " Mémoires de guerre " nous dit avoir salué, le 26 août 1944, comme un messager de la victoire. Paris, l'une des cinq communes de France Compagnon de la Libération, conservera ainsi, à l'ombre tutélaire de ce monument, le souvenir des heures historiques où elle a retrouvé sa liberté.
M. CARDOT, à qui nous devons déjà la superbe statue de Winston Churchill, non loin d'ici, a brillamment remporté le concours lancé pour la réalisation de ce monument. Il a su créer une oeuvre rare, qui parvient à immortaliser un caractère en même temps qu'une attitude et qui est tout à la fois une représentation située dans le temps et un symbole.
Située dans le temps, parce qu'elle donne à voir un événement précis : le général de Gaulle descendant les Champs-Élysées et saluant les deux millions de Français venus fêter avec lui la libération de la capitale, le samedi 26 août 1944. Elle le montre dans la posture que lui-même décrit dans ses " Mémoires de guerre ", c'est-à-dire "ému et tranquille, au milieu de l'exaltation indicible de la foule ... élevant et abaissant les bras pour répondre aux acclamations", s'avançant au milieu de la marée humaine, s'avançant "comme un rêve qui se réalise", avec dans la démarche ce mélange singulier de naturel et de prestance, allant à pied, parce qu'il ne s'agissait pas d'effectuer une parade militaire, mais simplement de "rendre à lui-même, par l'évidence de sa liberté, un peuple...hier...écrasé par la défaite et dispersé par la servitude".
Statue-symbole, justement parce qu'elle nous montre le général de Gaulle en marche. C'est le Charles de Gaulle de l'offensive, l'adversaire de tous les immobilismes. Immobilisme militaire, avec les théories désuètes de la guerre de position qui nous ont conduits à la défaite en 1940. Immobilisme constitutionnel de la IVe République, réduite à l'impuissance par le régime des partis. Immobilisme politique d'une vie nationale en blanc et noir, marqué par les affrontements idéologiques. Immobilisme social de ceux qui, à droite ou à gauche, et pour des raisons opposées, étaient incapables d'imaginer de nouvelles relations entre le capital et le travail.
C'est le Charles de Gaulle volontaire, celui qui a si souvent choisi de prouver le mouvement en marchant, et d'aller de l'avant en créant l'événement. "Tout ce que j'ai pu réaliser dans ma vie, ç'a été en faisant comme si", confiait-il à ses proches. C'est, en un mot, le Charles de Gaulle qui voyait dans la politique une "ardeur qui se communique à l'Histoire". Je me réjouis que ce monument, loin de figer dans le bronze une figure du passé, redonne vie à un homme qui fut toujours tourné vers l'avenir.
Le gaullisme, au sens de politique, corps de doctrine mis en oeuvre par le général de Gaulle, fait déjà partie de notre histoire. Il n'empêche. Cet héritage aux multiples facettes est plus que jamais porteur de messages pour le présent.
L'héritage du gaullisme, c'est une certaine idée de la démocratie qui sous-tend nos institutions. Par trois fois, en 1945 quand il donna aux femmes le droit de vote, en 1958 quand il fit adopter la nouvelle Constitution, en 1962 quand il voulut que le Président de la République soit élu par tous les citoyens, c'est la confiance dans le peuple souverain qui a inspiré le fondateur de la Ve République. On le sait, nos institutions ont démontré leur solidité, leur équilibre, leur souplesse, leur capacité à assurer la paix civile et à adapter notre pays à son temps. Mais le plus important, ce qui les fonde, c'est le lien profond qu'elles instaurent entre le politique et le peuple. Maintenir ce lien, dialoguer directement avec le pays, était l'une des ambitions majeures du général de Gaulle.
La Constitution qu'il nous léguée a refondé la République. Jamais la place du suffrage universel dans la vie nationale n'a été mieux reconnue que depuis 1958. Nos institutions sont précieuses. Elles assurent la séparation des pouvoirs en même temps que leur efficacité. Elles sont indispensables à la démocratie. Elles protègent nos libertés.
Servir aujourd'hui l'idéal républicain, c'est défendre les institutions et notre acquis constitutionnel. Il ne faut pas, sous couvert d'idéologies partisanes ou de passions aveugles, se tromper de combat et de siècle. Il n'est de démocratie, de justice et de liberté que dans le respect de la République, dans le respect du droit, dans le respect de ceux qui sont chargés de dire le droit. Les Républicains de l'an 2000 sont naturellement du côté des institutions et non l'inverse, parce qu'ils les ont fondées, parce qu'ils les ont défendues et parce que, dans le travail sans cesse recommencé de la démocratie, ils les font vivre.
La démocratie exige le respect des institutions. Elle exige la tolérance et le respect de l'autre. Elle exige que des choix clairs soient soumis à la Nation pour préparer son avenir et répondre aux attentes des Français. C'est la responsabilité et le devoir de tous les démocrates. Aucun d'entre eux ne doit s'en laisser détourner.
Le message, aujourd'hui, c'est la nécessité de renouveler notre démocratie pour lui donner plus de force, plus de vitalité, plus d'exigence. Notre pays centralisé, et c'était indispensable quand il fallait reconstruire, a besoin que partout sur son territoire les énergies s'expriment, les décisions soient prises au plus près des attentes des Français, au plus près de leurs espoirs et de leurs désirs. Il faut que nos concitoyens, mieux écoutés, mieux associés, puissent choisir plus fréquemment ceux qui les représentent et puissent se prononcer, grâce à un usage plus ample du référendum, sur les grands choix qui concernent directement leur vie et celle de leurs enfants. Il faut que des pratiques politiques différentes, une architecture renouvelée de nos échelons locaux contribuent à ce resserrement du lien démocratique qui est au coeur de la tradition gaulliste. Il nous appartient de faire vivre la démocratie de demain, une démocratie de proximité, une démocratie de respect, d'attention et d'écoute, en un mot une démocratie de confiance.
L'héritage du général de Gaulle, c'est la volonté d'unité et le respect de l'autre. Appelé au pouvoir par les circonstances extrêmes de la guerre, il ne s'est jamais cru le porte-parole d'une doctrine ni le mandataire d'un parti : il n'a jamais consenti, quels que soient l'écart des opinions et la divergence des politiques, à se reconnaître des ennemis parmi les Français. La France qu'il a reconstruite était une France de concorde. L'union n'était pas seulement une réponse aux temps de crise, mais l'idée même qu'il se faisait de notre nation. C'est elle qui le portait à définir des objectifs ambitieux, contraignant le pays à dépasser ses divisions, et ainsi à se dépasser lui-même.
Le message, aujourd'hui, c'est d'avancer ensemble dans une France unie et diverse. La France du XXe siècle, à la recherche de ses racines, bruit volontiers de ses différences. Elle revendique parfois haut et fort ce qu'il lui arrivait d'oublier ou d'occulter naguère, ses coutumes, ses identités, ses langues. C'est une demande, un désir profond, qui doivent être entendus et pris en compte. Les nouvelles respirations démocratiques, la décentralisation enfin réalisée, les décisions prises à l'échelon local le permettront. Pour autant, n'oublions jamais que la France est une et indivisible, et que les principes qui fondent notre République ne sont pas négociables : l'autorité de l'État, l'égalité de tous devant la loi, la défense des libertés, la sécurité de chacun, le respect dû à chaque femme, à chaque homme, la tolérance, la laïcité. Fière et forte de sa diversité, la France n'est pas et ne sera jamais une mosaïque de communautés où les particularismes l'emporteraient sur l'intérêt général et l'unité nationale.
L'héritage du général de Gaulle, c'est la dimension sociale de l'action politique. Au-delà des grandes lois sociales, au-delà de la création de la Sécurité sociale qui participe de notre identité, il sut, avec la grande idée de la participation, modifier les perspectives, faire bouger les lignes les plus profondément tracées.
Là encore, le message, aujourd'hui, est celui de l'innovation et de la confiance. Les terres du vrai dialogue social, celui qui anticipe les problèmes avant qu'ils ne nourrissent les conflits, celui qui place chaque partenaire en position de responsabilité avec pour objectif le bien commun, ne sont pas assez défrichées. On le voit, les évolutions rapides de ces dernières années, -nouvelles formes d'activités qui induisent un rapport au travail et un rapport au temps inédits, nouveaux instruments, nouvelles technologies- ne s'accompagnent pas toujours d'évolutions similaires dans les relations sociales. Or, il y a beaucoup plus à imaginer, beaucoup plus à négocier que naguère. Plus encore que dans les Trente glorieuses, les lignes peuvent se déplacer dans l'intérêt de tous et d'abord dans l'intérêt de la France, de son rayonnement, de son expansion économique, si l'État fait confiance aux partenaires sociaux, principaux acteurs de la démocratie sociale. Le message du gaullisme, c'est la volonté de construire une France sans exclusion où chacun prend part à la décision, que ce soit dans l'entreprise ou dans la vie publique, où chacun est associé au travail, au savoir, à la propriété, à toutes les expressions de la citoyenneté, inséparables d'une grande démocratie moderne.
Enfin, l'héritage du général de Gaulle, c'est le rêve d'une France singulière mais résolument ouverte, ouverte à l'Europe, ouverte au monde.
Charles de Gaulle parvint, à force de volonté et de panache, à faire asseoir notre pays à la table des vainqueurs. Grâce à lui, la France devint un membre permanent du Conseil de sécurité, où elle peut faire entendre sa voix et défendre ses valeurs. Avec le chancelier Adenauer, il fut l'artisan passionné de la réconciliation franco-allemande, aussi actif pour jeter les bases de l'Europe que pour affirmer l'indépendance de notre nation à l'égard des deux super grands.
Aujourd'hui, en ce début de XXIe siècle, la France, fidèle à cet héritage, doit mener un triple combat.
Combat de la solidarité d'abord, parce qu'au temps de la mondialisation, des défis technologiques et des communications immédiates, les difficultés des plus vulnérables à l'intérieur de nos frontières comme dans le monde, sont plus inacceptables encore et les écarts se creusent entre ceux qui vivent déjà le futur et ceux qui, privés des ressources les plus élémentaires, n'ont pas accès aux biens immatériels de la société de l'information. Pour notre patrie, si liée notamment au continent africain, le devoir d'assistance et d'aide au développement est une obligation éthique autant que politique.
Combat de la liberté ensuite, parce que la France, terre des droits de l'Homme, ne peut rester inerte quand se déploient les forces du fanatisme et de la haine, quand la dignité humaine est bafouée, quand les libertés sont foulées au pied. A l'heure où s'affirme, toujours plus forte, la volonté démocratique des peuples, comme on vient de le voir en Serbie, nous avons un devoir de vigilance et de soutien actif au service des libertés.
Combat de la diversité, parce que nous croyons que la différence des civilisations, la vitalité des langues, le dialogue des cultures, sont porteurs de richesses, de dépassement, de création, et que rien ne serait pire qu'un univers standardisé, uniformisé où des communications appauvries seraient portées par un ersatz de langue-véhicule. Charles de Gaulle n'a cessé d'exhorter les peuples à être eux-mêmes, à faire vivre ce qui les distingue. Ce message de diversité culturelle est d'autant plus actuel que la menace d'uniformisation est plus grande.
C'est l'Europe, bien sûr, qui donnera à ces combats toute leur efficacité et tout leur sens. Nous en avons fortement conscience au moment où la France préside l'Union européenne. Au-delà de l'Europe économique, symbolisée par la monnaie unique, il y a une Europe de l'éducation et de la culture, une Europe du travail, une Europe politique à faire vivre, qui doit être capable, dans un monde multipolaire, de défendre les valeurs humanistes de notre continent. Là encore, Charles de Gaulle a montré la voie en donnant toute sa dimension à l'idée européenne. A nous d'élargir, de consolider, de prolonger le chemin.
Mesdames et Messieurs,
Un monument que l'on inaugure est parfois un tombeau qui se referme. Tel n'est pas le cas de cette statue du général de Gaulle, qui est tout à la fois un rappel et un appel. Rappel d'une épopée tout entière portée par l'amour passionné de la France. Rappel d'une vie naturellement vécue à la hauteur de l'histoire. Rappel des principes qui ont inspiré nos institutions, puis plusieurs décennies d'action politique à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières.
Mais plus fort que tout, ce qui restera du message du général, c'est l'Appel. Appel à la résistance, savoir dire non quand l'essentiel est en jeu. Appel à l'audace et à l'innovation. Appel à la solidarité et la fraternité sans lesquelles il n'est pas de destin partagé. Appel à tous les Français, pour que vivent, pour qu'avancent, pour que rayonnent la France et l'Europe.
Je vous remercie.
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