Palais de l'Élysée, le lundi 30 octobre 2000
Monsieur le Président, Madame,
En vous recevant ce soir, la France reçoit à nouveau la Russie à Paris, la Russie amie, la Russie de toujours. Votre pays, vous le savez, est cher au coeur du peuple français. Vous êtes arrivés ici par le Pont Alexandre III qui, depuis plus d'un siècle, symbolise magnifiquement, au centre de Paris, l'alliance franco-russe.
Aux deux extrémités de l'Europe, la Russie et la France n'ont cessé, au cours de l'Histoire, de jeter l'une sur l'autre un regard passionné, on peut le dire. D'Anne de Kiev, Reine de France, à Catherine II ; de Voltaire et Diderot à Tourgueniev et Tolstoï ; de l'épopée napoléonienne à l'alliance franco-russe ; de l'arrivée de milliers de réfugiés russes en France au combat commun de la Seconde Guerre mondiale ; de l'escadre Normandie-Niemen à l'envol commun de nos spationautes, les fils de nos histoires nationales n'ont jamais cessé de se croiser.
Que n'ont pas entrepris les Français en Russie ! Aux XVIIIe et XIXe siècles, ils ont dessiné les plans des capitales, ils ont élevé des cathédrales et fondu des statues, ils ont construit des voies ferrées et financé des ponts, ils ont partout accompagné l'essor économique de l'immense empire Russe.
Mais la contribution des Russes à l'histoire de France n'a rien à leur envier. Vous avez souhaité visiter, Monsieur le Président, le cimetière de Sainte-Geneviève des Bois : ce lieu de mémoire unique est là pour nous rappeler le destin étonnant de ces Russes qui ont choisi pour seconde patrie la France. Ils en avaient épousé la culture, tout en l'enrichissant de leur propre génie. Princes, hommes d'État ou simples soldats, écrivains et philosophes, peintres et musiciens, hommes de théâtre ou danseurs, tous ont apporté à la France leurs talents incomparables, sans jamais renoncer à leur identité. Ivan Bounine, prix Nobel de littérature, y repose non loin de Serge Lifar, d'André Tarkovski ou de l'héroïne de la Résistance Victoria Obolenskaia. L'héritage de ces femmes et de ces hommes restera en partage entre la France et la Russie.
L'histoire nous a légué un patrimoine commun d'une exceptionnelle richesse, des sensibilités voisines, une complicité permanente du coeur et de l'esprit. Un siècle nouveau commence. A nous d'écrire une page nouvelle des relations franco-russes. Les défis du monde d'aujourd'hui nous offrent autant d'occasion de joindre nos initiatives, d'approfondir notre coopération et de donner à notre amitié une vigueur renouvelée.
Cette proximité qui caractérise nos relations entre États doit rassembler plus largement nos deux sociétés et nos deux peuples. La diversité des personnalités ici présentes est là pour en témoigner. Dans cet esprit, nous avons décidé ensemble la création d'une instance franco-russe, rassemblant différentes figures du monde politique, économique, scientifique ou culturel. Ce groupe que je souhaite jeune, vivant, ouvert sur le monde, sera pour nos deux pays un espace nouveau de débats, d'échanges et d'innovation.
De multiples sujets peuvent nous réunir ou nous fournir des thèmes d'actions communes. Permettez-moi, Monsieur le Président, de n'en mentionner que les principaux.
Et tout d'abord le partage d'une même vision du monde fondée sur le rôle des Nations Unies, le respect de la Charte et du droit international. Nous avons le même souci de maintenir les conditions de la stabilité stratégique. Par là, nous entendons la préservation des alliances et des solidarités, la poursuite des efforts de désarmement et de non-prolifération et le maintien des instruments actuels de l'équilibre stratégique, au premier rang desquels figure le traité ABM. La Russie, comme la France, s'inscrit résolument dans un monde multipolaire. A Moscou comme à Paris, nous savons que la globalisation ne sera une chance pour les nouvelles générations que si elle concilie l'ouverture aux échanges et le respect des identités de chacun. C'est un combat que nous menons ensemble au sein du G8.
En Europe, la relation franco-russe reste irremplaçable pour l'équilibre de notre continent. Le général de Gaulle en était déjà persuadé à l'époque de la guerre froide. L'importance du partenariat entre nos deux pays s'affirme aujourd'hui avec encore plus de force alors que les divisions de l'Europe ont disparu. La reconstitution de la grande famille des États européens touche enfin à son terme. Depuis dix ans la Russie a repris sa place au coeur de la civilisation européenne. Ce matin, nous avons donné ensemble un nouvel élan à la coopération entre l'Union européenne et la Russie.
En dernière date, c'est le peuple serbe qui vient de nous donner une belle leçon d'espoir, en montrant la force de la démocratie. La France et la Russie aideront ensemble le Président Kostunica, pour que son pays retrouve toute sa place dans la communauté internationale, et en premier lieu au sein de la famille européenne à laquelle il appartient.
Vous avez engagé, Monsieur le Président, une série de réformes ambitieuses visant à moderniser l'État russe. La Russie nouvelle veut un État démocratique et efficace, exerçant pleinement ses responsabilités de contrôle et de régulation, respectueux de l'État de droit et des libertés. La France, vous le savez, est prête à partager son expérience avec la Russie dans ce domaine.
En matière économique et commerciale, nos relations sont denses et anciennes. Elles sont aussi prometteuses. Les entreprises françaises ont toujours marqué un fort intérêt pour le grand marché russe, non seulement pour y vendre leurs produits, mais aussi pour y développer de vraies stratégies de coopération avec des partenaires industriels dotés souvent d'une expérience de premier plan dans les technologies de pointe. À cet égard, je voudrais saluer les réformes structurelles ambitieuses décidées par votre Gouvernement pour favoriser l'initiative privée et pour stimuler l'investissement. La mise en place de ce cadre général, dont nous mesurons la complexité et qui justifie votre détermination, renforcera la confiance des entreprises françaises. Je pense notamment aux perspectives de coopération qui se dessinent dans les domaines de la haute technologie tels, notamment, que l'aéronautique, l'espace ou l'énergie.
Enfin, la culture et la science restent des domaines d'excellence des relations entre nos deux pays. Nos cultures, comme nos histoires, sont mêlées, elles se sont enrichies l'une de l'autre ; c'est un dialogue constant et original qui doit se développer entre les forces créatrices de nos deux pays. Les fêtes du tricentenaire de Petersbourg permettront de rappeler avec éclat la vitalité de ce lien culturel.
Le premier Président de la Russie, Boris Eltsine, a conduit votre pays sur la voie de la démocratie et de l'économie de marché. Je voudrais ici rendre hommage à son courage et à sa vision d'avenir. Il a engagé un mouvement irréversible. Cette modernisation, Monsieur le Président, vous avez souhaité la poursuivre avec détermination. C'est la tâche immense et passionnante d'une nouvelle génération d'hommes et de femmes. Elle suppose audace et volonté, je sais que vous n'en manquez pas. Elle suppose aussi l'écoute et le dialogue. Elle suppose enfin la négociation pour faire face aux problèmes que la force ne peut résoudre. Nous en avons parlé cet après-midi. Telle est la voie qui s'ouvre à vous. La Russie nouvelle sera l'oeuvre des Russes eux-mêmes, de leur ambition et de leur confiance dans un monde moderne. La France observe cette extraordinaire mutation avec espoir.
En 1773, Denis Diderot écrivait à Catherine II : "Je serais transporté de joie de voir ma nation unie avec la Russie, beaucoup de Russes à Paris et beaucoup de Français à Pétersbourg".
En partageant avec vous l'enthousiasme du philosophe, je souhaiterais maintenant lever mon verre, je le lève au Président Vladimir Vladimirovitch Poutine ; à vous, Madame, à qui je présente mes respectueux hommages ; à la solidarité entre nos deux pays ; au peuple russe et au peuple français, à leur amitié d'hier et d'aujourd'hui, à leurs oeuvres communes de demain.
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