Yaoundé, Cameroun, le vendredi 19 janvier 2001
Messieurs les Présidents, Messieurs les Chefs de délégation, Mesdames, Messieurs,
Nous avons eu d'intéressants échanges de vues sur les défis que soulève la mondialisation. Nous avons entendu un exposé particulièrement brillant du Président BOUTEFLIKA. Admiration pour l'ensemble de son analyse et de sa conclusion. Analyse de la sagesse, du réalisme mais aussi de l'ambition pour l'Afrique.
J'aborderai cette question dans le même état d'esprit que celui qui a inspiré la coopération engagée de longue date entre les pays africains et la France. En gardant la même méthode, celle de la concertation et du dialogue, le même objectif, celui de la paix, du développement, du respect de l'Homme et du progrès humain, la même détermination à oeuvrer, de part et d'autre, pour l'atteindre.
Répondre aux défis de la mondialisation, vouloir participer pleinement à cette globalisation des marchés porteuse de croissance nécessitent une volonté politique affirmée.
Il faut avancer, en même temps, sur plusieurs fronts pour créer cet environnement homogène qui lui est nécessaire et que le Président MOI évoquait ce matin. Il ne suffit pas de signer un accord de paix, de réussir une transition démocratique, de se lancer dans la réhabilitation des infrastructures, l'assainissement des finances publiques, l'intégration régionale, des programmes éducatifs ou de santé. Il faut y aller du même pas, de manière coordonnée, sans laisser de secteurs à la traîne. Dans les sociétés modernes, qui sont complexes, tout se tient et les maillons faibles d'un secteur mettent en péril les progrès des autres acteurs.
Donc, il faut qu'une vision globale s'impose, avec une stratégie adaptée, pour lever les obstacles qui ont été évoqués lors de nos débats.
Au-delà des actions à mener pour combler le "fossé numérique", que je dénonce depuis longtemps, quatre questions me paraissent être au coeur de la coopération que nous souhaitons de part et d'autre pour que l'Afrique soit davantage dans la mondialisation :
- comment éviter les crises et conflits armés, première cause de mise à l'écart des échanges et du développement ? - quelles actions s'imposent pour répondre aux défis économiques de la mondialisation ? - comment concilier la mondialisation et une diversité culturelle qui assure la cohésion des sociétés et permet le rayonnement des grandes cultures africaines ? - comment rendre compatible mondialisation et développement social sous l'un de ses aspects les plus importants, celui de la santé ?
I - Les conflits sont l'une des premières causes de la faiblesse de continent africain. Nous l'avions déjà souligné il y a quatre ans à Ouagadougou et il y a deux ans au Carrousel du Louvre. Malheureusement, le problème se pose encore.
Il y a eu, certes, des succès réels, tels l'accord de paix conclu à Alger le 12 décembre entre l'Érythrée et l'Éthiopie, qui a été un vrai progrès, attendu, espéré, mais qui paraissait difficile à atteindre, ou la renaissance d'un État somalien. Mais il y a aussi des conflits non réglés qui font, en particulier, que, sur les vingt-deux millions de réfugiés recensés dans le monde, six se trouvent en Afrique, et que plus de deux millions de ses enfants sont handicapés à vie par les mines antipersonnel.
L'Afrique doit mettre fin à des guerres qui apparaissent, dans notre monde d'aujourd'hui, d'un autre âge.
Le règlement des conflits incombe d'abord aux protagonistes auxquels nul ne peut se substituer. La paix ne peut pas être rétablie s'ils ne la veulent pas, c'est une évidence. Une fois acquise la cessation des hostilités, alors il revient à la communauté internationale d'accompagner les processus de réconciliation et de reconstruction. Quand les armes se sont tues, il faut que les populations puissent retrouver des conditions de vie normales : du travail, des soins, l'éducation pour leurs enfants, des raisons d'espérer pour l'avenir.
C'est pourquoi, la France s'attache à ce que les Nations Unies puissent donner la priorité au règlement des conflits en Afrique.
C'est à son initiative que les chefs d'État et de gouvernement du Conseil de sécurité ont adopté la résolution 1318 qui vise à accorder une attention particulière à la préservation de la paix et de la sécurité en Afrique.
La France soutient aussi les processus de règlements. En 2000, elle a apporté 250 MF au budget des opérations de maintien de la paix (OMP) mises en oeuvre par l'ONU. Avec une quote-part de 7,93%, elle est le quatrième contributeur, le deuxième parmi les membres permanents du Conseil de sécurité. Elle a appuyé l'action de la MINUSIL en Sierra Leone, la montée en puissance de la MINUEE, pour le règlement du conflit entre l'Éthiopie et l'Érythrée. Elle a d'ores et déjà participé à la formation de deux bataillons que le Maroc et le Sénégal fourniront à la MONUC, qui doit se déployer en République démocratique du Congo et, je l'espère, le plus vite possible, en même temps que pourront être mis en oeuvre les accords de Lusaka et le dialogue interne dans la République démocratique du Congo, si nécessaire, si indispensable.
Sur le plan diplomatique, elle s'emploie à dénoncer les occupations illégitimes de territoire, à faire obstacle aux trafics illicites, à mettre fin à l'octroi d'aides financières internationales pour financer un effort de guerre.
En même temps, la France continue de se consacrer au renforcement des capacités africaines de règlement des conflits. Elle le fait, en particulier, par la mise en oeuvre du programme RECAMP, qui apporte des appuis pour la formation, l'équipement et l'entraînement de modules de forces non-permanentes aptes à mener des opérations de maintien de la paix.
Notre action va au-delà des clivages linguistiques ou géographiques, elle est au service de toute l'Afrique. En témoigne le soutien que nous apportons à l'OUA et aux diverses organisations sous-régionales qui s'impliquent dans ce domaine.
II - Les défis économiques de la mondialisation exigent aussi des efforts partagés.
Les pays africains ont bien perçu l'intérêt que présentait l'intégration régionale pour mieux assurer leur insertion dans l'économie mondiale. C'est en quelque sorte un exercice préalable pour tous les acteurs économiques appelés à exercer leurs activités à une échelle plus grande, dans un cadre harmonisé.
La France les y encourage et s'attache à faciliter le succès de processus difficiles et complexes mais très prometteurs.
Elle apporte son appui aux institutions régionales. C'est à la création d'espace régionaux plus larges que s'attache à promouvoir la nouvelle convention ACP-UE, en recherchant la négociation d'accords de partenariat avec les organisations que les pays ACP eux-mêmes auront retenus comme le cadre régional le plus approprié.
Le principe d'une meilleure accessibilité des produits africains aux marchés des pays développés, en particulier sur le continent européen, est pour la France également un objectif permanent.
L'Union européenne reste le premier importateur mondial des produits en provenance du continent africain. Je rappelle que les produits industriels en provenance du continent africain sont admis en franchise de droits et sans quota sur le marché communautaire ainsi que les produits de la pêche et les textiles. Elle se propose de décider, pour les PMA, la même ouverture de ses frontières pour tous les produits agricoles, à deux ou trois exceptions près.
Il y a sans doute des normes techniques et sanitaires que le principe de précaution rend plus exigeantes. La France, comme l'Union européenne proposent de façon quasi systématique une assistance technique pour permettre de les respecter. C'est l'intérêt de l'Union européenne et l'intérêt des pays producteurs.
La France est persuadée qu'il faut faire davantage. Elle suggère que l'OMC se dote d'un "agenda africain", qui pourrait examiner, entre autres, les conditions d'un plus large accès au marché pour les principaux produits africains d'exportation, l'élaboration de règles permettant de mieux garantir la sécurité alimentaire, les conditions de mise en oeuvre de transferts de technologie appropriés ou, enfin, le droit d'accès aux médicaments les plus importants.
Lever les barrières commerciales ne suffit pas. Il faut surmonter aussi les contraintes financières, en apportant aux pays démunis les moyens financiers qui leur font défaut et en les libérant du fardeau de la dette. La France mène, comme vous le savez, un combat constant pour soutenir ces actions.
En ce qui concerne l'aide, j'évoquerai d'abord l'accord de Cotonou qui prévoit la mise à la disposition des pays ACP d'une enveloppe 9e FED de plus de 15 milliards d'euros. Avec les quelque 10 milliards de reliquats des FED antérieurs qui restent disponibles, c'est près de 25 milliards d'euros qui pourront leur être versés au cours des sept prochaines années.
La France a fait, comme je l'ai souhaité, un effort exceptionnel pour alimenter le FED. Elle en est le premier contributeur avec près de 25% du total des montants qui lui sont versés.
Au sein des institutions financières internationales, la France a joué un rôle de premier plan pour la mise en place, en 1986, des concours concessionnels du FMI. Elle est le deuxième contributeur, après le Japon, aux "Facilités d'ajustement structurel renforcé" et aux "Facilités pour la croissance et la réduction de la pauvreté". Elle participe naturellement aux reconstitutions de fonds de l'AID.
Elle maintient des crédits de coopération, qui la mettent au premier rang des bailleurs bilatéraux de l'Afrique et l'autorisent aussi à s'inquiéter de la baisse des flux d'aides publiques d'autres grands pays. C'est désormais dans le cadre d'un partenariat que sont définies les orientations et les modalités d'utilisation de ces appuis. J'approuve de ce point de vue l'initiative des Présidents MBEKI-OBASANJO-BOUTEFLIKA dans son principe. Mais je veux dire aussi que sans APD, il n'y aura pas de solution au démarrage et à la reprise des économies des pays africains. Si l'on veut réduire de moitié la pauvreté en quinze ans, il faut une croissance de 7% et, pour l'atteindre, il faut que les investissements soient égaux à 30% du PIB. Or, en Afrique, les ressources d'épargne ne dépassent pas 10% du PIB. Ce " trou " doit être comblé par l'APD. Ce n'est pas un remède permanent, mais un point de passage obligé, une exigence économique, morale, sociale. J'appelle les grands pays industrialisés à prendre leurs responsabilités.
Mais, que pourraient apporter ces nouveaux flux si le service de la dette continuait à exercer une ponction insupportable et paralysante sur les ressources des pays ?
L'initiative en faveur des pays pauvres très endettés, lancée, sur proposition de la France, lors du Sommet G7 de Lyon en 1996, a eu précisément pour objectif de briser cet enchaînement stérile. Et les fonds ainsi libérés doivent être employés pour réduire la pauvreté, avec un souci de solidarité, mais aussi pour permettre à des populations de sortir d'une situation identifiée comme une des causes du sous-développement.
Depuis lors le traitement de la dette ne se ramène plus seulement à un allègement du service, mais il inclut également une annulation du stock. L'autre innovation importante était que les institutions multilatérales devaient, pour la première fois, alléger également leurs créances.
Le dispositif initial a fait l'objet de différents aménagements successifs, tant pour aller plus loin dans l'allègement que pour assouplir les critères d'éligibilité.
La France a constamment plaidé pour plus de concessionnalité, plus de rapidité et plus de souplesse.
Au-delà même de l'initiative PPTE, elle s'est engagée, lorsque le point d'achèvement est atteint, à annuler toutes ses créances d'APD pour les pays éligibles, et à porter à 100% également l'annulation de ses créances commerciales éligibles traitées dans le cadre du Club de Paris.
Ainsi, au total, la France annulera plus de 10 milliards d'euros pour les pays PPTE africains, qui s'ajouteront au 9,8 milliards d'euros déjà annulés dans le cadre de dispositions antérieures.
J'accorde une attention particulière à une mise en oeuvre aussi rapide possible de l'initiative PPTE, et je pense qu'il faut aller plus loin.
Dans cet esprit, et dès aujourd'hui, le Gouvernement français et moi-même avons décidé que la France annulera en totalité, au lieu de 90%, ses créances commerciales traitées en Club de Paris pour les pays qui auront franchi le point de décision. Cela fait 500 millions d'euros supplémentaires qui seront annulés plus tôt.
Cette mesure d'annulation bénéficie immédiatement à 19 pays, dont 15 sont africains, qui ont déjà franchi le point de décision. Elle répond à l'esprit de l'initiative prise au profit des pays pauvres très endettés, qui est de donner la priorité à la lutte contre la pauvreté.
III - La mondialisation pose la question de la diversité culturelle. L'Afrique entend préserver sa vitalité culturelle et mieux la faire connaître dans le monde. Nous la comprenons et la soutenons dans cette démarche qui est aussi la nôtre.
Face à la vague déferlante des moyens de communication de masse qui inondent notre planète de produits standards, la France croit fondamentalement à la diversité culturelle. Elle mène, à cet égard au sein de l'Union européenne et dans le cadre de l'OMC, une action résolue pour que les biens culturels ne soient pas seulement des produits marchands et bénéficient de règles spécifiques.
La France mène en même temps une politique active pour le rayonnement des cultures africaines. Le "musée des arts premiers" témoignera à Paris de leur force et de leur richesse. La France soutient par ailleurs les diverses expressions de la créativité africaine parmi lesquelles je me bornerai à citer le FESPACO de Ouagadougou, les Rencontres musicales de Yaoundé et les Rencontres photographiques de Bamako. Vous le savez bien, les médias français jouent un rôle important pour la diffusion dans le monde d'une "autre" image de l'Afrique, de sa culture et en particulier de ses musiques.
IV - Parmi tous les sujets que nous avons abordés concernant la mondialisation et le développement social, je voudrais évoquer de manière particulière ceux concernant la santé.
Les chiffres concernant le Sida sont alarmants, dramatiques. Selon le dernier rapport annuel d'ONUSIDA, on compte déjà 21,8 millions de victimes dans le monde. Cette année 5,3 millions de personnes ont été contaminées, dont les deux tiers en Afrique. Encore plus alarmant, sur les 13 millions d'orphelins du Sida estimés fin 2000, 95% vivent en Afrique subsaharienne.
La France est totalement engagée dans la lutte contre cette pandémie et a souhaité réduire l'écart inacceptable entre le nord et le sud pour l'accès aux traitements. Le Fonds de solidarité thérapeutique international contre le Sida, initiative française dont nous avions évoqué le projet lors du Sommet du Louvre et que j'avais lancée lors du sommet d'Abidjan, soutient des programmes d'accès aux anti-rétroviraux en Afrique du Sud, en Côte d'Ivoire, au Maroc et au Sénégal en coopération avec les programmes nationaux de lutte contre le Sida de ces pays, avec ONUSIDA et l'industrie pharmaceutique. D'autres programmes seront entrepris ailleurs cette année. Tout le problème est de trouver les structures de coopération efficaces sur le plan local.
Toujours dans le souci d'accélérer l'accès aux soins des malades des pays du sud, la France a pris l'initiative, soutenue par le G8, de proposer la tenue d'une réunion internationale sur l'accès aux soins de l'infection du VIH/Sida pour les malades des pays du sud. Cette conférence, à laquelle elle travaille en étroite collaboration avec l'OMS et l'ONUSIDA et qui devrait avoir lieu les 30 novembre et 1er décembre prochains, réunira des représentants des gouvernements de pays donateurs, de pays bénéficiaires, de l'industrie pharmaceutique et du milieu associatif.
D'autres maladies exigent aussi une attention particulière, la tuberculose qui nécessite des prises en charge correctes, afin de réduire le risque de résistance du bacille de Koch ; le paludisme, deuxième cause de mortalité en Afrique, après le Sida, avec 2,5 millions de décès. À ce titre, la France a toujours appuyé une approche globale intégrée associant prévention et soins dans de nombreux pays africains dans le cadre de leurs programmes nationaux. Elle a décidé, en 1999, d'apporter son soutien à l'initiative "Faire reculer le paludisme", lancée en 1998 par l'OMS, en accentuant ses efforts dans sept pays du Sahel.
La lutte contre ces maladies passe naturellement par le renforcement des systèmes de santé. La France y consacre plus de 10% de son aide publique au développement, avec pour objectif d'assurer la qualité des soins et d'en permettre l'accès aux plus démunis.
Voici donc des éléments qui illustrent l'engagement de mon pays pour une insertion réussie de l'Afrique dans le phénomène de mondialisation. J'aurais pu évoquer d'autres domaines où la France intervient : par exemple l'éducation, la recherche, l'eau, les communications. Si j'ai limité mon propos, c'est afin de dégager du temps pour nous permettre de débattre.
Pour conclure, provisoirement : je suis convaincu que c'est en mobilisant ensemble nos énergies, nos projets, nos initiatives que nous pourrons atteindre ces objectifs qui, nos travaux l'ont bien montré, sont partagés par tous les responsables ici réunis. Le succès ne peut venir que d'une oeuvre collective, du dialogue et du respect mutuel, une action qui soit, au total, au service des hommes. Soyez assurés que la France continuera à y prendre toute sa part.
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