Riga, Lettonie, le vendredi 27 juillet 2001
Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs,
Je voudrais tout d'abord, Monsieur le Premier ministre, vous remercier chaleureusement pour l'organisation de ce déjeuner qui me permet de rencontrer nos communautés d'affaires. Je veux vous dire combien je suis heureux de venir, pour la première fois, dans cette région de l'Europe. C'est pour moi l'occasion de rendre hommage au courage et à la volonté de peuples qui ont durement reconquis leur liberté et qui, en l'espace de seulement une dizaine d'années, ont su refonder leur économie et leurs sociétés et surmonter les handicaps de l'histoire.
Ma visite, j'ai bien évidemment souhaité la placer sous le signe du prochain élargissement de l'Union. C'est la grande affaire des Lettons et de ceux qui, avec vous, vont rejoindre l'Europe. Et c'est aussi un rendez-vous essentiel pour les États déjà membres de l'Union.
Oui, bientôt, la Lettonie, grâce aux réformes entreprises et aux efforts que les Lettons ont consentis et que vous avez tout à l'heure rappelés, Monsieur le Premier ministre, la Lettonie entrera dans l'Union. Le dernier rapport de la Commission européenne vous est très favorable. Le moment est donc proche où nous allons siéger côte à côte dans les institutions européennes.
Aussi, permettez-moi de vous dire comment la France voit l'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale, orientale, baltique et nordique.
Ma conviction est que cet élargissement va profiter à tous. Qu'il sera bénéfique bien sûr pour les pays candidats à l'adhésion, et notamment vous-mêmes et vos voisins baltes, mais aussi pour l'Union européenne. Voilà pourquoi la France a toujours soutenu l'élargissement, les engagements des pays membres à l'égard des candidats et le calendrier fixé. C'est un devoir moral pour les États de l'Union de vous accueillir. C'est aussi parce que l'Europe incarnait pour vous la liberté, la démocratie, la prospérité, la paix que vous avez reconquis si brillamment votre souveraineté. Nous allons ensemble bénéficier de ce surcroît de dynamisme que nous promet l'élargissement.
Notre impatience de nous retrouver a déjà occulté dans les mémoires l'état des économies et des sociétés à l'Est au lendemain de l'effondrement du bloc communiste. Il y a dix ans à peine, on constatait dans tous ces pays des chutes d'activité vertigineuses, une inflation dévastatrice, une totale désorganisation des échanges, des conditions d'existence pénibles pour l'ensemble de la population. Tout était à reconstruire et d'abord les bases d'une économie moderne. Nombreux étaient alors ceux qui pensaient qu'il faudrait plusieurs générations.
Dix ans après, la transition accomplie est une grande réussite. Le succès ne se mesure pas seulement à l'évolution du PIB, qui était largement artificiel dans les économies planifiées. Il se mesure surtout à la qualité du cadre institutionnel et économique mis progressivement en place dans les pays d'Europe centrale, orientale, baltique et nordique. L'enracinement d'un environnement juridique stable, la définition d'un cadre macro-économique adapté à l'économie moderne, la sagesse financière qui a prévalu, ont permis à beaucoup d'entre eux de trouver le chemin d'une croissance durable.
Tout cela n'a pu être obtenu qu'au prix d'une profonde restructuration de l'ensemble de l'appareil économique et industriel. Résultat : des secteurs entiers de l'économie des pays candidats les plus avancés connaissent aujourd'hui une croissance à deux chiffres qui, ramenée au nombre d'habitant, situe désormais les économies en transition d'Europe centrale, orientale et baltique en tête des économies émergentes dans le monde. C'est une performance qui, là encore, mérite d'être soulignée.
Le lien solide avec l'Europe, à travers la conclusion, dès l'effondrement du bloc soviétique, d'accords d'association avec l'Union, n'est pas étranger à cette réussite. Ils ont permis une libéralisation rapide du commerce et des investissements. Notre réunification économique a pu précéder notre réunification institutionnelle.
La libre circulation des personnes a permis aux habitants des pays candidats de se rendre sans visa dans les pays de l'Union, et vice versa. Plusieurs centaines de milliers d'actifs ont pu trouver des emplois en Europe de l'ouest au plus dur de la transition, tandis que de nombreux citoyens de l'Union s'expatriaient dans vos pays pour y travailler, investir, créer des entreprises, apporter leur savoir-faire.
En dix ans, les échanges commerciaux entre les pays candidats et l'Union européenne ont été multipliés par quatre, la part de l'Union dans leurs exportations passant de moins de 40% à près de 70% aujourd'hui, c'est-à-dire au niveau atteint entre les États membres. Cette réorientation majeure des flux d'échanges, en une si brève période, n'a pas d'équivalent dans l'histoire économique moderne. Elle démontre la formidable capacité de vos concitoyens et de vos entreprises à s'adapter. C'est ce dynamisme et cette capacité de mouvement qui ont permis une véritable explosion des investissements des entreprises européennes.
Ouverture au monde, essor du commerce, développement des investissements : cette évolution rappelle le décollage de pays comme l'Espagne ou le Portugal, au moment de leur adhésion à l'Union. Et inspire confiance pour l'avenir.
Avec les capitaux européens, sont arrivées aussi les nouvelles technologies et de nouvelles méthodes de gestion. Peu à peu, s'opère la nécessaire convergence des niveaux de vie sur l'ensemble du continent européen.
D'ores et déjà, cette transition bénéficie à l'Union et à ses membres. L'Europe centrale, orientale et baltique occupe désormais une place importante dans leurs échanges : plus de 12% de leurs exportations, juste derrière leurs relations commerciales avec les États-Unis. Voilà qui contribue à consolider l'économie européenne et à la rendre moins sensible aux perturbations économiques extérieures.
Au-delà des seuls aspects économiques, le processus d'adhésion a également conduit l'Union à être plus exigeante envers elle-même, à solidifier l'édifice européen, nous obligeant à simplifier notre processus de décision politique et à améliorer le fonctionnement de nos institutions. Les débats, très nourris, sur l'avenir de l'architecture européenne, et qui ont trouvé leur premier aboutissement à Nice l'an passé, sont autant de conséquences positives du processus d'élargissement.
Cette première phase de réunification économique, la France y prend toute sa part.
Malgré la progression exemplaire de ses échanges avec l'est du continent, multipliés par 5 en dix ans, ce qui en fait la progression la plus rapide pour un membre de l'Union, la France n'arrive qu'au 4e ou 5e rang des partenaires commerciaux, pour ne pas parler des seuls pays baltes et nordiques où notre présence n'est pas, et de loin, de très loin, à un niveau satisfaisant.
Sans doute, l'absence de frontières directes entre mon pays et l'est de l'Europe explique-t-elle cette situation. Mais nos entreprises ne sont pas loin. De leurs bases avancées, en Allemagne notamment et dans les pays nordiques, elles desservent les marchés de l'est où elles sont de plus en plus nombreuses à s'engager et où la France arrive en tête des investisseurs. Elles ont fait résolument le pari de l'élargissement et de son succès.
En venant dans cette région, à l'invitation notamment de la Présidente, Mme VIKE-FREIBERGA, j'avais le souci d'accroître la présence de la France à vos côtés et aux côtés de vos voisins. Dans toute cette partie de l'Europe, et donc en Lettonie, les entreprises françaises ont pris du retard, beaucoup de retard. Il y a un gros déficit d'échanges et d'investissements entre nous, et je crois qu'il tient au fait que nous ne nous connaissons pas bien. C'est pourquoi je me réjouis de cette occasion de vous parler. De convaincre les entrepreneurs lettons de la qualité du partenariat français. Mais aussi de convaincre les entrepreneurs français de s'engager davantage sur des marchés qui sont extrêmement prometteurs, parmi les plus prometteurs du monde.
Déjà, l'an dernier, la visite à Paris de Mme VIKE-FREIBERGA, a donné une forte impulsion à nos relations d'affaires. Première manifestation d'ampleur de cet intérêt nouveau que nous nous portons : l'exposition "France Baltique Technologie". Elle a réuni à Riga, il y a deux mois, plus de cinquante entreprises françaises de haute technologie. Elles cherchent dans le nord de l'Europe de nouveaux points d'appui, solides, comme ici, à Riga qui va rapidement retrouver son statut historique de grande capitale européenne et de plaque tournante des échanges.
Je crois que nous avons bien lancé le mouvement et que nous devrions très vite atteindre, dans nos relations commerciales, un niveau digne de deux pays membres de l'Union européenne.
L'élargissement de l'Union va amplifier ce mouvement. Pour nos entreprises, pour nos emplois, quelle promesse que ce grand marché de 500 millions de personnes ! La suppression des frontières et des obstacles à l'échange entre 27 pays va renforcer l'Europe, premier marché du monde, et permettre de libérer des réserves de croissance grâce à une demande plus grande et une offre plus compétitive. C'est la grande chance de l'Europe de demain.
Pour cela, les pays candidats doivent poursuivre leurs réformes économiques et institutionnelles. C'est tout l'objet des négociations sur la reprise de l'acquis communautaire. Les discussions progressent bien. Ces pays doivent renforcer leurs efforts de stabilisation macroéconomique, car c'est la meilleure voie vers une croissance durable et une bonne intégration de nos économies.
Nos concitoyens ne mesurent pas toujours les enjeux de l'élargissement. L'élargissement apportera une contribution essentielle au développement de notre continent. L'importance des populations qui vont nous rejoindre et la haute qualité de formation dans les pays candidats, bien supérieure à celle des économies émergentes, seront des atouts essentiels pour la croissance européenne. Déjà, séduites par le haut niveau de qualification, de nombreuses entreprises européennes ont ouvert en particulier des laboratoires de recherche et de développement, comme ici, à Riga, le groupe franco-allemand Aventis.
Nous savons aussi que l'environnement et sa protection sont désormais une dimension essentielle de notre croissance, pour notre bien-être et pour celui des générations à venir. Dans ce domaine, les actions sont d'autant plus efficaces que leur espace d'application est vaste et la décision collégiale. On le voit pour la sécurité maritime par exemple ou pour la biodiversité.
Là encore, l'élargissement permettra des avancées majeures, en engageant tout l'espace européen, à travers notamment les normes communautaires, que vos pays s'attachent à reprendre en préalable à leur adhésion, et aussi à travers les programmes d'accompagnement PHARE, ISPA ou SAPARD dont bénéficient les pays candidats.
Exemplaire chez elle, l'Europe sera en meilleure position pour faire entendre sa voix et ses préoccupations au-delà de ses frontières dans les grandes enceintes internationales, comme elle le fait actuellement pour l'application du Protocole de Kyoto. Les pays d'Europe centrale, orientale, baltique et nordique ont directement souffert des coûts en termes d'environnement de l'industrialisation planifiée. Ils sont sensibles à cette question. Notamment la Lettonie et ses voisins, qui entretiennent un affectueux rapport ancestral à la nature.
Mais, si l'expérience montre que l'extension de l'Union nous a toujours été bénéfique, que nous ne devons rien craindre du processus historique de l'élargissement, celui-ci doit être correctement conduit. Pour qu'il réussisse, nous devons nous assurer du degré de préparation des candidats. Veiller à ce que leur compétitivité, dans le futur, ne se fonde pas sur un dumping fiscal ou social mais sur une force attractive propre, qui fasse la différence, une qualité d'invention ou de production reconnue.
Voilà, Monsieur le Premier ministre, Mesdames, Messieurs, la vision qui sous-tend l'action de la France en faveur de l'élargissement. L'idée qu'elle se fait de votre entrée et de celle des autres candidats à l'Union, perçue comme une chance nouvelle d'accroître considérablement l'activité, et donc la prospérité et l'emploi, dans tous nos pays, anciens et nouveaux membres.
Nous avons modifié nos règles pour mieux vous accueillir et assurer un meilleur fonctionnement de nos institutions. L'Union, l'an dernier, sous présidence française, a adopté le Traité de Nice qui nous fait progresser dans cette voie. Dès lors, l'Union de plus de vingt États va pouvoir fonctionner et renforcer encore sa position de première puissance économique mondiale.
Je suis optimiste. Quand je vois votre dynamisme, quand je vois les progrès considérables accomplis en une décennie dans la construction d'économies modernes et solides, quand je vois le talent de vos compatriotes, de vos voisins et des autres candidats les mieux placés pour rattraper, et à quel rythme, la distance qui les sépare de nous, quand je vois l'appétit de nos entreprises pour vos marchés, je me dis que l'élargissement ne peut pas ne pas réussir. Qu'il va renforcer l'Europe, conforter sa croissance, son niveau d'emploi, son progrès social, son modèle humain. Qu'il va servir son rayonnement, ses intérêts, ses préoccupations : une certaine idée du succès, avec toujours à l'horizon les valeurs humanistes qui fondent l'aventure européenne.
Monsieur le Premier ministre, Mesdames, Messieurs, je vous remercie.
QUESTION - Nous sommes tous témoins que la présence française, même dix ans après le recouvrement de l'indépendance, est relativement petite en ce qui concerne les investissements ainsi que la production. De 1992 à 1995, j'étais Président de la Chambre de Commerce franco-lettone et j'ai pu en être témoin.
Est-ce que vous pensez que la prochaine adhésion des trois pays baltes à l'OTAN, en 2002, nous croyons tous que ça sera le cas, est-ce que ça sera vraiment une possibilité pour l'entrée des entreprises françaises en Lettonie ?
LE PRÉSIDENT - Je crois que la chance pour les entreprises européennes et en particulier françaises, qui ont pris beaucoup de retard à venir en Lettonie, est fonction de l'entrée de la Lettonie dans l'Union européenne, pas dans l'OTAN.
Que la Lettonie soit dans l'OTAN ou non ne change rien sur le plan des investissements ou des échanges commerciaux. En revanche, ça change beaucoup pour sa sécurité et donc je voudrais répondre à votre question sur l'entrée de la Lettonie dans l'OTAN.
L'Alliance atlantique est engagée dans un processus d'élargissement qui correspond à l'évolution de notre continent. Et ce processus a vocation à se poursuivre, et les pays baltes ont vocation à s'intégrer dans ce processus. Les pays baltes ont choisi librement de vouloir intégrer l'OTAN, c'est leur choix, et c'est une aspiration légitime. La France le comprend et l'accueille favorablement. La France a toujours dit que chaque pays doit pouvoir décider souverainement du système d'alliance auquel il souhaite appartenir. Cela relève de la souveraineté de chaque pays et c'est un principe de droit international que personne ne peut contester.
Alors, ceci étant, l'élargissement de l'OTAN ne doit pas avoir pour effet de créer une nouvelle ligne de fracture en Europe, et donc les choses doivent se faire, je dirais, de façon amicale, ouverte, non agressive, diplomatique. Mais la France comprend parfaitement la volonté des pays baltes et, par conséquent, elle est tout à fait ouverte à cette solution.
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