Allocution du Président de la République devant le Haut conseil de la Francophonie réuni pour sa XVIIe session.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le Haut conseil de la Francophonie réuni pour sa XVIIe session.

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Palais de l'Élysée, le mercredi 30 mai 2001

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général de la Francophonie, mon cher Boutros, Monsieur le Secrétaire Général du Haut Conseil de la Francophonie, mon cher Stélio, Mesdames et Messieurs les Membres du Haut Conseil, Chers Amis,

Je suis heureux de vous souhaiter une nouvelle fois la bienvenue, pour la séance de clôture de votre session annuelle, ce rendez-vous amical autant que politique auquel nous attachons tous une certaine importance.

L'assemblée que nous formons, soudée par des années d'échange et de travail au service d'une cause commune qui nous est chère, s'attriste d'avoir perdu trois des siens. Le Président Charles HELOU et Roger GAILLARD nous ont hélas quitté voici quelques mois et nous venons d'apprendre le décès de notre ami Francis BEBEY, ce compositeur et poète qui savait si bien nous enchanter. Rendons-leur hommage aujourd'hui et consacrons nos travaux à leur mémoire.

Je pense aussi à ceux qui n'ont pu se joindre à nous pour des raisons de santé. Monsieur le Secrétaire général du Haut Conseil, je vous remercie d'être notre interprète auprès de Jacques RUFFIÉ et de Youssef CHAHINE pour leur faire part de nos regrets et, surtout, de nos voeux de prompt rétablissement.

Mes Cher Amis,

Depuis deux ans, vous travaillez sur le thème du dialogue des cultures, qui sera le fil conducteur du Sommet de Beyrouth. Vos réflexions, vos propositions, nous stimulent. Elles ont même suscité une certaine émulation entre institutions francophones, dont témoignent les rencontres organisées par le Secrétaire général de la Francophonie pour forger une alliance avec d'autres aires culturelles et linguistiques. De cette activité, de cette émulation, je voudrais vous féliciter et vous remercier.

J'ai pris connaissance avec grand intérêt des actes de la session de l'an dernier, qu'avait animée avec beaucoup de talent Roger LALLEMAND. Cette année, j'ai suivi de près les séminaires préparés par Catherine CLÉMENT sur les peuples premiers, par Slimane BENAISSA sur l'arabofrancophonie et par notre ami Henri LOPÈS sur la pluralité. Je serai heureux d'entendre Jacques-Yvan MORIN, votre rapporteur, qui nous fera part de vos discussions de ces deux derniers jours.

Cette activité institutionnelle, orchestrée avec dévouement par notre Secrétaire général, n'a pas été votre seule contribution à la francophonie. Pour ne citer que trois d'entre vous, je voudrais rendre hommage à Michel PLOURDE, pour l'ouvrage magistral qu'il a consacré au français au Québec, ainsi qu'à Werewere LIKING-GNEPO et Souleymane CISSÉ pour leur participation à la manifestation de Lille " Afrique en création ", remarquable exemple de dialogue des cultures, grâce auquel les Français ont pu admirer la force et la profondeur de la création africaine d'aujourd'hui.

À Beyrouth, nous définirons la stratégie de la francophonie pour le dialogue des cultures. L'an dernier, je vous avais fait part des raisons qui plaidaient pour un tel engagement. Je n'y reviendrai pas, mais je souhaiterais vous dire les quatre caractéristiques d'une telle stratégie, de mon point de vue : ouverture, modernité, audace et ambition.

Ouverture. La francophonie servira le dialogue des cultures si elle sait se mettre à l'écoute de l'ensemble des peuples qui la composent. La langue et la culture française rassemblent dans une même famille des cultures issues d'un très grand nombre de traditions du monde. La francophonie constitue ainsi le creuset idéal d'un échange où tous communiquent par une langue commune, où chacun s'enrichit de l'apport original de l'autre. C'est en organisant la symphonie de ses différences, pour reprendre une formule de Boutros BOUTROS-GHALI, que la francophonie fera vivre son patrimoine et l'ornera de nouveaux fleurons. Pour bien servir le dialogue des cultures, il faut aussi que notre mouvement s'ouvre au monde. Écartant la tentation de l'isolement, du repliement sur elle-même et ses valeurs, la francophonie doit être pour ses membres une clé d'accès à la mondialisation. Trop de pays en sont exclus. Je vois dans nos institutions un atout pour les aider à mieux se faire entendre partout où se joue l'avenir, à mieux comprendre aussi les enjeux et les règles de la nouvelle société internationale.

Modernité. La francophonie gagnera en s'appuyant sur les forces principales du monde contemporain. Depuis longtemps déjà, nous avons conscience que nous devons mettre à profit les nouvelles technologies de l'information et de la communication, qui sont par nature un atout pour la diversité culturelle. Sachons aussi nous appuyer davantage sur les nouveaux acteurs de la vie internationale. Les États demeurent au premier plan, mais ils coexistent avec d'autres, de plus en plus puissants, tels que les entreprises et surtout le mouvement associatif international. Il nous faut faire en sorte que l'on parle davantage notre langue dans les cercles d'affaires et dans les ONG. Il nous faut faire en sorte que l'on entende davantage les ONG francophones partout où s'élaborent aujourd'hui des normes mondiales et des programmes de coopération internationale.

Audace. Nous devons nous concevoir comme une coalition d'États décidés à faire valoir leurs vues et imposer leur solidarité. Membres des Nations Unies, nous devons y parler ensemble davantage, et d'abord à l'UNESCO, pour y faire adopter la déclaration sur la diversité culturelle. Présents sur les cinq continents, nous pouvons faire entendre notre voix dans toutes les organisations régionales. Membres des organisations économiques, commerciales et financières, nous devons veiller à mieux y coordonner nos efforts et nos prises de position.

Ambition enfin. Notre vocation n'est pas celle d'un lobby, qui défend des intérêts particuliers. Une telle façon d'être ne correspond pas à notre génie propre. Ce qui caractérise la francophonie, c'est l'universalisme et l'ambition humaniste, la volonté d'affirmer, dans un monde où dominent les considérations marchandes, la valeur et la place de l'homme, de l'éthique et de la solidarité. C'est ainsi que nous apportons au monde un message original, susceptible de retenir l'attention.

Mes Chers Amis,

Je voudrais vous dire aussi quelques mots de l'avenir. La plupart d'entre vous êtes membres de notre conseil depuis sa création. En 1996, je vous écrivais, pour vous proposer de continuer à le faire bénéficier de votre expérience et de vos propositions pendant cinq ans.

La Francophonie a connu depuis un véritable bouleversement institutionnel, qu'incarne avec tant de talent notre ami Boutros BOUTROS-GHALI. Elle a renforcé et réformé ses structures. Elle s'est affirmée, beaucoup grâce à lui, sur la scène internationale. Elle a développé son action politique, au service de la paix, de la démocratie et des droits de l'Homme. Bref, elle s'impose progressivement comme une de ces institutions dont le monde a besoin pour tempérer, maîtriser, civiliser la mondialisation.

À tout cela, vous avez contribué et je vous en suis très reconnaissant. J'ai demandé à M. Stélio FARANDJIS de récapituler quelques-unes des idées que prône notre Conseil, et qui sont devenues celles de la francophonie. C'est impressionnant. Pour vous épargner une liste exhaustive, je n'en citerai que quatre.

Créer une journée de la francophonie. C'est chose faite, et elle devient progressivement un des temps forts de notre mouvement.

Affirmer la dimension économique de la francophonie. Ce fut l'oeuvre du Sommet de Hanoi et de la réunion ministérielle de Monaco.

Organiser l'alliance des aires linguistiques mondiales et développer la francophonie en dehors de l'espace francophone. Le Secrétaire général en a fait à juste titre l'un des axes principaux de son action.

Faciliter enfin les échanges culturels et la circulation des étudiants, des artistes et des chercheurs dans l'espace francophone. Ce chantier est ouvert et la réunion des ministres de la Culture, à Cotonou en juin prochain, devra permettre de progresser encore, car c'est la volonté et le souhait de Madame le ministre de la Culture.

Mais une de vos réflexions me tient plus particulièrement à coeur, sans doute parce qu'elle est la plus difficile à mettre en oeuvre. Inlassablement, vous soulignez qu'il faut rapprocher la francophonie des peuples et notamment en développer la dimension festive. Poésie, festival des cultures francophones, les propositions ne manquent pas, mais se heurtent à une certaine inertie. Cette idée avancera pourtant, j'en suis convaincu, portée par la force de l'évidence. Je continuerai à l'appuyer. C'est ainsi que nos compatriotes, ces millions de femmes, d'hommes et d'enfants du monde entier, apprendront à aimer dans l'héritage francophone un ensemble de valeurs vivantes et une source d'épanouissement.

Alors que vient à expiration le mandat de la plupart d'entre vous, je me suis posé la question de l'avenir du Haut Conseil. La logique des réformes engagées depuis Cotonou, c'est le renforcement de la dimension internationale, multilatérale de notre mouvement, pour qu'il ne soit plus une institution portée pour l'essentiel par un ou deux pays, mais une force autonome dans le monde, conformément à sa vocation.

Il m'a semblé que l'Organisation internationale de la francophonie gagnerait à se doter d'un organe consultatif apte à structurer sa réflexion sur le monde et la francophonie, à la sortir des sentiers battus pour explorer des idées nouvelles. Pour reprendre une expression familière, je crois important de doter la francophonie d'un collège d'agitateurs d'idées capables de la conseiller et d'en stimuler l'activité. C'est ce que vous faites ici et la question se pose de savoir si, compte tenu des évolutions institutionnelles, cette action ne devrait pas bénéficier directement à l'Organisation internationale de la francophonie.

Après en avoir parlé à plusieurs d'entre vous, au Gouvernement, au Secrétaire général de la Francophonie, j'ai pensé que l'on pourrait envisager, lors du Sommet de Beyrouth et dans la suite du débat sur le dialogue des cultures, de placer auprès des instances de l'organisation un conseil consultatif.

Ce Conseil, qui succéderait en quelque sorte au HCF, en recevrait les moyens humains, financiers et matériels, qui seraient administrés par l'Agence. Il reviendrait au Secrétaire général d'en désigner les membres. Je ne doute pas qu'il le ferait en étroite concertation avec chacune et chacun d'entre vous. Je veillerai pour ma part, en tant que Président de la République française, à maintenir avec ces personnalités la qualité de rapports, faite de confiance, d'estime et de reconnaissance, qui caractérise et enrichit nos échanges.

Tel est le projet que l'on pourrait soumettre à nos partenaires à Beyrouth, comme contribution à l'édification de ce qui deviendrait alors en quelque sorte, de par la diversité de ses membres, un forum francophone où dialoguent les cultures. Mais je souhaitais vous en entretenir et vous consulter au préalable et recueillir vos vues sur ce projet.

Avant de donner la parole au Président ZINSOU, au Secrétaire général pour son rapport, puis à chacune et chacun d'entre vous, je voudrais vous remercier une nouvelle fois pour vos travaux, pour votre présence, pour votre action au service de la francophonie.

Le monde d'aujourd'hui est marqué par la prépondérance d'une langue et d'un système. Mais le monde de demain sera multipolaire et donc plurilingue, à mesure que s'affirmeront la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Europe et tant d'autres. Notre ambition, c'est de faire de la francophonie l'un de ces pôles, au service d'une civilisation mondiale fondée sur l'humanisme et la diversité des cultures. Telle est la conviction qui me porte. Telle est aussi, je crois, la vôtre et je vous en remercie.





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