Allocution du Président de la République lors du 82e congrès de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors du 82e congrès de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public.

Imprimer

Saint-Étienne, Loire, le jeudi 24 mai 2001

Monsieur le Président, Monsieur le Maire de Saint-Étienne, Madame la Présidente de Région, Monsieur le Président du Conseil général, Madame et Messieurs les Parlementaires nationaux et européens, Mesdames et Messieurs les Délégués, Mesdames, Messieurs,

Dans quelques années, la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public fêtera, je crois, Monsieur le Président, son centenaire. Cette longévité, exceptionnelle, rime avec vitalité mais aussi avec fidélité. Réunis pour la première fois à l'orée du siècle dernier à quelques kilomètres d'ici, vos prédécesseurs se sont en effet fédérés autour de principes auxquels vous êtes restés, si je vous ai bien compris, Monsieur le Président, très attachés. Primauté de la famille. Laïcité ouverte et généreuse. Indépendance. Participation.

Forte, vous l'avez dit, des 300 000 familles qu'elle représente, votre Fédération a toujours su accompagner l'école dans ses évolutions. Elle a su s'imposer, par la pertinence de ses analyses et aussi de ses propositions, comme un partenaire reconnu. Elle participe aujourd'hui activement au nécessaire débat sur l'avenir de l'éducation.

Aménagement des rythmes scolaires, meilleure orientation pour le choix des études, adaptation des méthodes et du contenu des enseignements aux évolutions du monde, lutte contre la violence à l'école, il n'est guère de thèmes, aujourd'hui comme hier, sur lesquels la PEEP n'ait eu à coeur de se prononcer après une réflexion intelligente et approfondie.

Aussi ai-je souhaité être parmi vous, Monsieur le Président, aujourd'hui, et vous dire ma reconnaissance pour votre engagement. C'est un engagement généreux, celui du bénévolat, et, comme tel, il mérite d'être salué. Mais c'est surtout un engagement important pour notre école et aussi pour notre démocratie.

Il est indispensable en effet que des parents d'élèves prennent du temps, comme vous le faites ici, pour se rencontrer, pour échanger leurs expériences et leurs interrogations, pour réfléchir ensemble à l'avenir de l'institution scolaire, pour dire ce qu'ils en attendent.

L'éducation engage l'avenir de la nation tout entière, c'est vrai. Elle mérite l'attention de tous. Au premier rang, bien sûr, la vôtre. Parce que vous êtes les premiers responsables, c'est vrai, de l'éducation de vos enfants. Parce que vous êtes les premiers adultes qui, par vos rôles de mères et de pères, transmettez les valeurs, les repères, la culture. Parce que vous êtes les premiers à faire grandir le sens de la vie en communauté, le sens du respect de l'autre, le sens du partage, le sens de la différence.

C'est la raison pour laquelle il est tellement important d'entendre votre voix dans nos grands débats de société.

Et c'est pourquoi je suis heureux de vous rencontrer aujourd'hui, ici, à Saint-Étienne, qui vous accueille, avec joie, je le sais, pour ce grand rassemblement.


Les jeunes formés dans nos écoles, lorsqu'ils ont mené à bien leur scolarité, impressionnent, c'est vrai, par leur qualification, leur savoir-faire et l'étendue de leurs connaissances. C'est la réalité. Les responsables économiques internationaux me le disent souvent. Notre système éducatif est regardé, parfois critiqué. Mais tous ici, nous savons qu'il est envié, en général, pour son efficacité globale, les savoirs et les compétences qu'il permet au plus grand nombre d'acquérir et qui justifie la décision d'investissement d'un grand nombre d'étrangers dans notre pays.

Si nous nous retournons un instant vers le demi-siècle passé, nous avons, c'est vrai, relevé un défi que je qualifierais d'historique. Celui d'avoir su ouvrir la voie des études à ceux qui n'étaient pas des " héritiers " et qui, jusque-là, n'y avaient pas accès. Celui d'avoir su accueillir le flot des enfants du " baby-boom " en parvenant à construire, certaines années, jusqu'à un collège par jour. Celui d'avoir, dans le même temps, multiplié par plus de douze la proportion de bacheliers dans une classe d'âge : 5% en 1950, plus de 60% aujourd'hui. Notre pays, les collectivités locales et territoriales, tous les Français ont participé à cet élan. Bel exemple de ce que peut la volonté politique dans notre République. Nous devons toujours nous en souvenir, avec un sentiment légitime de satisfaction et de fierté.

C'est pourquoi, avant toute chose, je souhaite, ici, devant vous et avec vous, exprimer ma profonde reconnaissance et, au-delà de ma personne, la reconnaissance du pays tout entier, aux enseignants et à tous les serviteurs de notre école.


Pourtant, et vous venez de le souligner, Monsieur le Président, avec beaucoup de précision et de clarté, malgré l'importance des moyens engagés, qui font, c'est vrai, de l'Éducation nationale le premier employeur et le premier budget de l'État, pourtant, vous l'avez dit, des signes de faiblesse sont hélas visibles. Un essoufflement en quelque sorte se fait jour. Les interrogations se multiplient, toujours plus fortes, sur l'avenir de notre l'école. Le doute est apparu sur sa capacité à assurer l'égalité des chances, pourtant inscrite au fronton même de notre République.

Au-delà des chiffres qui disent nos réussites, d'autres sont comme une blessure.

Pouvons-nous accepter, par exemple, que tant d'élèves ne maîtrisent pas l'écriture, le calcul ni même la lecture lors de leur entrée en sixième ? Que 60 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans aucune qualification au risque de rester sur le bord de la route ? Pouvons-nous tolérer, dans un autre domaine, que plus de 200 000 incidents, incivilités ou actes de violence, parfois très graves, soient recensés chaque trimestre dans l'enseignement secondaire ?

Autant d'avertissements qui nous commandent de regarder notre école en face, de la regarder avec affection, mais aussi avec lucidité, et avec courage.

Les questions qui se posent à nous sont simples et liées : quelle école voulons-nous aujourd'hui pour nos enfants ? De quelle école la nation aura-t-elle besoin demain ? Si les réponses divergent, les désirs souvent se rencontrent. Nous voulons tous une école juste, ouverte, qui transmette des valeurs autant que des connaissances, qui offre les meilleures conditions possibles pour apprendre et qui donne à chaque enfant un bagage pour la vie. Une école qui rende aussi notre pays plus fort dans la compétition internationale.

C'est dire que nous voulons l'école de l'équité et de la chance pour tous. L'école de la sérénité et des règles acceptées. L'école de la proximité et de l'efficacité.


Équité et chance pour tous. Vous connaissez peut-être la lettre si touchante qu'Albert Camus a écrite à son instituteur au lendemain de son prix Nobel. Il lui disait qu'après sa mère, sa première pensée avait été pour lui. Que sans son enseignement, sans son exemple, sans cette main affectueuse qu'il avait tendue à l'enfant pauvre que Camus était, rien ne serait arrivé.

L'histoire de Camus pourrait-elle se reproduire aujourd'hui avec la même évidence ? Oui, sans doute, mais ce n'est pas certain. Trop souvent en effet les jeux sont faits avant même que les cartes ne soient jouées. Milieu socialement et culturellement défavorisé, absence de repères, absence de modèles parentaux, difficulté à communiquer et " à mettre en mots ", difficultés conjuguées, il arrive que tout se rassemble pour que le très jeune élève parte d'emblée avec de mauvaises chances.

Vous le savez mieux que personne, les inégalités commencent très tôt parce que les enfants, tout simplement, n'ont pas les mêmes outils pour comprendre et pour apprendre. Il est essentiel que les futurs maîtres soient formés à déceler les difficultés de chacun, à repérer l'enfant trop calme qui, en réalité, est déjà en marge, à lui apporter l'enseignement spécifique dont il aura besoin. L'évaluation devrait être systématiquement pratiquée à chaque étape, plus en amont qu'on ne le fait aujourd'hui, non pour écarter, mais au contraire pour intégrer et rassembler. Il faut imaginer très tôt des dispositifs de soutien. Aucun élève ne doit pouvoir quitter le primaire sans une bonne maîtrise des savoirs fondamentaux. L'accepter, ce ne serait pas lui rendre service, ce serait faire bon marché de son avenir.

Parmi les apprentissages fondamentaux, il y a d'abord les langues qui sont, il faut le dire, un espace d'inégalités. Et notre langue, le français d'abord, qui est notre première patrie, notre respiration, l'expression même de notre génie. Je suis inquiet de voir la maîtrise du français régresser. Cela est lourd de conséquences. Nous devons absolument redonner à l'enseignement du français la priorité qu'il exige et qu'il mérite.

Nous devons aussi, puisque nous vivons désormais à l'heure de l'Europe, Madame la Députée européenne, mettre l'accent sur la connaissance des langues étrangères. C'est vrai, en la matière, de nombreux progrès ont été faits, mais, vous l'avez dit, beaucoup reste à inventer pour que le niveau des élèves ne dépende pas, en partie, de cours particuliers ou de séjours à l'étranger que, naturellement, tous ne peuvent s'offrir. Parler deux langues étrangères est un atout capital dans le monde d'aujourd'hui.

Il en va de même d'ailleurs, puisque je prends quelques exemples, de l'apprentissage des comportements écologiques trop souvent négligés, et qui pourtant doivent se faire dès le plus jeune âge, si on veut éviter les conséquences pour l'environnement que l'on observe dans nos sociétés aujourd'hui.

Autre nécessité, mais aussi autre source possible d'inégalité, l'accès aux nouveaux outils de la communication, le maire de Saint-Étienne en parlait ce matin dans son propos à l'hôtel de ville. Si tous les enfants témoignent de la même curiosité, de la même agilité face à l'informatique, il n'en demeure pas moins que l'école, maintenant bien équipée, tarde à intégrer ces nouveaux instruments dans ses pratiques pédagogiques. J'ai souvent évoqué le risque d'une fracture numérique, comme on dit aujourd'hui. Ce risque existe. Il faut le prévenir. Il s'agit de donner à chaque enfant la capacité de se mouvoir avec aisance et à bon escient dans la société de l'information.

Il y a certainement un bon usage et un mauvais usage de l'Internet, comme d'ailleurs de la télévision. Les outils de la société de l'information ne doivent pas être livrés sans mode d'emploi, sans guide, sans accompagnement éducatif, sans, en un mot, une éducation à l'image.


Enfin, le principal défi à l'équité, aujourd'hui, c'est celui de l'extrême diversité.

Différence des rythmes d'apprentissage. Différence d'âge au sein d'une même classe, qui peut aller jusqu'à trois ou quatre ans. Diversité des goûts, des aptitudes, des références culturelles. Diversité des environnements familiaux. C'est à cette réalité que l'école doit faire face tous les jours. C'est à cette réalité que le collège, en particulier, est quotidiennement confronté.

Offrir à tous une culture générale solide, un socle commun de connaissances et des références partagées, c'était la belle ambition, la très belle ambition du collège unique. Elle est plus actuelle que jamais.

Mais la noblesse de cet objectif, authentiquement humaniste et républicain, ne saurait signifier l'uniformité des parcours. Les parents le savent et les éducateurs aussi : chaque enfant a son rythme, ses goûts, ses aptitudes, ses capacités. Il faut les respecter.

Il ne s'agit pas, bien évidemment, d'instaurer je ne sais quelle ségrégation à travers des filières d'un autre âge. Il s'agit de reconnaître vraiment cette diversité. Il s'agit d'accompagner chaque enfant tout au long de son cursus par une meilleure évaluation de ses capacités, en l'aidant à préparer ses choix. Il s'agit de mieux prendre en compte les évolutions de notre monde, notamment du monde du travail, et pour cela nous donner les moyens de penser autrement l'enseignement.

L'excellence ne peut être que multiple. C'est une belle idée, mais c'est surtout une belle réalité. L'enseignement technologique et professionnel, loin d'être le parent pauvre du système, est déjà aujourd'hui le lieu des qualifications, des spécialisations dont notre pays a tant besoin. Et tout doit être fait pour qu'il ne soit jamais choisi par défaut, à la suite d'un échec. Il doit proposer des voies d'accomplissement, qui commencent avec les CAP et qui conduisent jusqu'aux écoles d'ingénieurs. Ce qu'il faut dessiner, c'est un arbre à plusieurs branches, avec, entre les branches, des passerelles pour qu'à tout moment il soit possible de prendre une autre direction. L'école est ce lieu privilégié où l'élève a le droit de se tromper. Ne serait-il pas injuste de lui refuser ce " droit à l'erreur " dans le choix de ses études ?

L'enseignement général classique est une voie. Les enseignements technologique et professionnel en sont d'autres, de même que les formations en alternance. Toutes ces voies sont égales en intérêt et en dignité. Elles sont toutes porteuses d'avenir. Elles doivent être choisies librement et délibérément.

Se pose, vous le savez, la question du moment de ce choix. J'ai la conviction que si la diversité des talents et des compétences est mieux reconnue, si, notamment, l'enseignement technologique et professionnel poursuit sa mutation, cette question trouvera naturellement sa réponse. Pourquoi alors ne pas permettre à des jeunes qui le souhaitent, en accord avec leurs parents et leurs professeurs, de s'engager dans ces voies en classe de troisième, voire dès la classe de quatrième, si ces choix assurent l'épanouissement de l'élève et lui donnent en réalité de meilleures chances ?

Ce qui est absolument inacceptable, c'est qu'à 16 ans, à l'âge où tout devrait être possible, où la vie s'ouvre devant soi, un jeune sorte du système éducatif, à 16 ans, sans bagage reconnu, amer, déçu, ne sachant, en réalité, pas où est son avenir.

Ce qui importe, c'est qu'au terme des nombreuses années qu'il passe à l'école, chaque jeune ait acquis une formation, une qualification qui lui permettent de trouver pleinement sa place, d'entrer dans le monde du travail, de s'adapter à des situations nouvelles. Et, à partir de là, d'acquérir, tout au long de sa vie, de nouvelles compétences, de nouveaux savoirs.

N'oublions pas en effet que la formation ne s'arrête plus aujourd'hui une fois franchi le seuil de l'école. Face aux changements technologiques, face à une évolution du marché du travail qui fait de la mobilité une nécessité, la formation tout au long de la vie est certainement l'une des " nouvelles frontières " les plus essentielles de notre système éducatif. Avec les partenaires sociaux, il nous faut trouver de nouvelles voies pour valoriser l'expérience professionnelle, pour valider des acquis et rendre plus facile le passage d'un emploi à l'autre. Une société moderne, dans un univers économique chaque jour plus ouvert, ne permet plus que toute une vie dépende des choix faits entre 15 et 20 ans. Pas plus qu'elle ne peut admettre ce terrible gâchis qui écarte du marché du travail ceux qui ont le plus d'expérience. Chacun, en démocratie, a droit à une nouvelle chance. Chacun doit se voir reconnaître un véritable droit à la formation tout au long de la vie. C'est la seule réponse possible à ce sentiment d'insécurité face à l'emploi qui naît de l'accélération du progrès technique et du risque accru de voir se périmer les compétences les plus solidement acquises.


L'école de l'équité doit être aussi l'école de la sérénité et des règles acceptées.

Le problème de la violence est à mes yeux l'un des plus graves parce que l'insécurité est la première des inégalités. Insécurité pour les professeurs et l'ensemble des personnels, comme pour les élèves. L'actualité nous le rappelle tristement avec une régularité implacable : dans trop d'établissements, l'un des plus beaux métiers du monde est devenu un métier à risques. Qu'un professeur hésite à tourner le dos à ses élèves pour écrire au tableau, qu'il soit violemment pris à partie par des adolescents qui ignorent les règles les plus élémentaires de la vie collective, ou que le silence en classe soit une conquête impossible, tout cela n'est pas acceptable. Pas plus qu'il n'est acceptable, et je vous rejoins pleinement sur ce point, Monsieur le Président, que l'on semble parfois se résigner à la circulation de la drogue à l'intérieur ou à l'extérieur des établissements, que des élèves soient agressés ou rackettés sur le chemin de l'école ou dans la cour de récréation, et que des parents en arrivent même à craindre de signaler ces faits.

Platon disait que lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves, lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus, au-dessus d'eux, l'autorité de rien ni de personne, c'est alors "en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie". La tyrannie qui nous menace n'est peut-être pas celle qu'annonçait Platon. Mais elle pourrait ressembler à celle qu'exercent aujourd'hui, dans certains quartiers, ces bandes qui obéissent à des codes qui ne sont pas ceux de notre République.

Bien sûr, l'école porte en elle les tensions de notre société. Bien sûr, elle est confrontée à des attentes nouvelles qui rendent sa mission plus difficile. On lui demande d'être une famille de substitution quand la famille démissionne. On lui demande de savoir écouter les détresses des élèves quand ils ne trouvent plus dans leur entourage des adultes responsables à qui se confier. On lui demande d'inculquer les règles de base de la vie sociale alors que, pour certains adolescents, elles sont devenues étrangères aux réalités qu'ils vivent chaque jour.

Pourtant, rien ne saurait légitimer la violence, le non respect de l'autre. Tous nos efforts resteront vains si nous ne parvenons pas, au préalable, à restaurer partout, de toute urgence, le climat calme et serein qui convient à nos classes. L'éradication de la violence scolaire doit être, comme le dit si nettement votre observatoire, une priorité absolue. Et nous n'y parviendrons que si nous savons allier un travail de prévention dès l'école primaire avec une stricte application du principe selon lequel toute transgression doit être suivie d'une sanction ou d'une réparation. C'est le seul principe possible.

La violence n'est pas une fatalité. J'ai réuni à bien des reprises des chefs d'établissement. Ils m'ont fait part de leurs expériences. Des expériences qui montrent que l'imagination, l'esprit d'équipe, l'engagement de tous peuvent faire reculer la violence. Ces expériences, il faut les faire mieux connaître afin que les responsables éducatifs puissent s'en inspirer. Les mesures qui ont fait la preuve de leur efficacité doivent être généralisées. Respect des règlements intérieurs, sanction immédiate, équipes éducatives et administratives soudées, mobilisation du personnel médico-social, partenariat avec les maires, la police, la justice et le monde associatif. Et bien sûr, avant tout, vous le savez bien, travail en commun avec les parents, sans lesquels rien n'est possible en matière éducative.

Quant aux cas les plus difficiles, et nous savons tous qu'ils existent, il faut y répondre en mettant en place des structures adaptées : classes-relais, en trop petit nombre aujourd'hui, mais aussi internats spécialisés. C'est la seule réponse possible face à des cas de délinquance caractérisée toujours plus nombreux et qui peuvent mettre en péril l'ensemble de la communauté scolaire. C'est ainsi que notre école redeviendra l'école de la sérénité.

Vous l'avez dit, Monsieur le Président, l'école n'est pas un espace public comme les autres. C'est ce lieu unique où une génération vient partager des valeurs, des règles, des repères. Il faut le préserver. C'est à l'école que l'égalité et le respect entre les sexes, entre les origines, entre les cultures s'apprennent et prennent tout leur sens. Elle peut libérer l'enfant des déterminismes qui le retiennent prisonnier. Elle doit être un espace neutre et laïc, un espace de rencontres et de paix. Un espace où les anathèmes, les intégrismes, les exclusions, les discriminations n'ont pas leur place. L'objectif et l'ambition de l'école doivent être de rassembler et non pas de séparer.

De même, il faut rappeler avec force cette vérité simple que l'école est avant tout un lieu d'apprentissage et un lieu de travail. C'est-à-dire qu'elle demande à chacun des élèves attention et effort personnel. Qu'elle demande aussi aux parents de savoir encourager la volonté et le goût d'apprendre. Pas plus qu'une aire de violence et de non-droit, elle ne peut être un simple terrain de jeux, un espace ludique. Le travail en est une valeur cardinale. La reconnaissance du mérite en est une autre. Parce que la vie est exigeante, notre école doit l'être aussi. Si elle y renonçait, elle ne remplirait plus sa mission au service des jeunes et de la société. Et ce sont les enfants issus des familles les plus modestes qui, naturellement, se trouveraient toujours plus lourdement pénalisés parce qu'ils n'auraient pas, eux, la possibilité d'être aidés à l'extérieur de l'école.

Ce sont des adultes responsables que les enfants et les adolescents veulent, en réalité, en face d'eux. Au fond d'eux-mêmes, ce qu'ils veulent, ce sont des professeurs qui puissent être des références. Professeur est un mot magnifique, qui dit le respect en même temps que la confiance. On ne peut réclamer le rétablissement de l'autorité et laisser quotidiennement écorner l'image publique de ceux qui doivent l'incarner.


École de l'équité, école de la sérénité retrouvée, l'école d'aujourd'hui doit aussi être celle de la proximité et de l'efficacité.

Beaucoup reste à faire, vous l'avez justement souligné, Monsieur le Président, pour améliorer la gestion du système éducatif. Cette gestion est encore trop lourde, elle manque beaucoup de souplesse, elle peut même parfois passer pour opaque et incompréhensible.

Des exemples, nous en avons tous à l'esprit. À l'ère de l'informatique en réseau, nous devrions pourtant être capables de ne plus laisser des classes des semaines entières sans professeur. De remplacer immédiatement des enseignants dont les congés sont, dans la plupart des cas, prévisibles. De ne pas faire attendre des mois le paiement d'heures supplémentaires ou de changements d'échelon.

Une école plus proche ce n'est pas une école qui romprait avec le caractère national du service public de l'éducation. Ce cadre national a fait sa force. Il est respectueux de la laïcité, du pluralisme et de la liberté de l'enseignement, autant de principes essentiels et d'ailleurs constitutionnels. Il a largement contribué à l'unité de notre pays. Il ne saurait être question naturellement de le remettre en cause.

Mais il faut aujourd'hui lui donner la respiration dont il a besoin. Mieux répondre à l'aspiration profonde de ses différents acteurs à plus de proximité, à plus de responsabilité.

Pour cela il faut que, là comme ailleurs, l'État remplisse mieux ses missions fondamentales : définition des principes et des objectifs de la politique éducative ; élaboration des programmes nationaux ; définition des cursus et des diplômes ; répartition des moyens entre les académies ; évaluation de l'efficacité du système.

Mais une fois fixé ce cadre, il faut résolument déconcentrer, et donner aux établissements eux-mêmes l'autonomie et les marges de manoeuvre qui leur font, aujourd'hui, défaut. Les établissements sont proches des élèves, proches des enseignants, proches des parents d'élèves, proches aussi des élus locaux et de tout l'environnement quotidien de l'école. Leurs responsables et les équipes pédagogiques qui les entourent sont, mieux que personne, aptes à porter un véritable projet éducatif qui tienne compte de toutes les données de l'environnement local. C'est au niveau de l'établissement que doivent être recherchées, chaque fois que cela est possible, les réponses aux problèmes qui se posent. C'est dans ce cadre, celui d'une communauté scolaire plus solidaire, que la voix des parents d'élèves doit être mieux écoutée et mieux entendue. C'est pourquoi il faut développer une politique de contrats avec les établissements et les académies. C'est pourquoi il faut aussi améliorer notre politique d'évaluation pour qu'elle puisse véritablement aider à repérer les bonnes façons de faire, améliorer les moins bonnes et faire progresser le système dans son ensemble.

La proximité, c'est également permettre aux acteurs locaux d'apporter à l'école leurs compétences et leur savoir-faire et de prendre, sur le terrain, toutes leurs responsabilités.

J'ai été frappé par les témoignages de chefs d'établissements situés dans des zones difficiles que je rencontre, qui enregistrent de vrais succès avec leurs élèves grâce à des équipes éducatives soudées et motivées et grâce aux liens qu'ils ont su tisser avec les parents, avec les municipalités, les associations ou encore les entreprises qui entourent leurs établissements.

J'ai observé ces dernières années les nombreuses initiatives des collectivités locales pour offrir un meilleur environnement à leurs écoles, notamment dans le domaine des activités périscolaires. On le voit bien notamment ici, à Saint-Étienne.

Ce que certains appellent "l'effet établissement", c'est précisément cette rencontre de l'imagination, de l'audace, du courage avec cet ancrage local qui mérite d'être encouragée.

Le monde associatif, les responsables économiques et bien entendu les collectivités locales, qui ont beaucoup fait, c'est vrai, pour la modernisation de notre école et auxquelles il faut rendre hommage, peuvent apporter encore plus qu'ils ne le font.

Les régions, par exemple, ont largement démontré leur savoir-faire dans le domaine de la formation professionnelle. Pourquoi ne pas rechercher avec elles de nouvelles synergies dans le domaine de l'enseignement professionnel ? Elles ont des réseaux, des partenaires et elles sont proches des bassins d'emplois. Leur implication permettrait d'ouvrir des perspectives supplémentaires aux jeunes.

Une fois encore, il ne s'agit pas de casser un cadre national auquel nous tenons tous mais de lui donner plus de proximité et plus de souplesse, à l'image d'ailleurs de ce que pratiquent dans la plupart de nos voisins européens.

Il s'agit simplement d'ouvrir de nouveaux dialogues avec tous les partenaires de l'école, par exemple pour aménager les rythmes scolaires ou offrir aux jeunes la possibilité de nouveaux apprentissages.

Le temps est venu de faire vraiment confiance à ceux qui sont sur le terrain. Je souhaite qu'on aille très loin dans cette direction.

Une école plus efficace enfin, c'est aussi une école qui sait mieux tirer partie de toutes les ressources de ceux qui la font vivre. Elle doit se donner les moyens de valoriser l'originalité et l'imagination de ses personnels. Chacun sait la haute idée que se font les enseignants de leur mission, la passion qui les anime. Écoutons-les.

Alors que près de la moitié du corps enseignant, touchée par la retraite, va être renouvelée, c'est un devoir national de leur offrir la meilleure formation possible, mieux adaptée aux réalités des classes d'aujourd'hui. C'est un devoir national de les accompagner dans l'exercice de leur métier, de prendre en compte la difficulté de certains postes, qui ne doivent plus être systématiquement réservés à ceux qui débutent, de valoriser enfin le mérite et l'engagement de chacun.


Monsieur le Président, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs,

Voilà les quelques réflexions que j'ai voulu partager avec vous, qui portez la préoccupation de l'avenir des enfants de France.

Je souhaite pour notre école une juste appréciation des réalités et une meilleure écoute des attentes nouvelles des familles. Un refus des conservatismes qui ont tant nui à notre système d'éducation et à notre pays. Mais surtout une ambition qui vaut que l'on se batte et qui doit mobiliser la nation tout entière : celle de ne laisser aucun enfant à l'écart d'une espérance ou d'un projet. Celle de donner à chacun sa chance, sa place. Celle de faire en sorte que l'école de la République soit pleinement ce qu'elle a vocation à être : le creuset de nos valeurs, un lieu qui éduque à la liberté, qui donne son plein sens à l'égalité et qui construise la fraternité.

Je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2007-02-26 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité