Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République devant les 23es assises du Centre national des professions de santé (Paris)

Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République devant les 23es assises du Centre national des professions de santé.

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Palais des congrès - Paris le jeudi 14 février 2002.


Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Je remercie le CNPS pour son invitation. J'ai été sensible et je suis heureux de pouvoir ainsi m'exprimer devant les représentants nationaux et régionaux de vos professions.

Pour être dynamique et entreprenante, toute société a besoin de protection. La sécurité est une condition essentielle du progrès. L'initiative et la liberté ne s'expriment pleinement que lorsqu'elles peuvent s'adosser à de fortes garanties.

Personne ne doit être laissé seul face aux grands risques de l'existence. C'est la raison pour laquelle le Préambule de notre Constitution assigne à la Nation l'objectif fondamental de garantir à tous la protection de la santé.

La santé est au coeur des préoccupations de nos concitoyens. Elle doit occuper la même place évidemment dans les préoccupations des pouvoirs publics.

Elle touche en effet à ce qu'il y a de plus profond en l'Homme. Soigner est le plus bel acte d'humanité. Il n'y a pas de société juste quand l'égalité devant les soins n'est pas assurée.

Mais la santé, c'est aussi une notion qui ne cesse de s'étendre au-delà des soins. Elle investit désormais les domaines du bien être et de la qualité de la vie. Chacun veut pouvoir gérer son "capital santé".

Avec les crises sanitaires successives, nous avons pris conscience que la santé était aussi un bien collectif qu'il nous faut protéger ensemble.

Aujourd'hui, la santé traverse, chacun le voit, une crise qui est à la fois paradoxale et profonde.

Notre système de santé, notre système de soins est bon. L'Organisation mondiale de la santé ne vient-elle pas de le classer au premier rang dans le monde ? Nos concitoyens sont profondément attachés à notre médecine à la française et à notre assurance-maladie. Il y a peu de domaines où un tel consensus existe dans notre pays.

Pourtant, comme vous venez de le dire, Monsieur le Président, des inquiétudes, de fortes inquiétudes se font jour. Au-delà des professions de santé, elles s'étendent, aujourd'hui, à l'ensemble des Français.

C'est une crise de confiance. C'est une demande de respect. C'est un appel au changement.

J'ai la conviction que nous pouvons sortir de cette crise mais à condition de le faire ensemble, c'est-à-dire avec tous les acteurs de notre système de santé.

Mais c'est une conviction fondée sur l'expérience.

Expérience des enjeux. Le système de médecine à la française doit être défendu. Son avenir ne peut être assuré sans réformes.

J'ai, chevillée au corps, la conviction qu'il faut sauvegarder notre modèle. Parce qu'il permet aux Français de bénéficier des meilleurs soins offerts par la science sans être arrêté par l'obstacle du coût. Parce qu'il leur permet aussi de choisir librement, et en confiance, les femmes et les hommes à qui leur santé et leur vie pourront être confiées.

Cette double garantie a survécu à toutes les crises, et elles furent nombreuses. Elle s'inscrit au premier rang des acquis de notre constitution sociale. Elle est au coeur de notre pacte républicain.

J'ai fait aussi l'expérience des difficultés.

En 1995, notre système de santé s'est trouvé, en quelque sorte, pris à la gorge. Le moment approchait où l'assurance-maladie aurait dû interrompre ses paiements. Dans des circonstances très dures pour l'économie de notre pays, je n'ai pas voulu que les cotisations des Français soient augmentées. Je n'ai pas voulu non plus que leurs remboursements, qui sont déjà plus faibles que dans d'autres grands pays, soient diminués. J'ai donc voulu une réforme de notre système de santé qui mettrait la qualité des soins au coeur de notre ambition.

Les objectifs étaient probablement justes, certaines des conséquences qui en furent tirées à l'époque ont été à l'origine d'un très grave malentendu.

J'en ai médité depuis longtemps les enseignements et c'est ce dont je veux vous parler aujourd'hui.

La première exigence qui s'impose aux responsables politiques est d'assurer à tous les Français un égal accès aux soins, avec un système de santé efficace mais aussi économe.

L'objectif, c'est la santé, c'est-à-dire le progrès médical, la prévention, la sécurité sanitaire, les soins. Et ce doit être aussi, naturellement, la reconnaissance et le respect qu'une société doit à celles et ceux qui font profession de soigner et de guérir, pour leur permettre d'accomplir leur vocation au service des malades.

J'ai entendu votre message, Monsieur le Président. La réforme ne sera possible que si vous la portez. Vous ne la porterez que si vous avez la conviction qu'elle sert la santé des Français. Vous demandez aux pouvoirs publics de vous faire confiance. Vous ne supportez pas d'être les boucs émissaires des déficits de l'assurance-maladie. Vous voulez sortir d'une spirale infernale où l'obsession de la dépense va de pair avec la hantise de la réforme. Vous voulez prouver que l'on peut moderniser notre système de santé par la qualité, l'engagement et le contrat. Vous voulez relever les défis de la médecine de demain.

Ces défis sont nombreux. Je voudrais les évoquer. J'en citerai quatre : la prévention, la disponibilité des soins, la recherche de l'excellence et la sauvegarde de l'assurance-maladie. * La France a besoin d'une grande politique de prévention. C'est un domaine essentiel dans lequel nous restons très en retard.

Le progrès des connaissances nous montre pourtant que bien des maladies, lourdement invalidantes et parfois fatales, pourraient être évitées ou traitées plus tôt. C'est vrai pour nombre de cancers, dont les facteurs externes sont aujourd'hui bien connus. C'est vrai aussi pour beaucoup d'affections cardio-vasculaires ou respiratoires. Or, nous avons là les principales causes de mortalité en France.

Grâce aux découvertes de la génétique et à la médecine prédictive, beaucoup d'entre nous pourront savoir s'ils ont des prédispositions pour certaines affections qui, des années avant la survenance éventuelle de la maladie, justifieraient d'infléchir nos comportements, notamment alimentaires. C'est un formidable espoir, à condition bien sûr d'en maîtriser la dimension éthique en s'interdisant tout diagnostic prédictif portant sur des maladies graves et incurables pour lesquelles aucune prévention n'est possible.

Beaucoup de nos compatriotes s'enorgueillissent de n'avoir jamais à consulter un médecin. C'est pour eux le signe d'une bonne et robuste santé. Mais c'est parfois ainsi que la maladie passe à travers les mailles du filet.

C'est pourquoi l'éducation à la santé doit être rendue obligatoire à l'école.

C'est pourquoi il faut ouvrir un droit à chaque Français à des bilans de santé réguliers, avec des investigations décidées en fonction des risques particuliers auxquels il peut être exposé.

Chacun doit pouvoir adapter son mode de vie pour prendre en compte les facteurs de risque qui lui sont propres et notamment ceux liés à ses antécédents familiaux. Le médecin de famille devra jouer un rôle central dans la mise en oeuvre de cette politique. Il est, en effet, le mieux placé pour aider son patient à prendre les bonnes décisions pour préserver et améliorer sa santé.

Alors que les principaux risques sanitaires sont clairement identifiés, les conséquences pour l'action n'en ont pas été tirées.

L'exemple du tabac est particulièrement tragique. 60 000 personnes décèdent chaque année prématurément à cause du tabac. Avec le développement du tabagisme chez les jeunes et chez les femmes, ce risque va, paraît-il, doubler dans les vingt ans qui viennent. Nous devons réagir face à cette situation. À bien des égards, elle s'apparente à une épidémie. Toute cigarette fumée, c'est onze minutes d'espérance de vie en moins. Cela vaut la réflexion.

De même, nous avions su nous mobiliser à partir du milieu des années 1980 pour lutter contre le sida. Mais avec les trithérapies, certains ont cru le danger moins réel. L'information et la prévention se sont gravement relâchées, comme si l'adaptation des comportements aux risques était définitivement acquise. Hélas ! Les contaminations sont reparties à la hausse, notamment chez les plus jeunes. Cette situation est intolérable. Il faut inlassablement le rappeler : on meurt toujours du sida.

Dans l'attente de nouveaux progrès de la recherche, il faut donc redoubler d'efforts pour la prévention.

Voici deux ans, j'ai signé à Paris la première charte mondiale contre le cancer. Une mobilisation internationale s'est engagée. Je proposerai à l'Europe prochainement de réunir l'ensemble de ses chercheurs et de ses cancérologues au sein d'une Agence européenne du cancer. Elle mettra en commun les efforts de tous pour éradiquer cette maladie qui touche hélas presque toutes les familles.

Pour l'ensemble des risques de santé, des programmes de prévention prioritaires doivent être mis en place et poursuivis dans la durée, sans relâchement.

Il faut aussi prendre en compte les menaces inhérentes à la pollution de notre environnement. Leur mesure scientifique n'a pas encore été tout à fait donnée, mais tout indique qu'elles représentent un danger croissant.

Après avoir bénéficié depuis un siècle des progrès extraordinaires de la santé, il y a aujourd'hui une forte crainte de voir la situation se dégrader à nouveau. Ce sont les personnes les plus fragiles, les enfants, les personnes âgées, qui sont les premières touchées. La recrudescence de certains cancers, des asthmes, des bronchiolites inquiète à juste titre.

Je sais quel sentiment de révolte éprouvent les médecins et tous les soignants quand ils interviennent trop tard pour soulager des souffrances qui n'auraient pas dû exister.

Dans ce domaine, aucune fatalité n'existe, il n'y a que de la résignation. Une volonté politique doit s'exprimer. Je souhaite que le Parlement adopte une grande loi de programmation pour la santé publique.

La prévention est en effet une responsabilité collective majeure.

L'assurance maladie doit prendre en compte le développement d'actes nouveaux liés à la prévention. Ils doivent être justement rémunérés car ils sont essentiels à l'équilibre de notre politique de santé.

En dépensant plus pour la prévention, on évitera de nombreuses maladies, et il est certain qu'ainsi l'État fera faire des économies à la Sécurité sociale. * L'urgence, c'est aussi la politique de l'offre de soins, pour garantir à tous les Français la disponibilité des soins.

Notre système de santé est confronté à un problème démographique sérieux.

Des besoins criants sont en train de naître sans qu'aucune réponse n'ait réellement commencé à leur être apportée. Pour certaines professions, comme celle des infirmières notamment dans certaines régions, en particulier rurales, on constate déjà des situations de pénurie. Il s'agit des premières conséquences de l'absence de politique de gestion prévisionnelle des effectifs soignants.

Si les flux actuels de formation se maintiennent, l'avenir de certaines disciplines essentielles pour la santé des Français s'annonce extrêmement sombre. C'est une menace pour la qualité des soins et pour l'égalité devant la santé.

Pour résoudre ce problème, il faut agir rapidement sans hésiter à inverser les approches immuablement suivies depuis des années. Les numerus clausus doivent être revus avec les représentants des professions de santé et des étudiants. L'installation ou la poursuite de l'activité dans les zones les plus délaissées doivent être fortement encouragées par des aides d'un niveau suffisant.

Il faut aussi donner des perspectives à l'hôpital et reprendre au plus vite le processus de sa modernisation au service des malades. L'hôpital doit être accessible à tous les Français.

Faute d'une véritable vision de son avenir, on en est arrivé aujourd'hui, dans beaucoup de services hospitaliers, à une situation d'embolie, pour ne pas dire de paralysie. La charge de travail imposée aux personnels soignants crée de fortes tensions dans son fonctionnement. Les conditions, pour une part, reconnaissons-le, improvisées, du passage aux 35 heures ajoutent encore à ces difficultés.

On doit au très grand dévouement des professionnels, pour ne pas dire à leur abnégation, d'avoir évité les situations extrêmes en préservant le service des malades du contrecoup de ces difficultés.

Les conflits sociaux se sont multipliés. L'investissement a été délaissé. À chaque négociation catégorielle, de nouveaux crédits ont été mobilisés, mais sans vue d'ensemble permettant au système hospitalier de retrouver son dynamisme.

Il faut donner à l'hôpital les moyens de fonctionner. Il faut une politique pour l'hôpital du XXIe siècle.

Abordons avec lucidité le problème de la présence hospitalière sur notre territoire national.

Les moyens de l'hôpital doivent évoluer en fonction des besoins des malades. L'activité au chevet du patient conservera toujours l'exigence qui la caractérise, c'est-à-dire une exigence de générosité, d'humanité et de service mobilisés au secours de la détresse. Mais elle se transforme en profondeur avec les progrès de la médecine et des techniques de soins.

Il ne s'agit plus désormais de reconduire à l'identique les ressources hospitalières mais de les répartir avec intelligence pour pouvoir incorporer de nouveaux progrès. Il faut donc concentrer l'effort sur deux priorités : la proximité et la performance.

La proximité pour les soins les plus simples, l'urgence, la convalescence et le repos.

La performance, quand elle implique un peu d'éloignement, pour les traitements et les interventions qui exigent des connaissances exceptionnelles, une expérience pointue ou des technologies rares et coûteuses.

Aujourd'hui, les séjours hospitaliers sont plus courts mais exigent des moyens plus importants. Des soins lourds peuvent être suivis tout en poursuivant une vie aussi normale que possible. Le confort des malades l'exige. C'est donc la répartition des soins entre l'hôpital et la ville qui doit être également revue, pour assurer une meilleure prise en charge de chaque patient.

Il faut aussi sortir du cloisonnement, encore trop important, entre l'hôpital public et les cliniques. Les réseaux ville-hôpital, les coopérations hospitalières public-privé, l'hospitalisation à domicile doivent être encouragées.

C'est aux agences régionales de l'hospitalisation, crées en 1996, d'assumer cette mission. Mais elles doivent le faire par le dialogue et par le contrat.

Cette politique doit s'appuyer sur le strict respect du principe d'égalité de traitement entre l'hôpital et les cliniques.

L'hôpital doit enfin bouger de l'intérieur et retrouver les moyens d'investir. Là aussi je souhaite qu'un grand programme national d'équipement en santé soit lancé. * Ce qu'il faut pour la santé, c'est aussi une politique de l'excellence.

Où est la politique de l'excellence, quand la recherche médicale est négligée ? Comment la France peut-elle espérer être encore dans la course quand la seule augmentation annuelle, je dis bien : l'augmentation annuelle, de l'institut de recherche médicale américain est supérieure au total du budget de l'INSERM ?

La recherche médicale doit redevenir la priorité qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être.

Il faut aussi, à l'instar de ce qu'ont fait nos voisins allemands par exemple, rattraper notre retard dans le domaine des biotechnologies, qui seront à l'origine des médicaments du futur.

Les entreprises de biotechnologie contribueront à la santé des Français en même temps qu'à la croissance économique. Nous devons instituer en faveur des "jeunes pousses" un régime fortement incitatif, une véritable zone franche sectorielle.

L'excellence, c'est aussi la qualité des soins.

Pour nos concitoyens, c'est un droit. Pour vous, c'est une exigence, une responsabilité et une discipline de chaque instant, de chaque acte. Et c'est le meilleur moyen de défendre l'assurance-maladie, en faisant en sorte que chaque euro dépensé soit réellement utile à la santé.

L'ambition du meilleur soin doit être au coeur des pratiques professionnelles, auxquelles devront désormais s'intégrer la formation continue, l'évaluation périodique et le respect des bonnes pratiques de soins.

La page des responsabilités et des sanctions collectives, dont les "lettres-clés flottantes" sont le dernier avatar, doit être, Monsieur le Président, vous l'avez dit, définitivement tournée. C'est la voie de la raison, c'est la voie de la restauration de la confiance.

Le chapitre de la responsabilité individuelle et de la recherche de l'excellence doit maintenant être écrit. Il ne peut l'être qu'avec tous les professionnels de santé dans le cadre d'une pratique conventionnelle profondément renouvelée.

C'est une voie exigeante. Mais c'est aujourd'hui la seule voie de l'efficacité. Ce n'est pas par la contrainte, mais par la qualité et la responsabilité, que l'on combattra les gaspillages, les examens redondants, les prescriptions exagérées ou les consultations inutilement répétées.

Les mécanismes de sanctions collectives, parce qu'ils sont aveugles, se sont avérés inefficaces pour la maîtrise des dépenses d'assurance-maladie.

Ce que l'on constate, c'est que leur mise en oeuvre s'est en réalité accompagnée d'une envolée des dépenses, qui ont constamment progressé à un rythme deux fois supérieur aux prévisions au cours des années récentes.

Cette politique a semé la discorde dans notre système de soins. La conséquence, c'est que l'essentiel des chantiers de réforme est aujourd'hui en panne.

Le vrai esprit de responsabilité, c'est de faire le choix de la qualité des soins et de l'excellence.

La condition du succès, je pense, c'est de mettre fin à la dégradation des conditions d'exercice.

L'une des causes principales de la situation que nous connaissons réside dans le fait que depuis des années les honoraires ont été, pour l'essentiel, gelés. Aujourd'hui, la valeur des actes, c'est vrai, n'est en adéquation ni avec le niveau de formation des professionnels de santé, ni avec l'évolution des soins, ni avec l'augmentation des charges des cabinets. Le résultat, c'est une dévalorisation des métiers de santé qui est évidemment un facteur de démoralisation.

Des inégalités injustifiées entre les professions se sont créées comme toujours en période de crise. Pour ne prendre qu'un exemple, pourquoi les frais de déplacement pour une visite devraient-ils être remboursés différemment selon qu'il s'agisse d'un médecin, d'une infirmière ou d'un kinésithérapeute ?

Face à cette situation, la solution passe par une véritable remise à niveau, pour chacune des professions de santé, dans un cadre conventionnel.

Si rien n'était fait rapidement, notre système de soins risquerait de basculer dans une spirale dévastatrice pour la santé et en fin de compte très coûteuse pour l'assurance-maladie, celle de la dépréciation et de la multiplication des actes.

Les nouvelles conventions devront donner des signes clairs, arrêter des objectifs précis, se fixer des échéances, conjuguer revalorisation progressive des conditions d'exercice et garanties d'amélioration de la qualité des soins.

Une autre cause de la dégradation des conditions d'exercice des professions de santé, c'est évidemment aujourd'hui l'insécurité. Face à elle, vous êtes souvent en première ligne.

Les professionnels de santé doivent être protégés de la montée de la violence, une violence aveugle qui prend pour cibles ceux-là mêmes qui ont pour mission de secourir, d'aider, de soulager tous les Français.

Et c'est vrai, il n'est pas acceptable qu'un médecin ou une infirmière prenne des risques physiques en acceptant une visite à domicile.

On ne peut pas se résoudre à ce que dans certaines cités les vitrines des pharmaciens soient remplacées par des murs en parpaings.

Il faut agir contre la délinquance en général. Il faut aussi imaginer des dispositifs spécifiques garantissant la sécurité des conditions d'exercice et des visites pour le corps médical et paramédical. * Enfin, il faut redonner à la France une politique d'assurance maladie dynamique. Je suis obligé d'insister aujourd'hui sur la gravité d'une situation qui voit l'assurance-maladie courir derrière l'augmentation de la consommation de soins sans jamais pouvoir la rattraper.

Tout concourt à ce que la santé prenne une place croissante dans notre société. C'est vrai dans tous les pays développés. Plus le niveau de vie d'un peuple est élevé, plus il consacre d'argent à sa santé.

Ce n'est donc pas l'augmentation des dépenses par elle-même qui doit être critiquée, car elle peut signifier de nouveaux progrès pour chacun d'entre nous. Mais, ce qui n'est pas acceptable, c'est que l'augmentation soit subie au lieu d'être voulue, qu'elle soit deux fois plus rapide que les prévisions votées chaque année par le Parlement et qu'elle n'ait jamais été précédée d'un débat public et démocratique sur les priorités de santé, et sur les modalités de prise en charge que les Françaises et les Français sont prêts à accepter.

Nous n'avons pas assez de visibilité, pas assez de perspective. L'opacité n'a pas cessé de s'accroître au fil des années depuis longtemps. Elle s'est encore aggravée à mesure que se multipliaient les prélèvements sur les crédits de santé pour le financement des 35 heures. C'est sans doute la raison pour laquelle une partie des partenaires sociaux s'est, hélas !, retirée de la gestion de la Sécurité sociale.

Le retournement actuel de la conjoncture économique est en train de faire apparaître, dans sa réalité, la situation de vulnérabilité dans laquelle nos comptes sociaux sont désormais plongés. Les vraies questions ne pourront plus longtemps être éludées.

En 1996 avait été préparée la mise en place d'une assurance-maladie universelle. Ce projet n'a pas encore vu le jour, mais une première étape utile a été franchie avec la couverture maladie universelle qui permet de garantir l'accès aux soins des Français à faible revenu.

Il faut aujourd'hui aller plus loin car si, avec la CMU, les ménages les plus démunis ont les moyens de s'assurer la même protection que les plus aisés, beaucoup de Français, qui sont loin de vivre dans l'aisance matérielle, ne sont pas convenablement couverts. Et c'est à cette catégorie centrale de la population qu'une garantie nouvelle doit être apportée. Je pense notamment aux retraités, aux salariés des petites entreprises, aux fonctionnaires à revenus modestes et à d'autres. Il faut les aider à prendre une bonne mutuelle ou une assurance complémentaire en créant un mécanisme incitatif sous forme de crédit d'impôt ou de déductibilité fiscale.

Il faut d'autre part préciser ce qui relève des choix politiques et ce qui relève de la gestion du risque par les partenaires sociaux.

Dans une démocratie, c'est au Parlement de fixer le cap. C'est à lui de définir la règle du jeu et les priorités. C'est à lui, au nom de la Nation, de décider que davantage de moyens seront consacrés à la prise en charge des soins, ou au contraire que des économies doivent être faites, mais alors en prenant toutes ses responsabilités, c'est-à-dire en précisant quelles économies et selon quelles modalités.

J'ai voulu que la Constitution soit modifiée pour permettre au Parlement de voter un objectif annuel de dépenses d'assurance-maladie. Je n'accepte pas aujourd'hui la forme de mépris dans laquelle les représentants de la Nation sont tenus dès lors que, depuis plusieurs années, leur vote est purement formel et, pour l'essentiel, dépourvu de la moindre conséquence. Cela n'est pas l'idée que je me fais de la démocratie.

L'esprit de la réforme de 1996, c'est que le Parlement doit se prononcer non pas en fonction des seuls critères budgétaires, mais pour répondre aux besoins des Français. C'est pour cela qu'il faut donner toute sa place à la conférence nationale de la santé, dont la mission est précisément d'évaluer ces besoins.

Fixer le cap, c'est arrêter aussi des objectifs de santé publique et dire qui, de l'État ou de la Sécurité sociale, doit les financer. Ce doit être la vocation de la loi de programmation de santé publique que j'ai évoquée tout à l'heure.

Dans ce cadre, la gestion de l'assurance-maladie par les partenaires sociaux reprendra tout son sens et la vie conventionnelle reprendra tout son rôle.

Depuis les années 1970, elle a été un formidable moteur de la modernisation de notre médecine à la française.

C'est à elle de fixer les obligations réciproques des caisses et des professionnels de santé.

Ce n'est pas en tuant dans l'oeuf tout projet de réforme proposé par les caisses d'assurance-maladie, ni en ne faisant appel à la vie conventionnelle que pour résoudre un conflit, que l'on engagera notre système de soins sur la voie de la modernisation.

Il faut faire confiance aux partenaires conventionnels. L'État doit leur garantir un espace de liberté et de responsabilité, il ne peut pas tout décider.

C'est à eux, et à eux seuls, de remettre à plat les conditions d'exercice des professions de santé.

C'est à eux, demain, de réfléchir aussi à la modernisation de l'architecture conventionnelle, notamment au moyen d'une convention interprofessionnelle qui serait négociée avec vous.

Le contrat doit être placé au coeur du fonctionnement de notre système de soins comme d'ailleurs de l'évolution sociale de notre société.

On ne responsabilise pas, on ne libère pas les énergies et l'esprit d'innovation sous la contrainte et dans le centralisme bureaucratique. Le contrat doit régler les relations entre l'État et les caisses d'assurance-maladie comme il règle les rapports entre celles-ci et les professions de santé.

Il doit reprendre toute sa place dans les relations entre les pouvoirs publics et l'industrie pharmaceutique. Il faut restaurer une politique contractuelle digne de ce nom. Notre industrie joue un rôle essentiel dans l'amélioration de la santé des Français. Elle a montré qu'elle était prête à s'adapter aux contraintes financières de l'assurance-maladie. Elle a besoin de visibilité pour l'avenir pour pouvoir innover.

C'est en mobilisant ainsi tous les partenaires de l'assurance-maladie que nous assurerons sa sauvegarde. J'en suis aujourd'hui convaincu. La médecine à la française est un modèle qui a fait ses preuves. C'est un modèle juste. Il est plus protecteur que tous les systèmes alternatifs. Plus protecteur que l'étatisation qui, partout, fait courir le risque du rationnement des soins et de la déresponsabilisation. Plus protecteur aussi que la privatisation, car la santé n'est pas une marchandise. Elle repose sur la solidarité entre tous les Français. Elle ne saurait faire l'objet d'une concurrence commerciale. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours été hostile à l'expérimentation de sécurités sociales d'entreprise. * * * Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Le renouveau de notre système de soins exigera une volonté politique et une forte mobilisation. Il exigera aussi de se fixer des principes clairs, compte tenu de l'expérience et fort de la réalité des choses observées aujourd'hui :

- faire de la prévention une priorité à l'égal des soins ;

- inscrire l'excellence au coeur de notre exigence ;

- assurer aux professionnels de santé des conditions d'exercice dignes.

Nous devons aussi faire le choix d'une méthode, celle du contrat, de la proximité et de la démocratie.

Le bon niveau de gestion pour la mise en oeuvre de la politique de santé, c'est, sans aucun doute, la région.

Il est temps de créer des agences régionales de santé en rapprochant les différentes structures existantes.

Les nouvelles agences devraient permettre de sortir du cloisonnement artificiel entre l'hôpital, la médecine de ville et le secteur médico-social pour un meilleur suivi de chaque patient. Elles auront vocation à développer les réseaux de soins et à participer à la diffusion des bonnes pratiques professionnelles. Elles pourront mettre en oeuvre les actions de prévention spécifiques à une région ou prendre les bonnes décisions pour assurer l'équilibre de la démographie des professions de santé.

Dans le fonctionnement de ces agences, il faudra faire toute sa place à la démocratie. C'est-à-dire, associer à leur gestion les élus régionaux, les représentants des professionnels de santé, les représentants des usagers. C'est l'une des conditions de l'efficacité et du renouveau.

Ce renouveau est nécessaire.

Avec le progrès scientifique, avec les contraintes économiques, avec l'évolution profonde des rapports entre patients et soignants, les repères traditionnels de notre système de soins ont été bousculés et peut-être même bouleversés.

Beaucoup d'entre vous, je le sais, se posent aujourd'hui des questions qui touchent à l'identité même de leur métier. Beaucoup d'entre vous se demandent si l'activité de soins n'est pas en train de devenir un service comme les autres, et le patient un client.

Pour ma part, je ne peux pas l'imaginer. Le professionnel de santé n'est pas, et ne sera jamais, un professionnel comme les autres. Il est celui que l'on va trouver quand on est désarmé face à la souffrance, à la maladie ou au désespoir. Techniques ou pas, ses actes sont d'abord des actes d'humanité et de solidarité. Le soin est le résultat d'une confiance réciproque. C'est d'ailleurs pour cela que le libre choix du professionnel de santé par le malade est tout à fait essentiel.

La crise actuelle du monde de la santé est une crise réelle, elle sera surmontée.

L'essentiel, c'est-à-dire la recherche permanente de l'intérêt du malade, n'est pas en cause. Notre modèle de santé est au coeur de notre pacte républicain. Nos concitoyens sont bien décidés à le défendre. Cela ne fait aucun doute. Pour chacun d'entre nous, la santé est évidemment la valeur de l'avenir.

C'est donc un message de respect, de confiance et d'ambition que je suis venu vous adresser aujourd'hui.

J'ai entendu votre appel, qui est d'abord une demande de juste reconnaissance. Je souhaite que tous ensemble, nous soyons au rendez-vous de la médecine de demain. C'est un grand espoir et une détermination.

Je vous remercie.





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