Johannesburg, Afrique du Sud, le lundi 2 septembre 2002
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
C'est pour moi une grande joie que de vous rencontrer dans cette bibliothèque du Lycée français de Johannesburg où nous allons passer ensemble un moment auquel j'attache beaucoup de prix. C'est en effet, pendant mon séjour ici, le seul moment qui m'aura permis de rencontrer celles et ceux qui agissent avec coeur, avec compétence, avec détermination, et souvent en prenant des risques, sur le terrain.
Toutes et tous, Sud-africains et Français, vous avez décidé de consacrer votre vie au service des autres, à la construction d'un monde meilleur. Comprenant et sentant mieux les besoins des jeunes, des moins jeunes, vous vous êtes consacrés à l'éradication de la pauvreté, qui frappe tant d'hommes, de femmes et d'enfants sur notre planète et de façon si injuste. Vous vous êtes consacrés à la lutte contre la maladie, vous vous êtes consacrés à l'enracinement de la démocratie, à la protection aussi de l'environnement. Et vous incarnez donc ces valeurs auxquelles le monde contemporain est trop souvent infidèle : l'humilité, la solidarité, la fraternité, le respect de l'autre. Et à une époque qui tend à donner la priorité à l'économie, vous rappelez que l'Homme doit demeurer au coeur de tout projet. Dans un monde qui se résigne trop aisément à la persistance de la grande pauvreté, vous portez le message du coeur, de l'altruisme et du dévouement.
Et avant que l'on commence le débat, je voudrais vous faire part de quelques convictions qui m'ont été inspirées par ce que j'ai vu et entendu dans le cadre de la préparation de cet important sommet de Johannesburg.
Nos modèles actuels nous ont menés, il faut bien le dire, dans une large mesure, dans l'impasse. Je ne suis naturellement pas contre la mondialisation : elle est le mouvement, elle est la vie, elle est l'évolution. Elle est porteuse de liberté, elle est porteuse de richesses accrues, elle est porteuse d'échanges plus importants entre les hommes. Et puis, surtout, elle est inéluctable, elle est le nouveau visage ou un nouveau visage de l'humanité.
Mais faute de garde-fous, faute de règles, la mondialisation conduit de façon accélérée à la destruction de la nature, c'est à dire de notre cadre de vie. Faute de solidarité, elle creuse les inégalités entre les hommes et elle laisse persister des misères, des souffrances qui sont intolérables et dont elle ne se préoccupe pas.
Il nous faut essayer d'inventer, c'était l'un des objets de cette réunion de Johannesburg, des modèles nouveaux. Des modèles plus économes en ressources naturelles, pour restaurer les équilibres écologiques. Des modèles plus soucieux de l'Homme et de ses droits, plus attentifs aux questions sociales, question comme l'égalité entre les femmes et les hommes, question de la protection des enfants, au respect des droits fondamentaux de ceux qui travaillent, au respect de l'accès aux soins médicaux.
Et dans cet effort, très lent, qui nous oblige à rompre avec bien des habitudes, nous avons besoin d'une forte mobilisation citoyenne, d'un engagement déterminé de ce que l'on appelle aujourd'hui la société civile. Les gouvernements ne le feront pas seuls, ils n'y arriveront pas. Les entreprises peuvent être incitées, elle ne sont pas suffisantes, c'est la société civile dont l'engagement, à condition qu'il soit reconnu et soutenu, peut apporter un élément important de réponse et surtout créer le mouvement.
En France, le combat pour la liberté et la démocratie a pris des générations. En Europe, en règle générale, en Europe occidentale de même, ce combat a été conduit par des femmes et des hommes décidés à lutter pied à pied contre toutes les formes d'oppression. De même, la conscience écologique naît peu à peu de l'engagement déterminé de personnalités grâce auxquelles le confort des habitudes est secoué et grâce auxquelles la prise de conscience petit à petit s'accomplit. SAINT-EXUPÉRY disait : "il n'y a pas de solution au problème mais il y a des forces qui se créent et qui conduisent aux solutions". Et ces forces, vous en êtes un élément tout à fait essentiel.
D'une certaine façon, cet esprit de justice et de liberté est proche de celui qui a inspiré le combat inlassable contre l'apartheid qui a rendu à l'Afrique du sud sa place et le respect de son peuple et aussi la dignité de son peuple.
Et ce combat, il faut maintenant le conduire à l'échelle planétaire, pour que pèse sur les acteurs de la vie internationale une plus forte exigence démocratique, sociale et environnementale.
Ma deuxième conviction, c'est qu'un nouveau chapitre s'est ouvert dans l'histoire de l'Afrique, un chapitre d'espoir et de succès après tant de siècles amers. C'est un chapitre qui s'est ouvert, je dirai, il y a un an ou un et demi.
Certes, l'Afrique, berceau de l'humanité, semble aujourd'hui cumuler les handicaps. Misère, maladie, guerres civiles, marginalisation dans les échanges mondiaux tout cela forme trop souvent le quotidien de l'Afrique. Et pourtant, après l'ère des indépendances, la démocratie s'installe peu à peu sur tout le continent.
Partout aussi, les processus de paix et de réconciliation sont engagés. Ils n'ont pas encore permis de surmonter tous les affrontements, souvent inutiles et coûteux à tous égards. Mais ils sont engagés.
Les Africains ont compris, je crois, qu'ils devaient prendre en main leur destinée. Et ils ont lancé le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, que l'on appelle le NEPAD, dont l'idée est venue d'ici, d'Afrique du sud, notamment du Président Thabo MBEKI et qui donne l'espoir d'un décollage économique du continent. L'Afrique du sud, dans ce domaine, je le répète, a été la première à dire au monde que l'assistance était une culture et un mode de relations dépassées et que c'était le partenariat qui devait aujourd'hui devenir la clé de la relation entre les peuples, entre les hommes, entre les continents. Et toute l'idée du NEPAD qui, je le répète, est né ici, a été de substituer la culture de partenariat à la culture d'assistance.
L'Afrique est riche. Elle est riche de ses ressources naturelles, qui ont été longtemps et souvent livrées au pillage et à l'économie de rente, mais qui demeurent un patrimoine précieux. Elle est riche de ses cultures, que le monde ne connaît pas suffisamment, mais qui rayonne de plus en plus et qu'elle doit honorer pour inventer sa propre vision de la modernité. Elle est riche surtout du courage de ses peuples, qui ont traversé les épreuves de l'histoire, qui ont été rudes, et qui les ont traversées la tête haute.
Mais l'Afrique a besoin de l'aide de la communauté internationale pour rompre les cercles vicieux de la misère et du sous-développement. C'est, je le répète, le sens du partenariat que nous avons conclu en juin dernier, à Kananaskis, entre le G8 et les représentants de l'Afrique, c'est-à-dire les Présidents de la République sud-africaine, du Sénégal, du Nigéria et de l'Algérie. Nous ne sommes plus là, je le répète et c'est capital, dans l'assistance, où l'un donne, et à partir du moment où il donne, il est tout à fait tenté de commander, et où l'autre reçoit, et donc est tenté d'obéir. Nous sommes dans une autre psychologie qui est celle de partenariats mutuellement responsables s'appuyant au service d'un bien commun et d'une même idée de l'homme.
La promesse des États africains, qu'est-ce que c'est ? C'est de s'engager pour la paix, pour la démocratie, la bonne gouvernance et pour le développement durable. La promesse des pays développés, c'est que tout État ainsi engagé dispose des ressources nécessaires pour financer son développement. Et vous êtes en quelque sorte les témoins, vous les ONG en particulier, les témoins de ce Pacte. Ce Pacte devra trouver son application prioritaire dans la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Et vous êtes trop familiers des ravages de ces maladies pour que j'en parle davantage. Mais ma conviction, c'est que l'humanité se rendrait coupable de non assistance à peuples en danger si elle n'agissait pas. Car, pas plus que le sous-développement, la maladie n'est une fatalité. Certainement pas.
De grands progrès ont été accomplis ces dernières années. Les prix des médicaments ont fortement baissé. L'Organisation mondiale du commerce commence à discuter des modalités selon lesquelles elles pourront être mises à la disposition des pays pauvres, les médicaments nécessaires dans les meilleurs délais. Ceux qui prétendaient qu'il était impossible de fournir des traitements aux pays les plus pauvres, aux populations les plus démunies voient désormais qu'ils avaient tort et que cet objectif est à portée de la main.
Les décisions politiques sont prises. Il faut maintenant qu'elles soient mises en oeuvre. Et je sais qu'on peut compter sur vos associations, qui travaillent au plus près des réalités, qui sont averties des conditions d'une action réussie, pour susciter de nouveaux projets. Et donc je tenais à vous dire ma reconnaissance au nom de l'humanité et mon estime, et vous encourager à vous battre, comme vous l'avez fait avec succès au cours de ces dernières années.
Je voulais simplement faire ces quelques mots d'introduction avant que vous puissiez vous-mêmes faire part de vos propres réflexions, de vos propres expériences.
Je vous remercie.
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