Séminaire "La nouvelle gouvernance mondiale pour le développement durable" : propos Introductifs.

La nouvelle gouvernance mondiale pour le développement durable : propos introductifs de M. Jacques Chirac, Président de la République, lors de la clôture du Séminaire de l'Institut du développement durable et des relations internationales.

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Palais de l'Elysée, le mardi 15 avril 2003

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

C'est pour moi un plaisir de vous accueillir cet après-midi à l'Élysée pour la séance de clôture de ce séminaire consacré à la gouvernance mondiale pour le développement durable.

Je remercie Mme Laurence TUBIANA, directrice générale du nouvel Institut du développement durable et des relations internationales, qui a mené à bien ce projet. Je vous remercie également, Mesdames et Messieurs, d'avoir bien voulu consacrer des heures précieuses à réfléchir et à dialoguer sur les défis de notre monde.

Vous venez de tous les horizons, de tous les continents. Je sais la contribution personnelle de chacun d'entre vous à une mondialisation plus humaine et plus solidaire. Je salue naturellement le Président ZEDILLO, qui a enraciné la démocratie dans son pays et la remis sur les rails du développement. Je pense à vous tous, chercheurs, responsables d'organisations internationales, chefs d'entreprises, défenseurs de l'environnement, des droits de l'homme, du développement.

J'apprécie la diversité de vos expériences et de vos opinions. La réussite de votre séminaire démontre qu'il est possible à la communauté internationale de dialoguer dans le respect de l'autre et de sa différence.


Dialogue crucial comme jamais. Au moment où l'humanité doit s'inventer une destinée commune, elle est confrontée à des questions d'une telle complexité qu'elle se demande comment elle pourra les résoudre et les surmonter. Nous faisons face à de grands défis.

Défi de la fracture entre un monde engagé dans le développement et des centaines de millions d'hommes marginalisés et prisonniers de la misère. Comment sortir les pays les plus pauvres des cercles vicieux du sous-développement, et réussir notamment le pari du NEPAD, cette entreprise de renaissance de l'Afrique engagée par les Africains eux-mêmes ?

Défi de nos modes de production, tellement consommateurs de ressources naturelles qu'ils excédent les capacités de régénération de notre planète. Comment inventer un développement qui permette à chacun d'accéder à l'épanouissement sans détruire la nature ?

Défi d'une époque où le rétrécissement de l'espace juxtapose des cultures qui peuvent se percevoir rivales, voire ennemies, risquant un choc de civilisation.

La responsabilité des Etats aujourd'hui est de résoudre ces contradictions pour que nos peuples prennent conscience des promesses de la mondialisation, et pour que se réalise son potentiel d'échanges et de liberté.


La France, vous le savez, s'est engagée dans la recherche d'une mondialisation humanisée et maîtrisée. Aussi serais-je très intéressé de partager vos réflexions sur quatre thèmes essentiels : responsabilité, solidarité, diversité, écologie.

Le thème de la responsabilité tout d'abord.

L'évolution vers plus d'échanges, plus d'interdépendance, la nécessité de répondre ensemble à des menaces communes, l'effacement progressif des frontières doivent nous conduire à remettre en question certains concepts autour desquels ont été construites les relations internationales.

La notion de souveraineté nationale évolue. Les Etats, dépositaires de l'identité nationale et de la légitimité politique, sont et resteront souverains. Mais en même temps ils sont désormais collectivement responsables de l'avenir de la planète. Jusqu'à quel point peut-on laisser des dirigeants commettre des violations massives des droits de l'homme ? Jusqu'à quel point peut-on tolérer des comportements irresponsables dans la gestion des ressources naturelles ou dans la gestion financière ? Quelles sont les autorités autorisées à fixer les bornes et les faire respecter ? Pour décider si le recours à la force est légitime, et dans quelle mesure ?

Je suis convaincu du rôle irremplaçable de l'ONU et du système multilatéral à cet égard. Une ONU plus efficace et plus cohérente, renforcée dans ses missions, ses pouvoirs et ses moyens, respectueuse de la société civile, soucieuse de démocratie. Mais chacun mesure le chemin qui reste à parcourir pour que les institutions multilatérales soient pleinement reconnues comme l'expression d'une sorte d'intérêt général de l'humanité, pour qu'elles acquièrent la volonté et la capacité d'agir en toute hypothèse, avec l'assurance que leurs règles seront respectées. Si nous ne parvenons pas à construire ce monde régi par la loi et l'usage régulé de la force, nous serons condamnés à l'affrontement entre les pôles de puissance.

Le deuxième thème est celui de la solidarité.

Pour réaliser les objectifs du Millénaire et de Johannesburg, qui forment l'horizon commun de l'humanité, nous avons, nous le savons, besoin d'environ cinquante milliards de dollars d'aide publique supplémentaires chaque année.

Où trouverons-nous ces fonds, alors que les budgets nationaux sont soumis à de fortes contraintes ?

La France s'est engagée à accroître son effort de solidarité internationale. Et nous devons explorer des voies nouvelles avec pragmatisme et sans a priori. Je pense par exemple à la taxation internationale, modeste prélèvement sur les richesses immenses que génère la mondialisation. Je suis intéressé par la proposition britannique d'une initiative financière internationale permettant de rassembler par l'emprunt le surcroît de ressources nécessaires au décollage des pays pauvres. Je crois indispensable de trouver des mécanismes nouveaux pour inciter l'investissement privé à revenir dans ces pays.

Quelles que soient les solutions retenues, il faut que tous ceux qui incarnent une conscience internationale s'engagent et plaident pour faire comprendre que ce geste d'humanité des riches à l'égard des pauvres est aussi un geste de sagesse et de responsabilité grâce auquel nous sortirons des cauchemars de la faim, de la misère, du sida, de l'analphabétisme et de l'oppression.

Le troisième thème est celui de la diversité.

Nous vivons la contradiction entre l'évolution du monde vers plus d'unité et le phénomène pervers de l'uniformisation, facteur de crispation identitaire et d'appauvrissement du génie humain. Nous devons résoudre ce conflit entre l'aspiration à un monde plus ouvert, c'est-à-dire plus libre, et l'affaiblissement des identités humaines qui en résulte. Il nous faut concilier le besoin de valeurs universelles, nécessaires à une mondialisation maîtrisée, et le respect de la diversité des civilisations et des cultures.

L'alternative au choc des civilisations est le dialogue des cultures : apprendre à vivre dans le respect de l'autre, dans la curiosité de l'autre, à accepter l'altérité. Ce n'est pas naturel aux collectivités humaines qui souvent fondent leur identité sur l'exclusion. D'où le projet d'une convention mondiale sur la diversité culturelle qui ne serait pas seulement l'énoncé d'un principe, mais l'affirmation d'une condition fondamentale à la réussite de la mondialisation.

Le dernier thème que je souhaite aborder est celui de la protection de l'environnement, de la gestion des ressources naturelles et du statut du vivant.

Nous constatons que, malgré les efforts de Rio et de Johannesburg, nous avançons trop lentement. Le Protocole de Kyoto n'entre pas en vigueur alors que le changement climatique se produit sous nos yeux. La convention sur la biodiversité peine à s'imposer, alors que les espèces naturelles disparaissent. La place de l'homme dans la nature mérite d'être réévaluée, de façon à établir un lien plus harmonieux avec le milieu naturel, sans lequel il ne pourra survivre. A l'heure des OGM, du clonage, de l'eugénisme, il nous faut aussi fixer les droits et les devoirs de l'Homme à l'égard du vivant, c'est-à-dire les termes d'une bioéthique universelle.

Comment mieux faire partager ces préoccupations, associer les pays pauvres ou émergents à l'entreprise de protection de l'environnement, afin que ce défi devienne partie intégrante de leurs stratégies ? Comment convaincre les populations des pays riches de faire évoluer leurs modes de production et de consommation, d'inventer un nouveau mode de vie plus soucieux de qualité et de respect de la nature ?

A ces questions, la France a décidé de répondre pour ce qui la concerne, notamment en mettant en chantier une Charte constitutionnelle sur l'environnement et les droits des générations futures.


Tous ces sujets seront au coeur des débats du G8 à Evian. Nous avons besoin d'un immense travail conceptuel interdisciplinaire et international pour que la réflexion progresse et nous ouvre des voies nouvelles.

Aussi serai-je très attentif à vos remarques et très désireux d'en communiquer la substance aux Chefs d'État et de Gouvernement du G8, ainsi qu'à ceux de pays émergents qui les rejoindront à cette occasion. Peut-être faudrait-il que ce séminaire se perpétue, sous une forme ou une autre, pour faire avancer la cause d'une mondialisation humanisée et maîtrisée, la cause d'une humanité rassemblée, construisant un avenir commun riche de sa diversité.

Et si j'ai souhaité dresser ainsi le tableau des obstacles qu'il nous faut à présent franchir, c'est avec confiance, car l'Homme a construit son destin en relevant les défis les plus fous, s'est imposé sur terre en transformant, par son courage, son imagination et son intelligence, les faiblesses en force et les épreuves en promesses.

Je vous remercie.





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