Paris, le vendredi 21 février 2003
Je remercie le Président CHISSANO d’avoir présenté avec beaucoup de clarté le débat agricole. L’importance des enjeux m’incite à intervenir de manière particulière sur cette question.
Le développement agricole est crucial pour atteindre en Afrique sub-Saharienne ce taux de croissance annuel moyen de 7% qui lui permettrait de réaliser les objectifs du millénaire.
Dans ce contexte, la question agricole est essentielle. Le risque de famine qui menace aujourd’hui encore une partie de l’Afrique australe et de la Corne de l’Afrique appelle non seulement une réponse humanitaire d’urgence, dans laquelle nous sommes engagés, mais aussi une réponse à long terme. L’agriculture a été, ces dernières années, le parent pauvre des politiques de développement, alors même que la construction de filières agricoles solides sera le plus sûr chemin vers l’élimination de la faim et de la pauvreté en Afrique. C'est pourquoi il faut inciter les pays africains à développer des politiques agricoles ambitieuses, visant en premier lieu la satisfaction des besoins nationaux et prenant appui sur des interventions renforcées des bailleurs de fonds.
J’en suis convaincu : la sécurité alimentaire passe très largement par l’autosuffisance alimentaire. Mais s’il faut s’impliquer dans la construction d’agricultures vivrières solides, l’Afrique doit aussi développer les cultures d’exportation.
De ce point de vue, l’Europe a la politique d’importation agricole la plus ouverte et la plus favorable à l’Afrique, et singulièrement à l’Afrique sub-Saharienne. Nulle autre région développée n’a su proposer aux PMA un régime aussi généreux. Entre l’Europe et l’Afrique, il n’y a pas concurrence agricole, il y a complémentarité. Nous importons vos produits tropicaux et vous utilisez nos produits tempérés. Le grand défi, aujourd’hui, c’est de mieux faire fonctionner cette complémentarité à travers une coopération accrue, pour que l’Afrique dispose d’un débouché régulier, base d’un développement plus rapide.
Nous n'avons pas été assez attentifs, depuis quelques années, aux vrais besoins économiques et commerciaux de l'Afrique. Nous avons laissé se banaliser nos relations, qui menacent de perdre leur caractère privilégié alors même que la place de l'Afrique dans le commerce mondial n'a jamais été aussi faible.
Dans la perspective de la réalisation des objectifs du millénaire, le cycle de Doha et la mise en oeuvre du NEPAD sont l’occasion de mettre en chantier une nouvelle stratégie pour le développement de l’agriculture africaine. Il nous faut, c’est vrai, une nouvelle politique. Au-delà des actions d’appui techniques toujours indispensables et qui devront être renforcées, je vous propose -et je proposerai ensuite à nos partenaires de l’Union européenne et aux autres pays du G8- trois grandes orientations : d'abord, mieux gérer les politiques d'aide et d'exportations agricoles des pays développés afin d'éviter qu'elles déstabilisent vos productions vivrières ; ensuite, défendre pour l'Afrique un traitement commercial privilégié ; enfin, nous pencher à nouveau sur la question des matières premières et des produits de base, qui est essentielle pour votre développement.
Premier sujet : les soutiens à l’exportation. A Doha, nous nous sommes engagés à ouvrir la négociation sur ce point. L’Union européenne le fera avec générosité et avec un souci particulier de l’Afrique.
Mais, d’ores et déjà, la France est prête à examiner, en concertation avec nos partenaires de l’Union européenne et du G8, l’élimination de ce qui, dans nos interventions, crée en Afrique de l'instabilité et de la précarité pour les producteurs agricoles les plus modestes. Je pense à ces filières vivrières locales qui, bénéficiant d'un avantage de proximité, fournissent le marché intérieur et devraient en constituer la première source d’approvisionnement. Elles sont essentielles pour des dizaines de milliers d'agriculteurs et leurs familles. Elles peuvent être déstabilisées par des entrées trop brutales et massives de produits importés à bas prix, qu'il s'agisse par exemple de viande, de poudre de lait, de volailles ou de riz. Les pays développés, notamment, assument tous une responsabilité, par leurs soutiens à l'exportation, leur aide alimentaire, leurs crédits à l'exportation, voire leurs politiques de dégagements de stocks excédentaires.
Pour sa part, la France propose un moratoire décidé par tous les pays développés sur les aides aux exportations agricoles déstabilisantes à destination de l'Afrique pendant la durée des négociations à l'OMC. L’Union européenne porterait cette proposition à nos partenaires. Naturellement, ce moratoire s’appliquerait aussi à l'aide alimentaire utilisée à des fins commerciales ainsi qu'aux crédits privilégiés à l'exportation. Nous pourrons examiner, en dialoguant avec vous, où sont véritablement vos intérêts et quels sont véritablement vos besoins.
Deuxième orientation : défendre, pour l'Afrique, un traitement commercial spécial et privilégié. Ce n'est pas la tendance naturelle à l'OMC où l'on cherche à aller vers une libéralisation multilatérale et universelle. Mais ceci est contraire aux intérêts de l'Afrique. Vous avez besoin de débouchés pour vos productions. Mais pas de n'importe quels débouchés : des débouchés assurés et protégés des excès de la concurrence et de la volatilité des prix. Cette réalité, nous l'avons un peu oubliée. Il est temps d'y revenir.
Nous devons donc défendre à l'OMC le traitement préférentiel de l'Afrique et lui assurer un accès privilégié et pérenne à nos marchés. Naturellement, il y aura des oppositions. C'est, pour la communauté internationale, une question de volonté politique. Et l'Afrique pourra compter ses vrais amis.
Mais il faut aussi mieux faire fonctionner le système de préférences. Pour cela, il faut le simplifier et le consolider. Je vais proposer que les pays développés créent, pour chaque pays d'Afrique, un régime commun et unique, par alignement sur le régime le plus favorable. C'est un principe simple : chacun de vos pays devra se voir garantir le même accès par tous les pays développés, selon les mêmes règles. Et, bien sûr, nous nous alignerons dans chaque cas sur la situation qui vous est la plus favorable. Et je vais proposer que ces régimes soient durables. C'est indispensable pour attirer les investissements privés qui sont, comme vous le savez, une priorité du NEPAD. La France compte défendre cette proposition au sommet d’Evian.
Troisième orientation : nous attaquer à la question du prix des matières premières.
La vie d'un milliard d'êtres humains en dépend directement. Pour l'Afrique, l'enjeu est considérable. Dix sept pays d'Afrique sub-saharienne dépendent des produits de base, hors pétrole, pour plus de 75% de leurs exportations.
Le coton, le café, le cacao assurent le revenu et la survie de millions de producteurs et de travailleurs agricoles, qui sont parmi les plus pauvres du monde et les moins protégés. Quand on dit que l'essentiel de la pauvreté dans le monde est en zone rurale, on oublie parfois de préciser que c'est en grande partie à cause de la volatilité des prix des produits de base et de leur déclin sur le long terme. Pour vos pays, la baisse du prix des matières premières représente, depuis trente ans, une perte égale à la moitié de l'aide au développement. C'est une cause majeure des difficultés que vous éprouvez pour vous développer et faire face à votre dette extérieure.
Ces difficultés sont parfois aggravées par les politiques des pays industrialisés. Je pense en particulier au coton, qui fait vivre plus de 15 millions de personnes en Afrique du Centre et de l'Ouest. Les prix mondiaux sont, en permanence, déprimés par des subventions de plusieurs milliards de dollars dont bénéficient quelques dizaines de milliers de producteurs.
Il y a, sur ce sujet des matières premières, une sorte de conspiration du silence. Les solutions ne sont pas simples. Beaucoup des remèdes mis en place dans le passé - notamment les grands accords de produits- ont échoué et nous ne voulons pas recommencer ces expériences. Mais rien ne justifie l'indifférence actuelle.
Je vais donc proposer aux autres membres du G8 et aux institutions internationales qui travaillent sur ce sujet de rouvrir ce chantier. Plusieurs pistes méritent d'être explorées.
- améliorer les facilités des institutions financières internationales dans leurs modalités de mise en oeuvre comme dans leur montant et veiller à nuancer les politiques de libéralisation commerciale systématique vers lesquelles sont trop vite poussés les pays africains ;
- adapter le traitement de la dette des pays pauvres en fonction de l’évolution des cours des matières premières ;
- mieux orienter notre effort d'aide au développement en faveur des producteurs de matières premières. Nous avons sans doute eu tort d'abandonner les mécanismes de type STABEX, même s'ils ne fonctionnaient pas parfaitement. Nous pourrions réfléchir aux moyens d'importer une partie de vos productions à des prix garantis ;
- étudier le recours à des mécanismes d'assurance pour absorber la volatilité des prix.
Nous devons également engager une concertation avec celles des ONG les plus présentes sur le terrain, pour voir comment nous pouvons soutenir leurs efforts pour un commerce plus équitable, fondé sur la juste rémunération du producteur, pour le café et le cacao notamment.
Suspendre l’impact négatif sur l’Afrique sub-Saharienne de nos politiques de soutien aux exportations agricoles, favoriser la mise en oeuvre et la convergence des régimes de préférence commerciale, s’attaquer au dossier des matières premières. Voici les contours de l'initiative dans laquelle je voudrais que nous soyons associés, vous et nous. Ce sont trois aspects d’une même ambition pour l’Afrique. Et cette ambition bénéficie d’un calendrier extrêmement favorable qui, de Paris à Cancun, en passant par Evian, doit nous permettre d’avancer rapidement. Je souhaite dès aujourd'hui commencer avec vous sur ces questions un dialogue fructueux.
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