Palais de l'Elysée, le dimanche 2 février 2003
Madame et Messieurs les Ministres, Monsieur le Directeur général de l'UNESCO, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames, Messieurs,
L'artiste donne à la vie comme au monde saveur, sens et beauté. Miroir des hommes, il déchiffre leur âme. Témoin de leur histoire, il incarne leur révolte contre les absurdités du temps, leur quête d'un monde meilleur. Défricheur, il exprime ce qu'un peuple peut offrir de plus singulier. Il éclaire notre route. Au coeur de toutes les interrogations, il est aussi doute et fragilité. Il a besoin de liberté et de respect. Une société vit, bouge, progresse d'autant plus qu'elle sait donner aux créateurs et aux artistes, à vous toutes et tous qui illuminez nos vies par vos inspirations, la place qui leur revient.
Aussi, permettez-moi de vous souhaiter de tout coeur la bienvenue. Je me réjouis de voir réunies à Paris, à l'initiative du Comité pour la Diversité Culturelle, tant de personnalités venues de tant de pays et de tous les horizons de l'art et de la création. Au moment où se joue une part essentielle de l'avenir des langues et des cultures, c'est-à-dire de nos identités, votre présence témoigne d'une très forte mobilisation. Une mobilisation dont je vous remercie car la diversité culturelle doit être un engagement de chaque instant.
Alors que se redessine la carte du monde, vos Rencontres internationales répondent à une double exigence : vigilance et action. Cette exigence est aussi la mienne et celle du Gouvernement. L'effacement des frontières physiques et des distances, l'ouverture des marchés, l'accélération des communications, l'ampleur des réseaux de diffusion, tout converge vers plus de liberté. La mondialisation est la promesse d'horizons nouveaux, de découvertes exaltantes, de mélanges et d'échanges entre les cultures du monde dont témoignent si bien les arts d'aujourd'hui. Mais, si nous n'y prenions garde, tout convergerait aussi, faute de lois et de garde-fous, vers le règne du plus fort, vers le triomphe de ce qui est formaté à l'avance pour le public le plus large, vers l'accroissement des inégalités, vers l'affrontement entre un modèle dominant et le reste du monde.
Dans cet univers où règnent la compétition et la course au profit, le rôle des Etats, la fonction du droit, la vocation des institutions d'arbitrage internationales ou nationales est de fixer les règles du jeu, de veiller à leur respect, de corriger les déséquilibres dans un esprit d'équité et de solidarité. Cela vaut singulièrement pour la culture et la création, activités irréductibles aux lois du marché. Il revient aux institutions publiques de préserver et d'enrichir le patrimoine des nations, d'honorer le génie, les traditions et les savoirs des peuples. D'assurer leur expression libre et plurielle. De donner à chacun, par l'éducation, les clés du progrès et d'un avenir meilleur. C'est la condition d'une société civilisée où se forme une opinion libre, éclairée et critique. Tel est l'enjeu du combat pour la diversité culturelle : la réalisation d'une démocratie planétaire, unie sur l'essentiel mais respectueuse des différences, expression politique d'une mondialisation maîtrisée et conforme à nos valeurs.
C'est pourquoi la culture ne doit pas plier devant le commerce. C'est elle qui nous donnera les armes pour répondre à ce nouveau défi de l'aventure humaine qu'est la mondialisation. C'est par elle que nous pourrons opposer aux tenants du choc des civilisations, aux crispations archaïques, identitaires, nationalistes, voire religieuses, dont le monde donne trop d'illustrations douloureuses, le respect de l'autre et le dialogue entre les hommes.
Voilà la conviction de la France. Une conviction qui fonde notre politique culturelle. Une conviction qu'elle défend avec acharnement et constance sur la scène internationale, dans toutes les négociations. Ouverte aux échanges, notre nation refuse le laminoir de l'uniformisation. Consciente de la complexité du monde contemporain, elle défend la diversité, source de progrès et de richesse. Attachée à la paix, elle prône le dialogue des cultures.
Cette vision fut, dès le Sommet de Maurice en 1993, celle de toute la Francophonie. Ce fut très vite celle de l'Union européenne qui a exigé et obtenu, lors des négociations du GATT, que la création, la culture, la pensée échappent aux obligations de libéralisation. Puis ce fut, en 1997, la mobilisation contre l'Accord multilatéral sur l'investissement où votre action fut déterminante dans la prise de conscience des dangers d'une libéralisation sans frein. Ce n'était déjà plus le combat isolé de l'exception. C'était devenu la revendication partagée de la diversité.
En quelques années, l'exigence de diversité a gagné en force et en audience. L'idée a fait son chemin et s'est développée partout dans la société civile aussi bien que dans les enceintes internationales, comme en témoigne la Déclaration universelle sur la diversité culturelle adoptée, le 28 novembre 2001, par l'UNESCO. Elle rassemble désormais d'autres aires culturelles qui l'ont rejointe, aires arabophones, hispanophones ou lusophones. A Johannesburg, en septembre dernier, la Communauté des nations a reconnu la diversité culturelle comme l'une des composantes du développement durable, c'est-à-dire de l'avenir de la planète.
C'est une victoire.
Mais elle ne doit pas occulter le long chemin qui reste encore à parcourir. Nous sommes aujourd'hui à une étape cruciale. Alors que s'est ouvert à Doha un cycle de négociations sur le commerce international, les partisans de la libéralisation illimitée des échanges s'opposent à nouveau à ceux qui considèrent que les oeuvres de l'esprit ne peuvent être réduites à l'état de marchandises.
C'est pourquoi il est temps d'ériger la diversité en principe du droit international.
La France propose l'adoption, par la communauté internationale, d'une convention mondiale sur la diversité culturelle. Elle s'inscrirait dans la fidélité aux valeurs humanistes qui forment notre cadre commun : celles de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et des pactes et traités qui en découlent. Elle affirmerait que la diversité culturelle appartient au patrimoine commun de l'humanité, qu'elle est un droit dont chaque Etat peut se prévaloir. Elle proclamerait l'égale dignité de toutes les cultures. Elle devrait concrétiser les droits et les devoirs des Etats, à savoir :
- le respect du pluralisme linguistique et la mobilisation pour enrayer la disparition des langues dans le monde. Au rythme actuel, la moitié d'entre elles auront disparu dans ce demi-siècle. C'est une perte incommensurable ; - l'affirmation du droit des Etats à pouvoir soutenir la création par des politiques volontaristes, des actions appropriées et des mécanismes de leur choix ; - l'affirmation du caractère exceptionnel des biens culturels, qui ne sont pas des marchandises comme les autres et dont la spécificité doit être respectée ; - la reconnaissance de la nécessité du dialogue des cultures pour avancer vers un monde plus pacifique et pour trouver ensemble les réponses aux problèmes contemporains ; - la mise au point des mécanismes internationaux de la coopération pour aider les pays en développement à préserver leur patrimoine, matériel et immatériel, ainsi qu'à défendre leurs créations culturelles.
Avec ses partenaires francophones, mobilisés depuis Beyrouth, avec les pays-membres du réseau international pour la culture, qui se réunira à Paris dans quelques jours à l'invitation du ministre de la Culture et de la Communication, avec tous les Etats attachés à cette cause, la France propose que le prochain conseil exécutif de l'UNESCO engage la préparation de ce texte en vue de son adoption au plus tard en 2005. Elle veillera à ce que la société civile, que vous représentez avec talent et détermination, soit pleinement associée à cette démarche. Il est essentiel que ce dialogue étroit et confiant entre les professionnels de la culture et les pouvoirs publics, qui a fait la force de nos positions dans les négociations internationales depuis dix ans, demeure au coeur de notre action dans la période qui s'ouvre. Nous comptons sur vous, Monsieur le Directeur général de l'UNESCO, pour donner à cette entreprise une impulsion décisive et avec toute l'autorité de l'institution éminente que vous dirigez. Ce sera la consécration de la place particulière de l'UNESCO parmi les institutions régulatrices de la mondialisation.
Parallèlement, dans le nouveau cycle de négociations commerciales, la France maintiendra, par la voix de l'Europe, son exigence : les Etats ou les groupes d'Etats qui le souhaitent devront conserver la faculté de reconnaître un statut exceptionnel aux services audiovisuels et culturels, à l'écart des obligations de libéralisation. Tel est bien le mandat impératif de négociation confié à la Commission et je sais pouvoir compter sur la détermination de son Président et des Commissaires compétents. J'en parlais encore tout récemment avec le Commissaire Pascal LAMY. Dans le même esprit, nous incitons les Etats qui souhaitent adhérer à l'OMC à s'abstenir de toute offre de libéralisation dans les domaines audiovisuels et culturels.
Ce combat en faveur de la diversité culturelle, la France le mène aussi au sein de la Convention chargée de proposer l'été prochain une Constitution pour l'Europe. Les représentants français ont ainsi demandé que la promotion et le respect de la diversité culturelle soient inscrits dans le futur Traité parmi les objectifs fondamentaux poursuivis par l'Union. Par ailleurs, il est clair que le Gouvernement restera fermement opposé au passage au vote à la majorité qualifiée dans la négociation des accords commerciaux portant sur les services culturels et audiovisuels. Enfin, nous souhaitons que la culture soit mieux prise en compte dans les autres politiques de l'Union, afin notamment de conforter les aides publiques qui lui sont consacrées.
Car, au-delà des négociations internationales en cours et des discussions sur le futur Traité constitutionnel, c'est bien l'Europe de la culture qu'il nous faut ensemble construire. Programmes nouveaux, dans leur contenu et leur ampleur. Echanges, coopération et diffusion accrus dans tous les domaines de la culture, renforcement et harmonisation de la protection du droit d'auteur, lutte contre le piratage : voilà, parmi d'autres, les chantiers essentiels qui nous attendent. J'y ajouterai bien sûr le devoir pour l'Europe de préserver ses industries culturelles et de permettre, par exemple, à nos industries de programmes, à notre cinéma, d'affronter la mondialisation. A cet égard, le réexamen de la Directive télévision sans frontières devra perpétuer l'ambition volontariste qui avait présidé à son adoption car elle constitue, avec le programme Média, la clé de voûte de la politique audiovisuelle européenne.
Au moment où l'Union s'apprête à accueillir l'an prochain dix nouveaux membres, riches chacun de leur histoire, de leurs langues et de leurs cultures, l'identité européenne mérite à l'évidence cette ambition culturelle commune. L'Europe a besoin d'un grand projet culturel.
Mais, cette Europe de la culture sera d'autant plus forte que chaque pays de l'Union saura offrir à ses artistes et à ses créateurs les conditions d'une création vivante et dynamique.
C'est pourquoi la France, pour qui la culture n'est pas un simple divertissement, ni je ne sais quel superflu, entend rester fidèle à la singularité de sa politique culturelle tout en l'adaptant aux évolutions du monde. Politique du livre et de la lecture publique, soutien au cinéma et à la production audiovisuelle, défense et valorisation du patrimoine, encouragement aux arts de la scène et du spectacle, à la musique et à la chanson, aux auteurs, aux arts plastiques, appui aux industries culturelles, développement du mécénat, incitation déterminée à notre présence culturelle dans le monde : oui, l'Etat et les pouvoirs publics, c'est une tradition française, c'est aussi une force, sont légitimes dans le soutien qu'ils accordent aux créateurs et aux artistes.
Mesdames, Messieurs, en vous voyant tous réunis, je me réjouis que Paris, grâce à vous, soit une fois de plus, ce soir, la capitale de la diversité culturelle. Je me dis également que l'idée de diversité a parcouru bien du chemin depuis que la France, forte de sa vision humaniste et universaliste, forte de ses valeurs républicaines, a lancé, la première et, il faut le dire, dans une certaine solitude, son appel au dialogue et au respect de toutes les cultures du monde.
On le voit bien aujourd'hui, il y a des frontières que la mondialisation n'a pas le droit d'abolir. Ce sont celles qui nous permettent de passer d'une culture à une autre, qui nous apprennent qu'il n'y a pas une langue, mais des langues, que l'universalité de l'homme s'incarne dans le particulier, et que nous devons conserver cette richesse comme l'un des biens les plus précieux de l'humanité.
Les territoires de l'Homme ne sont pas seulement physiques ou géographiques. Ce sont aussi les territoires de l'esprit. C'est à l'aune de ces territoires que chacun, sur tous les continents, trouve et mesure sa dignité, et celle de l'autre. C'est sur ces territoires que se jouent la paix et le destin des nations, parce que ce sont sur ces territoires que se gagne la tolérance.
Restaurer l'idée d'un progrès de l'humanité. Poursuivre une nouvelle utopie, un nouvel idéal. Réenchanter le monde, rendre son rêve à l'homme, et rendre un territoire à ses rêves. Tel est le sens de votre engagement. Tel est le sens de notre combat.
Je vous remercie.
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