Allocution du Président de la République à l'occasion du 60e anniversaire du premier Conseil national de la Résistance.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du 60e anniversaire du premier Conseil national de la Résistance.

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Hôtel des Invalides, Paris, le mardi 27 mai 2003

Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,
Madame la Ministre,
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,

Il y a soixante ans, se tenait, au 48 de la rue du Four, la première réunion du Conseil National de la Résistance.

Ce 27 mai 1943, journée parmi tant d'autres, vécue dans l'univers dangereux de la Résistance et placée sous le signe de "l'héroïsme ordinaire", n'était pourtant pas une journée comme les autres, car elle était de celles qui font l'histoire d'une nation.



L'espérance, la fidélité, le courage, voilà ce qu'incarnait la petite poignée d'hommes rassemblée en ce 27 mai 1943. Et au-delà, une très haute, une très belle idée de la France, digne de ses traditions, de son message, de son honneur. Robert Chambeiron, présent ce 27 mai rue du Four et présent aujourd'hui parmi nous, est exemplaire de ces hautes vertus.

Espérance dans la libération de la patrie. C'est le premier mot d'ordre de la Résistance : vaincre. Avec les Forces Françaises Libres, présentes aux côtés des Alliés, sur les principaux théâtres d'opérations, en Afrique et jusqu'au Levant. Avec la Résistance intérieure, qui représente le peuple français mobilisé, dressé contre l'occupant.

Fidélité aux idéaux de la France, des idéaux oubliés par ceux qui gouvernent le pays sous le joug allemand. C'est la deuxième mission fixée par le Général de Gaulle à la France libre, à la Résistance et à son Conseil national : "rendre la parole au peuple français ; rétablir les libertés républicaines dans un Etat d'où la justice sociale ne sera pas exclue et qui aura le sens de la grandeur".

Courage, enfin. Car il faut un immense courage pour se battre, à l'heure où règnent partout la peur et la délation. Où, à chaque instant, peuvent surgir la Gestapo ou la Milice. Alors que le danger n'est pas seulement de mourir mais de mourir sous la torture. Alors qu'on n'engage pas seulement sa vie mais aussi la vie de ceux qu'on aime, la vie des camarades et de leurs familles, l'existence et la survie du groupe, du maquis, du réseau.

Oui, c'est l'avenir de la France qui se joue en cette journée du printemps 1943. C'est dire quel poids, quelle responsabilité, reposent sur les épaules de ces quelques hommes. C'est dire l'importance de cette première réunion, dont le succès va sceller notre destin.

Il y a là les représentants des organisations combattantes : Charles Laurent de "Libération-Nord", Pascal Copeau de "Libération-Sud", Eugène Claudius-Petit pour "Franc-Tireur", Claude Bourdet de "Combat", Pierre Villon pour "Front National", Jacques-Henri Simon de l'"Organisation Civile et Militaire", Roger Coquoin pour "Ceux de la Libération" et Jacques Lecompte-Boinet de "Ceux de la Résistance". Parce que l'effort est d'abord militaire, il faut coordonner les actions, répartir les moyens et préparer le terrain, recenser les objectifs, tisser les réseaux, constituer les caches, pour soutenir, le moment venu, les opérations alliées lancées sur le sol de France.

Mais il faut aussi construire, reconstruire. C'est pourquoi sont présents les partis, les "familles spirituelles" comme on les appelle alors, qui entourent, à Londres et maintenant à Alger, le Général de Gaulle : le Parti radical avec Marc Rucart, le Parti socialiste avec André Le Troquer, le Parti communiste avec André Mercier, Georges Bidault pour les Démocrates chrétiens, Joseph Laniel représentant l'Alliance démocratique et Jacques Debû-Bridel pour la Fédération républicaine. Et aux côtés des politiques, figurent aussi Louis Saillant et Gaston Tessier, représentant les deux plus grandes organisations syndicales d'alors : la CGT et la CFTC.

Cette réunion, Cher Robert Chambeiron, vous en étiez le Secrétaire général adjoint, aux côtés de son Président, Jean Moulin, et de Robert Meunier, son Secrétaire général. C'est vous qui aviez été chargé de l'organiser. Ce fut l'une des nombreuses missions que vous avez assumées pour la Résistance, pour la France. Mission de liaison, de coordination, d'impulsion.

Tâche périlleuse, alors que l'occupant renforce chaque jour davantage sa pression.

Tâche difficile, aussi, car il n'était pas simple de réunir autour de la même table toutes les sensibilités, toute la diversité de la Résistance, de faire taire les divergences, les rivalités de personnes ou d'opinion. C'est la mission essentielle que le Général de Gaulle a confiée à Jean Moulin : unifier la Résistance, qui n'est encore que ce "désordre de courage" qu'évoquera, vingt ans plus tard, André Malraux. Il s'agit, comme le dit Jean Moulin lui-même, de constituer "ces troupes, prêtes aux sacrifices mais éparses et anarchiques (à), en une armée cohérente".

Inlassablement, Jean Moulin s'y est employé, avec autorité et patience. Cette première réunion est le fruit d'un an et demi d'âpres négociations, pour convaincre chaque chef, chaque mouvement, de la nécessité de faire front commun. Ce 27 mai vient couronner les efforts de celui qui a été décrit par André Malraux comme le "Carnot de la Résistance".

Désormais, les Alliés vont pouvoir s'appuyer sur cette armée de l'intérieur, cette "Armée des Ombres". Désormais, grâce à l'unification de la Résistance, c'est la France combattante qui trouve sa pleine légitimité. C'est pourquoi la réunion du 27 mai, qui aura des conséquences opérationnelles majeures, a aussi une dimension éminemment politique. "J'en fus, à l'instant même, plus fort", écrira le Général de Gaulle dans ses Mémoires, parce qu'il savait que la liberté et la souveraineté futures de la France dépendaient aussi de sa capacité à se libérer elle-même.



Au moment où se réunit le Conseil National de la Résistance, le temps était plus que jamais à l'action car le vent de l'Histoire semblait devoir tourner.

Partout, l'Axe recule. A l'automne 42, les Alliés ont débarqué en Afrique du Nord et ouvert un deuxième front à l'Ouest. Dès lors, ils enchaînent succès et victoires, en Cyrénaïque, en Tripolitaine, en Egypte.

Quelques mois auparavant, en juin 1942, à Bir Hakeim, les Forces Françaises Libres ont soulevé l'admiration. Elles ont arrêté -à quel prix !- l'offensive ennemie. Ce jour-là, les Français ont bien mérité leur part de la victoire.

A l'Est, à Stalingrad, la ville symbole, le Reich a subi un revers dont il ne se relèvera pas. Au même moment, le ghetto de Varsovie s'insurgeait. Même si, en ce mois de mai 1943, le ghetto n'est plus que ruines et cendres, la résistance héroïque des Juifs de Varsovie a marqué les esprits.

Alors oui, en ce printemps 1943, on se prend à espérer en une victoire des Alliés. On ose parler d'indépendance recouvrée, de libertés républicaines rétablies, de grandeur restaurée. Ce sont les mots mêmes de la motion adoptée ce 27 mai par le Conseil National de la Résistance, tandis que montent dans le pays l'exaspération et la haine de l'occupant.

Le Service du Travail Obligatoire ne cesse de grossir les rangs des maquis. Les persécutions contre les juifs, qui ont culminé avec la honteuse rafle des 16 et 17 juillet 1942, ont montré toute l'abjection et la barbarie du nazisme, et le vrai visage de ceux qui, en France, le soutiennent. Les exactions de la Milice creusent le fossé entre les Français et le gouvernement de collaboration. Enfin, avec l'entrée des Allemands en zone libre, les conditions d'armistice ont volé en éclats. C'est toute la métropole qui est sous le joug et rêve de sa libération.

Parce que les tensions s'accroissent, l'occupant est de plus en plus agressif. Les arrestations, la torture et les exécutions se multiplient.

Les semaines, les jours qui suivent en apportent la tragique confirmation.

Le Général Delestraint, chef de l'Armée secrète, est arrêté à Paris le 9 juin. Le 21, à Caluire, Jean Moulin et les chefs des mouvements de Résistance de la zone Sud tombent aux mains de l'occupant. Jean Moulin, torturé, meurt le 8 juillet, sans avoir parlé, son héroïque mission accomplie.

Georges Bidault lui succède. Moins d'un an plus tard, la Résistance et l'organisation mises en place donneront leur pleine mesure.

Au jour du Débarquement, sa contribution est décisive, comme est décisive son action quand il s'agit de rompre les lignes de communication de l'ennemi et de freiner sa remontée vers le front. Pour les soldats de l'Ombre, le prix à payer sera terrible. Les nazis et leurs complices, aux abois, multiplient les actes de barbarie. Dans les Glières. Dans le Vercors. A Tulle. A Oradour sur Glane.

Mais bientôt, vient le fruit de tant de sacrifices. C'est Leclerc et Rol-Tanguy recevant à Paris la reddition des autorités d'occupation. C'est de Lattre recevant, avec les chefs alliés, la reddition du Reich. C'est Leclerc signant pour la France, sur le cuirassé Missouri, l'acte de capitulation du Japon. C'est la France, parmi les vainqueurs.

La France où, partout, se sont mis en place les Commissaires de la République, sous l'autorité du Général de Gaulle, épargnant à notre pays l'humiliation d'une administration alliée. La France, membre fondateur de l'Organisation des Nations Unies, obtenant un siège permanent au Conseil de Sécurité. La France restaurée dans son prestige et dans son rang de grande nation.



Mesdames, Messieurs,

Soixante ans ont passé depuis cette première réunion du Conseil National de la Résistance. La reconnaissance de la nation est toujours aussi vive. En présence de Robert Chambeiron, dernier témoin de cette réunion. En présence des hommes et des femmes de la Résistance et de la France Libre qui nous entourent aujourd'hui, je veux redire l'admiration et la gratitude de notre pays pour toutes celles et pour tous ceux qui se sont engagés dans ce combat.

Je veux rappeler tout ce que nous devons à ces femmes et à ces hommes d'exception, célèbres ou anonymes. Ils ont incarné le meilleur de notre patrie, la fraternité, l'amour de la liberté. Ils sont le symbole de la France éternelle.

S'ils appartiennent à l'histoire, les valeurs qui les ont inspirées sont plus vivantes que jamais. Leur exemple et leur sacrifice nous obligent.

Exercer le devoir de Mémoire, c'est rendre hommage à celles et à ceux qui se sont battus pour que la France redevienne elle-même. Mais c'est aussi entendre le message qu'ils portent à travers le temps et c'est s'engager pour l'avenir.

Le combat pour la solidarité, la tolérance, la dignité de chaque être humain est toujours d'une brûlante actualité. Les jeunes Français doivent en avoir conscience.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie.





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