Budapest - Hongrie, le mardi 24 février 2004.
Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Vice-Président de l'Assemblée Nationale, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs,
Voilà sept ans, j'avais déjà eu le très grand privilège de m'exprimer dans l'enceinte de votre Parlement. Parlement qui est un magnifique symbole de la démocratie et de la nation hongroises. Aujourd'hui, alors que nos deux pays s'apprêtent à franchir ensemble, la main dans la main, le seuil d'une nouvelle étape de l'aventure européenne, je suis heureux d'être une fois encore parmi vous. J'y vois le témoignage de l'amitié de nos deux peuples. L'amitié que le peuple hongrois porte au peuple français et réciproquement. Votre accueil honore la France.
Ma présence aujourd'hui à cette tribune est une illustration de cette relation millénaire qui unit nos deux nations. Une illustration de cette séduction, de cette intelligence qui a porté si souvent nos deux peuples l'un vers l'autre, tout au long de l'histoire de la création et de la pensée européennes.
Même quand les dislocations successives de l'Europe nous ont séparés, ce lien de l'esprit ne s'est jamais vraiment rompu. C'est souvent en France, à Paris, que les Hongrois en butte à l'oppression trouvèrent un refuge. Toujours épris de liberté, les Hongrois ont défié dès 1956, massivement et avec bravoure, l'insupportable logique des blocs. Puis les premiers, ils ont déchiré le rideau de fer. Pour comprendre pleinement le sens du projet européen, nous devons conserver en mémoire les tragédies du siècle passé, pour mieux construire ensemble notre avenir à nouveau partagé.
En 1997, j'avais pu mesurer l'ardeur de votre pays à reconquérir toute sa place en Europe. Je vous avais promis le soutien de la France à l'adhésion de la Hongrie tant à l'Union européenne qu'à l'Alliance atlantique. Aujourd'hui, nos projets communs sont devenus réalité.
Que de chemin parcouru ! La page des divisions est tournée. Nos destins se rejoignent. Pensons au projet visionnaire de Kossuth, d'une fédération des nationalités au coeur de l'Europe. Pensons à ce que prédisait Victor Hugo, son contemporain, auquel le liaient tant d'affinités : " Un jour viendra où (...) vous toutes nations du Continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure et vous constituerez la fraternité européenne. " Ce jour est venu.
Quel courage et quelle détermination ont animé les peuples d'Europe centrale, au premier chef le vôtre ! Permettez-moi de saluer l'esprit de réforme qui a soulevé la Hongrie et aussi la volonté sans faille de ses dirigeants, dans un parcours qui a été exceptionnel.
Depuis quinze ans, la Hongrie a relevé tous les défis auxquels elle était confrontée. Elle a su se hisser à la hauteur des exigences de l'Union. Et par leur oui massif lors du referendum d'adhésion, les Hongrois ont manifesté leur soif et leur désir d'Europe !
Désormais à vingt-cinq le 1er mai prochain, nous devrons rassembler toutes nos énergies pour poursuivre la grande aventure de l'Europe.
Aventure souvent délicate et émaillée de crises, dans laquelle nous pourrons compter sur cet esprit de la Mitteleuropa, cet art de mêler les cultures, les traditions, les religions, ce goût de la rencontre, de l'échange, du consensus. La Hongrie sera l'un de ces médiateurs dont l'Europe a besoin pour trouver les passerelles entre les intérêts nationaux, pour désamorcer les méfiances, pour dépasser les clivages.
Avec l'élargissement, l'Europe est enfin elle-même. Ensemble, nous devons être porteurs d'un projet pour l'Europe de demain. Un projet qui permette à notre Union, dotée d'institutions rénovées, de mieux répondre aux attentes de ses peuples et de s'affirmer davantage dans le monde.
Cette Europe nouvelle doit être une Europe en marche et qui poursuit son intégration. La rénovation des institutions européennes est ainsi indispensable si nous voulons que l'Union élargie fonctionne de manière efficace, démocratique et harmonieuse. Réunis au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe, les représentants des forces politiques des pays de l'Union ont apporté une contribution majeure et ambitieuse en présentant un projet de Constitution européenne. Permettez-moi de rendre hommage à l'active participation du Parlement et du gouvernement hongrois à cette grande entreprise.
Nous sommes maintenant à la croisée des chemins. Notre Europe a besoin d'un nouveau projet politique. Adoptons la Constitution dès que possible en 2004. Faisons toute confiance à la présidence irlandaise pour nous présenter une juste évaluation de la situation au Conseil européen du mois prochain et pour prendre les initiatives nécessaires si elle estime que les conditions d'un succès sont réunies d'ici la fin juin.
Naturellement, toutes les préoccupations doivent être prises en compte. Je pense en particulier à cette question des minorités nationales qui vous tient, à juste titre, à coeur. Nous avons, de par notre histoire, de par nos traditions juridiques, des approches différentes. Mais nos deux pays partagent le même souci que la protection des personnes appartenant à des minorités, dans le respect des souverainetés nationales et des frontières, soit consacrée comme l'une des valeurs fondamentales de l'Union. Et je suis convaincu que l'accord trouvé sur ce point et qui nous réunit sera confirmé et qu'il vous donnera satisfaction.
Tout en étant attentifs aux préoccupations des uns et des autres, ne remettons pas en question les équilibres auxquels est parvenue la Convention. Permettons au Conseil de prendre ses décisions plus facilement, selon un système clair, démocratique et efficace, conformément à celui proposé par la Convention. Remplaçons autant que possible la règle de l'unanimité qui est une source de paralysie, par celle du vote à la majorité qualifiée pour plus et mieux d'Europe. Permettons à la Commission européenne de conserver, grâce à une taille raisonnable, son rôle, traditionnel et indispensable, de garant de l'intérêt général face à l'intérêt des Etats qui lui s'exprime au sein du Conseil.
L'adoption de cette Constitution européenne est l'enjeu prioritaire des prochains mois : nous devons lui consacrer toute notre énergie.
Je sais les interrogations que suscite une Europe élargie quant à sa capacité à aller de l'avant. Je perçois également la crainte chez certains d'une Europe à deux vitesses. Je tiens à le dire ici solennellement : c'est une Europe à 25 que la France veut construire ! L'Union élargie doit aller de l'avant au bénéfice de tous ses membres. Nous ne voulons pas d'une Europe divisée ou d'une Europe paralysée. Nous voulons faire avancer l'Union tout entière, en respectant les rythmes de chacun, dans une démarche qui devra rester ouverte, concertée et progressive.
L'Europe des 25 constitue le cadre naturel de notre action commune. C'est dans ce cadre que nous pourrons introduire, si nécessaire, davantage de souplesse et de flexibilité. Certains pays auront la volonté et la capacité d'aller plus vite et plus loin : laissons les ouvrir le chemin. D'autres sont plus hésitants : laissons leur le temps nécessaire pour s'adapter. Les plus résolus doivent pouvoir constituer ce que j'ai appelé des " groupes pionniers ", appelés à défricher en éclaireurs certains domaines où l'Europe peut s'intégrer davantage. Et, comme cela a toujours été notre conception, c'est l'Europe tout entière qui en bénéficiera pour autant que les groupes pionniers soient respectueux, cela va de soi, de l'acquis communautaire, et ceci sous le contrôle de la Commission européenne, et restent bien entendu ouverts, sans aucune restriction, à tous ceux qui veulent ou qui peuvent les rejoindre.
Rappelons-nous que cette démarche n'est pas nouvelle et qu'elle a déjà fait la preuve de son efficacité et de sa dynamique. Nous l'avons suivie pour créer un vaste espace de libre circulation des personnes et aussi pour nous doter d'une monnaie commune. J'espère ainsi que la Hongrie sera en mesure très rapidement d'intégrer l'espace Schengen et d'adopter l'euro. Demain, d'autres domaines d'action pourront donner lieu à des coopérations au service des objectifs mêmes de l'Union : songeons à une meilleure coordination des politiques économiques au sein de l'Eurogroupe, à la création d'un véritable espace de sécurité et de justice, à la politique étrangère, à la politique de défense.
Je le répète : il ne s'agit pas de diviser mais d'entraîner à travers de nouvelles solidarités. Il ne s'agit pas d'exclure mais de mobiliser en montrant qu'aller plus loin est possible et que c'est aussi synonyme d'efficacité pour nos économies, de progrès pour nos concitoyens et pour les idéaux qui nous rassemblent. De tout coeur, je souhaite que la Hongrie se joigne à ce mouvement. Elle est attendue, avec son expérience, son dynamisme et sa volonté d'entreprendre. Elle y est bienvenue, avec tous les autres Etats membres qui partagent cette ambition.
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames, Messieurs,
Quand furent jetées après la guerre les fondations de la construction européenne, ce fut d'abord pour réaliser un rêve de paix et d'enracinement de la démocratie. Ce rêve que vous-mêmes partagez, vous qui, au coeur de l'Europe, avez vécu au plus profond de votre chair les grands chocs du siècle passé. Vous qui avez su dépasser le legs des rancunes et des affrontements pour établir, avec vos voisins, des relations exemplaires.
A l'aube de ce nouveau siècle, l'Europe est un modèle pour toutes celles et pour tous ceux qui souhaitent donner des fondations solides à un nouvel ordre mondial reposant sur l'adhésion des peuples, sur leur liberté et sur le respect de leur identité. Notre responsabilité commune est aujourd'hui d'organiser une relation harmonieuse et pacifique entre les grands ensembles du monde autour d'un nouveau multilatéralisme régulé par le droit.
Pour porter ce message de paix, le monde a besoin d'une Europe capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale. Mais nous savons aussi que pour être crédible, la diplomatie doit pouvoir parfois s'appuyer sur la force militaire.
L'Europe de la défense a beaucoup progressé au cours de ces derniers mois avec de premières opérations en Afrique et en Macédoine. En décembre dernier, nous avons pris les décisions qui renforceront les capacités de planification et de conduite d'opérations autonomes de l'Union européenne et, pour la première fois, nous avons adopté une stratégie européenne de sécurité.
Il nous faut continuer à aller de l'avant en nous engageant plus fortement dans le développement de nos capacités de défense, en participant à des forces multinationales et à des programmes majeurs d'équipements européens.
N'en doutez pas. Nul ne demande à la Hongrie de choisir entre l'OTAN et la Défense européenne. Les Etats-Unis sont nos Alliés. Les valeurs qui unissent la communauté euro-atlantique sont plus fortes que les divergences occasionnelles. Après avoir largement contribué au succès des opérations de l'OTAN dans les Balkans, la France est aujourd'hui pleinement engagée dans le processus de rénovation de l'Alliance comme en témoigne notre participation à sa Force de Réaction dont nous sommes le deuxième contributeur.
Mais, pour que notre Alliance soit toujours forte et solide, pour qu'elle soit respectueuse des positions de ses membres, encore faut-il que l'Europe acquière une véritable réalité militaire. Oeuvrer à l'Europe de la défense, c'est contribuer à la vitalité du lien transatlantique. C'est préserver notre avenir commun. Une Europe plus forte, c'est une Alliance plus forte.
Cette Europe plus forte et plus crédible pourra aider le monde à relever les défis de notre temps. Ceux d'une mondialisation maîtrisée et à l'échelle de l'homme, respectueuse de la diversité de ses cultures et soucieuse du développement durable, du respect de notre environnement. Pour cela, il nous faut adopter les nécessaires règles communes qui instaureront cette démocratie planétaire, cette gouvernance mondiale que l'opinion publique internationale nous presse d'élaborer.
Plus que jamais, l'Europe doit tendre une main fraternelle à celles et à ceux qui, autour de la Méditerranée ou dans l'immense Afrique, luttent pour la paix, contre la misère, la faim, les inégalités. Paix et prospérité sans lesquelles il n'y a pas de perspective démocratique durable dans le monde. L'Europe est pleinement elle-même, fidèle à sa vocation quand elle défend au-delà de ses frontières les valeurs qui la fondent : la démocratie, la paix, le progrès, le partage.
Ces valeurs, la Hongrie peut contribuer largement à les promouvoir et enrichir ainsi notre politique étrangère commune. Par sa géographie, par son Histoire, elle a le souci de la stabilité de notre continent. La France soutient pleinement les initiatives de la Hongrie pour accompagner et encourager le processus de réformes démocratiques et économiques dans les Balkans et en Ukraine.
Construire l'Europe de la paix, c'est aussi inventer une nouvelle relation avec la Russie, c'est essentiel. Nous pensons comme vous qu'il faut dépasser les réflexes du passé et établir avec la Russie un partenariat équilibré et respectueux les uns des autres. Aidons la Russie à libérer ses énergies immenses, aidons-la à conforter l'Etat de droit et à réussir les réformes qu'elle a engagées. Mettons résolument en oeuvre les espaces communs dont nous avons décidé la création à Saint-Pétersbourg récemment.
La solidarité, les valeurs de l'humanisme, nous devons les faire vivre aussi entre nous, au sein de l'Union. Nous devons renouer avec la croissance et veiller à la juste redistribution de ses fruits. Nous devons préserver et promouvoir dans l'Europe élargie ce modèle social, fait de justice, de dialogue et de partage. C'est un bien acquis de haute lutte auquel nos concitoyens sont attachés car ils y voient aussi l'expression de l'idée européenne.
Dans votre pays, les nécessaires transitions économiques et sociales ont été souvent douloureuses. Je le sais. La solidarité financière de l'Union à l'égard des nouveaux Etats membres est un devoir, comme cela a été le cas lors des précédents élargissements. Si la France, avec d'autres, a récemment rappelé la discipline budgétaire qui s'impose à l'Union comme à chacun de ses Etats membres, elle ne veut pas, bien sûr, remettre en cause ce nécessaire effort de solidarité qui justifie l'existence même de l'Europe. Dans un cadre financier qui n'est naturellement pas extensible à loisir, la France veillera à ce que les arbitrages de l'Union soient rendus dans l'esprit de solidarité qui fonde cette Union et qu'à juste titre vous attendez d'elle.
Enfin, cette nouvelle Europe, cette Union de 450 millions de citoyens, comment ne pas y voir l'extraordinaire promesse d'épanouissement qu'elle incarne pour tous les talents ? Forte d'une énergie, d'une vitalité nouvelles, elle doit repousser les frontières de l'imagination, de la création, de la pensée. Notre génie, notre héritage, c'est celui aussi de Neumann, de Fejtö, de Liszt, de Bartok, de Vasarely, de Kertesz.
Voilà la nouvelle frontière de l'Union : celle de l'intelligence, de tous nos talents rassemblés et mobilisés au service d'une vision de l'homme. Je ne doute pas que la Hongrie aux 13 prix Nobel saura se porter une fois encore à l'avant-garde de la conquête de ces nouveaux territoires de l'intelligence et de la création.
Unissons nos efforts dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la recherche. Soutenons une Europe des universités et des laboratoires. Favorisons l'éclosion de nouveaux champions industriels européens. Nous avons besoin de tous ces moteurs de l'innovation et du développement. Quelle formidable promesse de succès ! Airbus et Ariane montrent ce dont les Européens sont capables quand ils s'unissent et qu'ils le veulent.
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames, Messieurs,
Je vous invite à mettre le partenariat entre la Hongrie et la France au service de cette ambition, de cette grande ambition pour l'Europe.
Depuis plus de dix ans, la France a apporté un soutien constant aux efforts que la Hongrie, des efforts qu'elle a consentis pour se préparer à l'adhésion, qu'il s'agisse des jumelages communautaires ou de coopérations bilatérales.
Les liens tissés et la confiance surtout qui s'est instaurée entre nos élus, nos administrations, nos acteurs économiques et entre les citoyens de nos deux pays sont le socle de notre action conjointe dans l'Union.
Nos contacts politiques sont étroits et confiants. En 2001, Monsieur le Président, c'est moi qui vous accueillais à Paris. J'ai également eu la joie de recevoir plusieurs fois votre Premier Ministre, M. Peter Medgyessy.
Les entrepreneurs, les industriels, toutes celles et tous ceux qui promeuvent les échanges économiques entre nos deux pays ont puissamment accompagné ce rapprochement. La croissance de notre commerce et le poids de nos investissements montrent que, pour les entrepreneurs français, la Hongrie est une terre d'élection parce qu'ils ont confiance, c'est un point d'ancrage pour eux majeur dans l'Europe centrale. La Hongrie s'affirme de plus en plus comme une référence européenne dans la recherche et dans l'innovation.
Et comment ne pas évoquer nos affinités culturelles ? Elles ont témoigné les succès de nos " Saisons ", hongroise en France et française en Hongrie. Ces affinités nous permettent de défendre ensemble à l'Unesco le projet de Convention sur la diversité culturelle. Diversité culturelle qui passe aussi par la défense des identités linguistiques. Je me réjouis de votre prochaine association à la famille francophone comme observateur et je soutiens par ailleurs le projet d'une université francophone à Budapest, qui fédérerait tout le réseau des échanges universitaires, un réseau déjà très riche entre nos deux pays.
Mesdames, Messieurs,
Le 1er mai prochain s'ouvrira une nouvelle page de l'histoire de notre continent. La France est fière d'associer son destin à celui de la Hongrie. Elle voit en votre grande nation, non seulement un partenaire essentiel, mais aussi une amie. Elle a la conviction qu'avec la Hongrie, l'Europe réunie, enfin retrouvée, franchira de nouvelles étapes et saura diffuser encore davantage l'esprit européen, offrant au monde ses lumières de liberté, de solidarité et de progrès.
Je vous remercie.
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