Palais de l'Elysée - Paris le mardi 27 janvier 2004.
Monsieur le Secrétaire Général des Nations Unies, Cher Kofi ANNAN, Madame, Monsieur le Ministre des finances, de l'économie, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous souhaiter à toutes et à tous la bienvenue au Palais de l'Elysée. Bienvenue à notre Secrétaire Général à l'occasion de sa visite officielle en France et à son épouse. Bienvenue aux chefs d'entreprises français et du monde entier adhérents au Pacte Mondial et bien décidés à contribuer, chacun dans son domaine, à une mondialisation plus humaine. * Notre rencontre et son thème témoignent d'une profonde transformation. Jadis, l'horizon de nos vies était pour l'essentiel local ou national. Il s'est élargi aux dimensions du monde. L'activité internationale était d'abord le fait des Etats. Une société civile mondiale autonome prend fortement forme aujourd'hui.
Les entreprises ont une place et une responsabilité majeures dans cette évolution. C'est à des inventeurs, à des ingénieurs, à des chefs d'entreprise d'envergure que nous devons les progrès techniques qui portent la mondialisation. Fruit d'une longue histoire, ce mouvement tire sa force de l'alliance entre les entreprises, la science et les Etats. Les entreprises, portées vers le grand large par leur dynamisme, leur goût de l'innovation, du risque, de la création, à la recherche de nouveaux produits, à la conquête de nouveaux marchés. La science, diffusée comme jamais auparavant, et à laquelle nous devons un progrès constant des connaissances et une transformation de nos vies. Les Etats, enfin, garants des intérêts fondamentaux des Nations et de leurs peuples, convaincus des vertus d'une économie de marché ouverte et responsable. Les transformations qu'ont vécues au cours des dernières décennies l'Asie et l'Amérique Latine donnent l'espoir que nous pourrons vaincre partout la pauvreté grâce à une croissance économique soutenue et assurer à tous le respect des droits fondamentaux.
Mais l'ampleur des mouvements de contestation, la persistance de la misère de masse, les turbulences financières, la marginalisation hélas de l'Afrique doivent nous alerter. Gardons-nous des erreurs du passé, quand l'ignorance de la question sociale conduisit à tant de drames et de convulsions.
Soyons attentifs aux critiques qui montent. Elles dénoncent un système où l'on peut jouer de l'abolition des frontières commerciales pour remettre en question les avantages sociaux ; où l'économie et l'argent deviennent la finalité des sociétés humaines, réduisant tout à une simple valeur marchande, même la culture.
Elles affirment que la mondialisation profite aux plus riches et rejette les plus vulnérables, individus ou Nations. Elles s'alarment d'une croissance construite sur le gaspillage des ressources naturelles et indifférente aux pollutions, même mortelles.
Elles soulignent que les crispations identitaires sont en grande partie une réaction de rejet contre une ouverture sans limite qui agresse les sociétés et porte le risque de l'uniformisation.
Alors, pour éviter que la globalisation ne conduise, à l'échelle mondiale, à des troubles inacceptables, sachons construire maintenant un système de gouvernance et de solidarité capable de l'encadrer, d'en réduire les effets pervers, d'en tenir les promesses. * Le libre-échange a besoin de règles pour porter ses fruits. Il faut à notre monde des disciplines communes et des garde-fous.
L'ambition de la France, qu'elle partage avec l'Organisation des Nations Unies, c'est de développer un état de droit international fondé sur les droits de l'homme et les droits sociaux, la protection de l'environnement, le respect de la diversité culturelle, l'éthique des affaires. Ainsi, la société internationale pourra devenir une société de confiance et de progrès. Ainsi, notre système économique et social pourra reposer sur le modèle équilibré d'une économie de marché responsable.
Les lois valent par la légitimité de ceux qui les font naître, vivre et respecter. Creuset d'une gouvernance mondiale démocratique, les organisations internationales doivent mieux s'ouvrir aux pays du Sud et à la société civile, s'imprégner d'une culture de l'action et du résultat, définir ensemble des stratégies coordonnées. C'est pour donner les impulsions politiques nécessaires que la France a organisé, à Evian à l'occasion du G8, un dialogue élargi.
La solidarité constitue un pilier essentiel de ce nouvel état de droit. Nous ne pouvons être indifférents à la croissance des inégalités, à la réalité de la malnutrition, qui touche près d'un milliard de personnes dans le monde. Dans un monde global, où chacun peut à chaque instant comparer sa situation à celle des autres, nous ne pouvons frustrer les aspirations d'une jeunesse nombreuse qui demande et exige l'accès à l'éducation, à la santé, à l'emploi, à la prospérité.
Les partenariats pour le développement durable conclus à Monterrey ou à Johannesburg témoignent d'une prise de conscience. L'effort de solidarité passe par l'encouragement à l'investissement privé dans les pays du Sud, par la définition de règles commerciales plus équitables, par l'aide publique au développement, par des partenariats public-privé plus nombreux. Il passe aussi par la mondialisation au service des plus pauvres d'une part des ressources dégagées par la mondialisation. C'est le thème des travaux du groupe de haut niveau que j'ai réuni pour explorer, dans un esprit ouvert et pragmatique, les perspectives à cet égard. *
La mondialisation ne diminue en rien le rôle des Etats : elle le transforme. Pour la France, il revient à l'Etat de créer les conditions favorisant la compétitivité des entreprises ; de donner à chacun la meilleure formation ; de sauvegarder et renforcer la protection sociale ; d'appuyer l'indispensable effort de recherche ; de conduire la transition vers des modes de production et de consommation durables, cette révolution écologique que je souhaite voir inscrite dans la Constitution française par l'adoption d'une Charte de l'Environnement.
La vie internationale se transforme, mais les États continuent à y jouer un rôle majeur. Face aux conflits, au terrorisme, à la prolifération d'armes de destruction massive, c'est à eux et à leur organisation internationale qu'il revient d'assurer la paix et la sécurité. C'est aussi à eux de définir et de faire appliquer les règles d'une mondialisation humanisée et harmonieuse. * Dans ce monde, aussi incertain et dangereux qu'il est en réalité aussi plein de promesses, comment les entreprises peuvent-elles réagir ?
Elles pourraient, en théorie, se consacrer à leurs affaires dans l'unique objectif de leur rentabilité et dans le strict respect des lois en vigueur là où elles sont engagées. Mais chacun voit qu'une telle attitude, par laquelle elles prétendraient s'abstraire de toute responsabilité citoyenne, serait contraire à leur intérêt et aux exigences de notre temps.
On constate, dans tous les pays développés, la progression rapide de l'exigence éthique. Les fonds d'investissement éthiques se multiplient. Les syndicats, les associations de consommateurs, les ONG exercent de plus en plus leur vigilance. Les fédérations professionnelles engagent leurs membres autour de chartes éthiques. Des agences de notation proposent des critères et des évaluations. Les salariés attendent de leurs entreprises qu'elles s'y conforment.
Dans le même temps, les Etats progressent. Au sommet d'Evian, pour la première fois, les Chefs d'Etat et de gouvernement du G8 ont énoncé les principes d'une économie de marché responsable. Pour sortir de l'impasse le débat sur les normes sociales et le commerce, l'Organisation internationale du travail promeut le "travail décent", sorte de minimum vital, premier pas vers l'affirmation universelle des droits sociaux fondamentaux. * M. Kofi ANNAN, homme de coeur et de vision, a estimé à juste titre que l'ONU ne pouvait rester étrangère à ce mouvement. En proposant aux chefs d'entreprise de s'associer à la réalisation des Objectifs du Millénaire et d'assumer une responsabilité citoyenne mondiale, il les conduit à porter sur leur activité un regard nouveau. Votre présence témoigne que vous adhérez à sa démarche et que vous considérez les principes du Pacte Mondial comme un cadre de référence légitime.
A quoi engage-t-il en effet ?
A respecter les droits de l'homme, en toute circonstance, et ne pouvoir en rien être soupçonné de les négliger. Il est des cas où le dilemme moral se pose avec acuité. Mais vous savez bien que le profit arraché en violation de ces droits est entaché d'illégitimité.
A appliquer, même dans les pays à la législation défaillante, des normes de travail décentes, en refusant les discriminations, le travail forcé ou l'exploitation, en pratiquant le dialogue social, en vous assurant que les salaires permettent de loger, de nourrir, de soigner une famille, de donner aux enfants la possibilité d'aller à l'école et aux anciens une retraite digne.
A adopter, partout dans le monde, une démarche de précaution, soucieuse de minimiser les pollutions et le prélèvement sur les ressources naturelles. Les technologies modernes permettent de donner à nos interventions un impact positif sur l'environnement dont il faut restaurer la capacité mondiale de régénération.
Vos discussions ont porté sur l'ajout aux neuf principes qui ont fait l'objet de votre engagement, celui de la transparence financière et de la lutte contre la corruption. Je vous encourage à aller de l'avant. Il faut que cessent les scandales qui ébranlent nos économies et la confiance de nos concitoyens. Il faut des normes financières internationales qui accroissent la clarté et la comparabilité des comptes, qui tempèrent l'excessive volatilité ou la préférence pour le court terme. * Lorsque le Secrétaire Général, M. Kofi ANNAN est venu à Paris en novembre 2002, nous avons décidé de lancer une campagne d'information dont mon ami Jérôme MONOD a pris la responsabilité et je l'en remercie. Relayant l'action des fédérations professionnelles, dont je salue l'engagement, il a multiplié les contacts. Aujourd'hui, près de deux cent cinquante entreprises françaises, des plus petites aux plus grandes, sont partenaires. Elles ont décidé de se rassembler, au sein de l'Institut de l'entreprise, dans le Forum des Amis du Pacte mondial, dont je suis heureux d'accueillir le nouveau président, M. Bertrand COLLOMB.
Je souhaite, avec vous, que votre démarche s'amplifie. Il me semble qu'elle y parviendra d'autant mieux qu'elle restera volontaire, authentique, informée, concrète et mondiale.
Une démarche volontaire. A l'échelle mondiale, l'entreprise assume une responsabilité particulière. En adhérant au Pacte, elle engage sa réputation, sous le regard des Etats, de la société civile et de ses actionnaires.
Une démarche authentique. Le Pacte Mondial est rédigé en termes généraux, mais les engagements qu'il contient vont loin et obligent chacun à s'interroger sur l'impact humain, éthique et écologique de ses décisions. C'est pourquoi il me paraît important que les entreprises réfléchissent à des critères, à des mécanismes de transparence.
Une démarche informée. L'entreprise a besoin de développer ses liens avec les organisations internationales et les Etats pour mieux comprendre les enjeux et mieux se faire comprendre. La méconnaissance mutuelle, qui trop souvent prévaut entre les ONG et le monde économique, doit laisser la place à un dialogue et une coopération nourris.
Une démarche concrète. Je pense aux initiatives que plusieurs d'entre vous ont prises pour mieux lutter contre le sida : l'appui au Fonds mondial, la mise à disposition de traitements aux salariés et à leurs familles. Je pense à l'action de beaucoup d'entre vous dans l'éducation, pour pallier les insuffisances des pays d'accueil.
Une démarche mondiale, enfin. Je vous invite à faire partager votre engagement par vos homologues des pays du Sud et d'Europe orientale et centrale. Car votre exemple peut les convaincre de s'inscrire eux aussi dans un mouvement qui anticipe l'évolution du droit et des pratiques locales et accélère le rythme du développement humain. * * * Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs,
Une entreprise qui s'engage sur la voie de la responsabilité sociale est une entreprise qui a confiance en elle, qui s'inscrit dans la durée et qui sait que son image, le respect qu'elle inspire au public, à ses actionnaires, à ses salariés et à ses clients, constituent son meilleur capital.
Il est de l'intérêt de l'entreprise de travailler dans un climat de paix, de confiance, de sécurité et de stabilité. En vous mobilisant, vous faites oeuvre pionnière. En démontrant que la mondialisation peut être oeuvre de civilisation, vous apportez une réponse à celles et à ceux qui craignent qu'elle ne détruise nos sociétés. Je vous remercie d'aller de l'avant. Ainsi, vous ne servez pas seulement votre entreprise. Vous contribuez au progrès de l'Homme et à donner toutes leurs chances aux générations futures.
Je vous remercie.
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