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Hôtel des Invalides, Paris le vendredi 7 mai 2004.
Le 7 mai 1954, dans l'après-midi, un silence impressionnant descendit sur Diên Biên Phu. Le grondement sourd, les explosions qui secouaient les points d'appui avaient cessé. Les lance-fusées ne poussaient plus leur hurlement terrifiant. L'artillerie s'était tue. Les combats furieux qui s'étaient poursuivis toute la nuit sur ces pitons qui portaient de gracieux noms de femmes s'étaient arrêtés. Une bataille terrible qui durait depuis cinquante-six jours venait de s'achever. Le camp retranché était tombé, sans capituler.
C'était la fin des combats de Diên Biên Phu. C'était aussi, d'une lutte inégale, l'issue inéluctable que les soldats du Corps expéditionnaire français avaient repoussée au-delà des limites du possible. Sans sommeil, à court de munitions, de pansements, de vivres, ils s'étaient battus de toutes leurs forces, avec un courage extraordinaire, avec l'énergie du désespoir, pour l'honneur des armes et l'honneur de la France.
Le calvaire des survivants n'était pas terminé. Epuisés, blessés, mourants, ils s'enfoncèrent dans la nuit des pistes. Leurs longues colonnes se perdirent et disparurent sans traces vers les camps de la mort lente. Un tout petit nombre seulement reviendrait de cet enfer.
Depuis sept ans que durait la guerre d'Indochine, il y avait eu des batailles acharnées, des accrochages féroces, des embuscades meurtrières, des assauts désespérés où les hommes du Corps expéditionnaire avaient donné la mesure de leur valeur militaire et de leur très grande bravoure.
Dans la cuvette de Diên Biên Phu que les pluies, la boue, le fracas, la fureur des combats et l'odeur de la mort avaient transformée en un champ de bataille hallucinant, ces soldats d'élite furent des combattants magnifiques. Avec générosité, avec loyauté, avec héroïsme surtout, ils sont allés au bout de ce qu'exigent l'abnégation et l'esprit de sacrifice.
C'était il y a cinquante ans, au cours d'une guerre cruelle, lointaine et incomprise des Français.
Dans les nombreuses pages de gloire et de déchirement que compte notre histoire, Diên Biên Phu occupe une place à part. Très vite, la farouche résistance de ce camp retranché s'est élevée au rang d'une légende, au rang d'un mythe. Aujourd'hui, le nom de Diên Biên Phu est devenu le symbole même de l'honneur militaire défendu jusqu'à l'extrême limite des forces humaines.
Ainsi, il y a cinquante ans, à des milliers de kilomètres de leur patrie, dans une vallée oubliée du Haut-Tonkin, les hommes de Diên Biên Phu ont écrit avec leur sang une nouvelle geste qui renoue, par-delà les siècles, avec l'héroïsme de la Chanson de Roland. Dans la plaine de Diên Biên Phu, comme à Roncevaux, des soldats, en se sacrifiant jusqu'au dernier, ont transmué un désastre en une épopée.
L'émotion nous saisit lorsque nous essayons d'imaginer ce qu'a été cette tragédie.
De ces soldats malheureux, vous êtes aujourd'hui les rares survivants.
Vos frères d'armes étaient originaires de la métropole, du Maghreb, de l'Afrique, du Laos, du Cambodge, du Vietnam et de la Légion Etrangère. Tous s'étaient engagés par idéal ou par goût de l'aventure. Français par le sol ou Français par le coeur et par le sang versé, blessés au plus profond d'eux-mêmes, ils ont eu trop souvent, trop longtemps, le sentiment d'être des combattants oubliés, voire abandonnés.
C'est vous tous que la République rassemblée autour de ses soldats honore aujourd'hui dans ce haut lieu nimbé de gloire militaire. Ce sont vos camarades disparus dont nous saluons la mémoire. Officiers, sous-officiers, légionnaires, parachutistes et soldats, médecins et infirmiers, aviateurs et marins, vivants ou morts, unis à tout jamais dans une fraternité d'armes qui force l'admiration, la nation tout entière veut vous dire sa fidélité et son infinie reconnaissance.
Votre victoire et votre gloire, c'est d'avoir laissé, dans un affrontement tragique où le courage de l'adversaire était égal au vôtre, l'exemple de l'héroïsme le plus pur, comme un chant de force pour les hommes.
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