Genève - Suisse - mardi 19 octobre 2004.
Majesté,
Monsieur le Président de la Confédération helvétique,
Cher Federico MAYOR
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Directeur Général du CERN,
Mesdames et Messieurs,
La science est au coeur des interrogations et des aspirations de l'Homme. Source de progrès et de liberté, elle vient nourrir ses rêves, ses espoirs, ses doutes, parfois ses inquiétudes. Expression de son intelligence et de sa curiosité, elle participe de sa quête éternelle pour comprendre l'univers, la matière et la vie.
Force d'impulsion des sociétés modernes, la science doit être une préoccupation centrale du débat et de l'action politiques en Europe. Elle est, par la dynamique de l'innovation, un enjeu stratégique dans la compétition internationale. Elle cherche et prépare les solutions aux grands défis de notre temps : la recherche de nouvelles sources d'énergie, la lutte contre le changement climatique, la guérison du cancer ou des maladies génétiques et tant d'autres encore.
Aussi, suis-je particulièrement heureux d'être aujourd'hui parmi vous pour commémorer le 50e anniversaire de cette grande et belle aventure européenne qu'est le CERN, lui qui symbolise si bien l'idéal et les valeurs de la science.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, un petit nombre de visionnaires comprit que la science devait avoir un rôle majeur dans la reconstruction matérielle et morale de l'Europe.
Ces hommes d'exception portaient l'esprit de découverte, d'émulation et d'échanges qui avait inspiré les physiciens européens au début du vingtième siècle, ouvrant la voie -avec
la relativité, la mécanique quantique et la radioactivité- à une révolution scientifique sans précédent.
Autour de François de Rose -auquel je tiens à rendre ici un hommage tout particulier, quelques physiciens enthousiastes s'attelèrent à ce projet de renaissance d'une Europe unie dans l'exploration des nouvelles frontières de la connaissance. Parmi eux, pour n'en citer que quelques uns, il y avait Francis PERRIN, Pierre AUGER, Lew KOWARSKI, Niels BOHR, John COCKROFT ou Edoardo AMALDI et quelques autres. Leur mobilisation aboutit, le 29 septembre 1954, à la création du CERN.
Le nouveau laboratoire choisit pour s'implanter une localisation symbolique. Sur cette terre de paix et d'échanges, entre la France et la Suisse, s'est développée une véritable ville internationale dédiée à la science. Une ville où l'on peut désormais entrer depuis la France, par la porte Charles de Gaulle, ainsi nommée en hommage à celui qui permit l'extension du CERN dans le pays de Gex.
Je salue les quelque six mille cinq cents scientifiques, de quatre vingt nationalités, qui poursuivent leurs travaux au CERN. Ils représentent au plan mondial la moitié des chercheurs spécialisés dans la physique des particules. Je tiens également à saluer l'ensemble des ingénieurs, techniciens et personnels administratifs du CERN qui prennent part, dans un même enthousiasme, à cette formidable aventure.
Depuis cinquante ans, le CERN cherche à reconstituer les conditions qui régnaient juste après le big-bang et explore les structures de la matière.
Cette quête se poursuit avec la construction du plus grand accélérateur du monde, le LHC, long de vingt sept kilomètres. D'ici trois ans, de nouveaux détecteurs, extraordinairement sensibles, permettront d'analyser les millions de collisions qui se produiront chaque seconde dans ce nouvel et étonnant instrument. Et, peut-être, de franchir une nouvelle étape dans la connaissance de la matière, en mettant en évidence cette particule mystérieuse qu'évoquent souvent les physiciens.
Ce grand projet confortera le CERN comme premier centre mondial sur la physique des particules et des hautes énergies. Il nous permettra d'avancer vers la résolution des problèmes les plus difficiles de la physique, comme la compréhension des tout premiers instants de l'univers, la question de l'anti-matière ou celle de la matière noire du cosmos.
Au-delà de ces questions fondamentales, le CERN fut aussi à l'origine de nombreuses innovations dont nous bénéficions aujourd'hui. En matière d'imagerie médicale. Mais aussi, on l'a évoqué, avec la "Toile" mondiale du réseau internet, qui fut imaginée pour la première fois ici.
Comme l'illustre l'exemple du CERN, avec ses nombreuses retombées, la place de la science dans nos sociétés n'a cessé de grandir depuis cinquante ans. Pour la France, pour l'Europe,
l'investissement dans la recherche est plus qu'une priorité. C'est une condition de la croissance et de l'emploi. C'est une exigence de survie dans la compétition internationale.
L'intelligence représente la première richesse de l'Europe. Et pourtant, en termes de nombre de prix Nobel, de publications, de brevets, d'étudiants dans les filières scientifiques, l'Europe perd du terrain dans des proportions alarmantes. Ne prenons pas de retard. Ne renonçons pas à cette vocation qui est la clef de notre avenir.
La compétition est inhérente à la science moderne. Et cette compétition aujourd'hui s'accroît. Elle ne vient plus seulement des autres grands pôles du monde développé, comme les Etats-Unis ou le Japon. Elle s'affirme chaque jour davantage dans les pays émergents, comme l'Inde ou la Chine.
L'Europe ne peut pas se résigner à la prétendue fatalité du déclin, alors qu'elle a tous les atouts pour réussir. La recherche, sur notre continent, s'appuie sur une longue tradition d'excellence. La curiosité et la liberté intellectuelle, fondements de la démarche scientifique, sont depuis des siècles des valeurs que l'Europe a cultivées. Nos pays disposent, avec leur réseau dense d'universités, de centres de recherches et de laboratoires publics ou privés, d'un immense potentiel.
Pour relever ce défi, nous nous sommes engagés, avec la stratégie de Lisbonne, à consacrer, d'ici 2010, trois pour cent de notre richesse à l'effort de recherche. Nous devons aussi promouvoir la culture scientifique. Attirer les meilleurs étudiants vers les métiers de la recherche. Les retenir en Europe en leur offrant des conditions de travail et des perspectives de carrière plus attrayantes. Moderniser l'organisation de notre outil scientifique. Renforcer les échanges entre les laboratoires publics et privés.
Pour ce qui concerne la France, j'ai souhaité que le Gouvernement propose au Parlement une nouvelle loi de programmation et d'orientation de la recherche. Dans cette perspective, un débat s'est engagé dans la communauté scientifique en France. Ce texte devra donner à la recherche française les moyens de cette nouvelle ambition.
L'effort que la France s'apprête à consentir, tout au long des prochaines années, marque la reconnaissance par la collectivité nationale du rôle des chercheurs et de leur
place éminente dans la société. Il s'inscrit naturellement dans le cadre d'une coopération européenne et internationale. Car, dans bien des domaines, la recherche exige aujourd'hui
la mise en commun des moyens de nos pays.
Le CERN a ouvert la voie de la construction d'une Europe de la science et s'est imposé au premier rang de la recherche mondiale. Ce modèle ouvert au monde, c'est aussi celui qui inspire d'autres grands projets scientifiques et techniques. Je pense à Galiléo, je pense à ITER, ce grand équipement scientifique dont l'Europe prépare l'installation à Cadarache, en appelant à la plus vaste des coopérations internationales.
Au-delà de ces grands projets, l'Europe doit encourager la constitution de pôles et de réseaux d'excellence. Elle doit se doter d'une vision stratégique dans les domaines clefs de la science moderne : la recherche biomédicale, l'exploration du cerveau, la mise au point d'un vaccin contre le sida, l'intelligence artificielle et la robotique, les nanotechnologies, la modélisation du climat et des écosystèmes, les biotechnologies, la recherche de nouvelles sources d'énergie, pour ne citer que quelques exemples. La France appelle la Commission européenne à élaborer des propositions ambitieuses pour que l'Europe se mobilise autour de grands projets qui la placeront en tête de la compétition mondiale.
Dans ces domaines, l'Union européenne doit inventer des formes de coopération encore plus efficaces. Elle doit mieux coordonner les efforts de recherche menés dans différents pays par une allocation judicieuse de ses financements.
Au-delà, je souhaite que la réflexion s'engage au niveau européen sur la comptabilisation des dépenses publiques de recherche et de développement, qui sont par essence des investissements pour l'avenir. Et je crois qu'il serait souhaitable, et cohérent avec l'ambition de l'Europe de devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde, de les placer en dehors des critères du pacte de stabilité et de croissance.
Mesdames et Messieurs,
La science fut d'abord explication du monde. Elle est aussi, de plus en plus, pouvoir sur le monde. Un pouvoir qui, comme tout pouvoir, ne saurait s'exercer sans précaution ni contrôle. Ses avancées, porteuses d'espoirs et de progrès, soulèvent de profondes questions éthiques et parfois des craintes. Nous devons y faire face. Sans céder à l'illusion d'un nouveau scientisme, qui décrèterait souhaitable tout ce qui est possible. Ni, à l'inverse, verser dans un nouvel obscurantisme qui refuserait le progrès.
Le moment est venu de conclure un nouveau pacte entre la science et les citoyens. A la science d'aller au devant des attentes et des interrogations de la société, de travailler "pour l'honneur de l'esprit humain". A la science d'améliorer notre vie et notre environnement. A la science d'expliquer ses découvertes, de justifier ses orientations, d'adopter une démarche éthique à la mesure de ses responsabilités, de s'ouvrir au débat public dans un esprit de transparence. A la société de reconnaître toute la place de ses chercheurs. A la société de les appuyer dans la poursuite de leur mission. A la société d'appeler sa jeunesse à s'engager résolument dans la plus belle des aventures, celle de la connaissance.
Je vous remercie.