Discours du Président de la République lors de la remise de la Légion d'honneur à M. Steven Spielberg

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la remise des insignes de chevalier de la Légion d'honneur à M. Steven Spielberg.

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Palais de l'Elysée - Dimanche 5 septembre 2004.

Cher Steven SPIELBERG,

C'est pour moi une grande joie de vous accueillir aujourd'hui à l'Elysée, et d'accueillir avec vous, un certain nombre de personnalités éminentes, qui vous entourent et que je salue cordialement.

Nous nous étions rencontrés nous l'évoquions tout à l'heure le 6 juin dernier, vous étiez avec Tom HANKS, et c'était à l'occasion de la commémoration du 60e anniversaire du débarquement sur les plages de Normandie. Ces cérémonies furent un moment de grande émotion pour nous tous en France. Un moment de recueillement dans le souvenir de tous ceux, et notamment tous vos compatriotes, qui donnèrent leur vie pour la liberté. Un moment d'amitié aussi autour de ce lien profond qui unit la France et les Etats-Unis d'Amérique, un lien tissé par l'Histoire et fondé sur des valeurs et des combats communs.

Ce lien, Cher Steven SPIELBERG, vous l'incarnez à votre manière. Vous venez d'un pays, l'Amérique, qui aime le cinéma. Et c'est un pays de cinéphiles, la France, qui vous accueille cet après-midi. Certes, chacun connaît la puissance d'Hollywood. Et il nous arrive même de dire aux représentants de l'industrie cinématographique américaine que le cinéma français mérite, lui aussi, d'avoir toute sa place sur tous les écrans du monde ! Mais vous avez personnellement toujours manifesté beaucoup de respect, d'attachement et d'estime pour notre pays et pour notre culture.

Vous avez souvent dit ce que vous deviez à "la Nouvelle Vague". Alors que nous allons célébrer le 20e anniversaire de la mort de celui qui incarne plus que tout autre ce cinéma français, je veux bien sûr parler de François TRUFFAUT, chacun se souvient du rôle que vous lui avez confié -celui de Claude LACOMBE- dans "Rencontres du Troisième type". François TRUFFAUT a d'ailleurs évoqué à plusieurs reprises le plaisir que vous lui aviez fait en lui proposant tout simplement un rôle et l'impression extraordinaire que lui avait procurée ce tournage si imposant par rapport aux films qu'il avait l'habitude de tourner. Il n'hésitait pas à dire l'admiration qu'il avait pour votre constance et votre détermination qui vous faisaient résister à toutes les pressions, y compris, ajoutait-il, celles des banquiers et qui faisaient de vous un véritable cinéaste indépendant. Le public français, public, vous le savez, exigeant, l'a toujours rejoint dans ce jugement. Il aime votre cinéma, il réserve à chacun de vos films le plus grand succès. C'est donc, je vous le dis très simplement, un ami que nous recevons aujourd'hui, ici.

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Vous êtes, Cher Steven SPIELBERG, un cinéaste reconnu. Vous avez commencé votre carrière très tôt, puisqu'on m'a dit que vous auriez tourné votre premier film à 12 ans : un western de 8 minutes intitulé "the last gun" ! Depuis, vous n'avez cessé de tourner, ou de produire à travers votre propre studio, participant intensément à un profond mouvement de renouveau du cinéma américain.

La lecture de votre filmographie ne cesse d'impressionner. Non seulement par le nombre de films que vous avez réalisé, mais aussi par votre extraordinaire capacité à toucher tous les publics à travers le monde. "Les Dents de la mer", "Rencontres du troisième type", "Les aventuriers de l'arche perdue", "E.T.", "Jurassic Park", "la liste de SCHINDLER", "Il faut sauver le soldat Ryan", pour ne citer que quelques titres, tout ceci montre à n'en pas douter, à quel point vous incarnez une partie du patrimoine mondial du cinéma et de notre mémoire collective. Vous êtes sans aucun doute, l'un des plus grands cinéastes de tous les temps.

Je ne sais si les spécialistes du 7e art seraient d'accord avec moi. Mais je vois dans votre oeuvre tout à la fois le talent d'un extraordinaire conteur d'histoires, le génie d'un très grand réalisateur et une curiosité insatiable qui se traduit par une quête perpétuelle de l'autre.

Le conteur, chacun le connaît. Vous aimez raconter des histoires, mettre en scène des récits souvent fantastiques, parfois épiques, toujours saisissants. Qu'il s'agisse des extra terrestres du "3e type" ou des dinosaures de "Jurassic Park", vous nous tenez toujours en haleine et vous passionnez aussi bien l'adulte que l'enfant. Sans doute parce que vous vous adressez d'abord à l'esprit d'enfance qui habite chacun d'entre nous.

Le réalisateur, tout le monde le connaît et tout le monde connaît l'étonnante maîtrise de son art. Qui ne se souvient des bouleversantes images d'ouverture du "Soldat Ryan", filmées comme un reportage ? Comment ne pas penser non plus au formidable renouveau que vous avez su donner aux effets spéciaux ? Comment enfin oublier toutes ces très grandes actrices et très grands acteurs que vous avez su choisir, distribuer et diriger avec autant de justesse ?

Mais il y a aussi dans votre oeuvre une dimension singulière et omniprésente. Je veux parler de la quête de l'autre. L'autre cela peut être l'animal, le surnaturel, l'étranger. C'est souvent celui qui est rejeté. Votre cinéma cherche à montrer une civilisation, une société de l'aisance et du bien-être, mise en question, voire même inquiétée par son histoire, sa préhistoire, ses démons et ses mythes.

Dans le combat contre le mal, qui revient souvent dans vos films, vous montrez toujours que les êtres les plus ouverts aux autres, les plus ouverts à l'humanité de l'homme, à sa générosité, sont ceux qui ont le plus de chances de triompher et de l'emporter. La soif de toute puissance qui caractérise l'homme se retourne contre lui dans "Jurassic Park". A l'inverse, l'extra terrestre de "E.T." parle et touche ceux qui savent surmonter la peur qu'il leur inspire et lui tendre la main pour l'accueillir.

Dans un monde souvent cruel pour les plus faibles, pour les plus démunis, certains pourraient voir de la candeur ou de la naïveté dans cette vision du monde et des hommes. Mais dans l'univers du cinéma, qui est aussi l'univers du rêve et des utopies, c'est assurément une très belle leçon d'humanité. Le public ne s'y trompe pas qui vous aime aussi pour cela.

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Cher Steven SPIELBERG,

En vous remettant ce soir les insignes de chevalier de la Légion d'honneur, je veux aussi saluer les engagements qui sont les vôtres.

Votre admirable film, "La liste de SCHINDLER", a touché un nombre considérable de spectateurs à travers le monde et rares sont ceux qui l'ayant vu, ne l'ont pas revu. Vous y évoquez les années de guerre d'Oskar SCHINDLER, fils d'industriel d'origine autrichienne qui rentre à Cracovie en 1939 avec les troupes allemandes. Il va tout au long de la guerre protéger des juifs en les faisant travailler dans sa fabrique et, en 1944, il va sauver huit cents hommes et trois cents femmes du camp d'extermination de Treblinka.

Ce film vous est certainement l'un des plus personnels. Vous avez longtemps hésité je crois à le tourner, le proposant même à d'autres cinéastes. Et vous avez refusé d'être rémunéré comme réalisateur pour ne pas en tirer de profit direct. Vous y dites à la fois l'horreur de la Shoah et l'importance des comportements individuels courageux de ces Justes de l'humanité qui, à l'instar d'Oskar SCHINDLER, ont permis de sauver des vies, beaucoup de vies souvent.

Dans cette période difficile où se manifestent à nouveau la montée des intolérances, le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme, le fanatisme, il est essentiel que le cinéma, qui touche chacun d'entre nous au plus profond de nous même, nous rappelle l'horreur de l'indicible. Il est essentiel que cette forme d'expression et de création éminemment populaire rappelle à chacun les effets désastreux de la haine, de l'intolérance, du rejet de l'autre. Il est essentiel que le 7e art mette en valeur les attitudes, les actions, les engagements individuels qui peuvent seuls permettre à nos sociétés de rester fidèles aux valeurs humanistes que nous avons en partage, de rester fidèles aussi aux douloureuses leçons de l'Histoire.

A cet égard, chacun sait combien vous êtes personnellement convaincu du caractère fondamental de la mémoire pour nous protéger des démons du mal. C'est le sens de ce recueil des témoignages des victimes du nazisme dans lequel vous vous êtes engagé. Grâce à vous, ce qui risquait de se perdre, avec la disparition progressive des témoins de ces heures les plus sombres de l'Histoire de l'humanité, pourra se conserver, faire l'objet d'études, être enseigné, être montré dans les écoles.

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Cher Steven SPIELBERG,

Notre pays, vous le savez, aime le cinéma, je vous l'ai dit, tous les cinémas, serai-je même tenté de dire. C'est tout le sens de notre combat pour la diversité culturelle : permettre à la variété des identités de trouver de vraies formes d'expression et reconnaître l'égale dignité de toutes les cultures dont chacune est porteuse d'une parcelle d'universalité.

Le cinéma américain occupe une place de choix dans les goûts de nos compatriotes et le vôtre en particulier. Sans doute parce que les spectateurs ressentent l'originalité de votre parcours et de votre oeuvre. Vous allez, à l'occasion du Festival du cinéma américain, que nous sommes heureux et fiers d'accueillir à Deauville chaque année, présenter "Terminal", votre dernière oeuvre. Je vous souhaite évidemment tout le succès possible, ce dont je ne doute pas un instant. Mais je souhaite surtout que vous puissiez nous émouvoir et nous toucher longtemps encore. Votre parcours est très loin d'être achevé mais il est déjà si riche que je tenais aujourd'hui à vous remercier de cette émotion et de ce bonheur que vous savez donner aux autres et je tenais à vous dire, au nom de toutes les Françaises et tous les Français, notre admiration, notre reconnaissance et notre amitié.

Steven SPIELBERG, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier de la Légion d'Honneur





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