Brazzaville (Congo) -Samedi 5 février 2005
Monsieur le Président de la République du Congo,
Monsieur le Doyen, Président de la République gabonaise et
Président de la COMIFAC,
Excellences,
Messieurs les Présidents et chefs de délégation,
Madame la Ministre et Prix Nobel de la Paix,
Monsieur le Directeur Général du Programme des Nations Unies
pour l'Environnement,
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes réunis ici pour assurer la préservation d'un patrimoine inestimable, l'une des plus grandes richesses du bassin du Congo, la forêt ! Ces immenses "forêts aussi vieilles que le monde, et qui seules donnent une idée de la création" comme l'écrivait Chateaubriand, en percevant ce qu'elles représentent pour notre planète et pour ses équilibres.
Vous avez bien voulu m'inviter à participer à cette rencontre sur une question qui me tient à cœur et dont les enjeux, je m'en réjouis, sont de mieux en mieux perçus. Je tiens à vous en remercier tout particulièrement, Monsieur le Président, en vous exprimant également toutes mes félicitations, non seulement pour avoir pris cette initiative, mais également pour la remarquable organisation de ce sommet.
Le patrimoine biologique mondial, comme l'a souligné la conférence sur la biodiversité qui s'est tenue à Paris la semaine dernière, est gravement menacé. Il nous faut réagir. A ce jour, plus de 16 000 des espèces connues sont directement menacées d'extinction ; à tel point que certains scientifiques se demandent si l'homme n'est pas en train de déclencher la sixième grande vague d'extinction des espèces depuis l'apparition de la vie sur notre planète. Ainsi, les forêts primaires tropicales, qui abritent plus de la moitié des espèces terrestres, occupent une place primordiale et méritent donc une vigilance toute particulière.
La communauté internationale est engagée dans des débats difficiles où s'opposent souveraineté nationale et intérêt général de la planète, besoins immédiats et souci du long terme. La protection des forêts ne peut pas attendre. Elle doit s'appuyer sur des réalisations concrètes qui concilient la conservation des espaces les plus remarquables et l'exploitation durable du bois.
Le Bassin du Congo -le second bassin forestier du monde après celui de l'Amazonie- est, en termes de biodiversité, l'espace le plus riche et le plus intéressant de l'Afrique. Réservoir génétique, poumon vert, puits de carbone : les forêts du Bassin sont tout à la fois un espace qu'il convient de préserver et une ressource majeure pour l'avenir de notre planète.
Les forêts du Bassin du Congo représentent aussi l'un des principaux potentiels du développement économique d'Afrique centrale, à condition d'être mises en valeur conformément aux règles du développement durable. Dans ce bassin, plus de 100 000 personnes sont directement employées par le secteur forestier organisé. La forêt est appelée à prendre de plus en plus d'importance dans les économies de la région à mesure que la paix et la stabilité encourageront l'investissement et le développement.
L'environnement et le développement vont ici de pair, ils se servent l'un l'autre. Les principes adoptés au sommet de Johannesburg doivent être très concrètement les guides des actions à engager ici pour faire du Bassin du Congo un modèle exemplaire du développement durable.
Cet engagement est plus que jamais nécessaire, car le patrimoine écologique aussi bien qu'économique est aujourd'hui en danger. Le braconnage, les pillages, l'urbanisation, la perte
de l'habitat naturel et sa dégradation ont créé de vastes zones où les systèmes naturels sont en péril. Dans le Bassin du Congo, chaque année, 800 000 hectares de forêts sont
détruits et ce rythme ira en s'intensifiant, sous la pression conjuguée de la croissance démographique et du développement économique. La situation du Bassin du Congo est sans
aucun doute, moins dramatique que celle des forêts amazonienne ou asiatique. Mais alors que la paix s'installe durablement dans la région, et que les investisseurs s'intéressent
à ce bel espace, il faut agir, et agir vite.
Cet engagement en faveur du Bassin, Messieurs les Présidents, mes Chers Amis, est d'abord le vôtre et c'est ce qui vous a conduit à organiser cette réunion. C'est tout l'esprit du NEPAD qui est à l'œuvre aujourd'hui, comme il a inspiré votre Sommet de Yaoundé, en 1999, qui a fait du Bassin une priorité politique de la région.
De ce sommet est née en particulier une initiative régionale remarquable, le Plan de convergence, qui définit les grands objectifs que la Commission des forêts d'Afrique centrale a pour mission de mettre en œuvre au cours des dix prochaines années. En signant aujourd'hui, tout à l'heure, le Traité constitutif de la COMIFAC, vous lui donnez les moyens de poursuivre dans cette voie et de mener à bien son action.
L'action de la COMIFAC est primordiale car la gestion efficace du Bassin nécessite des politiques régionales. Les législations forestières, la stabilité des situations juridiques -je pense en particulier aux permis d'exploitation, à la lutte contre l'exploitation illégale de la forêt, à la certification des bois tropicaux ou encore à l'aménagement durable des forêts- sont autant d'enjeux de premier plan pour cette concertation. Travailler sur tous les sujets, c'est prévenir des conflits futurs, mutualiser les acquis et les moyens, et donc, les démultiplier. Travailler ensemble, c'est aussi favoriser la stabilité de la région ; ce qui ne pourra qu'encourager le secteur privé local à se développer et les entreprises internationales, à s'investir et à investir.
Cette action régionale ne dispense pas chaque Etat d'une action nationale concernant notamment les codes forestiers. La toute première priorité est celle de l'aménagement durable. Les aires protégées, qui représentent aujourd'hui 15% du Bassin, sont indispensables pour sauvegarder les espaces les plus remarquables du point de vue de la biodiversité. Cet effort de conservation doit être renforcé. Je tiens à saluer, à cet égard, les remarquables efforts réalisés par le Gabon pour compléter son réseau de parcs nationaux et de zones protégées. Mais la création d'aires protégées ne suffira pas à assurer l'avenir du Bassin. Les enjeux de la conservation doivent également être intégrés dans les règles d'exploitation. Grâce à votre effort, conjugué à celui des entreprises, des bailleurs, des centres de recherche et des ONG, l'aménagement durable progresse depuis la fin des années 1990. Il faut encourager les entreprises respectueuses des réglementations forestières, leur tracer des cadres juridiques clairs, des conjonctures prévisibles, les protéger des opérateurs sans scrupules. Pour être durable, le développement doit bénéficier d'une gouvernance exemplaire. Plus celle-ci sera manifeste, et plus vous trouverez des partenaires attentifs au développement du Bassin, les grandes institutions multilatérales, les entreprises privées, le monde associatif.
Permettez-moi, à ce titre, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, de m'exprimer au nom de tous les Partenaires du Bassin, que la France représentera, au cours des deux prochaines années, au sein du Partenariat pour les forêts du Bassin du Congo, prenant ainsi la succession des Etats-Unis.
Ces partenaires sont bien présents depuis des années.
Les ONG, tout d'abord, qui se livrent depuis très longtemps à un travail de terrain remarquable et qui sensibilisent l'opinion publique et les pouvoirs publics. Je tiens à saluer leur effort constant et nécessaire.
Les entreprises forestières, pour leur part, commencent à s'engager elles aussi, dans des démarches durables. Elles ont compris que c'était leur intérêt profond dans la mesure ou elles étaient sérieuses.
Les Etats partenaires du Bassin, au premier rang desquels les Etats-Unis, ont manifesté un intérêt soutenu.
Les organisations internationales sont de plus en plus présentes : la Commission européenne, la Banque mondiale ou encore la FAO, dont je salue ici le Directeur. Les clubs de bailleurs qui se sont constitués et font un travail de coordination remarquable dans certains pays du Bassin, comme la République démocratique du Congo, méritent d'être tout particulièrement encouragés.
Aujourd'hui, je n'ai pas pour seul but de saluer et de solliciter votre engagement. J'ai aussi la mission d'affirmer celui des Partenaires des forêts du Bassin du Congo. Depuis sa création à Johannesburg en 2002, le Partenariat a permis à ses 29 membres d'harmoniser leur travail, de conjuguer leurs efforts avec vos autorités et avec la COMIFAC. Le Partenariat a également permis de générer un montant considérable de ressources. La présentation, hier, du bilan de la facilitation américaine vous a permis de mesurer l'ampleur du travail qui a déjà été accompli.
La France est désormais en charge de ce partenariat. Elle s'attachera à en préserver l'esprit, avec trois objectifs prioritaires :
- d'abord renforcer le dialogue entre les acteurs du bassin, tous les acteurs du bassin, afin de créer une dynamique qui encouragera les bailleurs à s'engager davantage pour la réalisation d'objectifs convergents. Pour la France comme pour les autres partenaires, facilitation signifie d'abord synergie des savoirs et des vouloirs. Le secteur de la Forêt est un terrain de prédilection pour mettre en réseau des partenaires variés, publics et privés, qui sont déjà motivés par l'avenir du Bassin. Pourquoi ne pas lui associer un jour des entreprises, de grandes Fondations internationales, voire même des Fonds de pension, comme cela a été fait en Amérique Latine ?
Je note que les expériences innovantes se multiplient : à nous d'en tirer les leçons, de concert avec la COMIFAC.
- deuxième objectif, lutter contre le commerce illicite du bois tropical. Ce fléau écologique, qui entraîne des pertes financières considérables pour vos économies chaque année est l'antithèse même du développement durable et cause un tort considérable à l'image de la région sur les marchés européens. Nous devons renforcer les moyens humains et logistiques de surveillance des forêts du Bassin afin de lutter contre les coupes illégales. Renforcer les contrôles douaniers, dans les ports de départ en Afrique comme dans les ports d'arrivée en Europe, en Amérique ou en Asie, et ceci pour empêcher l'exportation frauduleuse des essences protégées.
- Troisième objectif prioritaire : favoriser le renforcement des capacités nécessaires à une gestion durable du bassin. Je pense à la formation professionnelle aux différents métiers de la forêt, au renforcement des administrations responsables de la codification et à la mise en œuvre des politiques forestières.
Depuis 2003, la France a affecté au Bassin forestier du Congo une somme globale de 50 millions d'euros. A cela s'ajoute évidemment sa quote-part aux opérations conduites par l'Union européenne au travers d'ECOFAC, qui a déjà engagé plus de 80 millions d'euros et va ouvrir une nouvelle tranche de financements de 40 millions d'euros dans les prochains mois. L'engagement de la France se manifeste aussi par les décisions qu'elle a prises pour que ses achats publics de bois s'orientent désormais uniquement vers des productions certifiées. Car l'éco-certification est un des instruments les plus efficaces de gestion durable des espaces forestiers.
Le patrimoine du Bassin du Congo est le vôtre, c'est votre patrimoine. Il a aussi une valeur écologique irremplaçable pour la planète, c'est vrai. C'est pourquoi nous devons être prêts à mutualiser une partie du coût de sa préservation et je souscris tout à fait à ce qu'a dit tout à l'heure le Doyen. Telle pourrait être l'une des affectations des mécanismes innovants de financement du développement dont la France, vous le savez, propose la création.
Messieurs les Présidents, Chers Amis, nous devons aujourd'hui, à Brazzaville, nous mobiliser pour un véritable engagement. Nous devrons être déterminés mais aussi patients et opiniâtres car les effets de nos décisions se feront sentir sur le long terme. C'est bien le lieu ici à Brazzaville, de rappeler Albert Camus, selon lequel la seule efficacité qui vaille "est celle de la sève".
Je vous remercie.
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