Discours du Président de la République lors de l'inauguration d'une exposition du pavillon français du Musée-mémorial d'Auschwitz.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de l'inauguration de la nouvelle exposition du pavillon français du Musée-mémorial d'Auschwitz.

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Auschwitz (POLOGNE) - Jeudi 27 janvier 2005.

Monsieur le Président du Sénat,
Madame et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Représentants des autorités religieuses,
Monsieur le Directeur du Musée-Mémorial d'Auschwitz-Birkenau,
Madame la Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Chère Simone VEIL,
Madame la Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation,
Monsieur le Président de l'Union des Déportés d'Auschwitz,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,

Quand, le 27 janvier 1945, voici 60 ans, les soldats de l'Armée Rouge pénètrent à Auschwitz et Birkenau, que reste-t-il de ces millions d'hommes, de femmes et d'enfants, de ces millions de vies brisées par la Shoah ?

Que reste-t-il de ces familles, de ces destinées, de cette humanité anéanties dans la nuit des camps ?

Par notre présence ce matin, par cette exposition, par la cérémonie internationale de cet après-midi, nous attestons qu'il reste la mémoire de chacune de ces vies dignes du plus profond des respects. Le souvenir de leur humanité qui nous hante. Le témoignage de leur existence martyrisée qui nous oblige.

60 ans après, Auschwitz et Birkenau demeurent, dans l'histoire des hommes, comme une immense et terrible déchirure.

Ici, des abîmes inconnus se sont révélés. La folie criminelle nazie est venue mettre en question l'essence même de l'humanité.

Ici, un appareil d'Etat a conduit une entreprise d'extermination, scientifique, systématique et méthodique, qui ne souffre aucune comparaison. Extermination de tout un peuple, sur tout un continent.

Le mal s'est incarné en ces lieux, déchirant nos cœurs et brûlant nos consciences pour l'éternité.

Aujourd'hui, dans le silence et l'émotion, nous sommes venus nous recueillir et nous incliner devant toutes les victimes des camps de la mort. Au-delà des mots toujours trop faibles, nous sommes venus exprimer devant l'Histoire notre volonté. Volonté de témoigner, volonté de transmettre. Volonté d'honorer. Et volonté d'agir.


Témoigner est une exigence pour toutes celles et tous ceux qui ont survécu à l'indicible.

C'est cette exigence qui vous amène ici ce matin. Et nous mesurons le prix de votre présence et le courage avec lequel vous êtes venus combattre le temps qui fuit et qui efface. Grâce à vous, les jeunes générations entendent la voix de la vérité. Vous obligez les hommes à penser l'impensable. Vous transmettez le flambeau de la mémoire. Merci à vous en particulier, Chère Simone VEIL. Merci à vous, Cher Henry BULAWKO. A travers vous, c'est à tous les témoins de l'inimaginable que je veux dire notre admiration et la reconnaissance de la France.

Je veux aussi exprimer ma gratitude aux nombreuses et éminentes personnalités qui ont œuvré à la conception et à la réalisation de la nouvelle exposition du Pavillon français. Merci de vous être tant donnés pour cette contribution essentielle au service de la vérité. Merci également aux autorités polonaises dont le concours aura permis le bon aboutissement de cette indispensable œuvre de mémoire.

Pour traduire la réalité de la déportation, vous avez choisi de montrer la Tragédie au travers de destinées individuelles. Dans ce "block 20", lieu du sinistre hôpital du camp, vous avez retenu des vies qui, pour être singulières, n'en sont que plus représentatives.

Avec la figure emblématique de Pierre MASSE, voici que surgissent ces juifs "fous de la République". Lorrain, avocat, combattant de la Grande Guerre, parlementaire, ministre, il écrit, avant de mourir gazé à son arrivée : "je finirai en soldat de la France et du droit que j'ai toujours été".

Avec Georgy HALPERN, c'est le drame insupportable des enfants. Fuyant l'Autriche, ses parents croient trouver refuge en France. Dans la maison d'Izieu, il est arrêté. Georgy meurt gazé à son arrivée à Auschwitz le 18 avril 1944. Il a 9 ans.

Avec Jean LEMBERGER s'incarne cette génération de militants pour qui le parti communiste fut plus qu'un engagement, ce fut le choix d'une vie. Juif originaire de Pologne, il est arrêté à Paris en 1941, un an avant la terrible rafle du Vel-d'Hiv. Libéré, repris par des policiers français pour ses activités résistantes, déporté à Auschwitz puis Flossembürg, il sera libéré par les Américains.

Avec Charlotte DELBO et les femmes du convoi du 24 janvier 1943, ce sont les militantes et les patriotes. Elles entrent dans Auschwitz en chantant La Marseillaise··· De ces 230 héroïnes, seules 49 survivront.


Enfin, Sarah et Hersch BEZNOS, avec leurs enfants et leurs petits-enfants : une famille décimée, parmi tant et tant d'autres. Ils font partie du convoi n° 49 du 2 mars 1943 où se trouvent plusieurs vieillards de plus de 90 ans··· Leur destin, pour le seul fait d'être juifs, c'est l'extermination, la Shoah, ce crime absolu contre l'humanité.


Honorer leur mémoire, honorer la mémoire de tous les déportés morts tragiquement dans cette enceinte de souffrance et d'extermination : tel est le devoir des peuples qui refusent qu'à la trahison des valeurs de l'homme s'ajoute l'outrage de l'oubli.

Juifs dont l'installation en France se perd dans la nuit des temps ; Juifs d'Europe centrale, orientale et balkanique, venus chercher asile dans la patrie des droits de l'Homme ; Juifs devenus Français de cœur, d'esprit et de langue grâce à l'Alliance Israélite Universelle, dont je salue ici le Président, mon ami le Professeur Ady STEG qui connaît le respect que je lui porte. Juifs de tous âges, de toutes conditions, de toutes origines, qui ont tant apporté à notre pays, à notre culture, à notre civilisation, happés par la folie criminelle des nazis : vos enfants, vos familles, vos compatriotes se souviennent de vous. Votre souvenir, celui de ce "monde qui fut", est pour la France plus qu'une douleur. Il est la conscience d'une faute. Il est une exigence de responsabilité.

Résistants, militants politiques et syndicaux, patriotes, condamnés parce qu'animés d'une certaine idée de l'homme, de la Nation, de la société, de la France, votre patrie, déportés pour avoir refusé la soumission et la compromission : vous êtes pour toujours dans nos cœurs. Merci à tous ceux qui ont rendu à chacun son nom. Ce nom qui est la seule tombe que l'histoire peut offrir à ces hommes, à ces femmes, à ces enfants.


L'exposition, que je viens de découvrir avec une profonde émotion, exprime l'universalité de chacun de ces destins auxquels je veux rendre l'hommage de la Nation. En nous souvenant de tous et de chacun, nous leur rendons justice. Nous avons raison de leurs bourreaux qui leur promettaient l'oubli.


Se souvenir, c'est être là. Mais c'est aussi agir.

Agir, ce fut le choix, hier, de ces milliers de Justes, ces Françaises et ces Français, de toutes conditions, de toutes convictions, qui défièrent tous les dangers pour rester fidèles aux valeurs universelles qui font la grandeur de notre pays. Pour dire non quand il était encore temps. Les Justes demeurent comme un exemple, pour nous tous et pour notre jeunesse, un exemple de cet engagement, de cette morale individuelle, de cette fraternité qui seuls font la force et l'exemplarité des peuples.

Agir, aujourd'hui et demain, c'est construire une société dans laquelle cette entreprise, monstrueuse et criminelle, sera simplement impensable.

Nous le faisons, en France, en maintenant fermement l'exigence de mémoire, qui est une exigence de vérité et de responsabilité.

C'est dans cet esprit que notre pays a reconnu en 1995 ce que fut la réalité de son histoire. Ce que furent ses responsabilités. C'est dans cet esprit que nos professeurs ont le devoir et la mission de transmettre et de transmettre encore aux jeunes toute la vérité sur ces années. De leur rappeler notre histoire pour que jamais ne s'efface le souvenir. De leur faire partager les valeurs de tolérance et de respect de la dignité humaine.

C'est dans cet esprit que nous opposons implacablement la rigueur de la loi à ceux qui prétendent nier l'horreur de ce qui s'est passé. Nier la réalité de la déportation. Nier la réalité des chambres à gaz et des crématoires. Nier la réalité de la Shoah. Nous combattons résolument toutes les résurgences de l'inacceptable.

Nous agissons aussi, sur notre continent, par notre engagement déterminé à construire une Europe rassemblée dans la paix, la liberté et la démocratie. Une Europe forte et fière des principes humanistes qui unissent ses membres, consciente de toutes les tragédies qui ont ponctué sa longue histoire. Une Europe qui tarisse à leur source la haine, l'intolérance et le fanatisme. Ici, plus qu'ailleurs, dans ce haut lieu du souvenir, nous mesurons combien l'Europe est d'abord une mémoire partagée.

Nous agissons, dans le monde, par notre engagement résolu en faveur de la paix, de la défense des droits de l'homme et de la justice.

C'est pour cela que la France s'est mobilisée en faveur de l'adoption de la Convention de Rome en 1998 et qu'elle continuera à soutenir le principe et l'action d'une justice pénale internationale permanente. Il est des ingérences légitimes. Nulle part le crime contre l'humanité ne doit trouver refuge ou répit.

La France assumera toujours ses responsabilités, sur son sol et au sein de la communauté internationale, pour empêcher ces retours vers les ténèbres de l'histoire.


Mesdames, Messieurs, je pense en particulier aux jeunes de Longjumeau qui nous ont accompagnés aujourd'ui.

Saurons-nous rester fidèles à la mémoire des victimes de la Shoah ?

Saurons-nous transmettre aux générations futures, dans sa terrible vérité, l'héritage si douloureux du siècle écoulé ?

Saurons-nous tirer les leçons de l'histoire pour bâtir une société du respect, du dialogue et de la tolérance ?

Pour répondre à ces questions, écoutons celles que nous pose, avec tous ses compagnons de souffrance, Charlotte DELBO :

"O vous qui savez
saviez-vous que la faim fait briller les yeux
que la soif les ternit
O vous qui savez
saviez-vous qu'on peut voir sa mère morte
et rester sans larmes
O vous qui savez
saviez-vous que le matin on veut mourir
que le soir on a peur···
saviez-vous que la souffrance n'a pas
de limite
l'horreur pas de frontière
Le saviez-vous
Vous qui savez"

Mesdames, Messieurs,

Oui nous savons et nous n'oublierons jamais.

Nous ne renoncerons jamais à notre idée de l'homme et de sa dignité.

Conscients de tout ce que ces lieux recèlent d'irréparable, nous repartirons, ce soir, plus déterminés et plus forts, pour bâtir un avenir de tolérance, de justice et de paix.





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