Paris - Mardi 25 janvier 2005 .
Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires
Monsieur le Président du Conseil Régional d'Ile de France,
Messieurs les représentants des autorités religieuses,
Madame la Présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah,
Chère Simone Veil,
Monsieur le Président du mémorial de la Shoah, Cher Eric de Rothschild,
Monsieur le Président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Cher Roger Cukierman,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Je suis venu ici, aujourd'hui, rappeler l'engagement de la France à toujours se souvenir du martyre juif. M'inclinant avec respect devant les victimes de la Shoah, je suis venu rappeler la promesse de notre pays de ne jamais oublier ce qu'il n'a pas su empêcher.
"Souviens-toi. N'oublie pas".
"Zakhor, Al Tichkah".
En ce lieu où l'émotion se mêle au recueillement, l'immense chagrin au regret, cet impératif, placé au cœur du judaïsme, résonne d'un écho singulier.
Ce matin, c'est une nouvelle fois la mémoire qui nous rassemble. Le simple héroïsme du témoin, l'humble fierté de la mémoire, la puissance du souvenir et le refus de l'oubli, sont
l'ultime défaite de la barbarie.
Le mémorial de la Shoah invite la France à se souvenir de ceux que Malraux appelait "nos frères dans l'ordre de la nuit".
Son inauguration est l'aboutissement d'un long cheminement, ouvert au plus sombre de l'horreur nazie. Quand chaque jour des convois précipitaient vers les usines de mort des hommes, des femmes, des enfants, promis à la terrible destinée de l'oubli, un homme décida qu'il fallait commencer à consigner les événements et les faits, collecter des documents, rassembler des archives. Accumuler des preuves pour les produire un jour devant le tribunal des hommes et pour que tombe le jugement de l'Histoire.
Prendre des notes au cœur de l'Apocalypse, rassembler papiers et témoignages, face à la mécanique inexorable de l'extermination, tel fut le défi relevé par Isaac Schneersohn. Symbole émouvant de l'héroïsme et admirable illustration du travail de l'historien.
En créant à Grenoble, en avril 1943, le Centre de documentation juive contemporaine, Isaac Schneersohn accomplissait un acte d'une authentique résistance. Celle de la mémoire. Déjà, la faiblesse était plus forte que la force elle-même ; l'honneur plus grand que la honte ; l'espoir plus puissant que la peur. Déjà, s'exprimait toute la dignité de l'homme quand il demeure debout, au cœur des ténèbres. Isaac Schneersohn ou l'archiviste de l'esprit contre la bureaucratie de la barbarie.
Je veux ici témoigner, solennellement et fraternellement, ma reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui ont poursuivi son œuvre jusqu'à l'inscrire aujourd'hui dans l'immuable réalité de la pierre. Sur ce mur, 76 000 noms rendent une dignité posthume à des vies brisées. Une mémoire ineffable à un peuple martyrisé.
Cher Eric de Rothschild, ce Mémorial vous doit tout simplement d'exister. Soyez-en vivement remercié et permettez-moi d'associer à l'expression de ma gratitude le Directeur du Mémorial, Monsieur Jacques Fredj, sans le travail ardent et dévoué de qui rien de tout cela n'aurait été possible.
Merci à vous, Chère Simone Veil, vous qui présidez la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, inspiratrice de ce projet. Merci de tout ce que vous donnez à notre pays.
Merci à vous, Cher Professeur Ady Steg. Votre immense culture, votre exigence intellectuelle et morale, contribuent à conférer à ce Mémorial son prestige et son rayonnement. Je voudrais associer aujourd'hui un nom au vôtre : celui de Monsieur Binon, votre professeur de lettres du Lycée Voltaire, qui, lorsqu'il vous vit arriver avec l'étoile jaune au revers de votre veste, fit étudier à sa classe l'admirable texte de Montesquieu intitulé "De la tolérance".
Merci aussi à vous, Serge Klarsfeld, et à vous, Richard Prasquier. Je mesure tout ce que notre pays doit à la généreuse abnégation d'hommes tels que vous et à l'action patiente des deux institutions que vous dirigez : "Les Fils et les Filles des Déportés Juifs de France" et "le Comité français pour Yad Vashem".
Et merci à toutes celles et à tous ceux que, bien injustement, je n'ai pas cités mais dont l'engagement, le talent et l'énergie auront permis de mener à bien
cette œuvre si nécessaire.
En cet instant, l'histoire hante nos consciences. Elle nous fait un devoir pour toujours.
Ce devoir c'est d'abord une exigence de vérité. En visitant ce Mémorial, comme nous avons pu le faire tout à l'heure, avec une profonde émotion, j'ai été frappé par la force de sa sobriété. Des noms, des dates, des chiffres, des cartes. Quelques photographies. Des faits. Rien de plus. Mais des noms qui nous regardent et nous observent. Des faits qui nous parlent et nous apostrophent.
A ceux qui voudraient nier cette réalité, nier ces faits, nier cette histoire, je dis solennellement qu'ils seront poursuivis et condamnés avec toute la rigueur de la loi. La science fut dénaturée pour légitimer le racisme. Nous n'accepterons pas qu'elle soit dévoyée pour justifier le négationnisme, ce crime contre la vérité.
Se souvenir, c'est aussi transmettre. Il faut que, toujours, l'histoire soit dite. Jamais la chaîne ne doit se rompre. Nos enfants, nos petits-enfants devront garder au plus profond de leur cœur, poignante comme une douleur et présente comme une menace, la conscience de ce qui s'est passé.
Je compte sur tous les professeurs de France et je les invite à amener leurs élèves ici, au Mémorial de la Shoah, pour que nos enfants voient, comprennent et n'oublient jamais. La mémoire de la Shoah n'est pas seulement celle d'une communauté. Elle est notre mémoire commune. Elle est l'obligation pour la Nation, de se rappeler son histoire. Par delà la singularité bouleversante des destins, elle exprime, comme le montre si bien "Shoah", le chef d'œuvre de Claude Lanzmann, la nécessité pour l'humanité tout entière de se souvenir des crimes commis par elle et contre elle.
Mais la mémoire et le souvenir imposent avant tout vigilance et détermination.
En ces minutes si particulières, je veux redire avec gravité que l'antisémitisme n'a pas sa place en France. L'antisémitisme n'est pas une opinion. C'est une perversion. Une
perversion qui tue. C'est une haine qui plonge ses racines dans les profondeurs du mal et dont nulle résurgence ne peut être tolérée. Il n'y a pas d'acte ni de propos excusable en
la matière. Rien n'est insignifiant. Qu'elle suinte par l'écrit, la parole, la télévision, l'ordinateur ou le satellite, cette haine est intolérable. Le Gouvernement met et mettra
tout en oeuvre pour que cesse l'antisémitisme.
Monsieur le Président
Mesdames, Messieurs,
Si la France est déterminée à la vigilance, à l'intransigeance dans son combat contre le refus de l'autre, c'est parce qu'elle n'ignore rien de son histoire ni de ses responsabilités passées.
Quand je me tourne vers ce mur des noms, je pense aussi aux Justes, conscience et honneur de notre pays, grâce à qui les trois-quarts des Juifs de France ont été sauvés. Leur lumière, celle de toutes celles et de tous ceux qui ont alors dit non, éclaire aujourd'hui encore notre pays.
Mais je n'oublie pas non plus les heures les plus sombres de notre histoire. Le 16 juillet 1995, j'ai rappelé, au nom de la France, lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942, que la folie criminelle de l'occupant avait bien été secondée par des Français et par l'Etat français. La France se devait de reconnaître sa responsabilité. Elle se doit de tout faire pour rester fidèle à l'héritage humaniste qu'elle avait alors trahi. Tout faire pour assurer à chacun, sur notre sol, une existence digne, libre et sûre quelles que soient ses convictions, quelles que soient ses croyances.
Je n'ignore pas les inquiétudes, parfois les angoisses, qui étreignent le cœur de nos compatriotes juifs. La mémoire juive, c'est la mémoire blessée d'un peuple qui, tout au long
de son histoire, a été dispersé, persécuté, avant de connaître l'horreur de l'extermination. Cette blessure suffirait à elle seule à justifier, si besoin était, la
nécessité d'un Etat dont l'existence garantisse le "plus jamais ça". C'est en ce sens qu'Elie Wiesel, témoin de l'horreur devenu militant de la paix, a pu justement écrire : "les
Juifs peuvent vivre en dehors d'Israël, mais ils ne pourraient pas vivre sans Israël". Israël, dont la France est l'amie et qui aspire légitimement, comme les Palestiniens et tous
les peuples de la région, à vivre en paix, en sécurité, dans des frontières sûres, acceptées et reconnues.
Mesdames, Messieurs,
Après-demain, je serai en Pologne pour célébrer le 60e anniversaire de la libération d'Auschwitz. Six millions d'hommes, de femmes et d'enfants, les trois-quarts des Juifs d'Europe sont morts dans les camps nazis. Fidèles à la mémoire de celles et de ceux que la haine et le refus de l'autre ont emportés pour toujours, nous voulons bâtir, pour nos enfants, une Europe rassemblée, un monde de paix, un avenir de justice, de liberté et de respect de l'autre.
C'est pour eux, pour toutes celles et tous ceux dont on a voulu détruire jusqu'au souvenir, que nous n'oublierons pas.
Je vous remercie.
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