Discours du Président de la République lors de la présentation d'ouvrages sur 20 ans d'archéologie française

Discours de Monsieur Jacques CHIRAC, Président de la République,
à l'occasion de la présentation des ouvrages sur 20 ans d'archéologie française en France et dans le Monde.

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Palais de l'Elysée - Paris, le vendredi 14 janvier 2005.

Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs,

Retrouver les traces des civilisations anciennes, étudier les vestiges du passé, partir à la rencontre des peuples disparus, de leurs cultures, de leurs croyances, de leurs modes de vie, de leur environnement, de leur création. Qui n'aimerait vous suivre sur ces chemins ? Ces mondes perdus font plus que rêver. Ils forment la trame de nos identités, de nos racines, de nos origines, des questions les plus profondes qui en réalité se posent aux hommes. En nous invitant au voyage dans l'espace et dans le temps, vous nous donnez les moyens d'expliquer et de comprendre cette prodigieuse aventure qu'est l'aventure humaine.

Depuis longtemps j'admire la science et la passion qui sont les vôtres. Aussi est-ce avec joie que je vous accueille ici ce soir, à l'occasion de la parution de ces deux ouvrages magnifiques : Archéologies, vingt ans de recherches françaises dans le monde et La France archéologique, vingt ans d'aménagements et de découvertes.

Permettez-moi d'adresser des félicitations très sincères et très chaleureuses aux auteurs et à toutes celles et tous ceux qui ont permis à ces deux superbes livres de voir le jour. Chacun de ces volumes est un ouvrage de synthèse, richement illustré, à la fois accessible, à tous, et ouvrage de référence. Enseignants, chercheurs, étudiants, lecteurs curieux de l'évolution considérable de l'archéologie depuis vingt ans comme de l'histoire de l'humanité depuis cinq cents millénaires : chacun trouvera dans ces ouvrages matière à analyse et à réflexion. C'est pourquoi je ne doute pas que ces deux livres connaîtront une très large diffusion en France et dans le monde.

Je tiens aussi à remercier les représentants de nos grandes institutions nationales, sans lesquelles l'archéologie française ne serait évidemment pas ce qu'elle est : l'Institut de France, et je suis heureux de saluer le secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, M. Jean Leclant, pour qui j'ai une particulière estime et qui est mon ami ; la commission consultative des recherches archéologiques à l'étranger, et son secrétaire général, mon ami Jean-François Jarrige ; les services des ministères des Affaires étrangères, de la Culture et de la Communication, de la Recherche ; l'Institut national de recherches archéologiques préventives et son président, M. Jean-Paul Demoule, qui a coordonné la rédaction de l'ouvrage sur la France ; les membres du Centre national de la recherche scientifique, de l'Université, du Collège de France.

A travers vous toutes et vous tous, je tiens enfin à rendre un hommage particulier à celles et ceux qui, sur le terrain, sur les chantiers de fouilles, dans les laboratoires, les bibliothèques, les instituts de recherche, jour après jour, poursuivent leur quête patiente et obstinée des racines les plus profondes de notre présent. C'est à elles et à eux, c'est à vous tous, que nous devons le dynamisme et la vitalité de l'école archéologique française, reconnus en Europe et dans le monde et conformes à une longue et forte tradition d'excellence.

Ces deux ouvrages nous émerveillent. Ils nous permettent aussi de mesurer l'ampleur des mutations de l'archéologie au cours des deux dernières décennies. En France, avec le développement de l'archéologie préventive, comme dans le monde, avec l'essor d'une véritable politique de coopération dans ce domaine où la demande adressée à nos institutions, à nos chercheurs, n'a cessé de croître.

On est frappé par la diversité des compétences mobilisées, par la variété des parcours et des spécialisations exigées aujourd'hui des archéologues. Vous utilisez, au service de vos travaux, les techniques et les savoir-faire les plus pointus et les plus modernes. Il est fini, le temps des "antiquaires" et des "voyageurs" qui certes avait son charme, mais qui n'est plus de mise et qui ne cherchaient que les traces fascinantes du passé, en ignorant les réalités du présent. L'usage des nouvelles technologies et de méthodes de plus en plus sophistiquées fait de l'archéologue, au-delà de ses compétences propres, un véritable chef d'orchestre, recourant autant aux sciences naturelles qu'aux sciences physiques. Il n'est guère aujourd'hui de discipline qui n'entretienne avec l'archéologie un dialogue fécond. Autrefois présentée comme "auxiliaire" de l'histoire, l'archéologie est aujourd'hui la science humaine par excellence. Elle nous permet de repenser l'histoire des hommes. D'expliquer et de comprendre la profondeur et la complexité des liens qui nous unissent aux civilisations les plus anciennes, mais aussi les échanges entre les civilisations dont attestent les traces matérielles de la vie quotidienne. Vos recherches nous révèlent ce que nous sommes, dans la richesse des héritages que nous avons en partage.

A cet égard, il me semble que ces deux ouvrages sont absolument indissociables. Il faut les lire l'un et l'autre, mais aussi l'un avec l'autre. On est frappé, par exemple, de la similitude des statuettes féminines du Ve millénaire avant notre ère retrouvées à Maizy-sur-Aisne, et de celles mises à jour par notre mission archéologique en Macédoine, non loin de Skopje, aux confins des mondes égéen et adriatique. Ou encore d'apprendre la surprenante origine birmane des yeux de rubis d'une statuette mésopotamienne de la déesse Ishtar, conservée au Louvre et récemment révélée grâce à l'accélérateur de particules du Centre de recherche et de restauration des musées de France. C'est fascinant !

L'archéologie sans frontières, qu'elle soit préventive ou programmée, nous ouvre à la conscience de l'unité profonde du destin de l'humanité. C'est pourquoi elle est au fondement même du dialogue des cultures, un dialogue particulièrement nécessaire à notre époque.

Pour les pays en voie de développement, mais aussi pour nos nations européennes, elle est évidemment un vecteur d'identité. Elle contribue à la fierté associée à l'histoire, au patrimoine, au rayonnement d'un peuple, d'un territoire, d'un lieu. Elle a, en particulier, changé notre regard sur ces civilisations dont l'Occident a longtemps ignoré la dignité. Ce n'est pas un hasard si la folie meurtrière des hommes s'est attaquée à Angkor, à Bamiyan, à Mostar, ailleurs aussi, aux témoignages les plus précieux de l'histoire et de l'âme des peuples. Ceux-ci encourent aujourd'hui de nouveaux dangers. Il faut protéger, conserver, transmettre. Et d'abord, pour cela, il faut identifier, répertorier.

Vous êtes les gardiens, mais aussi les interprètes et les passeurs de notre identité, de notre mémoire et du patrimoine commun de l'humanité. Un patrimoine menacé par les effets d'un développement qu'il est nécessaire de mieux maîtriser, menacé aussi par le pillage et la dispersion des biens culturels. Votre rôle est ici essentiel au regard des découvertes et des travaux de ces vingt dernières années en France et dans le monde. L'accélération et l'emprise croissante des activités humaines expliquent la multiplication des interventions archéologiques sur notre territoire comme hors de nos frontières. Ces interventions ont permis d'éviter bien des destructions, grâce aux quelque deux mille fouilles annuelles de l'archéologie préventive. Grâce aux cent quarante trois sites soutenus par le ministère des Affaires étrangères. Grâce aux travaux des quelque trois mille archéologues professionnels, toutes institutions confondues. Ils étaient quelques dizaines en 1970.

Je veux ce soir vous dire combien votre métier, votre savoir-faire, votre science, contribuent au rayonnement de notre pays.

En France même, comme sur les cinq continents, vos missions sont à la pointe des recherches. Elles permettent de reconstituer la généalogie des tout premiers hommes. Elles permettent aussi d'éclairer l'histoire des sociétés humaines dans leur fonctionnement comme dans leur rapport complexe avec leur milieu naturel et notamment les variations du climat.

C'est dire si la réflexion archéologique, loin d'être inactuelle, est essentielle à notre époque contemporaine, qui s'interroge et qui prend à nouveau conscience que l'homme, qui s'est voulu "comme maître et possesseur de la nature", doit aussi composer, et trouver un nouvel équilibre avec elle.

Les découvertes et les avancées de ces vingt dernières années prolongent la prestigieuse tradition incarnée, pour ne citer qu'un seul exemple, par l'Ecole française d'Athènes. L'archéologie française, reconnue et saluée de longue date par tous nos partenaires, peut envisager l'avenir avec confiance et elle a le soutien de l'Etat, en France et dans le monde.

En France, l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) assume désormais la responsabilité d'une mission essentielle, qui va bien au-delà du sauvetage et de l'urgence, qui amena un jour Victor Hugo à déclarer "la guerre aux démolisseurs" et Prosper Mérimée à créer un service de protection des monuments historiques.


Le déploiement de notre archéologie à l'étranger est, depuis bientôt soixante ans, l'œuvre du ministère des Affaires étrangères, et de la Commission consultative des recherches archéologiques à l'étranger. Fondée par le Général de Gaulle, la "commission des fouilles", est l'héritière de l'esprit de la Résistance dont tant d'archéologues, je le rappelle, furent des héros, tel Joseph Hackin. En cette année où elle célèbrera son 60e anniversaire, je souhaite lui rendre un hommage tout particulier.

Au-delà des grands chantiers historiques d'Egypte et du Proche-Orient -Karnak, Ugarit, Mari- de nouveaux terrains se sont ouverts ou réouverts en Iran, au Pakistan, au Cambodge, en Afghanistan, en Mongolie, en Chine, au Vietnam, pour ne citer que quelques exemples, j'en oublie beaucoup.

Je sais combien les responsables de ces chantiers, anciens ou nouveaux, partagent le même souci d'inscrire leurs activités fondées sur le respect et l'échange avec leurs collègues et les pays qui les accueillent. C'est ce même esprit de coopération avec l'Etat, les collectivités territoriales et les aménageurs, qui préside également aux interventions préventives.

J'ai souvent l'occasion d'échanger avec un certain nombre d'entre vous, et chacune de ces rencontres est toujours pour moi un grand enrichissement. Je veux vous redire ce soir ma reconnaissance et mon estime. J'admire les résultats de vos recherches, obtenus dans des conditions souvent très difficiles et parfois dangereuses. Ces deux ouvrages susciteront, sans nul doute, de nouvelles vocations, de nouvelles passions, de nouveaux engagements. Puissent-ils également inciter, à côté du rôle irremplaçable de l'Etat et des collectivités locales, puissent-ils inciter le mécénat à vous accompagner davantage dans vos travaux.

En ce début d'année, Mesdames et Messieurs, je vous adresse mes vœux les plus chaleureux. Que 2005 soit une nouvelle année de succès pour vos équipes, pour vos missions et pour l'archéologie française.

Je vous remercie.





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