Message de M. Jacques CHIRAC Président de la République à l'occasion de la publication du Livre d'Or de la Fondation internationale des droits de l'Homme

CONTRIBUTION DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE AU LIVRE D'OR DE "L'ARCHE DE LA FRATERNITE" FONDATION INTERNATIONALE DES DROITS DE L'HOMME

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MARS 1998

Commémorer le cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, c'est d'abord se souvenir de la formidable espérance qui a présidé à l'élaboration de ce texte magnifique. C'est aussi saluer l'engagement de tous ceux qui, depuis cinquante ans, partout dans le monde, donnent une voix, un visage, une existence concrète à la communauté universelle et aux valeurs qui la portent. C'est enfin dire notre fidélité au combat, je dirais de toujours, pour la liberté, l'égalité et la fraternité entre les hommes.

En 1948 la guerre était terminée depuis trois ans. Il y avait eu Auschwitz. Parce que l'innommable avait été commis il fallait créer des institutions pour que plus jamais cela ne se reproduise. Parce que des États avaient failli, il fallait libérer l'individu de leur emprise absolue. Aussi des Hommes courageux, déterminés à rebâtir une société humaine digne de ce nom, ont-ils fait le geste essentiel de se rencontrer et de définir ensemble quelques principes intangibles qui puissent guider l'humanité.

La Déclaration universelle des droits de l'Homme n'est pas un texte comme les autres. Certes, en Angleterre, aux États-Unis et en France des textes historiques avaient proclamé les libertés et les droits fondamentaux. Mais la Déclaration de 1948 a ceci de particulier qu'elle est universelle. C'est le premier manifeste d'ordre éthique que l'humanité organisée ait jamais adopté. C'est la promesse d'un monde rassemblé autour d'un "idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations".

Parmi tous ceux qui ont porté ce projet il est un Homme dont je voudrais saluer la mémoire avec une émotion particulière : René CASSIN, pèlerin infatigable de la paix, à qui nous devons beaucoup. René CASSIN avait connu les deux guerres mondiales. La première lui avait laissé une blessure physique, la seconde une blessure morale. À la fois patriote et citoyen du monde, il avait compris que la seule issue pour éviter le retour de la barbarie et rendre à l'homme toute sa dignité était de dire la loi, de la faire connaître et de la faire respecter. Aussi a-t-il mis toute sa science, toute son intelligence et toute sa conviction au service des droits de l'Homme. Inlassablement il a fait entendre la voix de l'humanisme français sur la scène internationale. Inlassablement et avec passion il a enseigné le droit dans les amphithéâtres des universités parce qu'il savait le rôle primordial qui revient à l'éducation pour transformer les mentalités et faire progresser l'humanité.

Les progrès accomplis dans le domaine des droits de l'Homme en un demi-siècle sont immenses. Ce sont aujourd'hui de très nombreuses organisations qui veillent, sur tous les continents, à la protection et au développement des libertés, à l'instar de la Fondation Internationale des droits de l'Homme dont je tiens à saluer le rôle éminent. Dans la plupart de nos pays nous savons nos libertés fondamentales garanties. Récemment, l'un des rêves les plus chers de René CASSIN est devenu réalité avec l'adoption des statuts d'une Cour Pénale Internationale, dont nous espérons tous qu'elle fera progresser l'humanité sur le chemin de la justice.

Le combat pour les droits de l'Homme n'est toutefois jamais gagné d'avance. On recule, sur ce terrain, dès lors qu'on n'avance pas. Certains pays sont aujourd'hui mis à l'index par la communauté internationale parce qu'on y meurt encore pour y établir des libertés essentielles. D'autres découvrent avec stupeur l'existence d'une forme moderne d'esclavage sur leur territoire. Tous sont confrontés à ces menaces nouvelles que font peser sur nos libertés les développements de la science et des nouvelles technologies, pourtant si riches de promesses pour l'avenir de l'humanité.

Voilà pourquoi l'expérience et la vigilance de tous ceux qui sont engagés dans ce combat nous sont plus que jamais indispensables. Ils sont les héritiers de René CASSIN, des Hommes et des femmes qui ont collaboré à ses côtés à la rédaction de ce texte magnifique. Ils ont les mêmes idéaux, le même courage et la même détermination, la même générosité aussi.

René CASSIN estimait qu'un texte qui ne tiendrait pas ses promesses est pire que l'absence de texte. Un texte peut en effet éveiller l'espoir, il peut aussi donner des illusions, trahir la confiance. Il appartient à chacun d'entre nous de refaire vivre dans toute sa plénitude et, à l'aube du troisième millénaire, de lui donner tout son sens. N'oublions pas, comme l'écrivait si justement Antoine de SAINT-EXUPÉRY, que nous n'héritons pas de la terre de nos pères mais que nous l'empruntons à nos enfants. C'est pour cela qu'il nous faut veiller, avec une exigence particulière, à donner à cet idéal commun un avenir digne de celui voulu par nos aînés, mais digne surtout d'être légué aux générations futures.

Jacques CHIRAC




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