MESSAGE
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
LU PAR MADAME HÉLÈNE CARRÈRE D'ENCAUSSE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
LORS DU COLLOQUE DE VILNIUS SUR LE DIALOGUE DES CIVILISATIONS
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LITUANIE
LUNDI 23 AVRIL 2001
Messieurs les Présidents, Monsieur le Directeur Général de l'UNESCO, Monsieur le Secrétaire Général de la Francophonie, Mesdames, Messieurs,
Retenu à Paris par les devoirs de ma charge, j'ai demandé à Madame le Secrétaire perpétuel de l'Académie Française, mon amie Hélène CARRÈRE D'ENCAUSSE, de me représenter et vous dire l'importance que revêt à mes yeux la conférence de Vilnius sur le dialogue des civilisations, organisée avec l'Unesco.
Lorsque le Président ADAMKUS m'y a convié, il m'a immédiatement paru évident que la Lituanie se devait de recevoir une telle manifestation et que nul mieux que son Président ne pouvait en ouvrir les travaux.
Pétrie d'héroïsme et de gloire, l'histoire de la Lituanie nous conte l'affrontement des peuples d'Europe en ces terres du nord où se croisent depuis les temps les plus reculés Slaves, Germains, Scandinaves et Baltes. Elle nous conte la lente pénétration du christianisme, l'alliance ancestrale du peuple lituanien avec le peuple polonais, ses relations complexes, souvent douloureuses, avec ses grands voisins.
Elle nous conte aussi l'obstination d'une nation à construire son identité malgré les vicissitudes, à la tremper aux apports allogènes sans jamais se résigner à l'assimilation.
Elle porte en son sein, aussi, la marque des drames de notre siècle, ces totalitarismes qui ont défiguré, meurtri, l'Europe.
Au fil des siècles, la Lituanie et les nations d'Europe du nord ont subi le choc des impérialismes et appris l'inestimable valeur du dialogue pacifique entre les peuples et leurs cultures. Quel message d'espoir pourtant, que celui de la Lituanie et des autres États baltes ! Quelle magnifique leçon de vitalité et de haute civilisation. À peine votre pays libéré, vous voilà à la tâche, pour rattraper le retard ; construire tout naturellement la démocratie et l'état de droit ; adhérer sans délai à l'Union européenne, où vous voyez à juste titre la promesse de la paix et de la prospérité ; rallier la Francophonie, afin de mieux participer à la symphonie des cultures du monde !
J'aurais aimé, Monsieur le Président, vous rejoindre en ce jour pour témoigner de mon admiration devant cette renaissance, rendre hommage à votre peuple et à sa force, célébrer avec vous la joie de la liberté, de la diversité des cultures, la fécondité du dialogue des civilisations. J'aurais aimé saluer les Présidents KOUTCHMA et KWASNIEWSKI, M. MATSUURA et M. BOUTROS-GHALI, me mêler à vous, participants venus du monde entier pour apporter à ce colloque votre expérience et votre science.
Puis-je rappeler que la France elle aussi s'est construite par l'apport de multiples civilisations. Une France qui aime à assimiler ceux qui viennent d'ailleurs, qui fait son miel de leurs savoirs, qui leur donne sa citoyenneté comme un passeport vers l'universalité. Une France qui a choisi l'Europe et demeure ouverte au monde dans sa diversité. Une France qui voit dans la francophonie un dialogue exemplaire de cultures, un de ces contrepouvoirs dont chacun ressent de plus en plus le besoin.
Si j'ai voulu établir ce parallèle entre l'histoire de la France et celle de la Lituanie, c'est parce que la plupart des pays du monde, la plupart de vos pays, peuvent également puiser dans leur histoire exemples et matière à une réflexion sur le sens du dialogue des civilisations.
Un dialogue pour la paix, dans un monde où le contact de plus en plus systématique entre des peuples très éloignés et différents les uns des autres impose des efforts accrus afin de se comprendre.
Un dialogue pour la liberté et le progrès, afin d'affirmer la force de la diversité, la légitimité de nos identités multiples face au risque de l'uniformisation.
Un dialogue pour les générations futures, car les formidables défis de notre temps nous imposent d'imaginer les instruments inédits d'une gouvernance mondiale, que nous forgerons ensemble en confrontant nos expériences et nos savoirs.
Sensibles aux promesses immenses dont sont porteuses l'explosion des échanges humains et l'accélération des découvertes scientifiques et techniques, sans doute vous témoignerez de notre conviction que la liberté seule les a rendu possibles.
Mais vous parlerez aussi, j'en suis sûr, de l'éthique planétaire qu'il faut élaborer, pour subordonner à l'Homme, dans son intégrité et dans sa dignité, le progrès économique et technologique, afin d'en maîtriser les dérives possibles, de progresser ensemble sur la voie d'une civilisation universelle riche de sa diversité.
Je vous remercie. |