MESSAGE DE M. JACQUES CHIRAC, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE,
AUX PARTICIPANTS DES « RENCONTRES DE LA SOCIETE EN RESEAU »
AUTRANS (ISERE) JEUDI 11 JANVIER 2001
Monsieur le vice-Président du Sénat, Monsieur le président du Chapitre français de l'ISOC, Mesdames et messieurs les élus, Mesdames, messieurs,
Autrans, petite cité nichée au coeur du Vercors, est devenu au fil des années, grâce au dynamisme et à l’esprit d’initiative de Jean Faure et du chapitre français de l’Internet Society, le lieu symbolique où se développe en France la réflexion autour de l'Internet.
Indépendance d’esprit, ouverture sur le monde et regard délibérément tourné vers l’avenir marquent vos réunions annuelles. Je tiens à saluer votre démarche profondément originale.
N'ayant pu être présent parmi vous, je confie à mon ami Jean Faure le soin de vous transmettre ce message.
L'An 2000 a été en France l'année d'une prise de conscience vis-à-vis de l'internet. Conscience des espoirs et des perspectives offertes par un progrès technologique qui peut changer la vie en société, l’activité professionnelle, le rapport au temps et à l'espace, au pouvoir et au savoir. Mais conscience aussi des menaces que peut engendrer l'invention humaine quand elle n'est pas civilisée, régulée.
Je voudrais évoquer devant vous aujourd’hui deux questions, qui ne sont bien sûr que deux aspects, deux facettes de la « question internet ». Il s’agit toutefois de deux interrogations cruciales auxquelles l’ISOC devra s’attacher à apporter des réponses . Les Journées d’Autrans leur seront d’ailleurs largement consacrées : Comment faire en sorte que l’accès à l’internet soit garanti à tous les territoires ? Comment assurer la sécurité sur les réseaux ? * Le développement équilibré des territoires d’abord. Il est primordial à mes yeux que l'égalité des chances de tous les Français soit assurée face au progrès.
Garantir l'égalité des chances, c'est d'abord garantir que le pays tout entier bénéficiera de l'innovation. La superficie, la diversité de la France sont des atouts considérables. Mais elles peuvent devenir des handicaps lorsqu'il s'agit de desservir nos 36 000 communes par des infrastructures de communications performantes.
C'est pourquoi les formidables espoirs de désenclavement et de revitalisation que suscitent les technologies de l'information dans les zones rurales sont parfois mêlés d'un soupçon d'inquiétude.
Inquiétude de voir le progrès profiter exclusivement aux grands pôles urbains et contribuer encore davantage à la division de notre territoire.
Inquiétude de ne pas être desservies par les autoroutes de l'information, comme certaines zones rurales ont autrefois été tenues à l'écart des grands axes routiers et ferroviaires.
Cette inquiétude n'est pas dénuée de fondement. Je n'en prendrai qu'un seul exemple : aujourd'hui près de 15% du territoire français n'est toujours pas couvert par les réseaux de téléphonie mobile qui devraient pourtant devenir l'un des supports privilégiés de la navigation sur internet.
La France a toujours pu s'enorgueillir de la qualité de ses infrastructures. Il s’agit de notre premier avantage comparatif dans la compétition des territoires qui s'instaure en Europe. Nous devons veiller à le préserver. Pour continuer d'attirer, toujours plus nombreux les investissements étrangers sur notre sol. Pour assurer une prospérité équilibrée et harmonieuse de toutes les régions de France.
C’est pourquoi j’ai souhaité que les collectivités locales se voient reconnaître par le législateur dans des conditions plus aisées la possibilité de déployer des infrastructures de télécommunications à haut débit qui répondent à leur volonté d’aménagement du territoire.
C’est pourquoi je souhaite également que l’Union Européenne fasse entrer le téléphone mobile dans les obligations du service universel de télécommunications pour que l’intégralité de notre territoire soit rapidement couvert. Ainsi, les zones rurales seront-elles mieux à même de profiter des bienfaits des technologies de l’information.
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Je voudrais ensuite évoquer avec vous la sécurité sur les réseaux et la lutte contre la cybercriminalité. L'internet, dont la construction s'est nourrie des idéaux de liberté et de solidarité universelle, met aujourd'hui notre droit et nos institutions à l'épreuve. Il nous oblige à nous interroger sur la légitimité de l'Etat sur son rôle, sur la conception que nous avons de l'Etat de droit et de la manière de la faire vivre.
Comment construire une société de l'information qui soit une société de confiance ? Une société harmonieuse fondée sur un juste équilibre entre la liberté d'expression principe intangible et la sécurité des personnes et des biens ?
La France a fait de la lutte contre la cybercriminalité une priorité. Nous en avons débattu au sein du G8, à Paris et à Okinawa.
Nous défendons, vous le savez, l'idée d'une corégulation entre les acteurs de l'internet et les Etats, d'une responsabilité partagée des internautes, des entreprises et de la puissance publique.
Au plan international, nous devons surmonter l'obstacle qui provient de la différence entre les législations. Les criminels en jouent. Ils en exploitent les failles. Nos débats transatlantiques sur la liberté d'expression en témoignent. L'Amérique la voudrait absolue dans la tradition des pères fondateurs. L'Europe, traumatisée par la Shoah, se méfie des excès criminels auxquels elle peut conduire.
J'ai eu l'occasion de m'entretenir personnellement de ce sujet avec le Président de Yahoo! en France. Et je suis heureux de la décision récemment prise par la maison mère de Yahoo! de cesser d’offrir à la vente des objets commémoratifs du régime nazi.
Cette décision met en évidence l'émergence d'une éthique de la société en réseau qui, par delà les lacunes actuelles du droit, impose une loi commune à l'internet.
Mais nous aurons rapidement besoin d'un véritable état de droit international, un cadre juridique universel à la mesure du cadre mondial de l'internet. Un cadre qui, dans le respect des souverainetés des Etats, définisse les infractions et fixe les procédures pour les prévenir et les réprimer.
Le Conseil de l'Europe prépare une convention qui sera pionnière. Elle permettra à chacun de disposer d'une loi-cadre internationale sur laquelle fonder ses actions contre les criminels où qu'ils soient, qui prennent internet pour vecteur ou pour cible.
Nous voulons ainsi lutter efficacement contre le cybercrime. Mais à aucun prix nous ne souhaitons édifier un système répressif international qui menacerait les libertés publiques si chèrement acquises par nos peuples. C'est pour nous une priorité absolue.
Je souhaite que cette convention voie le jour rapidement et que tous les pays intéressés puissent s'y associer. Ainsi nous bâtirons la confiance et la sécurité sur internet. * Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Vous êtes des pionniers dans l’utilisation des technologies de l’information. Vous avez, les premiers, cherché à analyser leurs effets sur la société française. Vous êtes les plus actifs promoteurs de l’internet dans notre pays. Les Français connaissent maintenant les formidables potentialités d’internet. Mais certains éprouvent des craintes à son égard, qui ne sont pas toutes injustifiées. Vous devrez les rassurer, les rasséréner, les tranquiliser, afin que, toujours plus nombreux ils se connectent au réseau. Afin que l’internet ne demeure pas un outil de savoir et de pouvoir réservé à une élite. Afin que son usage se popularise. Ce sera le principal défi que vous aurez à relever en 2001. Je souhaite que cette année permette de faire progresser encore plus loin et encore plus vite l'internet dans notre société.
Je vous remercie. |