MESSAGE DE M. JACQUES CHIRAC,
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
LU PAR M. ERIC WOERTH,
SECRETAIRE D'ETAT A LA REFORME DE L'ETAT,
AUPRES MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE
ET DE LA REFORME DE L'ETAT
LORS DE LA CONFERENCE SUR LA DEMOCRATIE ET LE LIBRE ECHANGE
Doha - Qatar, le 29 mars 2005
Altesse,
Monsieur le Premier Vice-Premier ministre,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Le Qatar organise depuis quelques années des rencontres internationales de haut niveau qui permettent de réfléchir aux grands enjeux de notre époque. A l'heure où la mondialisation rapproche les peuples et donne à l'humanité les moyens de prendre en mains son destin, les questions de la démocratie et du libre échange, dont vous allez débattre, se posent avec une acuité nouvelle.
L'émirat du Qatar est de ceux qui relèvent le défi. Cette année entrera en vigueur la Constitution dont vous vous êtes dotés en 2004. Une chambre de représentants sera élue. Autant de signes indéniables d'un processus démocratique qui vient de l'intérieur, s'installe progressivement et s'inscrit dans la durée.
Comment s'en étonner ? Chacun connaît la volonté inébranlable de Son Altesse l'Emir, Cheikh Hamad, de promouvoir le développement et la bonne gouvernance. Je salue son jugement et sa sagesse. La manière dont il a su conduire l'Emirat sur la voie du progrès et de la prospérité lui mérite l'admiration. La France est aux côtés du Qatar dans cette grande entreprise.
Il suffit de regarder autour de soi pour mesurer l'ampleur des réalisations accomplies en peu d'années. Mais ce développement spectaculaire s'accompagne aussi d'une réflexion sur la place de l'homme dans la société. L'Emir et Cheikha Moza, son épouse, veulent ouvrir aux jeunes générations ce que l'éducation, la science et la technique peuvent offrir de meilleur. Comment ne pas souscrire à cette vision qui place l'investissement humain au centre de l'action ? La France et le Qatar réfléchissent ensemble au meilleur moyen d'y associer les filières françaises d'excellence.
Altesse,
Mesdames et Messieurs,
Depuis plusieurs années, le monde arabe s'est engagé dans la voie de la réforme et de la démocratisation. La France partage avec lui cette grande ambition. Tout le monde est concerné, en particulier la jeunesse dont la mobilisation est un gage de succès des réformes. C'est aussi le cas des femmes, qui doivent trouver la place qui leur revient dans une société moderne et dynamique. Le changement s'appuie sur la liberté des médias, qui jouent un rôle fondamental dans l'éveil des consciences, l'éducation des hommes et des femmes, et l'affirmation de la société civile.
La France encourage ces évolutions. Mais elle sait que les changements doivent venir de l'intérieur et s'effectuer au rythme choisi par chacun des pays de la région. Toute initiative en faveur des réformes doit partir des attentes et des besoins qui s'expriment au niveau des Etats comme des sociétés civiles. Elle ne peut se développer que dans le respect réciproque. C'est la démarche que nous avons mise en œuvre dans le cadre du processus de Barcelone, dont nous célébrerons cette année le 10ème anniversaire. Avec le Partenariat stratégique pour la Méditerranée et le Moyen-Orient, adopté au Conseil européen de juin 2004, notre action commune va connaître un nouvel élan.
Altesse,
Mesdames, Messieurs,
Il est un autre thème de votre conférence qui nous concerne tous : comment concilier un développement harmonieux avec les impératifs d'une économie compétitive et ouverte sur le monde ?
Comme j'ai eu l'occasion de le dire à Davos, la libéralisation des échanges et la diffusion du progrès offrent à des millions de femmes et d'hommes la possibilité d'une vie meilleure. Mais ces bénéfices ne concernent encore qu'un tiers de la population du globe, minorité privilégiée dans un monde de précarité. Cette situation est lourde de menaces. Elle est moralement inacceptable.
Laissées à elles-mêmes, les forces du marché sont aveugles et aggravent le sort des plus faibles. Mais accompagnées par des règles appropriées, la libéralisation du commerce et l'ouverture aux investissements stimulent le développement et l'innovation. La précarité et la misère ne sont pas des fatalités. La victoire sur la pauvreté naîtra de l'alliance du marché et de la solidarité. Il faut redonner espoir à des millions d'hommes et de femmes en travaillant à une mondialisation maîtrisée, respectueuse de la diversité culturelle et des équilibres de l'environnement. Telle doit être notre ambition partagée, dans la perspective de la conférence de Hong Kong, en décembre, et de la conclusion du cycle de Doha, en 2006. Il est impératif de replacer les pays les plus pauvres au cœur des négociations.
Ici même à Doha mais aussi à Monterrey, des décisions ont été prises. Il nous faut les respecter et les appliquer. En septembre prochain, à New York, la communauté internationale dressera un premier bilan de la réalisation des objectifs du Millénaire. Or, au tiers du parcours, nous sommes encore loin du but. Diviser par deux l'extrême pauvreté et la malnutrition d'ici 2015 ; assurer l'éducation primaire universelle ; réduire de moitié la population mondiale n'ayant pas accès à l'eau potable et à l'assainissement : pour atteindre ces objectifs, une sérieuse correction de trajectoire est nécessaire. Nous savons, grâce au rapport SACHS, que cela est encore possible, y compris en Afrique. Mais qu'il nous faudra, pour y parvenir, mobiliser 50 milliards de dollars supplémentaires par an jusqu'en 2015.
Le premier moyen est l'augmentation de l'aide publique traditionnelle des pays développés jusqu'à 0,7% de leur PNB. La France, pour sa part, s'est engagée à atteindre ce niveau en 2012. Mais qui peut croire que cela puisse suffire ? Il est aujourd'hui indispensable d'imaginer de nouveaux mécanismes tels que les prélèvements de solidarité internationaux proposés par la France, le Brésil, le Chili et l'Espagne, et aujourd'hui soutenus par un nombre croissant de pays du Nord et du Sud. La France et l'Allemagne travaillent ainsi au lancement d'un premier prélèvement de solidarité, sur le transport aérien, afin de financer la lutte contre le sida et les grandes pandémies.
A l'évidence, nous ne parviendrons pas à la stabilité du monde si nous n'engageons pas un meilleur partage des richesses. Dans une économie de plus en plus mondialisée, nos efforts communs doivent concilier les impératifs de réforme politique et de justice économique. Ce n'est qu'au prix d'une plus grande solidarité entre les peuples que nous préserverons les chances d'un progrès équitablement réparti.
Je vous remercie.
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