Extrait de l'interview télévisée à l'occasion de la Fête nationale
Palais de l'Elysée - 14 juillet 2001
QUESTION - Un mot d'écologie, avant de terminer cette intervention. Est-ce que vous pensez que l'écologie est de droite ou de gauche, qu'il faut un parti de l'écologie ou qu'il faut mettre de l'écologie dans les partis ?
LE PRESIDENT - C'est, certainement, qu'il faut mettre de l'écologie dans les partis. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Pendant longtemps, l'esprit des responsables a été, depuis cinquante ans, mobilisé par des grands sujets qui ne leur ont pas permis d'apprécier l'importance de ce problème.
QUESTION - A commencer par vous, parce que vous étiez un tenant de l'agriculture intensive
LE PRESIDENT - Non, non, M. POIVRE d'ARVOR, ne dites pas cela. C'est exactement le contraire. Je me suis battu pendant vingt ans dans l'Union européenne pour éviter les diminutions des prix agricoles.
Pourquoi ? Parce que quand on diminue les prix, naturellement, pour conserver un pouvoir d'achat, le paysan n'a que deux solutions : recevoir des subventions qui ne sont jamais suffisantes, parce qu'on ne compense pas les diminutions de prix et augmenter la productivité. Ce n'est pas chez lui un réflexe naturel, mais cela a été imposé par vingt ans de politique agricole tendant à faire baisser les prix. Voilà le résultat.
Non, il y a eu d'autres préoccupations : la construction européenne, la reconstruction de la France au lendemain de la guerre, la décolonisation, la guerre froide, la crise, le chômage : aujourd'hui, on voit bien qu'au-delà de ces préoccupations, nous sommes à un moment où les coups qui sont portés à la nature ne permettent plus à celle-ci de se régénérer. Et donc, il y a vraiment aujourd'hui, dans des conditions que l'on ne connaît pas exactement, le feu dans la demeure, il y a le feu à la maison. Et, d'ailleurs on le ressent parce qu'il n'y a pas longtemps que l'opinion publique commence à s'émouvoir de ces problèmes. Alors que faut-il faire ? Il faut incontestablement intégrer la notion d'écologie humaniste, qui n'est pas un problème de droite, de gauche ou du centre dans notre pacte social, je dirais même dans notre pacte républicain. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé qu'il y ait une charte de l'écologie qui soit adossée - j'ai utilisé ce mot vague à dessein pour laisser le soin aux experts de voir les modalités juridiques- à la Constitution. L'idée étant que ces principes devraient devenir des principes constitutionnels.
QUESTION - Les Français mettront la main à leur poche si besoin était.
LE PRESIDENT - Alors, il y a, en réalité, cinq grands principes qu'il faut appliquer aujourd'hui. C'est, je crois, aujourd'hui, avec les droits de l'Homme, avec la paix dans le monde, le grand dossier auquel nous sommes confrontés, d'où mon inquiétude quand je vois la position du Président des Etats-Unis ou d'autres. Le premier principe, c'est le principe de responsabilité, c'est-à-dire " pollueur payeur ". Je ne veux pas sanctionner, je dis simplement que l'écologie a un prix et que ce prix doit être intégré comme celui des matières premières, de l'intelligence, etc., dans le prix des biens et des services.
QUESTION - Cela, ce n'est pas du tout la nouvelle idée de la nouvelle administration américaine qui semble très conservatrice.
LE PRESIDENT - Non, c'est la mienne. Et c'est la bonne. Le deuxième principe, c'est évidemment le principe de précaution. Je ne m'étendrai pas. Il ne faut pas laisser faire n'importe quoi, on l'a bien vu. Le troisième principe, c'est peut-être un peu plus complexe, c'est le principe d'intégration ou de transversalité, je veux dire par là que c'est très bien d'avoir un ministre de l'écologie, cela ne représente pas grand chose.
QUESTION - Elle a bien travaillé, Mme Voynet ?
LE PRESIDENT - Certainement, je ne veux pas, je le répète, polémiquer, ni avec Mme VOYNET, ni avec ses prédécesseurs. Le premier ministère de l'écologie a été créé par M. POMPIDOU. Mais, il n'a pas de pouvoir. En réalité, c'est une culture qu'il faut imposer partout. Par quels moyens ? Toutes sortes, naturellement, notamment la fiscalité. Je ne dis pas qu'il faut augmenter la fiscalité. Je dis qu'il faut, par la fiscalité, inciter à des comportements écologiques. On incite aujourd'hui à la redistribution par la fiscalité, comme à certains autres comportements économiques par exemple. Il faut inciter à des comportements écologiques. Le quatrième principe, c'est le principe de prévention. Nous vivons dans un monde, aux Etats-Unis plus que partout ailleurs, et chez nous aussi même si on a fait des progrès, qui est fondé sur le gaspillage. On gaspille les choses. On gaspille l'eau. On pollue l'air. On fait des déchets au-delà de ce qui serait nécessaire ou raisonnable. Et, tout ceci se traduit par une usure des matières premières, des ressources de notre planète. Or, il n'y a pas de planète à côté où l'on peut aller prendre d'autres ressources. Donc, il faut être un peu plus économe. Et cela, on peut aussi le faire. Et le dernier principe, c'est naturellement, le principe de participation. C'est-à-dire, il faut associer tous les Français. Il faut aider leurs associations. Mais surtout, surtout, il faut faire en sorte qu'à l'école, dès le plus jeune âge, les enfants apprennent les comportements respectueux de l'écologie, respectueux de l'environnement comme ils devraient apprendre les comportements respectueux des autres. C'est la même chose en réalité.
QUESTION - Puisqu'on a terminé sur des considérations
LE PRESIDENT - L'écologie, ce n'est rien d'autre en réalité que l'expression de notre solidarité avec ceux qui nous suivent et nous n'avons pas le droit de la contester. Victor Hugo disait joliment "la nature nous parle, mais nous ne l'écoutons pas". Je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'il parlait d'écologie à ce sujet, mais enfin, peu importe. La réflexion reste d'actualité. Il faut poursuivre le progrès humain. On peut le poursuivre. Mais il faut le poursuivre conformément au respect de la nature, parce que c'est le seul moyen d'inscrire ce progrès dans la durée, sinon il s'arrêtera.
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