ALLOCUTION PRONONCEE PAR
MONSIEUR JACQUES CHIRAC
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
A L'OCCASION DE LA REMISE DES TITRES DE MAITRE D'ART
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Palais de l'Elysée - Mardi 26 Novembre 1996
Messieurs les Ministres,
Cher Etienne VATELOT,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Maîtres d'art,
Mesdames et Messieurs,
Mes Chers amis,
Je voudrais d'abord souhaiter à chacune et à chacun d'entre vous, la plus cordiales des bienvenues dans cette maison.
En remettant aujourd'hui, en présence de leurs pairs, le beau titre de " Maître d'Art " à cinq très grands professionnels, que je salue particulièrement, qui sont d'abord des artistes, j'ai souhaité marquer mon attachement profond, et sans aucun doute d'ailleurs celui de tous les Français, à tout ce que représentent les métiers d'art, et qui va bien au-delà de la seule maîtrise d'une technique. J'ai voulu, vous témoigner, Mesdames et Messieurs, la reconnaissance de notre pays pour tout ce que vous lui apportez, -savoir-faire, émotion, rêve et encore bien d'autres sentiments-.
Je salue tout particulièrement les membres du Conseil des métiers d'art, que préside, avec tant de coeur et tant de détermination, mon ami Etienne VATELOT.
Merci à vous, de tout coeur, mon cher Etienne, et merci à tous pour ce que vous faites en faveur de ces métiers qui font partie de notre histoire. Des métiers qui ont façonné et qui façonneront longtemps encore, je n'en doute pas notre vie et notre sensibilité.
Mesdames et Messieurs, vous avez, depuis deux ans, la mission difficile de retenir et de proposer au Ministre de la Culture les noms des futurs Maîtres d'art, ces hommes et ces femmes d'exception, dépositaires d'un savoir et d'une expérience généralement très ancienne, souvent séculaire, parfois en danger de disparition. C'est à vous, Mesdames et Messieurs, et aux trente-sept Maîtres d'art français qu'il revient de transmettre cet héritage. Et quel héritage !
Sans les Maîtres d'art, rien de ce qui charme notre regard, de ce qui rend notre vie agréable, plus belle, plus originale, rien de tout cela ne pourrait exister. Sans votre savoir-faire, acquis au prix de longues années d'apprentissage, sans la sûreté de vos gestes, sans votre parfaite connaissance de la matière, sans votre créativité, nos vies quotidiennes perdraient une partie de leurs sons, de leurs couleurs, de leur texture.
C'est souvent grâce à vous que l'artiste réalise ses rêves. Grâce à vous que des cathédrales, des châteaux, des places-fortes, des cités, des théâtres se sont élevés, qu'une civilisation s'est bâtie. Grâce à vous que notre pays a développé son art de vivre, un art de vivre renommé dans le monde entier.
A la fois ingénieurs et créateurs, vous faites, par la magie du geste, mille fois répété, jaillir la forme et le sens de la matière, inscrivant votre talent dans l'épaisseur de la pierre, la fragilité du verre ou de la fibre, taillant le bois ou domptant le métal.
C'est vous dire, Mesdames et Messieurs, tout ce que nous vous devons et combien il faut pérenniser et développer ces métiers qui appartiennent, comme le souligne souvent Etienne VATELOT avec tant de foi et de conviction à notre patrimoine et qui sont une chance pour notre avenir.
L'avenir, ce sont ces jeunes professionnels auxquels vous avez voulu transmettre votre tour de main, votre expérience. Ils ont tout naturellement souhaité être à vos côtés aujourd'hui et je suis heureux de pouvoir m'adresser à eux. Leur dire qu'ils ont eu raison de s'engager dans cette voie exigeante, difficile mais sans aucun doute passionnante.
A travers eux, je voudrais appeler les jeunes Français et aussi leurs parents à poser un nouveau regard sur ces métiers d'art qui sont trop souvent ignorés, un nouveau regard, d'abord à l'école. Je les invite à réfléchir à tout ce que peut leur apporter, dans leur vie professionnelle et personnelle, le choix d'un métier d'art.
Je ne crois pas me tromper, Messieurs les Présidents, en disant que le problème des métiers d'art aujourd'hui n'est pas l'emploi. La difficulté, c'est de pourvoir aux offres d'emploi, c'est de pouvoir répondre aux commandes et de trouver, pour cela, les collaborateurs qualifiés. Un comble quand tant de jeunes chez nous sont au chômage.
Enfin, quoi de plus exaltant aussi que de pratiquer le métier que l'on aime, relever des défis, concilier les exigences d'un projet et les limites de la matière ?
Au-delà de la technique, approfondir sa maîtrise, c'est acquérir un rythme, une fidélité, une générosité, une sagesse. C'est éprouver le bonheur de créer, l'amour du beau et du bon, le goût de l'équilibre en même temps que de l'impossible. Bref, c'est adopter une manière de vivre. Transmettre un savoir-faire, c'est transmettre un humanisme.
Vous le savez, peut-être, j'étais il y a quelques jours au Japon, un pays que je connais bien. Là-bas, on a institué, je le dis au Ministre qui le sait, puisqu'il était avec moi, on a institué, il y a longtemps, les Trésors Nationaux Vivants. Et plus récemment les Trésors Régionaux Vivants sont d'un cran en dessous, mais tout de même éminents. Les Japonais ont parfaitement compris et probablement les premiers, que défendre et faire vivre un métier, un savoir-faire, une tradition ancestrale, encourager le Maître à prendre un élève, c'est d'abord une façon de rester soi-même. C'est donner à ceux qui nous suivront, et qui seront, plus encore que nous, confrontés aux dangers de l'uniformisation culturelle, le droit de vivre, de penser, de s'épanouir, de s'aimer autrement. C'est aussi cela qui est en jeu dans la défense des métiers d'art.
Enfin, les métiers d'art représentent un atout formidable pour l'avenir économique de notre pays, notamment pour cette image forte qu'ils donnent de la France à l'étranger. Que ce soit à travers notre passé, notre patrimoine historique et culturel, qu'il s'agisse aujourd'hui des industries du luxe, de la décoration et du design français, des grands chantiers de restauration et des secteurs liés à notre art de vivre, vos métiers demeurent l'une des meilleures vitrines de la France.
A chacun de mes voyages à l'étranger, je suis frappé depuis très longtemps, d'entendre des dirigeants, des industriels, des intellectuels qui me parlent d'abord de nos savoir-faire. La France aux yeux du monde, ce sont des traditions, un attachement à la qualité, une capacité à innover, une réputation de perfection et d'excellence dans beaucoup de domaine. Cette image, nos maîtres d'art d'aujourd'hui et d'hier en sont évidemment, pour l'essentiel, les responsables.
C'est toute cette dimension des métiers d'art -la fidélité à une tradition, le désir de transmettre et enrichir un patrimoine, la volonté d'innover, le souci de préparer l'avenir et de donner leur chance aux jeunes en leur offrant de s'épanouir par la création et le goût du travail-, c'est tout cela qu'incarnent les métiers d'art en général et qu'incarnent les cinq nouveaux Maîtres d'art français que je vais maintenant en quelques mots saluer et féliciter.
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Jean-Claude DUPLESSIS est couvreur-ornemaniste, l'un des dix derniers ornemanistes sur métaux, en France, si je ne m'abuse. Formé au métier de couvreur par votre père puis par le compagnonnage, vous êtes, à 30 ans, reçu meilleur ouvrier de France, la plu belle des décorations, si j'ose appeler cela une décoration. Et là, vous vous prenez de passion pour ce qui vient couronner le travail du couvreur : les ornements de toiture, épis de faîtage, girouettes. Votre vocation d'ornemaniste est née. Une fois encore, vous obtenez le titre de meilleur ouvrier de France.
Plus habitué à arpenter les toits de nos grands monuments et palais nationaux, vous avez également restauré les parties en cuivre des statues du Pont Alexandre III, j'en ai le clair souvenir. Vous êtes aussi un créateur. C'est vous qui avez conçu et réalisé le skieur en cuivre, superbe emblème des jeux olympiques d'Albertville.
Au carrefour des différentes formes d'art, l'ornemaniste crée ou restaure tous les ornements du bâtiment. Il doit, pour cela, dessiner, sculpter, repousser le métal, concevoir, réaliser les matrices et les moules. Un vrai métier d'artiste. Et je voudrais vous féliciter très sincèrement.
Vous êtes, Jean-Claude DUPLESSIS, l'homme de tous les savoirs, au carrefour de tous les métiers et de toutes les techniques. Dans votre atelier, proche de la Charité-sur-Loire, vous avez à coeur de faire partager votre passion à votre jeune équipe de compagnons. Alors, pour tout cela, bravo et merci.
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Dire que Pierre GAUCHER est ferronnier serait oublier que, forgeant les métaux à chaud dans son atelier de Strasbourg, il est aussi un plasticien du métal, un sculpteur et je crois qu'on peut le dire, un poète.
Formé à l'Ecole des Arts décoratifs de Strasbourg, vous êtes sans cesse, depuis 16 ans, en recherche de nouvelles techniques, de nouveaux métaux, de nouveaux mariages et de nouvelles formes.
Plein, disent tous ceux qui vous connaissent, d'amour et d'humour, vous aimez, dit-on, que les grilles sorties de votre atelier soient bien davantage qu'un simple ouvrage de métallurgie parfaitement réalisé. Vous leur donnez un dessin, un élan original, vous les ponctuez de figures décoratives qui sont bien à vous.
Toujours en quête d'innovation, vous avez perfectionné votre technique aux Etats-Unis et en Allemagne. Vous aussi avez aujourd'hui à coeur de transmettre à votre tour le fruit de vos années de travail. Vous enseignez en Grande-Bretagne, vous enseignez en France, notamment à l'Ecole des Beaux-arts de Marseille et au lycée d'enseignement professionnel d'Obernai. Permettez-moi de vous dire toutes mes très sincères félicitations.
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Francis MIGEON exerce, on ne le dirai pas à le voir si jeune, depuis plus d'un demi-siècle, et dans la tradition familiale, un métier rare, celui d'ivoirier. Mais je dirais que vous m'en avez souvent parlé. Il sculpte et restaure l'ivoire selon des techniques séculaires, mais aussi sait concevoir de nouveaux outils et créer de nouveaux alliages. Statues, jeux d'échecs anciens, créations contemporaines, les réalisations de Francis MIGEON témoignent de son inventivité.
Vous n'êtes plus désormais qu'une toute petite poignée d'artisans à travailler encore l'ivoire en France. Je sais combien votre métier souffre aujourd'hui de la raréfaction de l'ivoire liée aux mesures, par ailleurs nécessaires, prises pour enrayer les massacres d'animaux en Afrique. Mais je sais aussi combien vous-même, et l'ensemble des professionnels des métiers d'art, êtes sensibles à la protection de l'environnement. Vous plaidez aujourd'hui pour une législation respectueuse de la nature et une gestion des ressources assurant néanmoins aux professionnels artistes les très faibles quantités en réalité qui leur sont nécessaires et Etienne VATELOT à plusieurs reprises est intervenu dans ce sens auprès de moi.
J'ai donc demandé, sur sa suggestion, au gouvernement d'envisager quelles dispositions pouvaient être prises pour permettre à votre magnifique et rare métier de se poursuivre dans l'avenir. C'est une tradition millénaire et qui ne doit pas être abandonnée. La relève est assurée puisque déjà votre fils travaille à vos côtés. Je souhaite, Messieurs les Ministres, qu'un solution juste puisse être trouvée à ce problème. M. VATELOT vous apportera la quantité d'idées, il a toujours des idées.
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Installé à Thivars, près de Chartres, Michel PETIT est, depuis 33 ans, maître-verrier. Il maîtrise parfaitement la technique du verre antique et du plomb, qu'il a mise au service de la restauration des vitraux de quelques-unes de nos plus belles cathédrales, parmi lesquelles Chartres, Blois, Coutances, Sées et Tours.
Mais sa passion est la recherche. Ancien élève de l'Ecole des Beaux-arts de Paris, vous êtes aussi, Cher Michel PETIT, un scientifique, collaborant étroitement avec le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques pour retrouver les couleurs d'autrefois. Grâce à ce travail, notamment, le célèbre bleu de Chartres éclate à nouveau.
Technicien-chercheur, vous êtes plasticien, travaillant avec les architectes à intégrer harmonieusement lumière, transparence et couleur dans les monuments, créant des formes modernes, utilisant des matériaux contemporains.
Vous avez exposé à Paris, Montréal, Osaka, Tokyo, ailleurs aussi, et vous avez le souci permanent de transmettre votre savoir-faire et de former de jeunes émules. Vous avez, pour cela d'ailleurs, reçu le prix national des formateurs aux métiers d'art. Cher Monsieur, je vous adresse à nouveau mes très sincères félicitations.
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Pascal THOMASSET, lapidaire, vous ne craignez rien, lapidaire d'art. Il est, à 35 ans, le plus jeune Maître d'art, je crois.
C'est à 10 ans, m'a dit un de vos amis, que la passion des pierres, celles d'abord de votre Savoie natale, vous est venue. En même temps que votre apprentissage en atelier, vous suivez les cours de l'Ecole du Louvre et vous spécialisez en taille des pierres de couleur.
Les pierres, les cailloux comme vous les appelez, vous les sculptez, vous les transformez en oeuvre d'art. Depuis 1984, vous travaillez pour les plus grands joailliers de Paris.
Votre imagination, pleine de sensibilité, empreinte -sans aucun doute- d'amour pour la pierre, servie par une technique rigoureuse, à la fois traditionnelle et à l'écoute de l'innovation, s'épanouit aujourd'hui dans le sud de la France, sous ce soleil, dites-vous, qui fait vibrer la couleur des gemmes.
Tout jeune encore, vous avez néanmoins le sentiment d'appartenir à une profession menacée et vous avez à coeur de transmettre à votre tour, déjà si j'ose dire, votre savoir-faire. Permettez-moi aussi, de vous féliciter très sincèrement.
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Messieurs, je suis heureux de vous décerner aujourd'hui le titre de Maître d'art. Avant de remettre son diplôme à chacun d'entre vous, laissez-moi vous dire encore notre attachement, celui des Français sans aucun doute et aussi notre admiration. Combien nous avons besoin de vous, de votre expérience et de votre savoir. Combien nous avons besoin de cette beauté, de cette invention, de cette harmonie que vous mettez dans notre vie et qui sont une part essentielle de notre identité et de notre culture. Pour tout cela, une fois encore, un grand merci à vous et un grand bravo ! |