Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors du Xème anniversaire du SAMU social
Hôspice Saint-Michel - Paris, vendredi 28 novembre 2003
Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, Cher Xavier Emmanuelli, Cher Toubib, Mesdames, Messieurs,
Merci, cher Xavier, pour vos mots si justes qui m'ont rappelé tant de souvenirs des débuts de notre aventure. Aujourd'hui, je retrouve en vous cette même force, cette même passion qu'au premier jour, cette même conviction. Une force et une conviction qui nous invitent à faire route avec vous. Je vous vois, rayonnant, et je me souviens de notre première rencontre à laquelle vous faisiez allusion et aussi de cette soirée, à l'occasion de laquelle, ensemble, nous avions lancé le SAMU social.
C'était il y a tout juste dix ans. Et cet anniversaire qui nous rassemble m'inspire une émotion particulière. Le bonheur, bien sûr, de vous voir si nombreux, et, comme vous tous, une certaine et légitime fierté. Je me dis qu'au fil des ans, l'initiative de quelques-uns est devenue une grande et belle aventure collective. En voyant la place, essentielle, occupée par le SAMU social dans l'aide aux plus vulnérables, je me dis que nous avions raison et que nous avions bien fait.
Je reconnais parmi vous, je le voyais tout à l'heure, les visages de bénévoles et de salariés des premiers jours, que je salue chaleureusement et à qui je voudrais rendre hommage du fond du coeur. Ils n'ont compté, et j'ai pu en témoigner à maintes reprises, ni leur temps, ni leur énergie pour se porter au secours des plus fragiles. Dominique Versini est de ceux-là, et je tiens à saluer son action. Beaucoup d'autres ont répondu présent pour commémorer I'événement : les représentants des collectivités territoriales qui vous soutiennent, au premier rang desquelles, bien sûr, la Mairie de Paris, de nombreuses entreprises qui vous aident aussi, et tous vos grands partenaires dans l'action -la Croix Rouge, l'Ordre de Malte et la Protection civile-, dont je salue amicalement les représentants.
A toutes et à tous, je veux dire, au nom de la Nation, un grand merci.
Xavier Emmanuelli a coutume de dire que la grande exclusion est comme une loupe qui nous aide à voir la société tout entière. Je me félicite que, grâce à son action, la lutte contre l'exclusion nous montre le visage d'une société solidaire, une société qui s'engage aux côtés de ses membres les plus fragiles. C'était cela son objectif. Il était méconnu mais combien justifié.
Parce que l'exclusion atteint l'homme dans sa dignité et sa citoyenneté, la combattre est, sans aucun doute, l'une des causes Ies plus difficiles mais les plus nobles qui soient. C'est un combat qui doit être au coeur de l'action publique mais aussi au coeur de l'engagement de tous nos concitoyens.
Pour lutter contre l'exclusion, il faut une patience immense, une infinie délicatesse, une grande modestie et beaucoup de respect pour remporter ces victoires essentielles qui sont d'offrir un moment d'apaisement à ces naufragés de l'existence dont les amarres avec l'humanité, usées par Ies tempêtes de la vie, ont fini par se rompre.
Ces moments, cette chaleur, ce soin, vous les avez offerts à des milliers et des milliers de personnes. Grâce à vous, beaucoup on pu commencer à panser leurs plaies, reconstruire lentement leur propre image, réaliser des liens, les retisser avec les autres et progressivement retrouver le chemin d'une vie humaine et digne.
Vous le dites très justement, cher Xavier, porter secours à ces personnes en grande difficulté exige énormément de dévouement, et donc de coeur, et de professionnalisme, et d'intelligence. Ces valeurs sont au coeur de l'action des bénévoles et des salariés du SAMU social.
Pour esquisser ne serait-ce qu'un premier lien, pour prononcer les mots justes, sans ingérence, il faut savoir qui chercher et où chercher, il faut évaluer au premier regard l'état de santé, le degré de détresse et, parfois aussi, d'agressivité de la personne, il faut vaincre les peurs réciproques.
Au SAMU social, rien n'est laissé au hasard. La composition de vos équipes, les mots et les gestes sont remarquablement étudiés. Vous avez élaboré des protocoles d'action précis, que vous appliquez avec rigueur, intelligence et constance. Vous connaissez par coeur la cartographie si mouvante de l'exclusion à Paris.
Grâce à ce professionnalisme, vous avez pu vous attaquer à des défis que l'on croyait hors d'atteinte, comme vous l'avez évoqué, le dépistage et le traitement de la tuberculose qui exigent un suivi et une régularité que I'on imaginait maI pour des personnes en errance.
Vous avez fait avancer toutes les institutions, et notamment l'hôpital, qui est votre partenaire naturel. Grâce à votre fructueuse collaboration avec l'hôpital Esquirol, vous avez amélioré la prise en charge des souffrances psychiques, dont 30% des exclus sont victimes et pour lesquels la douleur morale, une douleur souvent terrible, s'ajoute à la détresse et au sentiment d'abandon.
Vous avez changé notre regard sur I'exclusion et sur Ies exclus. Et j'aime I'approche que révèle Ie beau nom que vous avez choisi de maraude : elle traduit la constance de la veille, I'intelligence des situations, I'intervention juste et au bon moment, I'attention prêtée au moindre geste, à la moindre parole. L'action des maraudes s'est substituée au ramassage des indigents, tellement familier il y a quelques dizaines d'années encore que personne avant vous n'avait vraiment imaginé pouvoir agir autrement.
Parce qu'elles sont réfléchies et professionnelles, parce qu'elles reposent sur une connaissance approfondie de la grande exclusion, vos méthodes peuvent être appliquées partout en France et aussi adaptées aux circonstances culturelles et sociales dans Ie monde. Dans 80 villes, vous l'avez déjà dit, des SAMU sociaux ont été mis en place. Et la fédération internationale des SAMU sociaux, que vous présidez, oeuvre inlassablement pour faire profiter de nombreuses villes du monde de votre si précieuse expérience. Je me réjouis aussi de la création d'un certificat d'université consacré aux enfants errants dans les grandes villes, qui est enseigné depuis la rentrée à Créteil et à Saint Antoine. C'est encore l'un de vos succès, Toubib !
Depuis dix ans, vous avez agi sans ménager vos efforts, votre peine, votre temps avec un dévouement exceptionnel. La Nation, elle aussi, s'est engagée pour prévenir et combattre l'exclusion. Mais l'exclusion n'a pas suffisamment reculé. Nous pouvons mieux faire si nous savons écouter les acteurs de terrain. Nous pouvons mieux faire si nous comprenons mieux la réalité des personnes en situation d'exclusion.
En frappant si cruellement et si injustement certains de nos concitoyens, Ie destin provoque parfois des effondrements difficiles à prévenir comme à surmonter.
Des erreurs sont parfois commises. Depuis longtemps, vous nous avez montré, Docteur, que la rupture des liens qui provoque Ie basculement dans l'exclusion ne concerne pas seulement Ie lien au travail. Elle est l'aboutissement d'une dissolution progressive des repères et des clefs nécessaires pour vivre ensemble. Elle intervient quand I'image de soi se brouille, se dégrade ou s'évanouit. C'est pourquoi il faut un accompagnement au plus près des réalités de la personne. Proposer, comme cela a été fait trop souvent, des contrats d'insertion classiques à des personnes qui n'ont pas eu Ie temps de reconstruire l'image qu'ils ont d'eux-mêmes ni de se rapprocher de la vie sociale, c'est prendre le risque voire la certitude d'un nouvel échec ou de nouvelles ruptures. II nous faut veiller constamment à ne jamais proposer aux personnes fragiles que des solutions personnalisées, respectueuses de l'histoire de chacun, de l'environnement de chacun et je pense notamment à la présence des animaux de compagnie. Nous avons été les premiers, non sans mal, vous vous en souvenez, Dominique et vous-même Docteur, à faire en sorte que l'on ne sépare pas les animaux de compagnie de leur propriétaire. C'était tout à fait capital mais personne ne voulait l'assumer.
Face à un combat toujours à recommencer, je souhaite renforcer et renouveler notre action contre l'exclusion, selon trois axes que j'ai appris de vous et qui sont au coeur de votre engagement :
- Il faut adapter notre dispositif d'hébergement d'urgence aux nouvelles caractéristiques de l'exclusion. Les choses changent ;
- Il faut ensuite offrir aux personnes en situation d'exclusion, non seulement des prises en charge d'urgence, mais aussi de la sécurité et du temps pour se reconstruire ;
- Enfin, il faut tout mettre en oeuvre pour empêcher des personnes fragiles de basculer dans l'exclusion.
Le SAMU social nous a montré qu'il fallait, constamment, s'adapter aux nouvelles caractéristiques de I'exclusion. Le Gouvernement, avec Dominique Versini, s'y emploie, en améliorant nos dispositifs d'urgence pour qu'ils puissent accueillir un nombre toujours plus important de familles avec enfants et prendre en charge les enfants des rues. Ce problème que vous connaissez si bien.
La réforme du droit d'asile, qui vient d'être votée, permettra aussi progressivement de mettre fin à I'embolie des hébergements d'urgence qu'occasionne I'afflux considérable de demandeurs d'asile. Un afflux que nous avons connu au cours de ces dernières années.
Vous nous avez dit combien il était nécessaire d'offrir aux personnes en errance, non seulement Ies soins infirmiers essentiels et médicaux nécessaires, mais aussi la sécurité et Ie temps indispensables pour prendre un nouveau départ. C'est une leçon pour I'action. Notre ambition est, d'abord, de mettre fin à la fragilité financière des associations gestionnaires qui pénalise nécessairement Ies bénéficiaires des lieux d'accueil d'urgence. La construction de maisons relais, de "pensions de familles", comme on les appelle aujourd'hui, avec 5 000 places ouvertes en cinq ans, donnera, je l'espère, aux personnes exclues et à leur famille le sas nécessaire pour se réinsérer dans notre société.
La gravité des situations auxquelles vous êtes confrontés chaque jour témoigne enfin de I'impérieuse nécessité d'empêcher des basculements dans l'exclusion. Déjà, en instituant une procédure d'effacement des dettes, nous avons fait en sorte que Ies situations de surendettement provoquées par Ies accidents de la vie ne soient plus synonymes d'une condamnation quasiment définitive à la précarité. La création du revenu minimum d'activité permettra aussi à des bénéficiaires du RMI, très éloignés de I'emploi, de franchir une première étape vers I'activité et de consolider ainsi un lien social parfois très distendu. Dans Ie domaine du logement, nous devons progresser. Perdre son logement, perdre son adresse peut évidemment précipiter des familles entières dans des situations d'exclusion durable. Je souhaite que les pouvoirs publics réfléchissent, avec Ie Haut comité pour Ie logement des personnes défavorisées, à la façon de rendre effectif le droit au logement.
Votre engagement, Docteur, Madame la Directrice, et vos réussites démontrent que lutter contre l'exclusion, c'est bien en réalité l'affaire de chacun. C'est le plus beau et le plus essentiel des combats. Car c'est le combat pour la dignité, la justice et pour donner tout son sens au principe d'humanité, sans lequel il ne peut y avoir de vie en commun.
J'invite tous nos concitoyens à prendre leur part quotidienne à ce combat, en s'engageant, chaque fois qu'ils le peuvent, dans l'action associative mais aussi en repérant et en signalant Ies situations de grande précarité dont ils sont les témoins et qu'ils doivent regarder et non pas ignorer. En évitant de grandes ruptures et de grandes détresses, qui, parce qu'elles portent atteinte à la dignité humaine, marquent leurs victimes à jamais, nous pouvons changer le visage de notre société.
C'est pourquoi, je veux vous dire une nouvelle fois, à toutes celles et à tous ceux qui participent à cette grande aventure et belle aventure, qu'ils soient des professionnels ou qu'ils soient des bénévoles, je veux vous dire à vous toutes et à vous tous et du fond du coeur : merci. Merci pour votre engagement et merci pour votre action.
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