DISCOURS
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
SEMAINE MONDIALE DE LA FRANCOPHONIE RÉCEPTION DE LA DÉLÉGATION DE JEUNES FRANCOPHONES
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PALAIS DE L'ÉLYSÉE LUNDI 22 MARS 1999
Monsieur le Secrétaire Général de la Francophonie, Madame la Ministre de la Jeunesse et des Sports, Chère Anne-Marie, et bravo pour votre intervention, j'ai bien compris qu'il fallait qu'il y ait un suivi à Moncton, Mes chers amis,
La francophonie gagne quand elle a le visage de l'avenir, c'est-à-dire le visage de la jeunesse.
Alors, elle n'est pas seulement une cause que l'on défend, elle est une manière de sentir, de communiquer, de s'engager, en quelque sorte d'être au monde.
C'est pour cela que je suis heureux, très heureux, de vous recevoir aujourd'hui, vous tous et toutes qui venez de tous les pays, et ceci pour lancer la préparation de notre prochain sommet, celui de Moncton.
Votre présence, que nous devons à une initiative heureuse du secrétaire général et aussi de nos amis de l'AIMF, est en elle-même une promesse et un gage de succès.
* Vous venez, Boutros BOUTROS-GHALI l'a rappelé à l'instant, de tous les continents. Africains, Américains, Asiatiques, Européens, chacun d'entre vous hérite d'une histoire, d'une tradition, d'une culture.
Ces différences sont votre chance et aussi la nôtre. Vous devez cultiver les éléments de votre identité, parce que c'est votre identité qui fait votre richesse, en même temps que cette langue commune, qui fait notre unité.
Vous êtes égaux en dignité et en droits : c'est l'article premier de la déclaration universelle des Droits de l'Homme, et c'est notre credo fondamental.
Francophones, vous participez à ce mouvement qui véhicule, à travers une langue, les valeurs universelles de l'humanisme. La francophonie vous apporte sa philosophie, fruit d'une longue réflexion sur la condition humaine, sur l'histoire, sur l'organisation des sociétés.
Vous entrez dans un monde qui change profondément et rapidement. Vous devrez y trouver votre place, y faire votre place. D'une certaine façon, la tâche sera pour vous plus complexe que pour les générations qui vous ont précédés. La francophonie peut vous y aider. Elle porte en elle les richesses de la tradition et aussi les atouts de la modernité.
Depuis Cotonou et Hanoi, notre mouvement s'est affirmé, plus dynamique, plus mobilisateur, plus présent et vous toutes et tous, ici, en apportez le témoignage
Nous avons rénové nos instances politiques, au sens noble du terme. Nous avons nommé un secrétaire général, une personnalité tout à fait exceptionnelle par sa compétence et par son destin, notre ami Boutros BOUTROS-GHALI. Nous avons lancé un programme pour que nos jeunes experts irriguent les institutions internationales.
Nous avons engagé les réformes de l'Agence de la francophonie, opérateur principal, et aussi de l'Agence universitaire. Nous avons modernisé l'audiovisuel francophone, TV5 et CFI. Nous avons ouvert la francophonie aux nouvelles technologies, tout à l'heure Anne-Marie évoquait ces exigences légitimes en ce qui concerne la présence sur internet. Mais nous devons aller beaucoup plus loin ! A Moncton, faisons, effectivement comme il a été dit, preuve d'imagination et d'enthousiasme ! Adoptons une programmation moderne, dynamique, novatrice et naturellement tournée vers les jeunes !
Moderniser nos outils, c'est d'abord diminuer leurs coûts de fonctionnement au profit des actions de terrain. C'est multiplier les partenariats avec les institutions internationales, les collectivités locales, les entreprises, les associations. C'est investir systématiquement la société de l'information, en mettant la francophonie en réseau et sur les réseaux.
S'ouvrir à la jeunesse, c'est lui offrir, par une programmation rénovée, les outils de la modernité, c'est-à-dire une formation, une insertion, une culture.
Une formation d'abord. Des ressources considérables lui sont déjà consacrées. Il faudra tirer toutes les conséquences de l'évaluation en cours de l'Agence universitaire. Il faudra aussi tirer parti de la réforme de l'Agence de la francophonie pour revoir l'ensemble de ses actions. Se concentrer sur les vecteurs et les contenus les plus modernes. Rechercher toujours les effets de levier. Stimuler, par exemple, les jumelages d'établissements d'enseignement, avec le concours des collectivités responsables, à l'image par exemple des lycées Chu Van An, à Hanoi, et Marie Curie, à Sceaux, près de Paris.
L'insertion ensuite. La plupart de nos pays sont frappés par ce fléau, ce gâchis : le chômage des jeunes. Tout doit être fait, avec les entreprises, avec les pouvoirs publics, pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes.
La francophonie peut y aider. Elle peut faciliter la mobilité des jeunes francophones qui ont un projet pour l'avenir, à l'instar de l'action de l'Office franco-québecois pour la jeunesse. Elle peut contribuer à rapprocher les jeunes des entreprises, par des partenariats. Et je retiens ce qu'a dit Anne-Marie en ce qui concerne ces frontières qui empêchent les francophones de se retrouver.
La culture enfin. Où que j'aille dans le monde francophone, je suis frappé par la vitalité des cultures qui le constituent. Nos jeunes le savent-ils assez ? Ce n'est pas sûr. Nos cultures, toutes les cultures qu'ici vous représentez, souvent de fortes et d'anciennes cultures, nos cultures sont inventives, diverses, entreprenantes. Soyons fiers de cette richesse. Et d'abord, apprenons à mieux les connaître et à mieux les faire connaître.
Je souhaite que l'Agence, TV5, CFI soient davantage encore les découvreurs et les promoteurs des jeunes talents francophones, dans tous les domaines, en étroite association avec les professionnels et avec les mécènes qui sont, lorsqu'on leur propose des choses, plus généreux qu'on ne le pense. Les réalisations de nos créateurs doivent être largement diffusées. Ce sont nos atouts maîtres dans la lutte contre l'uniformisation culturelle, contre la domination écrasante des marchés culturels par quelques-uns.
Nous voulons construire un monde multipolaire et harmonieux, un monde pacifique et créatif, dans lequel nos jeunes pourront s'épanouir.
Nous pouvons y travailler entre États francophones. La francophonie doit élaborer un modèle de coopération, efficace et sans ingérence, au service de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'homme, fondements de toute politique de développement durable. Nous devons consolider les progrès accomplis ces dernières années, intensifier et structurer notre dialogue politique.
La francophonie se doit aussi d'être davantage présente à New York, à Vienne, à Genève, dans le système des Nations unies, là où s'élabore l'ordre juridique du monde. Et j'attache beaucoup d'importance aux coordinations francophones dans les négociations mondiales, comme à la présence d'experts francophones dans les institutions internationales.
Il y va de notre identité. Absents, nous laissons s'élaborer une règle étrangère à nos usages. Présents, nous assurons le respect de la nôtre.
Telles sont nos ambitions pour Moncton. Je souhaitais vous en décrire l'essentiel, pour vous convaincre que la France est à l'écoute de vos préoccupations, vous qui reprenez le flambeau, et qu'elle entend bien les porter au niveau de nos délibérations internationales et des décisions de nos sommets.
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Mes chers amis,
Le monde change, toujours plus vite. Formidable croissance des échanges humains, explosion des transactions financières, accélération du progrès technique, le " village planétaire " prend forme. A nous de le façonner à notre main, de maîtriser, de civiliser, d'humaniser cette mondialisation à l'oeuvre sous nos yeux. A nous d'écarter les fléaux, de surmonter les menaces qui demeurent : les guerres, civiles et étrangères, l'oppression, la faim, les crises financières, les épidémies, les catastrophes environnementales.
Votre jeunesse et votre enthousiasme, je sais que vous voulez tout naturellement les mettre au service d'un idéal. Eh bien voici le nôtre : la construction d'un monde libre, tolérant, juste, développé.
Un monde libre. Chaque génération doit lutter avec acharnement pour le respect des droits de l'homme, la construction de l'État de droit, le perfectionnement de la démocratie. Dans tous les pays, il faut y veiller jalousement, quotidiennement, car c'est la clé de la paix civile, de la sécurité, de la justice, du développement, de la confiance internationale. Soyez dans la grande tradition des auteurs de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, soyez les croisés de la liberté.
Un monde tolérant. Les certitudes idéologiques, les fanatismes sont les vecteurs de l'oppression et de l'affrontement. Soyez des exemples de dialogue et de respect des autres. La francophonie, à l'écoute des autres cultures, est par vocation un espace de tolérance et d'ouverture au monde.
Un monde plus juste. N'acceptons pas que l'écart entre les plus riches et les plus pauvres continue de se creuser, que l'exclusion et la grande pauvreté demeurent, que des fléaux comme le sida soient combattus au Nord tandis que l'épidémie continue de s'étendre au Sud. Mobilisez-vous, pour que vos pays placent l'exigence de justice au coeur de leur projet, pour que la solidarité francophone joue pleinement.
Un monde mieux développé, pour en finir avec la pauvreté et aussi pour protéger notre planète, les deux vont ensemble. Qu'il s'agisse de la préservation de la forêt, des océans ou des climats, de la pureté de l'eau ou de l'air, de la conservation de la diversité biologique, l'urgence est là. Sans sacrifier notre croissance, nous devons accepter les disciplines, oublier nos égoïsmes. Des solutions existent : il faut les appliquer. C'est une responsabilité collective, et c'est d'abord votre responsabilité. Vous devez être les gardiens vigilants de la planète, les promoteurs intransigeants du développement durable.
Votre foi dans la francophonie et votre volonté de construire un monde meilleur me réjouissent bien sur, nous réjouissent. Elles démontrent que nous avons raison de nous battre pour ces idéaux et aussi de vous faire confiance. Avec vous, avec votre enthousiasme, votre intelligence, votre imagination aussi, nous pourrons franchir de nouvelles étapes.
Et nous en franchirons à Moncton, j'en suis sûr. Et il nous reviendra à tous, là-bas, de tenir ces promesses que vous avez élaborées, que nous avons faites et qui nous sont communes.
Je vous remercie. |