Discours de Monsieur Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du 30ème anniversaire de l'Association des Centres Educatifs du Limousin.
Ussel (Corrèze)– Samedi 5 décembre 1998
Monsieur le Président, mon Cher Jean-Pierre,
Monsieur le Maire d'Ussel, mon Cher Henry,
Mes Chers amis,
Permettez-moi d'avoir d'abord une pensée forte, reconnaissante, affectueuse pour l'ensemble de nos résidents, représentés ici par un certain nombre d'entre eux. Il me fait plaisir et cela me donne chaud au coeur de les voir.
Permettez-moi de saluer également le personnel compétent et dévoué. Leur métier est à la fois exaltant mais rude et je voudrais leur dire toute mon estime et ma reconnaissance.
Et puis nos administrateurs, ceux qui impulsent et dirigent l'ensemble de cette association. Ce n'est pas un travail facile. Ils le font avec compétence sans aucun doute mais ils le font surtout avec coeurs et c'est là l'essentiel.
Jean-Pierre Dupont, en sa qualité de président de l'association, a bien voulu rappeler un peu de notre histoire et aussi la part que beaucoup d'entre nous, ici rassemblés, y ont prise. Qu'il me soit d'abord permis de le remercier parce que son engagement personnel à la tête de l'association aujourd'hui, pour nous tous, est une source de confiance et je dirais aussi de sérénité, nous sommes dans un domaine où il faut de la sérénité.
Qu'il me soit permis de rendre hommage à celui qui, directeur de nos centres, fut à l'origine de tous les grands tournants pris par notre association au cours des dernières décennies, et qui l'a conduite quotidiennement avec le souci de toujours placer la personne handicapée au centre de notre pensée, de notre action, de notre service. Cher Jean-Claude Wild, soyez fier de votre action et, bien sûr, dans ce nouvel âge actif qui commence pour vous, continuez à servir la cause du handicap en lui apportant toute votre expérience et, plus encore au-delà de votre compétence, toute votre sensibilité ! Cher Jean-Claude, merci pour tout ce que vous avez fait. Je tiens à vous dire également mon estime et ma reconnaissance.
Vous avez voulu faire de cet anniversaire une fête de famille. Je suis heureux de pouvoir y participer et de partager avec vous ce moment de rencontre et aussi d'échanges. Adossés à une expérience exceptionnelle, nous pouvons regarder l'oeuvre accomplie depuis 30 ans en témoignant de ses faiblesses et de ses réussites et réfléchir avec confiance aux évolutions de l'avenir.
Nous avons réussi à rassembler nos énergies pour ouvrir à nos résidents une vie et un avenir auxquels ils ont droit en termes d'affection, de compréhension pour pouvoir être, faire et grandir. L'Association des centres éducatifs du Limousin est née en réalité de cette volonté.
Notre famille s'est constituée autour de la personne handicapée, d'abord et avant tout dans la reconnaissance de sa dignité. Elle ne s'est pas formée en un jour bien sûr. Sa cohésion a grandi peu à peu avec toutes les difficultés et les problèmes qu'il faut surmonter dans toutes les tâches humaines surtout quand elles ont de l'ambition. L'esprit de notre famille s'est affirmé. Il a fallu du travail, des efforts, beaucoup de coeur, de la générosité, de l'intelligence et de la persévérance et de tout cela, tous ceux qui ont attribué, tous ceux qui travaillent dans nos centres ne sont pas dépourvus.
Aucune famille ne peut se construire sans un environnement d'affection. C'est pourquoi l'entourage de la personne handicapée est si important : les parents bien sûr, qui conservent toujours un rôle et une responsabilité irremplaçables quand ils sont là, mais aussi vous toutes et vous tous qui travaillez dans les Centres et qui accompagnez avec coeur, jour après jour, celles et ceux qui vous sont confiés, et notamment ceux qui n'ont eu ni la chance d'avoir une vraie famille, ni la capacité personnelle de savoir créer du lien avec autrui.
C'est vers vous que je voudrais d'abord me tourner. Vous savez qu'on ne peut s'occuper de personnes handicapées en restant neutres, comme protégés en quelque sorte par la barrière d'un métier. Il faut s'impliquer, se donner, accepter l'échange, et même plus : le rechercher. Vous vous exposez personnellement. Vous servez notre projet commun avec une espérance et un optimisme que vous ne laissez ébranler par aucun échec, car hélas, il y a forcément des échecs. Grâce à votre dévouement, chacun de nos pensionnaires est guidé autant que faire se peut sur un chemin de progrès personnel et de joies partagées, dans une relation dont vous découvrez chaque jour et j'en ai tant et tant de témoignages, l'intensité et la richesse.
Auprès de la personne handicapée, on apprend à découvrir l'autre, à accepter sa différence et c'est cela qui grandit l'homme. Mais à la lumière de cette différence, on continue aussi à se construire soi-même.
Sans relâche, vous explorez des terres inconnues où notre intelligence, notre sensibilité ont du mal à trouver leurs repères, car le handicap peut être senti mais il est difficile à comprendre.
Faire que celui que nous accueillons soit considéré comme un être unique, inscrit sur une trajectoire de vie qui est pleinement la sienne, respecter profondément sa volonté, sa parole, son corps, sa singularité, combattre les effets pervers de sa dépendance par rapport à celui qui l'accompagne et qui prend soin de lui, supposent une vigilance de tous les instants, un questionnement permanent.
Une réflexion très forte doit se développer et parcourir tout le champ ouvert par ce questionnement.
Dans nos centres comme d'ailleurs au plan national, je serais très heureux que professionnels et parents se réunissent aussi souvent que possible, partagent leur expérience pour inscrire dans une charte éthique les pratiques et les gestes à mettre en oeuvre dans toutes les situations difficiles, vis-à-vis des personnes rendues dépendantes par un handicap lourd. Nous avons besoin de cette charte.
L'état d'esprit qui est déjà le nôtre s'en trouvera conforté. Cet état d'esprit n'a pas toujours existé dans notre pays, et il n'existe pas partout aujourd'hui.
Souvenons-nous de ce qu'étaient encore très souvent les conditions de vie des personnes handicapées mentales à l'époque de la fondation de notre association. Il y avait l'immense détresse de parents aimants mais désarmés, leur inépuisable bonne volonté, mais aussi leur sentiment d'impuissance mêlé de culpabilité, leur révolte face aux handicaps les plus lourds, quand à l'inacceptable n'était plus supporté. Il y avait leur solitude extrême, encore accrue par l'absence d'hommes, de femmes et de structures réellement capables de partager avec eux la responsabilité dont le destin les avait chargés.
Ces sentiments, beaucoup de parents les éprouvent encore de nos jours. Du moins notre société a-t-elle évolué, changé, manifestant une aptitude plus grande à accepter petit à petit le handicap, à l'accueillir, à l'accompagner, et à accepter les enfants, les adultes handicapés en même temps que leurs parents.
Il y a 30 ans, il y avait aussi, par-dessus tout, s'ajoutant au handicap et à ses chaînes, la souffrance béante, alors sans remède, de celui qui était conscient de ne pas être comme les autres, mais qui ne pouvait trouver de place au milieu des hommes.
Souvenons-nous du rejet, de l'intolérance et parfois de la violence. Souvenons-nous de ces situations trop fréquentes, dont certains d'entre nous ont été les témoins, -j'en ai un cruel souvenir- et qui conduisaient à des drames où l'horreur le disputait au scandale.
Les souffrances et les peines n'ont pas disparu naturellement. L'abandon non plus. Les liens avec l'autre demeurent toujours difficiles à établir dans le cas des handicaps les plus profonds. Parfois même, la relation paraît impossible, jusqu'au jour où, peut-être, un regard, un signe, un geste rend l'espoir.
Du moins notre pays s'est-il progressivement engagé, à partir d'expériences comme la nôtre et bien d'autres, dans une politique active de prise en charge et d'insertion qui, depuis un quart de siècle, s'est efforcée de mieux répondre aux multiples besoins des personnes handicapées.
Ce que la communauté nationale offre à tout enfant puis à toute personne adulte pour favoriser son épanouissement et son insertion, la Nation se devait de leur offrir aussi, sous une forme adaptée à la réalité de leur vie, en partant du principe fondamental qu'elles ont les mêmes droits imprescriptibles et la même dignité que toute autre personne.
J'avais bien sûr notre expérience corrézienne très présente à l'esprit, en 1975, quand j'ai soumis au Parlement les lois qui font obligation à la collectivité de répondre aux besoins des personnes handicapées en donnant la priorité à l'insertion et en assurant le financement des établissements sociaux et médico-sociaux. Notre action s'inscrit depuis lors dans les plans du législateur, qui lui a donné un cadre solide.
L'association s'est constamment adaptée car c'est l'esprit même de la loi d'orientation. Sa diversification est une réussite. Nous n'avons jamais cessé de penser à l'avenir de nos pensionnaires.
Un avenir de progrès personnels, en premier lieu par l'éducation, la formation et le travail. Entre foyer occupationnel, foyer de préparation au CAT et CAT, avec les nombreux métiers présents autour de l'activité agricole, il y a place au sein de nos centres pour que s'expriment une grande variété de talents et d'aptitudes. Il y a place aussi pour un véritable développement de la personnalité.
Les progrès dans l'autonomie sont également favorisés grâce à l'ouverture, il y a une quinzaine d'années maintenant, d'un appartement thérapeutique à Ussel et d'un externat à La Saule.
Cet avenir que l'Association s'efforce de prendre en charge doit être un avenir de sécurité affective et de stabilité. Nous avons très tôt pris le parti de créer les structures permettant de continuer à accueillir les personnes handicapées qui grandissaient dans nos établissements. Nous avons fait le choix d'ajuster les capacités d'accueil des enfants au nombre de places que nous pouvions créer pour les maintenir ensuite dans nos centres. Et, depuis 1988, nous offrons la possibilité d'une retraite paisible au sein de l'association, et nous prenons ainsi en charge un des besoins de la personne handicapée parmi les plus fondamentaux. C'est en même temps une réponse à l'angoisse profonde de nombreux parents quand se pose la question de l'âge, leur âge et celui de leur enfant.
Ces évolutions positives n'auraient pas été possibles sans l'évolution de la législation et des politiques nationales, qui ont permis de grands progrès, c'est vrai, même s'ils ne sont pas encore suffisants, dans la prise en compte du handicap tant mental que physique. J'ai déjà évoqué les deux grandes lois de 1975. Elles demeurent aux fondements même de notre action. L'actualisation des règles applicables aux établissements médico-sociaux est sans aucun doute nécessaire aujourd'hui, qu'il s'agisse de préciser les droits de la personne en établissement, de mieux garantir la continuité du financement de nos centres ou de clarifier les règles de tarification. Il importe cependant qu'elle ne mette pas en cause les principes de notre organisation médico-sociale.
La loi présentée par mon Gouvernement en 1987 a donné un nouvel élan à l'insertion professionnelle des personnes handicapées mentales ou physiques. Les entreprises, les collectivités locales et les hôpitaux comptent désormais dans leur effectif plus de 4 % de travailleurs handicapés. Ils sont près de 300.000 à travailler en entreprise. L'Etat étant, il faut le dire, malheureusement et de façon impardonnable à la traîne. C'est pourquoi, j'ai souhaité que le Gouvernement subordonne désormais l'allocation des moyens de fonctionnement des administrations aux efforts qu'elles accepteront pour l'emploi de personnes handicapées.
Relayant l'impulsion donnée par le législateur à la politique du handicap, les Gouvernements successifs ont régulièrement augmenté le nombre de places pour l'accueil ou l'emploi de personnes handicapées en maisons d'accueil spécialisées, en CAT et en ateliers protégés. Cet effort doit être poursuivi car les besoins à satisfaire demeurent hélas très grands.
Mais il faut aussi accélérer la mise en oeuvre de deux priorités essentielles : l'éducation et l'accessibilité.
L'UNAPEI a récemment évalué à 20 000 le nombre d'enfants et d'adolescents sans solution éducative. Cette situation est inacceptable. A quoi servirait d'avoir proclamé en 1975, par la loi, que "l'éducation et la formation de l'adulte et du mineur handicapés physiques, sensoriels ou mentaux constituent une obligation nationale", si nous étions incapables aujourd'hui de répondre à ce grand défi collectif ? Je souhaite que l'intégration scolaire des enfants handicapés soit plus activement poursuivie par des classes adaptées à leurs difficultés mais aussi, plus simplement, en leur ouvrant davantage, à chaque fois que possible, l'école de tous les enfants.
L'accessibilité, quant à elle, a fait des progrès, c'est vrai, dans les constructions nouvelles, dans l'aménagement des logements, dans les services publics, ou encore pour le stationnement des véhicules, des progrès sans plus. Cependant, au mépris des lois, trop d'établissements ouverts au public sont encore inaccessibles aux personnes handicapées, ce qui impose aujourd'hui de rappeler avec force les dispositions en vigueur. La France n'est pas bien placée parmi les grandes nations au regard de ce critère. Elle doit faire un effort important. Le problème du transport des personnes handicapées demeure lui aussi mal résolu, et de nombreux aménagements demeurent indispensables pour rendre aux personnes handicapées cette liberté d'aller et de venir qui constitue la plus élémentaire, et parmi les plus fondamentales de nos libertés. Il est donc indispensable d'amplifier les politiques mises en oeuvre par la collectivité au service de cette priorité.
Au moment ou dans quelques jours, nous allons commémorer le 50ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme nous devons penser que l'homme " c'est tout l'homme ", y compris celui ou celle qui souffre d'un handicap de toute nature physique, mentaux ou sensoriels.
La tentation de la société c'est encore trop souvent de mettre à part. Dans la plupart des cas dont nous nous occupons, le placement en établissement est sans aucun doute, nous le savons tous, la seule solution envisageable. Mais si la France veut rester une société pleinement solidaire, refusant l'exclusion, réellement soucieuse d'insertion, davantage d'efforts devront être faits, au plan national, pour mettre ensemble les personnes handicapées et les autres, chaque fois que c'est possible, comme dans notre sympathique assemblée d'aujourd'hui. Quelle joie, par exemple, quand nous découvrons, sur les stades ou sur les pistes de ski, les magnifiques exploits d'athlètes handicapés physiques !
Nous ne pourrons aller plus loin dans cette direction que si l'environnement général est rendu plus favorable aux personnes handicapées, en admettant et en faisant admettre que le handicap évolue, qu'il n'y a pas un handicap mais des handicaps, et qu'il faut ouvrir largement l'éventail des solutions offertes.
Face aux obstacles dont leur parcours quotidien demeure jalonné, les personnes handicapées, ne peuvent l'emporter seules. Elles ont besoin de la solidarité des autres. N'est-ce pas le cas, d'ailleurs, en fait de chacun d'entre nous ? C'est pourquoi il est si important de cultiver dès l'enfance une citoyenneté attentive aux problèmes des personnes les plus vulnérables quelle que soit la nature de leur vulnérabilité.
Cet apprentissage, nous le faisons depuis longtemps sur ces terres de la haute Corrèze et de la Creuse où notre association, par son importance, par la place qu'elle a prise dans la vie de chacun, et aussi par l'apport très apprécié que représente la production de tous nos travailleurs handicapés, est devenue une réalité essentielle pour nous tous.
L'anniversaire que nous célébrons n'est bien sûr qu'une étape. L'association doit continuer à construire son avenir en demeurant attentive à l'évolution des besoins des personnes handicapées et des attentes de leur famille, et en cultivant cette parfaite intégration dans son environnement local qui est incontestablement l'une de ses caractéristiques et de ses forces.
Je suis certain que, sous la présidence attentive et très active de mon ami Jean-Pierre Dupont et sous l'impulsion dynamique et généreuse de Françoise Beziat, sa nouvelle directrice, que je connais bien et en qui j'ai toute confiance, l'association poursuivra son action dans la fidélité à ses valeurs, avec la vitalité, l'enthousiasme, le coeur et la formidable capacité d'évolution qui ont fait jusqu'ici qu'elle a su remplir sa mission..
Sachez que je reste présent à vos côtés, et toujours disponible pour vous aider !
Je vous remercie.
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