Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Bill CLINTON, Président des Etats-Unis d'Amérique et de M. Jacques SANTER, Président de la Commission Européenne.
La Maison blanche - Washington , le mercredi 14 juin 1995.
Le Président: Il y a quarante ans de cela, lorsque je travaillais comme serveur à "Howard Johnson" je ne pensais pas qu'un jour je me retrouverais à la Maison Blanche à côté du Président des Etats-Unis au cours d'une conférence de presse et j'en suis très heureux. C'est assez émouvant pour moi.
Mais depuis cette époque, j'ai malheureusement oublié la plupart de mon anglais. Voici pourquoi je vais vous parler en français et je voudrais seulement dire quelques mots.
Je voudrais d'abord vous remercier pour votre accueil et vous dire combien je me suis réjoui de constater que sur les principaux problèmes du monde d'aujourd'hui et notamment sur les relations entre l'Europe et la France, nos points de vue étaient parfaitement convergents. Et dans un monde qui a tendance à se fracturer, où l'égoïsme, où l'isolationnisme a tendance à se développer dans bien des pays, il est rassurant de voir que les plus grandes nations ont conscience de la nécessaire solidarité qui doit exister entre elles. C'est vrai dans le domaine politique, c'est vrai dans le domaine économique et social, et c'est vrai face aux crises auxquelles nous devons faire face un peu partout dans le monde. Et nous avons, à ce sujet, des points de vue largement convergents, même si certains points nous séparent.
Monsieur le Président, je voudrais, en tant que Président de l'Union européenne, encore pour quelques semaines, vous dire d'abord que j'apprécie la position que vous avez prise personnellement sur cette affaire de Bosnie qui nous préoccupe énormément ; vous dire aussi que nous souhaitons que l'ensemble de la communauté occidentale soit plus attentive, et nous en reparlerons à Halifax, au problème des pays en développement pour lesquels nous devons impérativement faire un effort. C'est un problème moral, c'est un problème humain, mais c'est aussi notre intérêt politique compte tenu de la démographie croissante qui existe dans ces pays.
Je pense qu'il faut également que nous renforcions nos solidarités lorsqu'il s'agit de régler les crises régionales qui sont apparues un peu partout, en Afrique, en Europe ou ailleurs. Je pense qu'il nous faut réfléchir de façon plus attentive au problème qui marque notre temps c'est-à-dire celui de l'emploi. Et je me réjouis que la proposition de faire une deuxième conférence du G7 sur les problèmes d'emploi ait été, dans son principe, retenue. La première, créée à l'initiative de votre gouvernement, avait été très utile.
Je pense que nous devons également faire un effort important de lutte contre la grande criminalité. A l'initiative des Etats-Unis, des résultats spectaculaires ont été obtenus, récemment encore, dans la lutte contre la drogue. Je pense que pour tout ce qui touche au blanchiment de l'argent sale, à la lutte contre la drogue, par conséquent, contre le Sida, nous devons, là aussi, avoir des moyens qui soient en synergie et qui soient renforcés.
Nous aurons l'occasion, je pense, d'en parler à Halifax et, pour ma part, je ferai, à ce sujet, des propositions.
Enfin, nous avons ce problème de l'insécurité monétaire qui existe à la fois dans le monde et au sein même de l'Europe et qui mérite aussi une réflexion forte.
Voilà quelques uns des messages qu'en tant que Président de l'Union européenne j'ai adressés au Président des Etats-Unis et qui feront, notamment, l'objet de notre réunion de Halifax.
Question: Monsieur, est-ce que vous êtes prêt à réexaminer votre décision de reprendre les essais nucléaires ? Et est-ce que le Président Clinton pense que cela représente un problème pour obtenir un traité sur l'interdiction totale des essais nucléaires ?
Le Président: La question posée au Président Clinton recevra une réponse de sa part. Pour ce qui me concerne, je vous dirais que non , je ne suis pas du tout disposé à remettre en question la décision que j'ai prise. Mais, je vous rappelle qu'il s'agit d'un nombre d'essais limité, pendant une période de temps limitée, c'est-à-dire de septembre à mai prochain, et que la France a pris l'engagement de signer sans aucune réserve, dès qu'il sera prêt, c'est-à-dire probablement à l'automne de 1996 le traité portant interdiction définitive des essais nucléaires en vraie grandeur.
Question: Donc les protestations ne vous gênent pas. Le fait que le reste du monde est pour ainsi dire désarmé.
Le Président: Je n'ai, hélas, pas observé que le reste du monde soit pour ainsi dire désarmé.
Question: Des troupes du gouvernement vont sur Sarajevo, est-ce que vous pensez que les casques bleus devraient permettre l'attaque ou quitter les lieux ?
Le Président: Sur cette affaire de Bosnie, nous avons le même sentiment. D'abord les casques bleus de la Forpronu ont été très largement répartis dans le cadre d'une politique humanitaire et de paix sur l'ensemble d'un territoire par ailleurs occupé par des terroristes, en particulier serbes. Ce qui devait se passer s'est passé, c'est-à-dire qu'au premier prétexte les Serbes ont pris des otages et ces troupes de la Forpronu étaient dans l'incapacité de se défendre. Le soldat doit pouvoir se défendre et en tous les cas s'il court des risques physiquement y compris la mort il n'est pas possible d'imaginer qu'il puisse être humilié car les soldats de la Forpronu étaient de plus en plus souvent humiliés. C'est un problème d'honneur, il fallait donc réagir.
Nous avons donc décidé les Britanniques et nous-mêmes de créer une force, avec d'ailleurs un renfort hollandais, de créer une Force de réaction rapide qui n'a pas pour but d'agresser qui que ce soit, qui s'intègre dans le système de l'ONU et d'ailleurs en liaison étroite avec l'OTAN mais qui a pour mission de réagir chaque fois que des soldats de la Forpronu se trouvent agressés, humiliés ou privés de leur liberté. Pour cela nous avions besoin d'une force qui ait les moyens d'intervenir notamment les moyens en matériel d'artillerie, d'hélicoptères et de chars.
J'ai entendu ici ou là des commentateurs politiques, je veux dire des hommes politiques, des responsables politiques s'interroger pour savoir si cette initiative franco-britannique n'était pas un premier pas vers le retrait des forces de l'ONU, c'est évidemment absurde. Les forces de l'ONU si elles devaient un jour se retirer, ce que je ne souhaite pas, bénéficieraient de tout un système qui a été prévu et organisé à l'avance qui leur permettrait de partir. Ce que nous avons voulu, je le répète c'est pouvoir réagir et, de ce point de vue, plus nous irons vite et plus les Serbes comprendront qu'ils ne peuvent plus faire n'importe quoi. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de l'assentiment général du groupe de contact et je peux vous dire que les Russes ont donné leur accord ainsi que la quasi-totalité des pays. Il appartient maintenant au Congrès des Etats-Unis de donner un feu vert. Je souhaite qu'il le fasse naturellement, parce que, tout retard a pour conséquence de donner un espoir aux Serbes, que des discussions internes au groupe de contact leurs permettront de gagner du temps. Il faut que les Serbes aient conscience du fait que le temps joue contre eux.
Voilà l'esprit de cette Force de réaction rapide qui est en train de se mettre en oeuvre et qui je le répète est essentiellement composée de britanniques et de français.
Question: Quel est l'ensemble économique que la Communauté européenne est en train de proposer pour renforcer la paix au Moyen-Orient ?
Le Président: Le développement dans ces paix est une nécessité absolue. Qu'est-ce qu'il faut donner aujourd'hui aux Palestiniens concernés ? C'est une maison et un travail et pour cela il faut de l'argent. Je vous ferai remarquer que la France est le plus gros contributeur financier au budget de l'Autorité palestinienne et la France entend participer à l'effort de développement de façon exemplaire.
Nous sommes tout à fait d'accord sur la mise en oeuvre d'un système financier qui soit aussi efficace et rapide que possible. Je crois que le gouvernement israélien lui-même n'a pas encore tout à fait arrêté sa position. Est-ce que cela doit être une banque ou est-ce que cela doit être un organisme plus rapide à mettre en oeuvre, c'est un détail. Mais enfin la France prendra toute sa part dans cet effort financier de développement.
Question: Vous avez dit que le moment est peut-être venu pour les Etats-Unis de prendre une attitude un peu plus dure sur la Bosnie. Cela signifie quoi exactement et est-ce que vous voulez des troupes américaines sur le terrain ?
Le Président: J'ai du mal m'exprimer même en français parce que je n'ai jamais dit que les Américains devaient avoir une position plus dure et je n'ai jamais évoqué l'idée qu'ils devraient envoyer des hommes sur le terrain. Nous avons une stratégie convergente pour le moment et pour ma part j'apprécie parfaitement la position américaine. J'espère que je me suis bien fait comprendre.
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