Point de presse conjoint de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Hosni MOUBARAK Président de la République arabe d'Egypte.
Alexandrie - Égypte , mercredi 16 octobre 2002
M. HOSNI MOUBARAK - Je voudrais souhaiter la bienvenue à mon ami, à mon frère, le Président CHIRAC. Nous nous connaissons depuis 25 ans et nous nous rencontrons régulièrement. Le Président CHIRAC est ici, aujourd'hui, pour l'inauguration de la bibliothèque d'Alexandrie, bibliothèque qui a brûlé il y a 1600 ans.
Nous venons d'avoir un échange de points de vue. Nous avons parlé des relations bilatérales, des relations régionales, de tout ce qui intéresse la région. Nous avons parlé de l'Irak. Nous avons parlé de la paix au Proche-Orient. Et nous avons constaté que nos avis étaient similaires sur un grand nombre de points.
Je voudrais donc exprimer la bienvenue au Président CHIRAC à Alexandrie aujourd'hui, bien que cette visite soit extrêmement courte. Et nous espérons le recevoir dans le cadre d'une visite d'État bientôt.
LE PRÉSIDENT - Je voudrais tout d'abord remercier chaleureusement le Président MOUBARAK pour son accueil. C'est vrai que nous sommes des amis de très longue date et je n'ai pas le souvenir que nous ayons eu de divergences de vues ou de disputes pendant toutes ces années où nous avons évoqué les problèmes de la région, les problèmes bilatéraux ou les problèmes du monde.
J'ai toujours beaucoup d'intérêt à entendre les points de vue exprimés par le Président MOUBARAK, parce que c'est à la fois un homme d'expérience et un homme de sagesse.
Nous sommes ici à l'occasion de la réalisation d'un très grand et très beau projet, la bibliothèque d'Alexandrie. Et au-delà même de l'histoire qu'évoquait à l'instant le Président, cette réalisation, qui est superbe à tous égards, incarne bien la vocation de la terre égyptienne à affirmer sa place essentielle dans la culture du monde. Et surtout sa vocation à accueillir ici un élément important pour le dialogue des civilisations. Un dialogue dont on voit bien aujourd'hui, dans les tensions du monde, combien il est essentiel et combien il doit être privilégié : dialogue des cultures, dialogue des civilisations.
Voilà ce qu'incarne à mes yeux la bibliothèque d'Alexandrie qui trouve sa place dans la grande tradition historique égyptienne.
Nous avons également bien sûr évoqué, le Président l'a dit, les problèmes régionaux : l'Irak, le conflit israélo-palestinien et israélo-syro-libanais. Dans ces domaines, nos points de vue, vous le savez, sont très proches. Je ne les développerai pas, sauf à répondre à des questions.
Nous avons également évoqué les problèmes bilatéraux, ceci très rapidement, car il y a des relations bilatérales mais il n'y a pas de problèmes bilatéraux entre la France et l'Égypte.
Merci au Président MOUBARAK de m'accueillir pour la sixième fois depuis mon élection à la Présidence de la République française. C'est toujours avec le même plaisir que je viens lui rendre visite.
QUESTION - Monsieur le Président, jusqu'à quel point la France est-elle déterminée à s'opposer à la politique américaine sur l'Iraq concernant le processus de deux résolutions ? Est-ce que, si l'Amérique maintient son texte sur l'Iraq, vous allez vous abstenir ? Et, Monsieur le Président MOUBARAK, qu'attendez-vous de la visite de M. SHARON aux États-Unis ?
LE PRÉSIDENT - Je vais vous dire en deux mots la position de la France dans la négociation actuelle au Conseil de sécurité de l'ONU à New York. L'objectif de la France, c'est de faire en sorte que l'on puisse être certain que l'Irak ne dispose plus d'armes de destruction massive et que, s'il en dispose, on puisse procéder à leur destruction. Cela, c'est capital, nous semble-t-il, pour la paix dans la région.
Des résolutions de l'ONU avaient fixé les modalités des inspections et, donc, il ne semblait pas indispensable de faire une nouvelle résolution. C'était l'avis de l'Égypte, c'était aussi l'avis de la France. Mais, depuis que l'Irak a accepté les inspections, M. BLIX, le responsable des inspecteurs de l'ONU et celui, également, des inspecteurs de l'Agence internationale pour l'énergie atomique ont considéré qu'il fallait améliorer les conditions de travail des inspecteurs. Nous sommes tout à fait ouverts à ce qu'une résolution puisse reprendre les demandes, non pas des uns ou des autres, mais les demandes des responsables des inspecteurs, essentiellement de M. BLIX, en qui nous avons confiance. Et donc, actuellement, on est en train de mettre au point une nouvelle résolution pour moderniser, adapter, les conditions de travail des inspecteurs.
C'est là qu'apparaît le deuxième problème. Nos amis américains voudraient que cette même résolution donne l'autorisation à la communauté internationale, si l'on estime que les autorités irakiennes ne font pas ce qu'il faut, d'intervenir militairement.
Moi, j'ai toujours pensé que la guerre était la plus mauvaise des solutions qu'un homme puisse envisager et que, donc, tout doit être fait pour l'éviter. Je pense donc que, si les inspecteurs viennent nous dire qu'ils ne peuvent pas assumer leurs responsabilités, qu'ils ne peuvent pas exercer leur mission dans des conditions convenables parce que les autorités irakiennes feraient de l'obstruction, alors, il appartient au Conseil de sécurité de se réunir à nouveau pour voir quelle est la nature et l'ampleur du problème et, à partir de là, quelle est la décision qui doit être prise par la communauté internationale, décision qui, dans mon esprit, n'exclut aucune option, mais que le Conseil doit être libre de délibérer.
Cette région n'a pas besoin d'une guerre supplémentaire, si on peut l'éviter. Et donc, tout doit être fait pour l'éviter.
Voilà ce qui justifie la position de la France. Et nous ferons tout pour que la résolution soit conforme à ce que nous estimons être l'intérêt de la région et également l'intérêt de la morale. Une certaine idée que nous nous faisons de l'ordre international et du fait que, dans cet ordre international, chacun, chaque pays doit avoir une place où il est respecté. Si nous n'y arrivons pas, la France, en tant que membre du Conseil de sécurité et membre permanent, prendra ses responsabilités.
M. HOSNI MOUBARAK - Ce qu'a précisé le Président CHIRAC est tout à fait acceptable, est tout à fait logique. Il faut donner l'occasion à l'opinion publique internationale de comprendre que les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies n'ont pas été mises en oeuvre et, si l'Irak met des obstacles à la mise en oeuvre de ces résolutions, alors de nouvelles résolutions devront être prises. Et, en fait, cela se rapproche de ce qu'avait déclaré le Président BUSH qui a dit que la guerre n'était pas la seule option, mais était une option parmi d'autres. Et nous devons explorer toutes les possibilités et convaincre l'opinion publique internationale qu'il y a des résolutions qui n'ont pas été mises en oeuvre et que cela doit être fait.
Pour ce qui est de la visite du Premier ministre SHARON aux États-Unis, je n'ai aucune idée de ce qu'il peut en résulter. Cela, Dieu seul le sait ! En fait, nous espérons que les résultats en seront un renforcement de la paix. Nous espérons que le sang arrêtera de couler et qu'il n'y aura plus de nouveaux réfugiés dans la région car tout ce qui se passe actuellement ne peut que renforcer les haines entres les deux peuples palestinien et israélien.
QUESTION - Une question au Président CHIRAC et au Président MOUBARAK. La région a vu la visite d'un grand nombre d'émissaires et d'envoyés cette semaine. Il y a eu des envoyés de l'Union européenne, il y a un envoyé de l'administration américaine qui va venir visiter la région la semaine prochaine. Cependant, nous ne voyons aucun développement sur le terrain. Les peuples arabes ne sont pas convaincus que les choses sont en train de bouger. Pour vous, est-il possible que les choses bougent, surtout que les Palestiniens commencent à organiser les prochaines élections et que le processus de réformes est en cours dans l'administration palestinienne, l'Autorité palestinienne, et cela à un moment où SHARON parle toujours d'éloigner le Président ARAFAT ?
LE PRÉSIDENT - Nous avons une très, très grande tristesse quand nous observons la situation actuellement entre Israël et les Palestiniens, deux pays, deux peuples qui ont une vocation à vivre ensemble dans la paix et à coopérer et qui, au lieu de cela, sont dans une situation où ils se font la guerre, ce qui est absurde. Il n'y a pas de solution militaire, il n'y a pas de solution par la force à ce problème de cohabitation entre ces deux peuples, qu'il s'agisse du terrorisme palestinien et des agressions contre les Israéliens, qu'il s'agisse des opérations conduites par Israël à l'encontre des Palestiniens. Tout ceci ne peut mener à une aucune solution de sagesse et de paix. Il faut donc une solution politique. Pour arrêter cette escalade dans l'irrationnel, nous pensons, nous, avec d'ailleurs le Quartet, qu'il faut ramener tout le monde à la même table. Et c'est la raison pour laquelle la France persiste à défendre l'idée d'une conférence internationale. Je sais bien qu'il y en a déjà eu beaucoup, mais je persiste à penser que la paix viendra du dialogue et ne viendra pas des armes.
M. HOSNI MOUBARAK - Le Président CHIRAC a très bien expliqué les choses. Je voudrais ajouter ce qui suit : SHARON et ARAFAT ne s'aiment pas et ce sont les peuples qui paient le prix. Lorsque nous regardons un peu les opérations terroristes et les actes de violence qui ont eu lieu, nous remarquons que, sous le gouvernement BARAK, il y avait eu six opérations. Sous le gouvernement SHARON, quatre-vingts opérations, bien que le gouvernement BARAK ait duré beaucoup plus longtemps que le gouvernement SHARON. C'est donc le gouvernement le plus sanglant et le plus violent que la région ait connu. Aujourd'hui, il n'y a pas de solution. Peut-être que la conférence internationale peut constituer une solution. Il faut attendre, je crois.
Je vous remercie.
LE PRÉSIDENT - Merci.
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