Discours

de Monsieur Jacques CHIRAC

Président de la République

Imagin'Entreprise

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PALAIS DES CONGRES - PARIS

LUNDI 29 NOVEMBRE 1999

Monsieur le Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris,

Mesdames, Messieurs,

Mesdemoiselles,

Chers amis,

C'est avec beaucoup de plaisir, vous l'imaginez, que j'ai accepté de participer aux premiers Etats généraux des jeunes entrepreneurs européens. Je vais vous dire toute l'importance que j'attache au dynamisme –le Président en a parlé à l'instant-, à l'esprit d'initiative que vous incarnez et dont vous êtes porteurs. Mais avant de développer quelques observations que m'inspirent notamment votre réunion, vos états généraux, vous me permettrez -parce que demain, à Seattle, vont s'ouvrir les négociations de l'OMC, et que ces négociations vont dessiner le paysage économique et social dans lequel vous allez évoluer-, vous me permettrez de vous en dire d'abord quelques mots, en préalable à mon propos.

Quels en sont, en effet, les enjeux dont on parle beaucoup actuellement ?

Notre économie est de plus en plus ouverte. C'est une très bonne chose. Notre pays a beaucoup gagné à l'ouverture des frontières, d'abord au niveau européen, puis au niveau mondial. Notre croissance en a bénéficié. Notre tissu économique et social s'est transformé et enrichi. Le dynamisme de nos entreprises s'est accru. Et par là même, malgré la crise, nos emplois se sont développés. Désormais, un Français sur trois travaille pour l'exportation. Nous enregistrons un excédent structurel de nos échanges, un excédent qui témoigne de notre compétitivité, donc de la qualité de nos entreprises et de leurs travailleurs. Et vous incarnez aujourd'hui, vous incarnerez demain cette France qui gagne.

C'est pourquoi la négociation de l'OMC devra d'abord répondre aux attentes de nos entreprises, aux attentes de nos industriels. Ils doivent bénéficier à l'étranger d'un environnement sûr pour leurs investissements, d'une meilleure protection de la propriété intellectuelle, de conditions de concurrence équitables et de marchés publics ouverts.

Mais la mondialisation comporte aussi des risques. Ils doivent être maîtrisés. Nos peuples ont des préoccupations légitimes. Nous voulons, avec tous nos partenaires européens, que la négociation de l'OMC les prenne en compte. Il faut traiter les problèmes de la protection de notre environnement, de la sécurité alimentaire, des normes sociales, que l'on est en droit d'exiger. En revanche, les questions culturelles doivent être maintenues en dehors de l'OMC. La culture n'est pas une marchandise. Les peuples veulent échanger leurs biens mais ils veulent garder leur âme.

Ce que nous voulons, c'est humaniser la mondialisation. La mondialisation ne doit pas être une jungle, mais une chance pour tous, pays développés et pays en développement. Pour cela, nous devons renforcer les règles du jeu du commerce mondial. Et nous avons besoin d'un arbitre incontestable et efficace. Cet arbitre, c'est l'OMC. Il faut développer son rôle et ses moyens.

A l'ouverture de ces négociations, les attentes des uns et des autres apparaissent parfois éloignées voire contradictoires. C'est naturel.

Certains voudraient par exemple concentrer les discussions sur les sujets agricoles. L'Europe ne l'acceptera pas. Elle est prête à parler de l'agriculture, à condition que l'on parle de tous les autres sujets dans le cadre d'une négociation globale. Quand il faudra parler agriculture, nous le ferons sans complexe. Nous avons fait nos réformes, notamment dans l'Agenda 2000, à Berlin. Nous souhaitons que d'autres nous suivent. Qu'on n'attende pas de la France la moindre faiblesse sur ce point ou sur d'autres !

A Seattle, l'Europe sera forte parce qu'elle parlera d'une seule voix, celle de son négociateur, le commissaire Pascal LAMY. La France lui fait toute confiance. C'est une grande chance de voir l'Union européenne, première puissance commerciale du monde, rassemblée autour d'une position cohérente et ambitieuse.

Et l'Europe a un modèle à offrir. Elle veut promouvoir la liberté des échanges, indispensable au progrès économique, et donc au progrès social. Mais elle veut aussi promouvoir les règles indispensables au respect du droit des peuples et du droit des hommes à vivre dignement.

Voilà dans quel esprit la France aborde ces négociations. Les Français ne doivent pas craindre Seattle. La France n'est pas frileuse, et vous en apportez le témoignage. Elle a de nombreux atouts et elle défendra ses intérêts avec la plus grande fermeté.

Voilà ce que je voulais vous dire sur ces négociations, en préalable à mon propos.

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Monsieur le Président,

En organisant ces Etats généraux, vous avez pris une initiative indiscutablement judicieuse.

Judicieuse, parce qu'elle est tournée vers les jeunes, c'est-à-dire vers celles et ceux qui tiennent entre leurs mains les clés de notre avenir.

Judicieuse aussi parce que, loin de limiter ses ambitions au territoire national, elle se déploie à l'échelle européenne, et je salue, particulièrement, toutes celles et tous ceux qui viennent des quatorze autres pays de l'Union européenne, qui constitue désormais notre horizon commun.

Judicieuse enfin, parce qu'elle met l'accent sur un élément que nous devons sans cesse mettre en avant : l'économie de demain, c'est-à-dire nos emplois, dépend de notre capacité à faire confiance à l'initiative pour créer les entreprises et les richesses dont notre pays et notre peuple ont besoin.

Vous allez bientôt, Monsieur le Président, présenter la Charte pour l'innovation et la création d'entreprises en Europe, aboutissement de plusieurs mois de réflexions, de rencontres et d'échanges.

En écho aux préoccupations et aux attentes qu'elle exprime, je voudrais vous faire part de quelques convictions fortes.

La création d'entreprise n'est pas seulement une démarche individuelle, elle est un véritable enjeu collectif, et c'est un sujet sur lequel nous devons tous nous sentir concernés.

Nous devons aller plus loin pour lever les obstacles financiers, administratifs, mais aussi psychologiques, qui brident aujourd'hui l'esprit d'initiative. Je considère, sur ce point, que les pouvoirs publics, et l'Etat au premier chef, doivent assumer, c'est vrai, pleinement leurs responsabilités d'une façon moderne et adaptée aux exigences de notre présent.

*

Créer une entreprise, c'est une véritable aventure dans laquelle on s'engage seul ou à quelques-uns. C'est une démarche audacieuse et rationnelle à la fois, faite d'enthousiasme et de risque. Elle témoigne d'un esprit d'initiative qui est le propre d'une société de responsabilité.

Nombreux sont celles et ceux en France et en Europe qui sont prêts à tenter cette aventure : plus d'un million deux cent mille de nos concitoyens ont, paraît-il, un projet de création d'entreprise.

Voilà la France telle qu'elle doit être : une France dynamique et décidée, une France qui va de l'avant, une France qui prend son destin à bras-le-corps.

La création d'entreprise, vous l'avez souligné à juste titre, n'est pas réservée à quelques uns. Elle n'est pas réservée à des industries de pointe.

Bien sûr, le domaine des nouvelles technologies est un formidable terreau. J'ai, à de nombreuses reprises, dit, que ce soit avec Croissance Plus, soit avec Défi Startup, le réseau Entreprendre, ou encore récemment dans un entretien que j'ai eu dans les Yvelines, j'ai rencontré des jeunes hommes et des jeunes femmes pleins de talent et pleins d'énergie, déterminés à créer leur entreprise autour d'une idée nouvelle. Notre pays a besoin d'eux, de leur dynamisme, de leur inventivité, de leur ouverture au monde.

Mais notre pays a aussi besoin de tous ceux qui se lancent dans des secteurs plus traditionnels de l'industrie ou des services. Je rencontre très souvent des artisans, des commerçants qui se sont mis à leur compte et ont créé leur propre affaire. Par leurs actions de proximité, ils enrichissent et renouvellent ce lien social qui, sur l'ensemble de notre territoire, contribue si fortement à l'équilibre de notre société.

Certaines entreprises sont fondées par des jeunes diplômés qui débutent dans le monde du travail. D'autres le sont par des salariés qui, riches de leur expérience professionnelle, quittent le giron de l'entreprise qui les a formés pour voler de leurs propres ailes. D'autres, enfin, le sont par des chômeurs ou des bénéficiaires du RMI qui témoignent ainsi d'une formidable capacité de rebond. Je veux saluer à cet égard l'action d'organismes, comme l'Association pour le droit à l'initiative économique, qui les aident à concrétiser leur projet. Grâce à leur concours, une entreprise sur trois aujourd'hui est créée par une personne sans emploi.

Toutes les initiatives, ambitieuses ou modestes, " high-tech " ou traditionnelles contribuent à renforcer et à dynamiser le tissu économique et social. Chacune d'entre elles est créatrice de richesse et d'emplois.

J'entends parfois dire que la création d'entreprise, c'est pour les autres. Qu'il faut un capital de départ important, une formation, des appuis. Que c'est un pari perdu d'avance. C'est faux. Dans une société fluide, ouverte, chacun doit pouvoir saisir sa chance. Chacun doit pouvoir, s'il en a la volonté et s'il s'en donne les moyens, créer sa propre activité et la développer.

La création d'entreprise, c'est d'abord une conviction : celle que l'entreprise est une communauté d'énergies et de talents mise au service d'un projet.

C'est aussi un acte de confiance : créer son entreprise c'est faire le choix des hommes, c'est bâtir ensemble.

C'est enfin une manifestation de volonté : car, de la volonté, il en faut pour partir chaque jour à la conquête des marchés, pour gagner face aux concurrents.

Conviction, confiance, volonté. Le succès d'une entreprise, c'est d'abord le succès d'un homme ou d'une femme, qui croit en son projet, lui insuffle son énergie, fait partager sa passion à ceux qui l'entourent, à ses collaborateurs, à ses clients, à ses fournisseurs, et parvient à les faire travailler tous ensemble.

Celles et ceux qui sont prêts à relever le défi et à se lancer dans l'aventure sont de plus en plus nombreux. Mais ils ne le sont pas encore assez. Trop souvent, c'est un licenciement, une période de chômage qui constituent le déclic. La création d'entreprise doit désormais s'inscrire dans le cours normal d'une vie professionnelle.

Pour cela, nous devons revenir sur une conception de la réglementation qui fait du salariat le droit commun et de la création d'entreprise, l'exception. Nous devons imaginer des passerelles entre le statut de salarié et la création d'entreprise et développer ainsi l'essaimage. Nous devons aussi inciter les jeunes, et notamment les jeunes diplômés comme vous, à se lancer résolument dans la course. Aujourd'hui encore, en France, plus on est diplômé, moins on est entrepreneur. C'est une singularité à laquelle nous devons remédier.

Nous devons encourager l'esprit d'initiative et la prise de risque et c'est aux jeunes que nous devons nous adresser en priorité. L'entreprise peut s'apprendre dès l'école. N'hésitons pas à développer chez nos enfants le goût de l'aventure et de l'autonomie. La multiplication des échanges entre milieu scolaire et professionnel, comme le développement des formations en alternance, peuvent y contribuer.

Si la création d'entreprise est une aventure personnelle et individuelle, c'est aussi l'affaire de la société tout entière. Car ses bénéfices sont collectifs. La création d'entreprise est en effet la clé de la croissance et de l'emploi. C'est d'elle que dépendent, à moyen terme, la prospérité et le rang de notre économie sur la scène du monde.

Le tissu économique est vivant. Il ne cesse d'évoluer, de se transformer. Chaque jour, des entreprises naissent, se développent ou disparaissent. Mais, quel que soit leur destin, nous devons les aider à réussir, les accompagner dans leur développement. Car c'est elles qui sont le levain de notre économie. Alors, aidons-les franchement. Il n'est pas acceptable que certaines d'entre elles soient arrêtées net dans leur course, asphyxiées sous le poids de charges ou de réglementations et de contrôles.

Il faut en être conscient : les emplois de demain, c'est surtout dans les petites et moyennes entreprises que nous les trouverons. Dans celles qui se créent aujourd'hui ou qui se créeront dans quelques années, mais aussi dans celles qui existent déjà et ne demandent qu'à se développer, pour peu qu'on ne les dissuade pas.

Car, à côté de la création d'entreprise, la création, au sein d'entreprises existantes, de nouvelles activités représente un vivier d'emplois et de richesses tout aussi important. Nombre de PME, faute de moyens, faute du cadre qui serait nécessaire, laissent des projets, et par conséquent des emplois, en sommeil. C'est là un enjeu trop souvent sous-estimé.

Nécessaire au développement d'une économie compétitive et riche en emplois, la création d'entreprise est aussi un gage d'équilibre et de dynamisme pour la société tout entière.

Une communauté se reconnaît dans les plus entreprenants, dans les plus inventifs d'entre les siens. La confiance dont ils témoignent, l'audace dont ils font preuve rejaillissent sur l'ensemble de ses membres.

*

C'est parce que la création d'entreprise revêt un caractère stratégique que la situation actuelle me préoccupe un peu : le retour d'une croissance durable, portée par une conjoncture internationale favorable, par la dynamique de l'euro et par la diffusion des technologies de l'information, s'accompagne paradoxalement en France d'un recul de la création d'entreprises.

J'ai le sentiment que l'on touche ici comme un point de blocage de notre société, l'un de ces noeuds qui nous empêchent d'avancer et de gagner autant qu'on le pourrait ou qu'on le souhaiterait. Notre pays peine, parfois, à faire émerger de nouveaux talents, à libérer les énergies qui souhaiteraient s'exprimer, à relancer l'ascenseur social.

Il faut tout mettre en oeuvre pour inverser cette tendance. Et vous me permettrez de distinguer trois priorités : faire évoluer l'état d'esprit à l'égard des entrepreneurs, favoriser le financement de la création et réussir le virage des nouvelles technologies.

Faire évoluer l'état d'esprit à l'égard des entrepreneurs est plus que jamais une nécessité. Bien sûr, beaucoup a été fait pour valoriser l'image du créateur d'entreprise. Mais beaucoup reste encore à faire pour traduire ce changement dans la réalité.

Les expériences menées dans certaines régions françaises le prouvent, l'environnement local joue un rôle décisif dans le succès des entreprises.

Actuellement, la vitalité économique des territoires est très contrastée. Il y a des lieux plus favorables que d'autres à la prise d'initiative. Des lieux où l'accompagnement des projets est plus efficace et, parce que j'ai eu récemment l'occasion de m'en rendre compte, à la région Poitou-Charentes qui consacre des moyens très importants à la création d'entreprise et qui a imaginé une école régionale des projets consacrée aux jeunes créateurs et c'est un succès.

Il faut développer et diffuser les expériences qui marchent, en privilégiant les solutions souples et surtout décentralisées. Je ne crois pas aux solutions toutes faites et imposées d'en haut. Je ne crois pas aux vertus d'un " statut général du créateur d'entreprise ". Je crois bien davantage aux synergies locales et aux réseaux de solidarité qui se tissent à l'échelle d'un bassin d'emplois.

De nos jours, grâce aux technologies de l'information, tous les territoires peuvent servir d'appui au développement de nouvelles activités. Un nouvel essor est à portée de leur main, pour peu qu'ils s'en donnent les moyens.

Faire évoluer l'état d'esprit à l'égard des entrepreneurs, c'est aussi leur reconnaître, et le Président l'évoquait à l'instant, un droit à l'échec. Aujourd'hui encore, l'échec d'une entreprise est considéré, souvent, comme une défaillance personnelle de son chef. Cette défaillance peut d'ailleurs être sévèrement sanctionnée.

Les mentalités et le droit doivent évoluer. Entreprendre, c'est prendre un risque. Un risque mesuré, naturellement, mais un risque tout de même. Et quand on prend un risque, on ne peut être gagnant à tous les coups. L'échec ne doit rien avoir de définitif.

En raison même des risques qu'ils prennent, il faut donner aux entrepreneurs une plus grande sécurité. Il serait souhaitable, par exemple, qu'ils puissent bénéficier d'allocations chômage dans le cas d'un échec de leur projet.

Favoriser la création d'entreprise, c'est aussi mieux la financer. Des efforts ont été faits. Je pense par exemple à la création en 1996 de la Banque de développement des petites et moyennes entreprises. Elle répond à un réel besoin. Il faut la conforter pour qu'elle puisse jouer un rôle accru dans notre économie. Je pense aussi au capital-risque, qui se développe enfin dans notre pays : les fonds investis ont doublé dans la période récente. C'est une bonne évolution qui doit se poursuivre.

Je pense, enfin, aux fonds d'amorçage qui jouent un rôle essentiel : sur les 166 000 entreprises créées en 1998, 130 000 l'ont été avec une mise de départ inférieure à 35 000 F. Le plus difficile aujourd'hui, ce n'est pas de trouver plusieurs millions pour fonder une grosse société. C'est de trouver 10 à 15 000 F pour créer une très petite entreprise et que de projets abandonnés, que d'occasions gâchées faute de pouvoir trouver ces modestes financements !

Les problèmes de financement, c'est vrai, restent entiers. Une minorité d'entreprises nouvelles ont accès au crédit bancaire. Je souhaite que nos banques et nos établissements financiers se modernisent et ouvrent plus largement leurs guichets aux créateurs d'entreprise.

Nos politiques fiscales aussi doivent être également améliorées pour se moderniser : plutôt que d'échafauder des systèmes d'aides publiques compliqués et nombreux au point que l'on ne s'y retrouve plus, nous devons imaginer des incitations fiscales adaptées pour les sommes investies dans la création d'entreprise. La loi Madelin de 1994 constitue un socle, il faut l'élargir en favorisant ceux que l'on a appelé les investisseurs providentiels.

Aux Etats-Unis, on estime à 250 000 le nombre des " business angels ", professionnels reconnus qui apportent aux jeunes créateurs leur expérience, leurs conseils, leur argent, en s'impliquant personnellement dans l'entreprise qu'ils parrainent. Leur capacité de financement est deux fois plus importante que celle des fonds de capital-risque américains. En France, ils ne sont encore que quelques centaines. Il faut saluer et soutenir leur démarche mais il faut surtout provoquer et inciter à leurs multiplications. C'est une sorte de révolution culturelle dans le sens le plus fort du terme.

Enfin, il est temps de réorienter l'épargne vers l'innovation, la création d'activités et le financement de l'économie marchande au lieu de privilégier, comme cela a toujours été le cas, comme cela a été justifié dans le passé, et comme c'est hélas encore le cas aujourd'hui, l'investissement dans les valeurs de la dette publique qui n'a plus aujourd'hui les exigences qu'elle avait hier.

Favoriser la création d'entreprise, c'est enfin réussir le virage des nouvelles technologies de l'information.

Le potentiel de développement dans ce domaine est immense. 7 500 entreprises ont vu le jour en 1998. Désormais, 5% des créations d'entreprise en France se font dans ce secteur.

Cela reste insuffisant, comme en témoignent les exemples étrangers. Aux Etats-Unis, un tiers des nouveaux emplois est lié aux nouvelles technologies. Le temps presse désormais, si nous ne voulons pas nous laisser distancer. Dans l'économie de l'Internet, les premiers à se lancer dans la course seront bien souvent les gagnants.

Car cette "nouvelle économie" est dominée -là aussi, ce fut évoqué par le Président de la Chambre de commerce, à l'instant- est dominée par la vitesse, par la rapidité et aujourd'hui, contrairement à ce que l'on croyait hier, ce sont moins les gros qui mangent les petits que les rapides qui mangent les lents.

Nous devons faire le choix de l'innovation. Dans l'univers des réseaux, recherche et développement économique se confortent aujourd'hui mutuellement. Il faut resserrer les liens entre le monde universitaire, les grandes écoles, les centres de recherche et l'entreprise et imaginer des lieux où intelligences, financements, infrastructures et services seraient réunis dans une synergie féconde. Mettre en place des " incubateurs " où mûriront les projets créatifs, des pépinières d'où émergeront les entreprises de demain.

A l'heure de l'Internet, dans cette " nouvelle économie " sans frontière, ce qui compte c'est la bonne idée, c'est la créativité. Les petites sociétés qui se lancent, les entreprises de croissance ont plus que jamais leurs chances. Sachons aider ceux qui les portent, leur donner les moyens de leur ambition, conjuguer tous les talents pour moderniser la France et l'Europe.

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Reste une question essentielle, que je n'ai jusqu'ici abordée qu'indirectement : quel doit être le rôle des pouvoirs publics en matière de création d'entreprises ?

Dans une période de croissance comme celle que nous connaissons actuellement, je crois que l'action de l'Etat et des pouvoirs publics doit être guidée par deux préoccupations, qui ne sont d'ailleurs que les deux faces d'une même réalité : créer un environnement favorable à l'essor de nouvelles activités ; faire disparaître les trop nombreux obstacles qui découragent les initiatives.

Créer un environnement favorable à l'essor de nouvelles activités, cela veut dire soutenir ceux qui sont prêts à se lancer dans l'aventure. Les aider à mûrir leur projet. Leur apporter une expertise juridique et financière. Les guider dans la recherche de partenaires et de financements.

Dans ce domaine, les intervenants, outre les services de l'Etat, sont nombreux : les organismes consulaires, bien sur, mais aussi les collectivités locales, les associations. Ils apportent un soutien indispensable. Mais leurs interventions restent parfois désordonnées. Sans doute doivent-il mieux coordonner leurs efforts pour les rendre plus efficaces.

Créer un environnement favorable, cela passe aussi par l'existence de services publics de qualité. Là encore, la France dispose d'atouts bien réels qu'il importe de conforter dans un contexte de plus en plus concurrentiel.

Mais créer un environnement favorable au développement de nouvelles activités, c'est aussi desserrer le carcan administratif et financier qui décourage les initiatives. Et c'est là que chez nous le bât blesse.

Bien sûr, on s'efforce régulièrement de simplifier les procédures et les formalités, mais dans un univers où la rapidité et la vitesse sont cruciales, trop du temps des jeunes créateurs est occupé par les soucis administratifs.

Le droit du travail et le droit social ne cessent de croître en complexité. De plus en plus instables, ils deviennent incompréhensibles pour celles et ceux qui sont censés l'appliquer dans leur entreprise, multipliant ainsi les sources d'incompréhension et donc de contentieux. Un processus est en train de s'enclencher, dans lequel la règle de droit et la réalité du monde du travail divergent de plus en plus nettement. C'est un phénomène préoccupant, tant pour la compétitivité des entreprises que pour la protection des salariés.

Il est grand temps également d'engager la nécessaire décrue de nos prélèvements obligatoires qui ont atteint cette année leur niveau historiquement le plus élevé. Dans un monde ouvert, cela ne peut qu'inciter les entreprises à se créer ailleurs. Combien d'investissements et d'emplois perdons-nous ainsi chaque jour, que nulle statistique, naturellement, ne vient comptabiliser !

Notre priorité doit être de baisser le coût du travail non qualifié. Car si, pour les salariés les plus qualifiés et dans les secteurs les plus en pointe, la situation de l'emploi est, aujourd'hui, très favorable, pour les salariés les moins qualifiés, le taux de chômage reste structurellement inacceptable, parce que beaucoup trop élevé et ceci parce que le coût global de leur emploi reste trop important. Ce qui fait, par exemple, que la même entreprise américaine de jouets emploie 30 % de main-d'oeuvre de plus aux Etats-Unis que dans le même magasin en France.

Il faut éviter le risque d'un double phénomène néfaste pour notre pays : d'un côté, les salariés les moins qualifiés resteraient durablement sur le bord de la route, tandis que, de l'autre, la "fuite des cerveaux" s'accentuerait : actuellement, en France, compte tenu de la structure et du niveau des différents prélèvements, pour augmenter de 100 F le revenu net d'un salarié très qualifié, un employeur doit débourser près de 300 F, contre 170 F au Royaume-Uni. Et, un tel écart, bien entendu, donne à réfléchir et explique la fuite de nos cadres élevée, outre-Manche en particulier.

Il faut développer les mécanismes qui permettent d'associer les salariés, tous les salariés, à la valorisation de leur entreprise. Hier, la participation avait pour objet d'associer les salariés au résultat de l'entreprise. Aujourd'hui, elle doit permettre de les associer, dans la transparence, au capital des entreprises : c'est tout l'enjeu du débat actuel sur les stock-options. Cet outil de motivation des collaborateurs des entreprises doit être résolument encouragé et plus largement diffusé. Plus que jamais la participation, idée forte s'il en est, reste une idée neuve.

Au-delà de la baisse globale du poids des impôts et des charges, il est aussi urgent de trouver une solution au problème de la transmission des entreprises. Bien sûr, les effets d'une telle mesure sur la création d'entreprises ne sont qu'indirects, mais le régime actuel des successions met en péril la pérennité de nombreuses PME et constitue par là-même un frein au développement de l'activité économique.

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La création d'entreprise est un signe de dynamisme pour tout un pays. Car une société qui crée de la richesse et des emplois, une société qui sait donner leur chance à de nouveaux projets est une société adulte et responsable, une société qui envisage l'avenir avec sérénité et confiance.

Jeunes Européens et Français, vous êtes ici réunis parce que vous voulez comprendre, savoir et agir. Je vous encourage tous, naturellement, à imaginer ensemble, car seuls vous pouvez le faire l'entreprise de demain. Je vous encourage à vous lancer dans cette belle aventure, belle pour vous et votre épanouissement personnel, belle pour la collectivité nationale à laquelle vous appartenez et dont vous êtes solidaire. Et je vous souhaite un grand et plein succès.

Je vous remercie.