ALLOCUTION PRONONCEE PAR M. JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A L'OCCASION DU DINER D'ETAT

OFFERT AU PALAIS DE L'ELYSEE

EN L'HONNEUR DE SON EXCELLENCE

M. ROMAN HERZOG

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE

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Mercredi 16 octobre 1996

Monsieur le Président,

Madame,

Laissez-moi vous dire la joie qui est la nôtre, celle de mon épouse, la mienne, celle n'en doutez pas de tous les Français, de vous accueillir à Paris, en visite d'Etat. Pour nous, Français, recevoir le Président de la République fédérale d'Allemagne est un honneur. C'est aussi un événement qui revêt une signification particulière. Votre visite est en effet la première visite d'Etat qu'un Président allemand effectue en France depuis que votre nation a retrouvé son unité.

Notre communauté de destin, les liens qu'Allemands et Français ont su tisser et qui vont bien au-delà de la réconciliation, les acquis impressionnants de notre coopération, confèrent à toutes nos rencontres densité, chaleur et intimité. Et je suis certain qu'à l'occasion de votre séjour en France, vous recevrez l'accueil que l'on réserve aux amis les plus proches.

C'est que notre relation ne ressemble à aucune autre. Il y a bientôt quarante ans, au lendemain de trois guerres et d'un siècle de défiance et de haine, le Chancelier ADENAUER et le général de GAULLE dont vous m'avez donné un si beau portrait, engageaient le dialogue, apaisaient les tempêtes de l'Histoire et bâtissaient, sur les ruines et sur les larmes, la relation la plus forte, la plus volontaire, la plus confiante qui se puisse imaginer.

Ils scellaient, en hommes de paix, en hommes de vision, en hommes d'Etat, avec détermination et courage, la réconciliation franco-allemande et, au-delà, ils donnaient son élan à l'Europe.

Après eux, d'autres ont repris le flambeau et marché dans leurs pas. Je rends hommage à tous les dirigeants allemands et français qui, avec une constance exceptionnelle, ont placé au premier rang de leurs priorités l'amitié et la coopération entre nos deux peuples. Je pense notamment, en ce qui concerne votre grand pays, Monsieur le Président, au Chancelier Helmut KOHL, artisan inlassable de ce rapprochement comme de la construction européenne.

Que de chemin parcouru depuis quarante ans ! Notre dialogue politique sans équivalent, l'ampleur de nos échanges culturels, scientifiques, l'importance de notre partenariat économique témoignent des progrès considérables accomplis entre nos deux pays.

Nous devons aller sans cesse plus loin dans le sens d'une meilleure connaissance, d'une meilleure compréhension réciproques. Multiplier les échanges entre nos jeunes. Promouvoir l'apprentissage et la pratique de nos langues respectives. Rapprocher nos forces vives. L'an prochain, Monsieur le Président, un Sommet franco-allemand consacré à la culture, et l'organisation d'assises dans les domaines politique, économique et culturel donneront, je suis sûr, un nouvel essor à notre entente.

Notre amitié s'incarne aussi dans une coopération militaire qu'illustre l'Eurocorps et qui se traduit par de grands projets d'avenir comme les satellites Hélios II et Horus. Cette coopération dans le domaine de la Défense sera poursuivie, elle sera développée, en dépit des contraintes budgétaires qui s'imposent à chacun d'entre nous.

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Mais au-delà de leur relation bilatérale si forte, si intense, l'Allemagne et la France veulent, ensemble, faire progresser la construction européenne. Chaque fois que se présente une étape décisive dans la marche de notre continent vers l'unité, nos deux pays affirment leur rôle d'impulsion et de proposition. Cette démarche est souhaitée par nos partenaires dès lors qu'il ne s'agit pas d'imposer, mais de proposer.

Sept ans après la chute du rideau de fer, l'Europe est encore à la recherche d'un nouvel équilibre et d'un grand projet. Pour consolider la paix. Pour préparer l'avenir de l'Union européenne.

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La paix et la sécurité : n'oublions jamais que ce furent les raisons d'être essentielles de la construction européenne. Dans un monde libéré des blocs, un monde où les risques de guerre sont différents mais tout aussi présents, cet objectif conserve toute son actualité.

Voilà pourquoi nos deux pays ont décidé de contribuer ensemble à la reconstruction de l'architecture de sécurité européenne. Grâce à nos efforts, la réforme de l'Alliance atlantique est bien engagée. Son élargissement doit s'inscrire dans une démarche d'ensemble garantissant la sécurité et la stabilité de tous les pays de notre continent, y compris la Russie.

Notre partenariat s'étend désormais, et c'est une grande novation, à l'action sur le terrain, au service de la paix. Et je salue le courageux engagement, pour la première fois, à nos côtés, de soldats allemands dans l'ex-Yougoslavie.

Oui, l'Allemagne, réunifiée, européenne, a un rôle de premier plan à jouer dans la sécurité de notre continent et du monde. La France souhaite que ce rôle soit consacré par l'accession de votre pays au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies comme membre permanent.

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Nous devons aussi préparer l'avenir de l'Union européenne.

L'avenir, c'est, le 1er janvier 1999, le passage à la monnaie unique qui sera ainsi l'autre grande monnaie du monde. L'Allemagne et la France seront au rendez-vous avec, nous l'espérons, beaucoup d'autres.

L'avenir, c'est, avant juin 1997, la conclusion de la Conférence intergouvernementale. Les enjeux de cette conférence sont considérables : doter l'Union d'une véritable politique étrangère et de sécurité commune ; lui donner les moyens d'affronter ces fléaux de notre temps que sont la drogue, le terrorisme, le crime organisé ; rénover profondément les institutions européennes, les rendre plus efficaces, plus démocratiques. Dans les semaines qui viennent, le Chancelier KOHL et moi-même prendrons une initiative pour contribuer à la réussite de cette grande entreprise.

L'avenir, c'est aussi le modèle social européen que nous devons défendre et améliorer si nous voulons tirer le meilleur parti de la mondialisation des technologies et des échanges.

L'avenir, c'est enfin l'élargissement de l'Union et le rassemblement de notre grande famille européenne.

J'étais, Monsieur le Président, il y a quelques semaines en Pologne. Et j'ai mesuré le puissant désir d'Europe qui s'y exprime. Dans cette partie de notre continent, nombreux sont les Etats qui aspirent à nous rejoindre parce qu'ils voient, à juste titre, en l'Europe une promesse de paix et de prospérité. Ensemble, l'Allemagne et la France doivent répondre à leur appel.

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Monsieur le Président, je sais que vous partagez cette vision.

Vous qui vous êtes personnellement engagé, au long de votre vie, en faveur de la liberté, de la dignité humaine, de la tolérance, en un mot, de la démocratie.

De façon symbolique, vous avez choisi le Château de la Brède comme étape de votre séjour dans notre pays. Le juriste et l'humaniste que vous êtes, mais aussi l'ami de la France, a souhaité s'imprégner de l'atmosphère des lieux où Montesquieu écrivit " L'esprit des Lois ".

Monsieur le Président, s'adressant à Ludwigsburg à la jeunesse allemande, le Général de GAULLE déclarait : " l'avenir de nos deux pays, la base sur laquelle doit se construire l'Union de l'Europe, le plus solide atout de la liberté du monde, c'est l'amitié du peuple français et du peuple allemand ".

Plus que jamais, c'est ensemble que l'Allemagne et la France, si unies par la culture et par la pensée, si proches aussi par le coeur, doivent aborder leur avenir.

C'est fort de cette conviction, confiant dans les succès de notre amitié et de notre ambition pour l'Europe et pour le monde, que je vais maintenant, Monsieur le Président et Cher Ami, lever mon verre.

Je le lève en l'honneur de l'homme d'Etat qui préside, avec tant de lucidité et de sagesse, au destin de l'Allemagne. Je le lève en l'honneur de Madame HERZOG à qui je suis heureux de présenter mes très respectueux hommages.

Je bois à la santé, à la prospérité et au bonheur du grand peuple allemand, frère du peuple français. Je bois, Monsieur le Président, à notre amitié. Vive l'Allemagne et vive la France.