DISCOURS DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE A L'ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES SOUS-OFFICIERS D'ACTIVE
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SAINT-MAIXENT-L'ECOLE – DEUX-SEVRES
MARDI 19 OCTOBRE 1999
Monsieur le Ministre de la Défense,
Mon Général,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais vous dire, tout d'abord, le plaisir que j'éprouve à me trouver parmi vous, dans cette belle école de Saint-Maixent dont le nom est associé, dans la mémoire collective des Français, à l'héroïsme discret des dizaines de milliers de cadres militaires qui y ont été formés pour affronter les conflits du siècle qui s'achève.
Ma présence, aujourd'hui, à l'Ecole nationale des sous-officiers d'active de l'armée de terre, revêt pour moi un sens particulier. Ayant eu l'occasion, depuis quatre ans, de rencontrer de nombreuses formations des trois armées et de la gendarmerie, j'ai voulu consacrer plus spécialement cette visite aux sous-officiers ; car ils ont une responsabilité essentielle, et parfois méconnue, dans l'organisation de nos forces et le service de nos armes.
Et ce que j'ai vu et entendu ici, ce matin, me conforte dans l'idée que notre corps de sous-officiers a su s'adapter au fil des années à la révolution technologique et à l'évolution des mentalités. J'ai pu mesurer à quel point tout est mis en oeuvre dans la formation des élèves sous-officiers pour que la relève soit assurée dans un esprit d'ouverture et de citoyenneté qui respecte les vraies traditions.
Je n'en suis pas surpris et je tiens à vous dire que le dévouement et le sens du devoir démontrés tous les jours en Bosnie, au Kosovo, en Afrique et ailleurs, par nos sous-officiers sont reconnus par nos alliés qui me l'ont exprimé à maintes reprises. Comme ils l'ont fait auprès de notre ministre de la Défense.
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Il me revient maintenant, en tant que chef des armées, de vous dire ce que la nation attend de vous, dans une période troublée où les armées sont fréquemment sollicitées au service de la paix, alors même qu'elles conduisent la réforme considérable de la professionnalisation.
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Je commencerai par un constat.
Les jeunes sous-officiers des armées et de la gendarmerie sont aujourd'hui, par la diversité de leur recrutement et de leur formation, par leurs goûts et leurs références, à l'image de l'ensemble de la jeunesse française. Généreux, ouverts sur les technologies du futur, capables de s'investir totalement dans des missions qui leur paraissent justes, ils sont -vous êtes- des jeunes gens et des jeunes femmes d'aujourd'hui, partageant les mêmes passions.
Ce constat est essentiel. C'est cette communauté d'état d'esprit, cette communauté de mode de vie qui fondera l'osmose indispensable entre l'armée professionnelle et la nation. Différents par les risques acceptés et les contraintes propres à l'état militaire, vous êtes d'abord et vous devez rester des citoyens responsables et aussi des jeunes de votre âge.
Ne cédez pas aux tentations factices de la singularité et de l'isolement. Le rapport de confiance indispensable entre les Français et leur armée ne dépend pas seulement de la manière dont les militaires s'acquittent de leur mission mais aussi de leur intégration dans le tissu social et enfin de valeurs partagées. Les risques que vous acceptez d'assumer en choisissant le métier des armes ne sont pas consentis pour une entité abstraite et idéale mais pour la défense d'une communauté vivante qui s'est construite au fil des siècles autour des principes de liberté, de démocratie et de respect des Droits de l'homme.
Le sous-officier, citoyen parmi les autres, responsable, à sa place et dans sa vie professionnelle, de la sécurité de la collectivité, ne peut pas se tenir en marge de la société.
Intégrant naturellement les aspirations de votre génération, participant à la vie économique, sociale ou associative de votre commune, de votre région, attentifs à votre environnement civil, vous devrez témoigner par votre ouverture d'esprit, votre compétence, votre loyauté de la présence d'une armée professionnelle vivant et agissant dans et pour la communauté nationale.
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Dans cette armée professionnelle qui vous accueillera demain, les sous-officiers ont une place et un rôle plus importants que par le passé.
C'est sur eux d'abord que repose le succès de la réforme en cours de la professionnalisation de nos armées. Ils sont la force d'entraînement et le modèle des engagés qui leur sont confiés. Leur exemple est déterminant pour les dizaines de milliers de jeunes qui, chaque année, rejoignent nos forces, animés, pour la plupart, du désir d'effectuer une carrière militaire.
Vous serez comptables, vis-à-vis de vous-mêmes et de vos supérieurs de leur accueil, de leur insertion, de leur adhésion aux missions reçues.
Commander par l'exemple, c'est une recette inusable qui n'est pas l'apanage des armées. Mais permettez-moi de vous dire, d'expérience, que dans les moments de crise aiguë, le seul ordre qui vaille est aussi le plus simple, celui de Bonaparte au pont d'Arcole : " suivez-moi ! ".
On est loin, ici, en apparence, de la guerre à distance, du service complexe des armements sophistiqués que vous assumerez dans nos forces modernisées. Mais le vieil adage est d'abord un état d'esprit qui vaut en toutes circonstances. La vertu de l'exemple se fonde sur le respect de l'autre et d'abord sur le respect du subordonné.
Comme on vous l'apprend dans cette école, avec la passion communicative que j'ai pu observer ce matin, le respect des subordonnés est la première clé de la réussite dans le commandement.
La deuxième, qui en est le corollaire inévitable, reste, bien sur, la compétence. Le service des armes de haute technologie qui équipent désormais nos forces et la gestion des moyens complexes dont elles disposent, exigent des sous-officiers un haut niveau de connaissances techniques qui doivent être parfaitement maîtrisées, à l'entraînement mais, le cas échéant, aussi au combat. Le succès des missions qui vous seront confiées, la sécurité de vos hommes, la protection des populations civiles et de l'environnement dépendront tout au long de votre carrière, de votre compétence acquise et entretenue. Plus que d'autres, eu égard aux conséquences de vos actes, vous devez être des experts, des techniciens reconnus.
Pourtant, nos concitoyens n'attendent pas seulement des responsables militaires qu'ils soient à la fois exemplaires et compétents. Les circonstances exceptionnelles dans lesquelles ils peuvent se trouver engagés exigent de leur part courage et sang-froid. Ces vertus, souvent innées, se cultivent et je sais la part que nos écoles de sous-officiers leur accordent dans leur cycle de formation.
Le courage et le sang-froid dans les moments d'exception trouvent leur origine et leur support dans la discipline. Non pas une obéissance aveugle et inhibante, mais une adhésion totale à la mission, source d'exigence pour vous-mêmes et pour vos subordonnés.
Mais un sous-officier n'est pas seulement un expert ou un technicien, il est d'abord et avant tout un chef responsable.
A ce titre, vous devez combattre tout au long de votre carrière, ce que Guibert dénonçait déjà au XVIIIe siècle, et qui est hélas, si courant, " la routine qui ronge les armées les plus glorieuses ".
La France attend de vous que vous soyez prêts à tout moment, moralement, physiquement et techniquement, à vous engager dans une opération, sur le territoire national ou à l'étranger, pour défendre sa liberté, la sécurité de notre continent et les valeurs qui sont les nôtres.
C'est une exigence considérable, dont, souvent, on mesure mal le prix, et qui fait l'honneur du métier des armes que vous avez choisi.
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En résumant ainsi ce que nos concitoyens attendent des cadres militaires auxquels ils confient une part de leur destinée commune, je mesure le poids de ces exigences.
J'entends donc que soient reconnus et rétribués à leur juste niveau les services qui vous sont demandés. Beaucoup a été fait au cours de ces dernières années pour revaloriser les conditions de vie et de travail des sous-officiers. Le Gouvernement et les armées veillent à ce que la réforme en cours ne pénalise pas ceux et celles qui en assument la charge quotidienne.
Au-delà de ces contingences matérielles dont je rappelle l'importance, je me réjouis de constater que les Français, dans leur immense majorité, manifestent aujourd'hui leur reconnaissance et leur admiration à nos unités engagées depuis plus de dix ans, en Europe et en Afrique, au service de la paix et du droit.
En leur nom, je rends hommage à tous les sous-officiers morts ou blessés en opérations extérieures ces dernières années. Ils méritent la gratitude de la Nation.
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Mais ce serait une erreur que de vouloir singulariser à l'excès le corps des sous-officiers dans une armée dont la première caractéristique est l'unité et la solidarité.
Les relations simples et directes qui existent entre officiers, sous-officiers et soldats, leur communauté de vie et de travail, sont à peu près uniques dans les armées occidentales.
Ce modèle " à la française " est fondé sur l'absence de barrières entre les différentes catégories de personnel, sur une fraternité de vie facilitée par l'existence de passerelles entre les corps. C'est depuis deux siècles, la force et l'honneur de notre armée d'avoir maintenu, vaille que vaille, en dépit de toutes les tentations de rationalisation, le principe du " bâton de maréchal présent dans chaque giberne ".
Bien sûr, vous ne terminerez pas tous votre carrière militaire comme généraux d'armée. Mais nombre d'entre vous, servis par leurs dons et leur travail et n'ayant pas oublié la devise de l'E.N.S.O.A., " s'élever par l'effort ", recevront un jour l'épaulette d'officier.
J'ajoute que l'origine et le recrutement de votre promotion témoignent également de la possibilité ouverte aux jeunes engagés d'accéder un jour au corps des sous-officiers.
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En rejoignant les corps de troupe ou les états-majors qui vous attendent, vous allez être confrontés, Mesdames et Messieurs, aux exigences et aux contraintes particulières liées à la modernisation de notre système de défense.
Je sais la difficulté de l'entreprise, les régiments dissous, les mutations accélérées, les carrières perturbées. Je n'ignore pas non plus que la participation des armées aux opérations de paix au Timor, au Kosovo, en Bosnie et ailleurs, pèse sur les restructurations en cours.
Mais cette réforme indispensable, que j'ai décidée en 1996 pour moderniser nos forces et les adapter aux nouvelles exigences de la sécurité de notre pays et de l'Europe, cette réforme ne peut pas échouer.
Je tiens d'ailleurs, en présence de son chef d'état-major, à rendre un hommage particulier à l'armée de terre, naturellement la plus touchée par la professionnalisation, pour le travail considérable accompli depuis trois ans et pour le sérieux et la dignité avec lesquels les officiers et les sous-officiers conduisent cette transformation radicale, unique dans notre société par son ampleur et par son rythme.
Je salue également la disponibilité et le sens du devoir dont font preuve nos appelés, sans lesquels la réforme des armées ne pourrait être conduite à son terme dans des conditions acceptables. Et je veux également rendre hommage au ministre de la Défense, M. Alain Richard, pour la part personnelle qu'il a prise depuis deux ans à la modernisation de notre appareil de défense.
Je compte sur vous pour la réussite de ce grand projet.
Les sous-officiers ont toujours été l'âme d'une armée. Au contact direct des hommes et des systèmes d'armes, trait d'union entre le commandement et l'exécution, ils sont ceux par qui la mission est remplie ou échoue. C'est à eux que revient la responsabilité de l'ordre ultime ou du geste décisif.
Ayez la fierté des galons que vous porterez et montrez-vous dignes de vos grands prédécesseurs, les parrains de vos promotions dont le musée de l'E.N.S.O.A. conserve la mémoire.
Mesdames et Messieurs, en vous rappelant le rôle et la place des sous-officiers dans notre armée et dans notre société, j'ai voulu aujourd'hui, en tant que chef des armées, vous exprimer très simplement mais très fortement ma confiance et vous dire mon estime et celle des Français.
Soyez fiers d'appartenir demain au corps des sous-officiers de l'armée française.
Je vous remercie.
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