CONFERENCE DE PRESSE
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
A l'ISSUE DE LA PREMIERE JOURNEE DU SOMMET DU G8
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LUNDI 2 JUIN 2003
EVIAN
LE PRESIDENT - Mesdames, Messieurs, Tout cela est un peu une épreuve pour vous, pour nous, et je vous remercie de l'assumer au terme de cette deuxième journée.
Vous savez parfaitement ce qui a été évoqué ce matin en matière économique, à midi sur les problèmes internationaux et cet après-midi sur les problèmes de développement durable et d'environnement. Donc je n'entrerai pas dans le détail si ce n'est pour souligner l'élément de substance de la journée, ce qui en réalité faisait l'objet de nos réflexions communes et qui concernait l'appréciation de la situation économique. C'était cela, au fond, aujourd'hui, le plus important.
En effet, chacun a conscience du fait que la croissance n'est pas ce que nous souhaitions et ce que nous voulons. Ce qui a les conséquences que l'on observe, tant sur le plan économique que sur le plan social. Alors, nous avons tenu d'abord à confronter nos situations et surtout nos analyses, nos points de vue, nos perspectives, partant du fait qu'aujourd'hui la situation semble un peu plus claire, dans la mesure où les incertitudes liées à la guerre en Irak sont tout de même dissipées, dans la mesure où la baisse du prix du pétrole est importante, dans la mesure où les taux d'intérêt sont bas et par conséquent devraient pouvoir justifier des initiatives économiques, notamment de la part des entreprises importantes.
Ce débat a été très approfondi et je dois dire très intéressant. J'ai été frappé par le fait que chacun a parlé sans note, l'ensemble des intervenants exprimant à l'évidence le résultat d'une vraie réflexion, d'une inquiétude et d'un espoir. Et, ce qui m'a frappé, c'est qu'il y avait une vraie convergence dans les analyses et une vraie conviction que toutes les conditions étaient réunies pour permettre une reprise de la croissance. Et cela a été unanime et, je dirais, spontané. Ce n'était pas du travail préparé. C'étaient des analyses de responsables qui témoignaient de leur confiance dans la capacité de reprise de nos économies.
Alors, nous avons évoqué la politique macro-économique et les réformes structurelles, chacun insistant beaucoup sur la nécessité de s'adapter en permanence, ce qui suppose de faire chacun, chez nous, les réformes structurelles sans lesquelles il n'y aura pas de reprise économique, mais chacun constatant la volonté déterminée de tous d'assumer la responsabilité de ces réformes structurelles.
Ensuite, nous avons parlé du commerce et notamment de la nécessité de préparer avec beaucoup de sérieux et de perspective positive la négociation de Cancun, qui s'intègre dans cette volonté de donner une impulsion au commerce et au développement et à la confiance.
Ensuite, nous avons évoqué les problèmes de l'économie de marché responsable. Et, là encore, j'ai été frappé par une convergence de vues, notamment s'agissant du rôle des entreprises et de l'idée, qui ne serait même pas venue à l'esprit il y a encore quelques années, que les entreprises assument naturellement et prioritairement une responsabilité économique mais qu'elles ont également une responsabilité d'ordre social et une responsabilité d'ordre environnemental. Cette idée est aujourd'hui une idée acquise qui, ensuite, demande à être traduite davantage dans les faits. Mais qui est une idée acquise.
Enfin, nous avons évoqué les problèmes liés aux crises financières, à la prévention et l'éventuel traitement des crises financières. Nous nous souvenons tous de la crise asiatique et il est bon d'avoir une appréciation dans ce domaine.
Voilà ce que je retiendrai, indépendamment de tout ce qui a été évoqué. Je répondrai aux questions que vous souhaiterez sur les problèmes internationaux ou sur les problèmes de développement durable et d'environnement mais, vraiment, la substance, où l'on a entendu la conviction s'exprimer et s'exprimer de façon unanime comme je l'avais rarement entendu, c'est une confiance ou une conviction dans la capacité de nos économies, aujourd'hui, à repartir dans la croissance. Voilà ce que nous avons fait aujourd'hui d'esentiel.
Je suis tout prêt à répondre à vos questions.
QUESTION – Sur la question du terrorisme, qu'est-ce qui a été dégagé de manière particulière cet après-midi, notamment sur les diverses formes de terrorisme que l'on peut trouver aujourd'hui aux quatre coins de la planète ? Quels sont les moyens qui vont être mis en place ?
LE PRESIDENT – C'est un des sujets que nous avons évoqués à l'occasion du déjeuner de travail. C'était à l'ordre du jour de ce déjeuner de travail. Je ne vous apprendrai rien d'extraordinaire, si ce n'est de vous dire que nous avons une conscience de plus en plus aiguë des dangers et des risques et du développement du terrorisme, que nous avons chacun développé notre analyse sur les origines du terrorisme, les origines politiques, les origines sociales, et que nous avons fait l'unanimité dans l'affirmation que nous devions mettre en commun tous nos moyens pour lutter contre le terrorisme. Ce qui suppose notamment, bien entendu, une coordination de plus en plus forte entre nos justices, nos polices, nos services de renseignements, pour ce qui concerne la détection et la répression du terrorisme.
QUESTION – Vous avez fait aujourd'hui une déclaration sur la non-prolifération des armes nucléaires, la Russie aussi. Et vous avez mentionné l'Iran comme un pays qui présente un danger dans ce domaine.
La Russie continue sa coopération avec l'Iran dans le domaine de la construction nucléaire pacifique. Est-ce que vous pensez que cette coopération doit être arrêtée ou peut-être continuée, si l'on veut résoudre les problèmes de non-prolifération en coopération avec un pays comme l'Iran ? Et, deuxième question : est-ce qu'on peut considérer la Corée du Nord comme pays membre du club des pays possédant des armes nucléaires ?
LE PRESIDENT - En ce qui concerne l'Iran et la coopération entre l'Iran et la Russie, cette coopération n'a aucunement pour vocation d'aider l'Iran, et la Russie a été très claire et personne ne l'a contestée dans ce domaine, à acquérir un potentiel militaire nucléaire. Donc il n'y a pas lieu d'exprimer à l'égard de la Russie, qui a pris toutes les dispositions nécessaires dans ce domaine, la moindre réserve sur son action.
Pour ce qui concerne la Corée, vous connaissez notre sentiment : nous souhaitons que la Corée puisse le plus rapidement possible déférer à ses obligations, c'est-à-dire accepter le contrôle de l'AIEA .
QUESTION - Dans les relations transatlantiques, on sait ce que sont les divergences de fond mais, en ce qui concerne la forme, on dit qu'il y a eu des styles qui ne sont pas passés. Autrement dit, que les relations entre chefs d'Etat n'ont pas été aussi intimes que dans le passé. Est-ce que vous n'avez pas eu la tentation de prendre votre bâton de pèlerin, d'aller à Washington et de convaincre le Président BUSH sur la justesse de votre politique de développement ? Parce que, comme le disait M. WADE hier, il y a beaucoup d'hypocrisie dans ce domaine. On sait ce qu'il faut faire dans ce domaine et, pour parler trivialement, il y a le paquet à mettre pour sortir l'Afrique et d'autres pays pauvres du sous-développement. Est-ce qu'il n'y a pas là un sujet fort qui pourrait revigorer à la fois la cohésion internationale, les relations transatlantiques et les relations franco-américaines ?
LE PRESIDENT - Les relations franco-américaines sont bicentenaires et, croyez-moi, elles continueront longtemps et dans un esprit de coopération qui n'exclut évidemment pas le fait d'avoir sur tel ou tel point une vision différente des choses. Et j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises au Président BUSH, pour ce qui concerne notre vision, notamment, au moment de l'affaire iraquienne. Je n'ai pas eu le sentiment que, pour autant, il considérait que les relations franco-américaines étaient durablement atteintes.
S'agissant du développement, et notamment du développement de l'Afrique, vous savez que c'est l'un des sujets auxquels j'attache pour ma part le plus d'importance. L'Afrique est un continent qui dérive. Actuellement, c'est le seul continent qui régresse sur le plan des échanges extérieurs et, compte tenu de sa démographie, les perspectives sont extrêmement préoccupantes. C'est la raison pour laquelle nous avons répondu de façon positive à Gênes, c'est-à-dire il y a deux ans, aux propositions émanant des Africains eux-mêmes et qu'ils ont appelées le NEPAD, que nous avons à Kananaskis fait un pas très important dans cette direction et que ce pas a été confirmé ici, à Evian, dans le cadre d'une politique de développement africain qui, de mon point de vue, est la seule réponse que l'on puisse apporter à la dérive africaine.
Et il y a aujourd'hui une vraie détermination, je dirais, des pays riches d'assumer dans ce domaine leurs responsabilités. Ce qui fait d'ailleurs que, contrairement à ce que certains avaient pu penser il y a un an ou plus, nous avons fait de l'affaire du NEPAD un élément permanent de l'ordre du jour du G8 et confirmé dans leur vocation la responsabilité de nos représentants personnels, qui ont fait un travail tout à fait admirable. Vous avez certainement pu, d'ailleurs, lire leur rapport. Nous avons décidé de le mettre à l'agenda de chacune des réunions du G8, tant il est vrai que cette ambition est si importante qu'elle ne pourra être satisfaite que dans la mesure où nous aurons une détermination sur le long terme et non pas simplement des décisions aujourd'hui ou demain.
Je souhaite par conséquent que nous puissions poursuivre dans cette voie. J'ajoute que nous avons décidé d'ouvrir dans ce domaine le G8 aux autres pays susceptibles d'apporter leur aide, notamment dans le cadre de l'OCDE, de façon à ce qu'il n'y ait pas seulement le G8 mais l'ensemble de la communauté internationale responsable et qui, je dirais, a les moyens pour s'associer au développement de ce NEPAD dont, je le répète, l'objectif est de substituer une politique de partenariat à une politique d'assistance qui n'a pas réussi.
QUESTION - Monsieur le Président, les préoccupations du G8 rejoignent directement l'agenda du gouvernement français en matière de réformes. La croissance implique, vous l'avez dit vous-même, des réformes de structure. C'est ce que dit le G8. Et on a l'impression que ce que vous souhaitez à l'échelon international est très difficile à mettre en pratique sur le terrain national. Comment sortir de cette contradiction ?
LE PRESIDENT - Par le dialogue et la détermination.
QUESTION - Je voulais vous poser deux petites questions. Les sources diplomatiques qui, malheureusement, ne nous laissent pas les citer disent que vous allez faire une visite aux Etats-Unis en automne. Je voulais savoir si c'est une invitation faite par M. BUSH aujourd'hui ou est-ce que ce serait dans un autre cadre ? Deuxièmement, nous avons tous été très frappés par la bonhomie que vous avez montrée, vous, les deux leaders, et je voulais vous demander si vous avez le sentiment que la page a été tournée. Vous avez aussi envoyé des soldats, des forces spéciales, en Afghanistan. Est-ce que c'est un symbole que la France et les Etats-Unis vont travailler maintenant ensemble ?
LE PRESIDENT - Alors, premièrement, ce n'est pas à l'invitation du Président BUSH que j'irai peut-être aux Etats-Unis. C'est parce que je suis invité par le Premier ministre de Norvège et par M. Elie WIESEL à venir à une conférence qui se trouve avoir lieu la veille de l'ouverture de l'Assemblée générale des Nations Unies et que je suis également, en principe, convié à l'Assemblée générale des Nations Unies.
Ce qui est vrai, néanmoins, c'est que le Président BUSH m'a demandé si j'avais l'intention de venir à cette occasion. Je lui ai dit que c'était possible et même probable, sans être certain. Cela dépendra des événéments, naturellement. Et il m'a dit : dans ce cas là, je serai heureux de vous rencontrer pour que l'on puisse poursuivre ce dialogue. Et je lui ai dit bien volontiers.
Quant à la coopération avec les Etats-Unis en Afghanistan, vous le savez, il y a longtemps qu'elle existe. La vérité, elle a existé dès le début des opérations en Afghanistan. Et, comme vous le savez, la France est déjà largement présente à Kaboul puisque nous avons cinq ou six cents hommes, déjà, et, effectivement, nous avons l'intention de les renforcer un peu.
QUESTION – Je souhaiterais tout d'abord vous remercier, au nom de ma famille, de toute ma famille, de savoir que les relations franco-américaines remontent à très loin. Dans la déclaration finale économique, vous parlez de l'importance du forum de stabilité. Alors, si je comprends bien, le G8, en 1975, au début, prenait sous son aile l'économie globale. Ce forum international, à quel point est-il important ? Et, vu ses structures actuelles, est-ce que cela signifie un passage au G10 et aux banques internationales ?
LE PRESIDENT – Vous savez, comme toutes les institutions humaines, le G8 évolue. D'abord, je rappelle que le G8, c'est un club, ce n'est pas une autorité ou une institution. Le G8 n'a pas de légitimité particulière. A l'origine, c'était cinq pays qui voulaient simplement, au niveau de leurs dirigeants, se concerter. Et puis, ces cinq pays sont devenus sept, puis huit et la concertation est restée l'objectif essentiel.
Le G8 n'a pas vocation à prendre des décisions qui seraient au-delà de ses propres participants. J'ai pensé cette année que le moment était venu de l'ouvrir un peu plus et que nous avions tout intérêt à entendre les préoccupations d'un nombre plus grand. Alors, vous me direz qu'il y a pour cela l'ONU, que l'on aurait pu se réunir à cent-quatre-vingt. Mais il y a des problèmes matériels. Et, donc, nous nous sommes réunis à vingt-et-un chefs d'Etat, dimanche, pour essentiellement entendre ce qu'ils avaient à dire. Et cela a été fructueux. J'observe d'ailleurs qu'ils devaient bien en éprouver le besoin puisqu'ils ont tous répondu présents.
Je souhaite, et je sais que ce sera le cas, que cette méthode se poursuive et que ces chefs d'Etat et de gouvernement puissent être de plus en plus associés à la réflexion internationale et aux décisions qui sont prises ensuite et que l'on puisse le faire de façon concertée, coordonnée, élargie. Alors, vous me direz : et pourquoi pas toutes les nations du monde ? Eh bien, tout simplement pour des raisons matérielles ! Les vingt-et-un qui se sont réunis ici représentaient plus des deux tiers de la population du monde et les trois quart de la richesse internationale et des échanges internationaux. C'était donc, si j'ose dire, un échantillon particulièrement représentatif. Je souhaite pour ma part que cette expérience soit poursuivie par les Américains l'année prochaine, les Anglais l'année d'après, etc···
QUESTION – Sur la forme, Monsieur le Président, votre homologue américain ni aucun de ses porte-parole ne se sont exprimés officiellement durant ce G8 d'Evian. Est-ce que cette absence de langage officiel américain a une signification politique quant à l'utilité-même du G8 ?
LE PRESIDENT – Aucun ne s'est exprimé ?
QUESTION – Au centre de presse, nous n'avons vu aucun porte-parole officiel du Président américain. Le Président américain n'a pas fait de conférence de presse officielle dans le cadre du G8 d'Evian. Est-ce que cela appelle de votre part un commentaire politique particulier ?
LE PRESIDENT – J'ai vu dans la délégation américaine un nombre important de porte-parole et de gens dont la mission était d'avoir le contact avec la presse. Je m'étonne que vous les ayez ratés, parce qu'ils étaient nombreux.
QUESTION – Le langage officiel américain n'a pas été très, très présent durant ce G8.
LE PRESIDENT – Vous croyez que c'était différent avant ?
QUESTION – Sur le plan de la forme, oui.
LE PRESIDENT – Je peux vous assurer qu'il ne faut en tirer aucune conséquence.
QUESTION – Pour avoir entendu le Président BUSH tout à l'heure exprimer ses···
LE PRESIDENT - Vous voyez, lui, il a entendu quelque chose···
QUESTION – ···ses préoccupations pour ce G8, il a essentiellement parlé de terrorisme et de prolifération nucléaire. Est-ce que vous avez eu l'occasion de parler avec lui ? Les Etats-Unis ont adressé récemment des demandes précises et des mises en garde sérieuses, apparemment, à l'Iran et à la Syrie. Est-ce qu'il en a été question ? Est-ce que vous avez des inquiétudes à ce propos ?
LE PRESIDENT – Il est certain que la perspective d'acquisition d'un armement nucléaire par l'Iran est une préoccupation pour tout le monde. Et c'est vrai que le Président américain l'a particulièrement souligné. Mais je dois dire que tout le monde partage ce sentiment, d'où notre souhait que, par la diplomatie, nous obtenions de l'Iran d'accepter les contrôles qui s'imposent dans ce domaine. Dans l'état actuel des choses, naturellement, les exigences de la communauté internationale ne vont pas plus loin.
Nous n'avons pas eu l'occasion d'évoquer longuement la question de la Syrie dans la mesure où, s'agissant du Moyen-Orient, et indépendamment de l'Iraq, toute la préoccupation tenait au processus de paix israélo-palestinien et à l'importance de la réunion qui se tient ce soir entre plusieurs chefs d'Etat arabes, à l'initiative du Président MOUBARAK, en présence du Président BUSH, pour essayer de donner une impulsion à ce processus, depuis l'acceptation de la feuille de route. Processus qui va se poursuivre demain puisque le Président BUSH sera également à Aqaba pour avoir un contact avec les autorités israëliennes et palestiniennes. Nous souhaitons naturellement le succès de ces démarches dans le cadre d'une situation qui, vous le savez, nous inquiète.
QUESTION - La rencontre du G8 intervient au lendemain des violents séismes qui ont frappé l'Algérie. La France a fait preuve d'une grande solidarité dans cette épreuve. Est-ce que l'on peut dire, d'une part, que le G8 a été l'occasion de prolonger concrètement cette solidarité, cette fraternité, et, d'autre part, que votre volonté de développer ce lien étroit qui vous a toujours unis à l'Algérie a en partie motivé votre désir d'avoir à vos côtés, lors de ce G8, les pays émergents et en développement ?
LE PRESIDENT - Alors, tout d'abord, c'est vrai que ce G8 aura été marqué par le drame qui s'est abattu sur l'Algérie, avec ces séismes répétés et les conséquences sur le peuple algérien. Les morts, les blessés, les destructions···
C'est vrai que nous avons bien ressenti la chaleur des sentiments exprimés par tous les membres, non pas du G8, mais des 21 qui étaient là dimanche, c'est-à-dire le dialogue élargi. Tous sont intervenus et tous l'ont fait dans des termes qui ne laissaient percer aucune ambiguité. Ce n'était pas des termes diplomatiques. C'était à l'évidence des propos qui venaient du coeur, je tiens à le dire.
Et je dois dire que nous avons entendu à ce sujet, puisque j'ai tenu à lui donner en premier la parole, le Président BOUTEFLIKA qui a fait une intervention extraordinairement émouvante, extraordinairement émouvante, et reçue comme telle. On sentait l'émotion dans les yeux des participants.
Alors, une chose, naturellement, est d'affirmer sa solidarité par les paroles, une autre chose est de l'affirmer par les actes. Sur ce deuxième point, comme vous le savez, la plupart des pays ont manifesté leur solidarité à l'égard de l'Algérie, en fonction des besoins exprimés parce qu'il faut aussi tenir compte de la gestion d'une situation dramatique qui surprend tout le monde. Cela a été bien conduit. Ça, c'était, je dirais, la réaction humanitaire, la solidarité que l'on doit à un ami qui souffre.
De façon plus substantielle, ce drame est un coup dur porté au développement de l'Algérie et ce coup dur requiert également la solidarité internationale, indépendamment de l'humanitaire, à plus long terme. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à nos ministres des Finances, alors là il s'agit du G8, c'est une décision que nous avons prise tout à l'heure, ou confirmé tout à l'heure, de se mettre tout de suite en rapport pour nous faire, dans un mois maximum, ce qui selon les procédures gouvernementales est très rapide, vous l'admettrez, les propositions concrètes sous les diverses formes nécessaires pour apporter une aide sur le moyen ou le long terme à l'Algérie pour compenser le choc qui l'a traumatisée.
Alors, cette aide peut prendre diverses formes qui ne peuvent pas être improvisées, qui demandent à être étudiées et qui touchent les aides au développement, qui touchent les investissements, qui touchent la dette sous forme de conversion ou d'annulation. Enfin, bref, les techniciens connaissent ces méthodes. Et, donc, nous avons décidé que, dans un délai maximum d'un mois, les ministres des Finances feraient au G8 des propositions, en accord bien entendu et en liaison étroite avec les autorités algériennes, pour apporter une solidarité à moyen terme au-delà de la solidarité humanitaire à l'Algérie blessée.
Quant à moi, je souhaite, vous le savez, depuis toujours, le renforcement des liens humains, économiques, sociaux, culturels avec l'Algérie. Ce renforcement s'opère et je m'en réjouis beaucoup. Nous avons eu des divergences de vues, la page est tournée et, maintenant, la solidarité s'impose entre les deux rives de la Méditerranée, entre l'Algérie et la France. Et nous ferons tout pour ce qui nous concerne, je sais que c'est aussi la conviction des autorités algériennes, pour renforcer ce lien qui ne peut être que fraternel entre nos deux pays.
QUESTION - Monsieur le Président, lors du sommet de Gênes en 2001, vous aviez adressé un signal aux manifestants qui luttaient pour un autre monde, en disant qu'il fallait les entendre. Deux ans plus tard, est-ce que vous avez un message pour les manifestants qui luttent toujours pour un autre monde, à Annemasse ou à Genève ?
LE PRESIDENT - Tout d'abord, je crois que chacun doit bien comprendre aujourd'hui qu'il y a la démocratie politique et qu'il y a la société civile, qu'il ne peut pas y avoir de coupure entre les deux. Il faut qu'il y ait en permanence un lien. Ceux qui ont naturellement vocation à faire ce lien, ce sont ce que j'appellerai de façon plus générale les ONG, pour ne pas rentrer dans le détail.
La concertation et le dialogue, depuis Gênes, se sont incontestablement beaucoup, beaucoup améliorés. Et beaucoup améliorés par la volonté des deux parties, c'est-à-dire des organisateurs des sommets et des responsables des ONG. C'est ainsi que nous avons préparé le sommet dans le cadre d'une concertation importante avec ces ONG qui ont eu, pour ce qui nous concerne, des liens permanents avec les autorités françaises. J'ai moi-même eu l'occasion de les recevoir longuement pour la préparation de ce sommet.
Nous avions également prévu une coopération en ce qui concerne le contre-sommet et ses propositions par rapport au sommet. Et je dois dire que ce contre-sommet s'est déroulé de façon intéressante et satisfaisante. D'ailleurs, l'un de mes principaux collaborateurs, le Secrétaire général adjoint de l'Elysée, Monsieur Lemoine, a cet après-midi-même eu un long entretien avec les responsables du contre-sommet, de façon à recueillir par écrit leurs propositions, propositions qui nous ont été retransmises en milieu d'après-midi et que j'ai retransmises moi-même à chacun des participants au sommet. Nous évoquerons ce sujet au cours du dîner de ce soir. Donc, ce que je peux vous dire, c'est que la coopération, le dialogue, la concertation se sont faits de façon responsable, approfondie et utile, je crois, pour tout le monde. Alors, bien entendu, il y a toujours dans des manifestations de ce genre des casseurs, des voyous qui s'introduisent mais qui n'ont rien à voir avec les ONG, strictement rien. Alors, à l'égard de ces casseurs, nous avions pris un certain nombre de dispositions qui se sont, je crois, d'ailleurs révélées efficaces pour éviter ce genre d'inconvénients.
QUESTION – J'ai deux questions à vous poser. Premièrement, au Japon, nous sommes très préoccupés par le problème de la péninsule coréenne. Quelle est votre vision d'une solution possible pour dénucléariser la Corée du nord ? Et, ma deuxième question, vous avez dit que vous étiez très confiant que l'économie allait redémarrer. Je ne sais pas si, au Japon, on est si confiant que cela. Quel est le conseil que vous avez ou que vous pourriez donner à M. KOIZUMI ?
LE PRESIDENT – Sur la Corée du nord, nous sommes tous préoccupés. Pour ce qui me concerne, j'approuve tout à fait l'initiative prise par la Chine, à l'occasion de la réunion de Pékin. Réunion, vous le savez, avec les Etats-Unis et la Corée du nord. Naturellement, et le Président chinois est tout à fait de cet avis, il est essentiel que le Japon, la Corée du sud et la Russie, qui sont les voisins immédiats de la Corée du nord, participent à ces discussions. Et, je le répète, le Président chinois y est tout à fait favorable, le Président américain aussi, d'ailleurs. Le problème, c'est l'accord de la Corée du nord sur une procédure. Ce qui me paraît indispensable, c'est d'abord que cet accord puisse intervenir entre ces puissances régionales concernées et que cela se traduise par l'acceptation, par la Corée du nord, des contraintes de contrôle permettant la démilitarisation ou la dénucléarisation de la Corée du nord.
Alors, vous me parlez ensuite des conseils que je pourrais donner à M. KOIZUMI. Je dois dire que, bien entendu, je n'ai pas de conseil à lui donner. Je ne suis pas du tout pessimiste sur la situation au Japon. Elle est en train de se redresser. Je connais bien le Japon, en tous les cas pour un occidental. C'est un pays pour lequel j'ai énormément de respect et d'estime. J'ai été en particulier très impressionné, cet après-midi, par les déclarations et l'exposé de M. KOIZUMI pour l'amélioration du respect de l'environnement, le respect de la nature. Il est vrai que le Japon est le seul pays du monde à avoir une culture profonde, respectueuse, de la nature. Ce qui n'est pas le cas des autres, en général. Donc, je fais tout à fait confiance dans ce domaine, aussi bien pour le développement tout court que pour le développement durable, aux autorités japonaises. Et je ne suis pas inquiet pour ce qui concerne la croissance au Japon. Je suis sûr qu'après une période d'ajustement qui était, je crois, inévitable, cette croissance reprendra normalement.
QUESTION – On parle beaucoup des pays endettés. Il y a beaucoup de pays qui essaient de diminuer leur dette, voire de l'annuler. Et, actuellement, le gouvernement de Port-au-Prince, sur un dossier, le dossier de l'indépendance haïtienne, réclame 21 milliards de dollars à la France, en remboursement. Quelle est votre position sur ce dossier ?
LE PRESIDENT – Vous le savez, j'ai la plus grande sympathie pour Haïti et pour sa population. Nous avons de surcroît une coopération importante et nous apportons à Haïti une aide non négligeable. Et, avant d'évoquer des contentieux de cette nature, je ne saurais trop conseiller aux autorités haïtiennes d'être très vigilantes sur, je dirais, la nature de leurs actions et leur régime.
QUESTION – Est-ce que vous avez évoqué avec le président BUSH la possibilité que le Quartet prépare une feuille de route pour la Syrie et le Liban ? Est-ce que vous avez réglé votre problème d'hier, à savoir la continuité de l'action du NEPAD pour l'an 2004 ? Vous avez dit, hier, que vous aviez un problème. Est-ce que vous avez réglé aujourd'hui votre problème ?
LE PRESIDENT – Sur le premier point, je crois savoir que M. SOLANA, pour l'Europe, réfléchit à l'élaboration d'une feuille de route Syrie-Liban. Il est un fait que la feuille de route du Quartet n'évoque pratiquement pas ce problème et que, s'il y a une guerre entre Israël et les Palestiniens, il y a également une guerre entre Israël et la Syrie et le Liban. Et, par conséquent, il serait légitime, me semble-t-il, d'avoir une procédure de la même nature. Je crois que cela faciliterait les choses pour tout le monde. Notamment, cela donnerait une raison à la Syrie et au Liban de s'impliquer davantage.
Alors, cela n'est pas une initiative française, c'est une initiative éventuelle de l'Union européenne, portée par M. SOLANA. Et, s'il persiste dans cette idée, nous l'appuierons tout à fait.
Quant à la continuité, je suis plus optimiste aujourd'hui que je ne l'étais hier. J'ai voulu être très franc, hier. J'ai eu le sentiment qu'à la suite du dîner sur le NEPAD, en présence d'ailleurs des représentants personnels, j'ai le sentiment que tout le monde concevait bien et comprenait qu'une action en Afrique supposait de prendre le temps et d'avoir la détermination nécessaire et que ceci supposait le long terme, supposait le maintien d'une priorité. Et, par conséquent, j'ai cru comprendre que nos amis américains, les autres étant d'accord, retiendraient cette suggestion pour ce qui concerne 2004. Comme d'ailleurs M. BLAIR, pour les Anglais, a officiellement annoncé qu'il la retenait, pour 2005 et M. SCHROEDER pour 2007. |