Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du 50ème anniversaire de l'O.N.U
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Genève - (Suisse ) - Mercredi 5 juillet 1995.
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames, Messieurs,
Aux heures sombres du conflit le plus meurtrier de l'histoire, le Général de Gaulle évoquait, je le cite, "la nécessité de créer dans le monde un ordre susceptible de garantir la sécurité de chacun, de mettre rationnellement en œuvre les richesses de l'univers et de rapprocher entre eux tous les hommes de notre terre".
Le 26 juin 1945, à San Francisco, 800 délégués, parmi lesquels Louise Moreau, grande résistante et aujourd'hui députée au Parlement français, qui m'accompagne, assistaient à la signature de la Charte des Nations Unies.
J'ai souhaité être présent, pour ce cinquantième anniversaire, à Genève, deuxième pôle de l'ONU et capitale du multilatéralisme. C'est dans cette ville francophone que s'incarnent le mieux les idéaux qui animaient la génération des fondateurs et qui inspirent plus que jamais la politique de la France.
Je veux rendre un hommage solennel et apporter un soutien sans réserve au haut commissaire, à la Commission et au Centre chargés des Droits de l'Homme. Cinquante ans après la victoire sur la barbarie et le racisme, il faut rappeler avec force que le principe de l'universalité des Droits de l'Homme, sur lequel repose l'existence même de notre Organisation, ne saurait être remis en cause au nom de spécificités religieuses, culturelles ou nationales.
Je veux saluer le travail admirable accompli, avec un dévouement inlassable, par les héros anonymes de l'action humanitaire, qu'ils agissent au nom du Haut Commissariat pour les réfugiés, du Comité international de la Croix-Rouge ou de l'une des nombreuses Organisations non-gouvernementales dont le siège est à Genève.
Je veux dire aussi le rôle essentiel, et qui devrait être davantage reconnu, de toutes les organisations techniques, de la météorologie aux télécommunications ou à la santé, qui ont contribué aux progrès décisifs dont bénéficient aujourd'hui des milliards d'hommes, de femmes et d'enfants.
Je veux rapprocher symboliquement, dans les vœux que je leur adresse, la plus ancienne des institutions, l'Organisation internationale du travail, chère à Abel Thomas et la plus jeune, l'Organisation mondiale du commerce : l'une et l'autre ont un rôle majeur à jouer dans une économie de plus en plus ouverte, en contribuant au respect des droits des travailleurs et à la libéralisation ordonnée des échanges mondiaux.
Je veux évoquer, dans ce haut lieu du dialogue Nord-Sud, la nécessaire relance d'une réflexion sur l'aide au développement, ses modalités et ses institutions : la France, qui est et restera au premier rang par l'ampleur de son effort d'aide, présentera avant la fin de l'année, des propositions précises dans ce domaine qui constitue une priorité de mon action.
Je veux enfin saluer le rôle de Genève, capitale du désarmement et de la paix.
Les autorités de la "République et Canton", comme celles de la Confédération, peuvent compter sur la France pour défendre, chaque fois que nécessaire, la position internationale de Genève et les aider, si elles le souhaitent, à élargir son assise et son rayonnement au-delà d'une frontière qui nous rapproche plus qu'elle ne nous sépare.
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Rappeler les projets concrets menés jour après jour, depuis cinquante ans, par les organisations genevoises dans leur diversité, rappeler le rôle irremplaçable de leurs Assemblées pour forger une conscience universelle et la traduire en instruments juridiques ou en programmes d'action, fait apparaître une évidence que je ressens profondément et que j'affirme, au nom de la France : le monde a besoin des Nations Unies.
Or, jamais le contraste n'a été plus marqué entre l'ampleur des responsabilités qui incombent à l'ONU et le manque de volonté politique de ses Etats-membres.
Le monde de l'après guerre froide, porteur de tant d'espoirs, réveille aussi toute l'instabilité, tous les conflits que l'existence des deux blocs avait occultés.
Ce fut, et c'est l'honneur des Nations Unies, de être attelées à la tâche immense et périlleuse du règlement des conflits hérités de la guerre froide, de l'Asie à l'Afrique australe, puis des crises provoquées par l'éclatement d'empires dont le monolithisme apparent aura longtemps masqué les profondes divisions ethniques, politiques ou religieuses.
Dans cette tâche, l'ONU a connu des succès, toujours imparfaits mais qu'il serait injuste d'ignorer : la Namibie et le Cambodge, le Mozambique et le Salvador, Haïti lui doivent des progrès qui auraient été impossibles sans elle : ils témoignent du caractère irremplaçable de l'Organisation. 65 000 casques bleus participent aujourd'hui à 17 opérations pour accompagner des accords de paix et des processus de réconciliation dans des pays déchirés par des années, parfois des décennies de conflit.
Mais les Nations Unies ont aussi subi des échecs, notamment en Somalie, même si de très nombreuses vies ont pu, grâce à l'ONU, y être sauvées. Nous devons, avec lucidité, en tirer des leçons pour l'avenir. C'est ce que la France a entrepris de faire, avec le secrétaire général et ses partenaires, à propos de la Bosnie-Herzégovine. Ces leçons tiennent en deux mots : dignité et volonté. Nous n'accepterons plus que les soldats de la Forpronu soient humiliés ; nous donnons aux Nations Unies, avec la création d'une Force de réaction rapide puissamment armée, les moyens d'accomplir leurs missions ; nous privilégions, avec le médiateur européen Carl Bildt, la recherche d'un règlement négocié équitable, en sachant que le temps joue contre la paix. Le succès est loin être garanti. Mais qui peut reprocher à la France, premier contributeur de troupes des Nations Unies à travers le monde, de tout faire pour arracher une solution dans cette Bosnie où l'Europe et l'ONU jouent leur crédibilité et bien davantage : les valeurs qui les fondent.
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Une même lucidité et une même volonté doivent nous animer dans la recherche d'une efficacité accrue de l'ensemble des instruments et des institutions de l'ONU. Je sais, Monsieur le secrétaire général, que vous partagez cette ambition et je souhaite vous rendre un hommage qui n'est pas de pure forme : nous avons la chance d'avoir, à la tête de notre Organisation, un homme qui, grâce à ses efforts inlassables, a permis de progresser dans tous les domaines : promotion de la démocratie, diplomatie préventive, traitement des crises, aide au développement, gestion de l'Institution.
C'est avec vous, Cher Boutros Boutros-Ghali, que la France souhaite aller plus loin et bâtir l'indispensable consensus sans lequel nous ne parviendrons pas à adapter l'Organisation aux exigences du XXIe siècle.
Je pense en particulier à l'élargissement du Conseil de sécurité : la France souhaite qu'il reflète mieux la réalité du monde contemporain avec l'entrée comme membres permanents de l'Allemagne et du Japon, mais aussi sans doute de quelques grands pays du Sud.
La montée en puissance des opérations de maintien de la paix doit conduire à l'adoption de nouveaux mécanismes, plus rapides et plus efficaces. Achevons de donner corps à l'idée française, d'unités militaires désignées à l'avance et que les Etats-membres seraient prêts à mettre à la disposition des Nations Unies sous bref préavis.
Dans le même esprit il faut que nous parvenions à raccourcir le délai de réaction dans le domaine humanitaire et à mieux répartir les tâches entre les agences concernées.
Il n'est pas de paix et de sécurité durables sans développement. L'Agenda en cours d'élaboration devra traduire cette conviction. Dans ce domaine aussi une démarche imaginative et ambitieuse est nécessaire : recherchons ensemble les moyens d'une efficacité accrue de l'aide, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale. Sachons renforcer les dimensions humaine et sociale de nos programmes économiques.
Pour conduire ce débat dans un esprit de véritable dialogue, je compte, si nos partenaires en sont d'accord, inviter au prochain sommet du G7, à Lyon, pour une séance de travail, le secrétaire général des Nations Unies, le président de la Banque mondiale et le directeur général du Fonds monétaire international.
Encore faut-il que ces organisations, et notamment l'ONU, disposent des moyens financiers indispensables à l'accomplissement de missions plus nombreuses et plus coûteuses. On ne peut pas demander plus d'efficacité et plus de réussite à l'ONU sans lui donner les moyens de l'efficacité et de la réussite. Disons-le franchement : le déficit actuel est essentiellement imputable à la carence d'un petit nombre de contributeurs, et d'abord du premier d'entre eux.
Cette défaillance grave pénalise tous les bons contributeurs, et doublement ceux d'entre eux qui mettent leurs hommes au service des opérations de maintien de la paix. Il y a là une situation que les Etats membres, et d'abord les moins riches, n'accepteront pas longtemps.
Le bâtiment dans lequel je m'exprime aujourd'hui nous rappelle que les organisations internationales, comme les civilisations, sont mortelles. Ne laissons pas l'isolationnisme menacer les Nations Unies dont personne ne conteste le caractère de clé de voûte de l'ordre international.
Ce 50e anniversaire, je voudrais qu'il soit l'occasion d'une prise de conscience : au-delà de quelques faiblesses, saluons l'incontestable réussite d'une Organisation sans laquelle le monde ne pourra faire face à aucun des défis majeurs du XXIe siècle, qu'il s'agisse du développement ou de la maîtrise des évolutions démographiques, du maintien de la paix ou de la protection de l'environnement, de la lutte contre les grands fléaux, la drogue, le sida, ou des risques de prolifération des armes de destruction massive.
Notre ambition ne peut se borner à réaliser ce qui est budgétairement possible. Elle doit être de rendre possible ce qui est évidemment nécessaire.
Je vous remercie.
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